dimanche 1 mars 2015

Mémoire pour l'ÉES Anticosti

Lettre ouverte déposée dans le cadre de la consultation pour les ÉES Hydrocarbures et ÉES-AnticostiCe texte est une version mise à jour et augmentée de mon mémoire 2013 - Commission sur les enjeux énergétiques du Québec, notamment pour tenir compte des apports récents dans le dossier d'Anticosti. Le document est également publié sur le site du gouvernement.
Marc Durand, doct-ing. en génie géologique, mars 2015

Les hypothétiques gisements d’hydrocarbures non conventionnels au Québec - Anticosti

Nous analyserons de façon générale la problématique des gisements d’hydrocarbures de roche-mère dans la première partie de ce mémoire. Dans la 2e partie du document, nous présenterons une analyse spécifique du pétrole dans le shale Macasty à Anticosti. L'autre gisement non conventionnel au Québec est le shale d'Utica; lui aussi ne pourrait être exploité qu'en ayant recours à une technique de fracturation. Ce dernier cas a été traité dans le rapport du BAPE 2014 [1]; j'ai aussi soumis un mémoire pour l'Utica [2].

Le portail Hydrocarbures [3] du Gouvernement du Québec mentionne "les nouvelles technologies d’exploitation des ressources fossiles ouvrent de nouvelles perspectives pour les formations géologiques pétrolifères, les shales, présentes au Québec." Le gisement d’hydrocarbure du shale Macasty est l'objet en 2015 d'une ÉES spécifique à Anticosti. Déjà en 2013 le document de consultation [4] du gouvernement contenait ce texte: "Ces estimations représentent des centaines de milliards de dollars en valeur potentielle et, selon le régime de redevances et la structure de propriété des sociétés d’exploration et d’exploitation, cela pourrait représenter des dizaines de milliards de dollars de revenus pour les Québécois" p.75 réf.[4]. Le présent document explique que les prétendus milliards de revenus pour Anticosti ne résistent pas à une analyse scientifique objective des données géologiques.

Nous traitons ci-dessous des gisements de roche-mère, tant de gaz (méthane en grande partie) que de pétrole ; dans le dernier cas on oublie très souvent que le gaz est également présent dans les gisements de pétrole comme dans le gisement Macasty à Anticosti et que la disposition du gaz constitue de ce fait un problème majeur.


Partie 1 - Les "nouvelles" énergies fossiles: un pont pour la transition énergétique?

Les hydrocarbures de roche-mère (shales avec pétrole diffus, gaz de schiste) constituent la nouvelle cible de l'industrie pétrolière. Dans la problématique de la consommation d'énergies fossiles et du réchauffement climatique, on nous présente souvent ces énergies comme un "pont" pour une nécessaire transition vers des énergies plus vertes. Le gaz de schiste, dit-on, serait la ressource dans une étape de transition entre nos énergies de combustibles fossiles classiques et les énergies renouvelables que l'humanité devra impérativement développer.



Jamais mensonge n'aura été plus gros! Tant de la part de l'industrie que des politiciens qui continuent de véhiculer cette image des plus fausses. Au Québec par exemple pour nommer une commission du BAPE en 2010, le gouvernement en lui donnant son mandat l'a intitulé "Développement durable de l'industrie des gaz de schiste au Québec" ; exploiter un combustible fossile, donc non renouvelable est au départ l'antithèse du développement durable.
Qu'en est-il du pont ? La consommation effrénée des combustibles fossiles a amené la planète à dépasser 400ppm de CO2 dans son atmosphère. Toute poursuite de cette hausse entrainera des impacts absolument catastrophiques, y compris des impacts économiques dommageables, reliés entre autres à la hausse du niveau de la mer ; elle pourrait devenir significative d'ici la fin du siècle. L'humanité doit faire un virage complet et urgent dans ses choix énergétiques. Ceci est admis par toutes les parties, sauf quelques irréductibles négationnistes dont les intérêts se situent justement dans les hydrocarbures. En attendant d'arriver de l'autre côté de cette transition, l'industrie pétrolière voit certaines ressources domestiques de gaz et de pétrole conventionnel se tarir; elle se lance dans l'exploitation de gisements de plus en plus marginaux. Il y a trois paramètres nouveaux qui entrent alors dans l'équation:

1) Pour exploiter du gaz et du pétrole, il faut aussi en dépenser une certaine quantité, celle qu'utilisent les foreuses, les véhicules de transport, les usines de raffinage, etc. La proportion pétrole requis pour produire/pétrole produit est relativement faible dans les gisements conventionnels. Cette proportion augmente considérablement dans le cas où il faut fracturer des formations géologiques entières pour en extraire du gaz ou du pétrole, parce qu’ils sont là finement disséminés dans la roche-mère. Il faut maintenant dépenser le sixième ou même le quart de l'énergie qu'on va produire. Exploiter ces hydrocarbures disséminés pollue déjà beaucoup au site d'extraction, avant même que le gaz, ou le pétrole, soit utilisable.
2) À cela s'ajoute le fait que ce sont des étendues de plusieurs milliers de km2 qu'il faut perturber pour exploiter, car la ressource est diffuse et finement disséminée dans toute l’étendue d'une couche géologique. Ce ne sont plus des gisements localisés qui sont exploités, mais des régions entières qui en subissent les impacts. Le shale doit être fracturé dans tout son volume pour permettre l'extraction d'hydrocarbures; c'est actuellement la fracturation hydraulique qui est utilisée, mais tout autre technique de fracturation donnera les mêmes conséquences: une modification irréversible de toute la masse de la roche-mère.
3) Finalement le troisième élément nouveau à prendre en compte n'est pas le moindre: l'efficacité de l'extraction. Dans les gisements de pétrole et de gaz conventionnels, les hydrocarbures sont trouvés dans des concentrations naturelles, nommés pièges stratigraphiques, localisés dans des zones ou dans des strates poreuses et perméables. Le pompage est facilité par cette condition naturelle du gisement; l'efficacité de l'extraction est élevée, car le pétrole et le gaz circulent facilement. Le taux de récupération est aussi très élevé: 50 à 95%. En fin d'extraction, les conditions souterraines (hydrogéologiques notamment) du site sont sensiblement celles qu'elles étaient avant l'implantation des forages; la seule différence notable est qu'il y a dans la strate moins de pétrole et de gaz après qu'avant. Dans le cas d'hydrocarbures de roche-mère, l'exploitation n'est possible qu'en apportant une modification extrême de la strate; l'imperméabilité qui emprisonnait les hydrocarbures depuis des centaines de millions d'années doit être radicalement modifiée. La fracturation artificielle change de façon irréversible la perméabilité de la roche de plusieurs ordres de grandeur. Le pétrole et le gaz commencent alors à s'écouler par les nouvelles fractures ouvertes. Cet écoulement est à grand débit initialement, mais il diminue rapidement et de façon significative. Après quelques années, le débit tombe sous la valeur rentable.
Les gisements conventionnels que la nature a créés se sont formés par le même phénomène d’une lente migration de gaz et de pétrole au cours de siècles, plutôt de milliers, voire de millions d'années. Créer des fractures nouvelles dans une strate de roche-mère en un instant donné amorce ce même processus, mais ne le change pas fondamentalement ; il n'est pas possible de l'accélérer. L'efficacité de l'exploitation se limite à une petite portion de ce que contient la roche-mère. Le taux d'extraction mesuré dans l'industrie du gaz de schiste est de 10 à 20 % du méthane en place. Pour le pétrole dans le shale, c'est un taux dix fois moindre: 1 à 2% du pétrole en place est récupéré pendant les quelques années où le débit est satisfaisant. Que se passe-t-il ensuite?  Le gaz (80%) et le pétrole (98%) qui restent continuent lentement à migrer dans ce shale transformé par la fracturation. Il n’y a aucune possibilité en fin d’exploitation d’arrêter ce processus ; on ne peut que boucher le conduit des puits, mais on ne peut intervenir sur le grand volume (entre 50 et 150 millions de m3/puits) du roc rendu très perméable et fracturé.
Il y a donc là, entre l’avant et l’après exploitation une différence radicale qui n'existait pas dans le cas des gisements conventionnels. L'extraction partielle d'une nouvelle source étendue de combustible fossile ne sera pas sans conséquence: l'écrémage de ces hydrocarbures laissera en place en fin de production d'énormes quantités de méthane dans des strates radicalement transformées. Ce gaz pourra trouver des voies de circulation vers les nappes phréatiques, mais également vers l'atmosphère, par les fractures et, après un certain temps, par les conduits mêmes des puits abandonnés. Ce n'est pas le scellement des puits en fin de production qui va changer la donne; ces scellements ont des durées de vie bien moindre que ce qui serait requis [5]. Ouvrir toutes ces nouvelles sources d'émission de méthane, un gaz à effet de serre autrement plus nocif que le CO2, va contribuer au réchauffement climatique avec une ampleur significativement plus élevée que la combustion des combustibles fossiles conventionnels. On sait maintenant que les fuites existent déjà dès les premières années, celles où les opérateurs contrôlent les puits ; d’après les premiers estimés les fuites représentent jusqu’à 9% de la production [6]. Ces fuites vont continuer bien longtemps après que la production aura cessé.

Ces trois conditions modifient considérablement la perspective dans laquelle il convient d’aborder la poursuite de l'exploitation des énergies fossiles contenues dans les sources non conventionnelles. L’exploitation des hydrocarbures roche-mère ne constitue aucunement un « pont » ou une transition, mais un énorme bond en arrière:


Échelle de pollution: le pire à gauche,  le plus vert à droite:

Passer de (2) à (1) pour aller vers (3) est une aberration, certainement pas un "pont". Faut-il exploiter jusqu'à les dernières gouttes de pétrole sur terre, simplement parce que des exploitants pourront y trouver une rentabilité à court terme?
 "La civilisation a évolué par des étapes significatives souvent en fonction des ressources et des techniques, mais quand l'humanité a quitté l'âge de pierre, ce n'était pas par manque de pierre" *.
Une reformulation d’une citation attribuée au ministre saoudien du pétrole lors du premier choc pétrolier. 
- - - o o o 0 o o o - - -

Partie 2 – L'hypothétique gisement d'hydrocarbures non conventionnels d'Anticosti

Le gaz de schiste dans l’Utica et le pétrole diffus dans le shale Macasty à Anticosti ont cette particularité commune : contenir des hydrocarbures diffus dans toute leur masse. La fine porosité et la très faible perméabilité de ce shale (Macasty et Utica sont deux entités stratigraphiques équivalentes dans le temps géologique) emprisonnent de façon efficace les hydrocarbures depuis 450 millions d’années. En mesurant l’épaisseur et la superficie du shale, ainsi qu’en estimant le pourcentage de matière organique transformée en hydrocarbure dans la roche, on est arrivé à estimer qu’il y aurait un peu plus de 45 milliards de barils (= 7 milliards m3) de pétrole à Anticosti.
Il est tout-à-fait irresponsable de multiplier les quantités d’hydrocarbures en place par la valeur d’un baril de pétrole ($50 ou même $100 x 45 milliards !) comme on a jusqu’à maintenant eu tendance à le faire dans bien des milieux économiques manifestement peu au courant des données géologiques. Une faible portion de ces hydrocarbures serait éventuellement récupérable par fracturation hydraulique : 1 à 2% dans le cas du pétrole dans le shale, c’est-à-dire dix fois moins que le taux de récupération (10 à 20%) dans le cas du gaz de schiste.
Malgré ce faible taux de récupération, le pétrole de roche-mère est actuellement en production au Dakota Nord et il y crée un « boom » économique. Certains rêvent de reproduire ce boom de production au Québec dans un gisement du même type à Anticosti. Mais il faut bien réaliser que c’est en raison de législations permissives et au détriment de l’environnement que les coûts d’extraction et de transport rendent possible cette production dans certains États américains.
Le document de présentation de la CEÉQ [4] reprend pour le pétrole du Macasty des estimés très optimistes (ex. : taux de récupération de 5%) qui sont en fait ceux qui sont avancés par les promoteurs privés. L’étude commandée par Pétrolia [7] de laquelle on a tiré l’estimé des volumes de pétrole en place mentionne pourtant, en introduction comme en conclusion, qu’on n’a pas observé de pétrole liquide dans aucun des 20 forages analysés :
« No moveable oil has yet been discovered within the Macasty Formation on the island » p.2, réf. [4]
« no oil or gas has yet been recovered from the Macasty shale through testing » p.8, réf. [4].
Le gisement pétrolier dans le shale Bakken au Dakota est souvent cité comme exemple. Il possède une différence fondamentale avec le Macasty : c’est un gisement qui était exploité de façon conventionnelle avant l’introduction de la fracturation hydraulique en 2008. C’était déjà un champ de production de pétrole marginalement productif ; on avait donc là des preuves bien concrètes de la présence de beaucoup de «moveable oil».
Depuis 2008, on a déjà foré plus de 15000 puits dans le Bakken et ce nombre pourrait atteindre à terme 50 000 puits. C’est un gisement plus étendu que celui d’Anticosti et le volume en place de pétrole est estimé à dix fois la valeur du Macasty. Nous avons là bien plus de données que celles fournies par l’analyse de 20 puits dans la référence citée [7] ; on peut donc se fier à la valeur de 1,2% comme taux de récupération dans le Bakken, comme l’indique le tableau ci-dessous tiré de la référence [8].

Tableau1. Paramètres des principaux gisements de pétrole de roche-mère aux USA, Sandrea 2012, réf. [8].

À l’exception du gisement Elm Coulée, la majorité des valeurs de taux de récupération sont de cet ordre. Pour le gisement potentiel d’Anticosti dans lequel il n’y a pas encore aucun forage ayant permis de récupérer du pétrole liquide, il est totalement irréaliste de tabler sur un taux de récupération plus du triple («… 2 à 5 % seraient récupérables avec les techniques actuelles» [4] p.74) de celui qui est calculé dans le Bakken. C'est pourtant sur cette base erronée que la décision d'investir 115M$ de fonds publics a été prise à Québec en février 2014.
En fonction des caractéristiques géologiques du gisement du shale Macasty, des données fragmentaires qu’on peut comparer à celles des autres gisements de pétrole de roche-mère aux USA, la valeur réaliste et prudente d’un taux de récupération à prendre en compte à cette étape de l’analyse serait plutôt 1%. C’est cette valeur que nous utiliserons dans la suite du texte. Les quelques forages ajoutés en 2014 n'ont pas modifié de quelque façon l'image globale des caractéristiques du Macasty; il est improbable que ceux qui viendront s'ajouter en 2015 y changent quoi que ce soit.

- La question du gaz associé:   Un grand laxisme dans la réglementation locale du Dakota permet le brulage à la torchère du gaz associé au pétrole dans le gisement Bakken. Près du tiers du gaz extrait est brulé sur place; c’est une quantité qui représente 260,000 millions de pi.cu/jour [9]. Cette situation résulte du manque de capacité des gazoducs en place, du faible prix du gaz et des distances de transport vers des débouchés potentiels. C'est le pétrole qui intéresse vraiment les exploitants.
Qu’en serait-il à Anticosti où il n’y aurait bien moins de possibilités économiques envisageables pour transporter et commercialiser le gaz? La réglementation actuelle au Québec à propos du torchage n’est guère reluisante, même en la comparant à celle du Dakota :
   « Aucune redevance n'est exigible sur le pétrole, le gaz naturel ou la saumure utilisés sur place par le locataire à des fins de forage ou de production ou sur le gaz naturel brûlé à l'air libre[10]
On constate que le torchage sur place bénéficie par la loi du Québec d’un avantage économique pour le producteur de pétrole : il peut le bruler gratuitement. La publication récente des lignes directrices [11] n'est pas rassurante sur l'évolution possible des règles à ce sujet, puisqu'on annonce qu'il n'y aura qu'une déclaration volontaire des rejets dans l'atmosphère qui dépassent 10 000 tonnes ("le requérant qui émet dans l’atmosphère une quantité de gaz à effet de serre (GES) égale ou supérieure à 10 000 tonnes métriques en équivalent CO2 doit déclarer ses émissions") [11 p. 44].
Les estimés des quantités de gaz associé au pétrole dans le shale Macasty n’ont pas beaucoup retenu d’attention, car le gaz présente peu d’intérêt économique dans ce contexte insulaire. Les estimés relatifs au gaz n’ont pas été faits par les promoteurs, mais cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas en faire.

Figure 1. Gisements de roche-mère VS gisements conventionnels (modifié de la réf. [12]).


Le gaz et le pétrole qui se séparent dans les gisements conventionnels, sont à l’origine intimement associés et présents dans la roche-mère (figure 1). Il n’est pas possible en exploitant les gisements non-conventionnels de n’extraire que le pétrole, sans le gaz. En fait la fracturation va libérer bien plus facilement le méthane que le pétrole,  dans un gisement comme le shale de Macasty à Anticosti, car la molécule de méthane circule plus facilement dans la très fine porosité du shale.



Tableau 2. Rapport Gaz/Pétrole dans le shale Macasty [13] et dans le shale Bakken [14].

Des données certes fragmentaires (tableau 2) montrent que le rapport gaz/pétrole pour le Macasty (40,9/27,8 = 1,47) est plus du triple que celui mesuré dans le Bakken (16,6/42,7 = 0,39). Nous avons présenté dans la conférence [12] les estimés pour la quantité de gaz dans le gisement Bakken; le volume de méthane (52 Gm3)** est le double de celui du pétrole (25 Gm3). Les volumes de gaz sont présentés aux conditions standards ; dans la roche-mère le méthane occupe un volume bien moindre car il est fortement comprimé. Il est raisonnable d’estimer à cette étape-ci le volume de méthane dans le Macasty à une valeur entre trois à huit fois celle du pétrole en place, qui lui est évalué à 6 Gm3.
Dans la fracturation de la roche-mère pour libérer les hydrocarbures emprisonnés, le gaz se libérera bien plus rapidement que le pétrole et en plus grande proportion de ce qui est en place (~1% du pétrole en place - vs - 10 à 20% du méthane en place). Pendant et surtout après l’exploitation des puits, le méthane résiduel continuera sa migration vers les nappes et l’atmosphère [12 & 16].
** Gm3 indique milliard de mètres cubes.

- La profondeur minimale pour la fracturation:  Il y a de plus pour Anticosti une question technologique et environnementale qui pose un problème majeur : le shale Macasty se situe de 350 m à 1100 m de profondeur pour les quatre cinquièmes de l’île ; cette portion devrait être à priori exclue des estimés et de l’exploration-exploitation. Dans toute cette zone, cette trop faible profondeur ne respecte pas les normes tacites que l’industrie a elle-même proclamées [17]. La figure 2 montre deux compilations des données de fracturation compilées pour les puits de deux gisements: le shale de Marcellus en Pennsylvanie et le shale de Barnett au Texas. On y indique la limite inférieure des aquifères (jusqu'à 240m et jusqu'à 400m dans ces deux cas), ainsi que l'extension mesurée de la fracturation (jusqu'à 550 m dans les deux cas).
L'auteur [17] explique que l'industrie minimise les risques de pollution des nappes en maintenant entre le haut de la fracturation et le bas des nappes une distance sécuritaire de près d'un mille (1585m à 1160m selon les cas). Nous n'avons pas trouvé de diagramme semblable pour le gisement pétrolifère du Bakken au Dakota, mais ce cas donnerait une marge observée encore plus grande car la profondeur y est plus élevée: elle représente 3 Km en moyenne.
Ce qui est notable dans ces deux diagrammes, c'est l'extension considérable que peut avoir la fracturation en d'étendant vers le haut: couramment 300m et parfois 550m.

Figure 2. La limite inférieure des nappes VS l'extension de la fracturation, tel que compilé pour des milliers de  forages et de fracturations dans les shales Marcellus et Barnett - données de Fisher 2010 [17]

Le gouvernement annonce pour Anticosti de bien belles intentions et le respect des meilleures pratiques, mais il met en place en même temps une réglementation [18] pour la protection des nappes qui contredit de façon flagrante tous ces principes. Dans une réglementation qui porte avant tout sur l'eau et non pas dans une loi sur les hydrocarbures, on définit pour des forages d’exploration et/ou d'exploitation des conditions à respecter pour des demandes futures de permis de fracturation ; une norme de 400 m taillée sur mesure pour lever l’exclusion virtuelle qui affecte les quatre cinquièmes de l’île d’Anticosti, comme le montre les figures 3 et 4 ci-dessous.

Figure 3. Zone à Anticosti où il est impossible d'avoir une marge de 1000m entre la fracturation
et le bas des nappes.
La coupe de terrain à gauche sur la figure 3, montre que nous avons pris des distances verticales très raisonnables par rapport aux données des USA: 200m pour le bas des nappes, 300m pour l'extension maximale de la fracturation et entre les deux une marge sécuritaire de 1000m (et non pas "one mile").

Figure 4. L'article 40 [18] fusionne la zone des fractures la marge verticale et ramène le tout à 400m.


Permettre la fracturation dans une tranche de 400 m de roc qui se situe entre la section horizontale d’un puits et le bas d’une nappe, c’est permettre en fait de conserver zéro mètre de marge de sécurité quant cette fracturation s’étend sur 400 m ! Les données de l’industrie montrent que des fracturations peuvent s’étendre vers le haut jusqu’à plus de 500 m [figure 2 et réf.17].
La section IV du règlement RPEP [19] doit être enlevée et toutes les questions relatives à l’exploitation des hydrocarbures de roche-mère doivent être analysées dans leur ensemble, dans une loi spécifique. La fracturation et la libération du méthane qui en découlent affectent les nappes phréatiques certes, mais pas seulement les nappes, l’atmosphère également, le bilan des gaz à effet de serre, etc. Il est prématuré de fournir maintenant à l’industrie des normes et des directives laxistes, qui ont l’apparence d’avoir été conçues avant tout pour contourner une question de faible profondeur du shale à Anticosti.
L'implication du gouvernement en début d'année 2014 dans la propriété des permis apparaît illogique en rapport avec le respect d'une distance sécuritaire: une petite portion (3,5%) du territoire détenu conjointement avec ses partenaires (Hydrocarbures Anticosti S.E.C.) serait théoriquement fracturable (figure 5).
Figure 5. Emplacement des permis détenus par Hydrocarbures Anticosti par rapport à la marge de la fig. 3.

- Un gisement exploitable? : La rentabilité d’une industrie de pétrole de roche-mère à Anticosti semble en elle-même bien douteuse† ; 1% comme taux de récupération de 46 Gbarils en place, c’est 460 millions de barils récupérables, pour toute l’île. Or seulement moins d'un cinquième du gisement se situe à une profondeur suffisante, ce qui laisse ~100 millions de barils récupérables, sur environ 1500km2. Il faudra construire 3000 puits pour cette seule partie du gisement. Il est réaliste d’estimer à $10millions/puits le coût de cette exploitation partielle. C’est donc $30 milliards de travaux à faire en construction de puits pour cette seule portion sud de l’île. La valeur marchande de 100 millions de barils, en supposant que la valeur remonte à$100/baril rapporterait $10 milliard brut, mais il y aurait $30 milliards de dépenses!  Même en rognant sur les coûts des puits et sur leur nombre, il est difficile de voir où se situeraient la possibilité économique d'une exploitation réelle du Macasty.
L'intérêt économique actuel des promoteurs est tout autre: les activités d'exploration géologiques génèrent des avantages fiscaux très importants et elles ont un impact immédiat sur la valeur des actions des détenteurs de permis. Dans le cas d'Anticosti, on a impliqué de plus des fonds publics pour ces dépenses à très hauts risques spéculatifs.
Nous avons ci-dessus une analyse très sommaire des coûts, nous le reconnaissons, mais elle vaut autant que bien d’autres encore plus simplistes [20]. Le texte complet de cette analyse avec diverses variantes est à ce lien : [21]. Il faudrait de plus tenir compte des coûts environnementaux et pas seulement des coûts des travaux d’exploitation.
Nous reprenons ici comme conclusion la dernière figure de la conférence présentée le 30 janvier 2013 [12].
 † Nous traitons ici de la rentabilité d'une hypothétique exploitation. La rentabilité à l’étape de l’exploration pour un détenteur de permis est bien distincte de la rentabilité d’exploitation proprement dite. Les dépenses à l’étape d’exploration sont fortement subventionnées et celles-ci contribuent beaucoup à la valorisation des actions des détenteurs de permis.


Références :

[1]  BAPE, novembre 2014.  Les enjeux liés à l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste dans le shale d’Utica des basses-terres du Saint-Laurent.


[2]  Durand 2014.  Les risques technologiques liés à la fracturation du shale d’Utica.  Mémoire au BAPE - DM99, 36 p.

[3]  Gouvernement du Québec 2014, Portail Hydrocarbures.

[5] Brufatto et al 2003.  From Mud to Cement—Building Gas Wells, Oilfield Review, Sept. 2003, pp 62-76.

[6] Cooperative Institute for Research in Environmental Science 2013. « CIRES and NOAA scientists observe significant methane leaks in a Utah natural gas field » CIRES News Release 5 août 2013

[8]  Sandrea, 2012.  Evaluating production potential of mature US oil, gas shale plays.  Oil & Gas Journal, déc. 2012

[9]  Scheyder 2013. Bakken Shale Flaring Burns Nearly One-Third Of Natural Gas Drilled, New Study Finds.  Huffington Post 29 juillet 2013

[10] Québec 2013. Loi sur les mines,   chapitre M-13.1 (voir le 3e paragraphe de l’article 204)

[12] Durand 2013. Les risques et enjeux de l’exploitation du pétrole de roche-mère d’Anticosti. Conférence présentée à la Salle des Boiseries de l'Université du Québec À Montréal le 30 janvier 2013 http://youtu.be/VCEJ-lAHS4Y

[14] Wind River 2012. Core data release

[15] Durand 2011. L’expérimentation – La durée de vie des structures, texte  + présentation en vidéo.

[16] Durand 2012. Les dangers potentiels de l’Exploitation des Gaz et Huiles de schiste - Analyse des aspects géologiques et géotechniques. Rapport final du Colloque duConseil régional Île-de-France, 7 février 2012, Paris, pp 173-185.

[17] Fisher 2010, Data Confirm Safety Of Well Fracturing. American Oil and Gas Reporter. July 2010

[18] GAZETTE OFFICIELLE DU QUÉBEC, 16 juillet 2014.,  Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protectionpp. 2729 à 2759

[19] Durand 2014. D'où vient la "norme" de 400 m du règlement qui entre en vigueur le 14 août 2014 – impact sur Anticosti. Norme de 400m - impact pour Anticosti expliquée dans une présentation vidéo : http://youtu.be/QdKEOBeXa3c

 [20] Institut Économique de Montréal, 2012 : "À 100 $ le baril (probablement un chiffre prudent pour le prix du pétrole à long terme) et en présumant que seulement un dixième de ces réserves est récupérable, on parle donc d’une ressource valant la somme extraordinaire de 400 milliards de dollars" Les avantages du développement de la production pétrolière au Québec, 4p.