dimanche 8 novembre 2020

À quoi sert le BAPE ?

« Le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement informe et consulte les citoyens, enquête, puis avise le ministre responsable de l'Environnement sur les dossiers qu'il lui confie, afin d'éclairer la prise de décision gouvernementale ». Tout est dit dans cette phrase qui décrit le BAPE sur son site. 

Les quatre verbes énumèrent en fait les quatre étapes du travail d’une commission du BAPE.

1 - Le BAPE informe de deux façons; il y a la documentation mise en ligne sur le site web, que le public est invité à consulter pour s’informer. Il y a aussi les séances publiques de la première étape qui visent à présenter le projet et à répondre aux questions du public. Ici il y a deux gros « bugs » :

a) Lors de la première étape d’information, la documentation des dernières commissions du BAPE ne comporte plus des avis d’experts indépendants. La documentation principale est maintenant constituée par les documents déposés par le promoteur, par les études d’impact requises au dépôt du dossier, études qu’il a commandées et payées lui-même. Créé en 1978, le BAPE a dans ses premières années commandé des études indépendantes et des contre-expertises face aux documents du promoteur, mais ce n’est plus le cas actuellement. Des contre-expertises viendront à une étape ultérieure, celle de la consultation. Elles seront présentées par des experts indépendants qui trouveront encore le temps et l’énergie pour analyser divers aspects du projet et qui seront assez généreux de leur temps pour effectuer toutes ces recherches et rédiger leur mémoire bénévolement.

b) Les séances d’informations sont parfois assez pénibles; c’est un fourretout d’informations et de questions du public.  On y obtient parfois des réponses, parfois non, tout dépend de la compétence des représentants du gouvernement qui sont présents et des représentants du promoteur. On est ici en plein dans une opération de gestion de l’image et ceux qui répondent aux questions sont le plus souvent des porte-paroles, des professionnels en communication, rarement des experts compétents sur les questions techniques majeures du dossier. À cette étape, c’est parfois une réponse vague « vu que celui qui pourrait répondre plus scientifiquement à votre question n’est pas là … », ou alors la question est notée et la réponse viendra d’une lettre d’un fonctionnaire qui sera ajoutée ponctuellement dans la pile de la documentation. Il n’y a aucun expert indépendant impliqué sur le panel de la commission dans cette partie des audiences, qui pourrait répondre et nuancer les réponses fournies; il en découle parfois que les séances d’informations se transforment alors en opposition acerbe entre la salle et le panel.

2 - Cette opération complété, le BAPE consulte : on demande au citoyen de donner son avis sur la base d’informations et de documents essentiellement fournis par le promoteur, ainsi que l’information fournie à l’étape précédente. Les mémoires d’experts indépendants sont rendus publics après la date limite qu’on fixe aux citoyens pour rédiger leur avis. Ces opinions divergentes qui font un examen critique du projet seront entendues pêlemêles dans le flot des interventions de toutes sortes. Toutes les interventions individuelles sont dans la catégorie « préoccupations et opinion de citoyen ». Il s’agit la selon moi d’un gros problème d’équilibre dans l’information qui est fournie. On devrait consulter le public après avoir diffusé une information complète des avis existants, notamment ceux qui relèvent d’une expertise indépendante, c’est-à-dire autre que celle du promoteur et des études payées par le promoteur.

3 - La troisième étape « enquêter » m’apparait bien nébuleuse. Les commissaires font quoi exactement pour enquêter? Appellent-ils des experts indépendants pour complément d’information? Font-ils eux-mêmes des recherches? On comprend bien qu’ils lisent les mémoires déposés, qu’ils en font une synthèse qui sera incluse dans leur rapport final; est-cela l’étape enquêter? Je n’ai personnellement jamais été contacté par aucune des commissions du BAPE auxquelles j’ai participé. Je ne connais aucun collègue non plus pour qui cela aurait été différent.

4 - L’étape nommée aviser, indique bien que le rapport final des commissaires n’est qu’un avis (parmi d’autres?). Le ministre de l’Environnement n’a aucune obligation de suivre une quelconque recommandation. C’est le ministre du MELCC qui au tout début du processus a défini le cadre du mandat donné à la commission du BAPE et c’est lui qui à l’autre bout de la ligne se déclare satisfait ou pas de l’avis qu’il reçoit.

Alors je reviens à ma question du début en la reformulant : à quoi servent toutes ces heures consacrées à analyser les paramètres d’un projet pour arriver à présenter aux commissaires du BAPE un mémoire en bonne et due forme, tout en espérant que cela ait un atome d’impact en bout de processus sur la décision finale du ministre?

Je n’ai pas la réponse. Je fais l’exercice malgré tout, au cas où … Un peu comme mon oncle qui ne croyait plus à la religion, mais qui continuait à aller à la messe une fois l’an, au cas où … 

Il y a par contre un fait indéniable qui demeure : le BAPE fournit depuis plus de 40 ans un espace où les citoyens, les groupes mobilisés dans la société civile et les experts indépendants peuvent faire valoir leur point de vue. L’immense succès de cette participation se traduit en chiffres impressionnants :

  3000 séances publiques

  250 000 participants*

  14 000 mémoires*

  360 rapports publics 
chiffres de 2019,  ref. C. Srivastava

La couverture médiatique de cette vaste participation citoyenne a un impact politique non négligeable. C’est là en soi une autre bonne raison de participer aux audiences du BAPE.

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* Ces nombres de participants et de mémoires en date de 2019 vont certainement augmenter d'un bond, car le BAPE qui se déroule pour GNLC suscite une participation considérable jamais vue.