Les faussetés devenues des « faits alternatifs » se multiplient
depuis l’arrivé de Trump répète-t-on souvent. Elles bénéficient largement dans
bien des cas de l’effet levier des médias qui les relaient sans l’examen
critique sérieux qui serait de mise.
Les milliards de dollars d’un incroyable gisement de pétrole à Anticosti
constituent un bel exemple de fausseté présentée comme un fait réel par les
médias. Cette affaire qui est bien de chez nous, n’a rien à voir avec le
phénomène Trump, car elle le précède.
Les promoteurs ont bien joué leurs
cartes et le gouvernement a été roulé dans la farine ; c’est très
facile de berner quelqu’un qui ne demande que ça de se laisser séduire par des
fausses promesses. Plus le mensonge est gros, plus il fait la manchette et plus
il a de chances de s’implanter comme fait
alternatif.
Ainsi a-t-on vécu depuis 2011 une
l’interminable suite d’articles de journaux traitant du pétrole d’Anticosti. À
chaque occasion on reprenait les nombres faramineux à l’origine du
psycho-drame : 43 milliards de barils ! 45 milliards de dollars de
profits ! Certains*, vites en calcul,
se sont même avancés à se dire : « Mais non, c’est plus que ça ! à 100$ /baril, il faut compter plus
de 400
milliards de dollars même
avec seulement 10% du pactole.» « Le
Québec n’a pas les moyens de se priver de cette manne ». Un beau très
gros mensonge devenu une « vérité » à force d’avoir été relayé des
centaines de fois. *Institut Économique de Montréal
Peu de gens se sont préoccupés d’analyser si
vraiment il y a sous l'île d'Anticosti du pétrole exploitable économiquement. On a plutôt érigé
dès le départ une lutte à finir entre les pros et les contres. Les pros étant
les promoteurs, le lobby, des fonctionnaires et des membres du gouvernement
ayant pris les dires des lobbyistes pour du « cash ». Du côté des
contres, il y avait des environnementalistes, des artistes et poètes défendant
la beauté et les valeurs patrimoniales de l’île, mais aussi beaucoup de
citoyens simplement préoccupés par l’avenir et les conséquences d’une
exploitation irréfléchie des combustibles fossiles.
Il est beaucoup plus intéressant pour les
médias de couvrir les moindres détails de ce débat entre les « verts » et les « $$$ », d’autant plus que la
politique s’en est vite mêlé. Chaque déclaration venant d’un politicien à
propos d’Anticosti a été systématiquement relayée par les médias, même quand
manifestement le politicien en question était un parfait ignare dans ce type de
dossier technique.
Il aurait été beaucoup plus terne (donc bien
moins vendable comme contenu de média) de traiter de la question de fond :
les paramètres techniques et économiques qui déterminent l’exploitabilité ou la
non-exploitabilité du shale Macasty à Anticosti. Ça demanderait à ceux qui ont
sauté pieds joints dans le débat, les pros comme les contres, de tenter de lire
et comprendre les documents techniques et de faire la part des choses entre les
documents produits par les promoteurs et d’autres plus indépendants. Ce n’est
pas simple à faire, c’est drabe, ça fait de moins bons articles que de relater
une bonne dispute entre écolos et chambres de commerce, ou encore entre deux
députés assis de part et d’autre à l’Assemblée Nationale.
Nous sommes maintenant six ans plus
tard ; le gouvernement a finalement décrété qu’Anticosti devra oublier
son développement pétrolier. Tant mieux, mais on ne s’est toujours pas
intéressé à présenter le fait que le potentiel pétrolier n’a jamais
existé ; c’était un à priori érigé en pseudo-vérité (vérité alternative
inventée par les promoteurs). Le gouvernement continue sur le postulat qu’il
existerait un gisement, mais qu’il y renonce pour des raisons
environnementales, patrimoniales, etc. Ce sera peut-être très rentable
politiquement de se donner cette image de vertu écologique. En même temps, on
se garde bien d’aller au fond des choses, car la nouvelle solution trouvée va permettre de pouvoir contenter bien des amis.
À l’origine de la saga d’Anticosti, il y a une
entente demeurée très longtemps secrète grâce à laquelle des promoteurs privés
obtenaient de l’État et d’Hydro-Québec des titres miniers pour un prix
dérisoire. Ensuite, l’État encore rachète à ces mêmes promoteurs, mais à très
haut prix cette fois, une participation (35%) pour les mêmes droits miniers.
Pauline Marois annonce juste avant la campagne électorale de 2014 la création
d’une société Hydrocarbures Anticosti en même temps qu’un potentiel de 45G$ de
revenus pour l’État. Le mythe est crée : il ne reste plus qu’à le nourrir
pendant les trois années qui suivent.
Pour mettre fin à cette saga, le gouvernement
n’a rien trouvé de mieux que d’annoncer la fin de l’exploration en même temps
que d’émettre une déclaration pour dire que grâce aux surplus budgétaires
obtenus aux coupures sauvages des années 2015 et 2016, il aurait les moyens de
dédommager les promoteurs déçus.
Ce n’est pas du tout comme ça que cela devrait
se passer, mais comme l’État est impliqué, tout se fera par calculs politiques
plutôt qu’en fonction de faits strictement économiques.
Cela devrait se passer ainsi : des
partenaires s’embarquent en 2014 dans une campagne d’exploration minière où
rien n’est certain, où tout est hautement spéculatif. Trois ans plus tard, on
fait le bilan des résultats les plus probants : on doit se rendre à
l’évidence que le pétrole de shale à Anticosti n’a vraiment aucune possibilité
économique, même en se projetant dans un futur lointain, même avec un prix au
baril largement supérieur à 100$. Les permis ne valent donc plus rien. Chaque
partenaire s’est engagé dans les conditions entendues en 2014 et chacun savait
que c’était une aventure spéculative. Au final les contributions fournies
pouvaient devenir une perte sèche. La contribution de Pétrolia et de Corridor
étaient simplement de partager une partie des droits qu’ils détenaient ;
Corridor de plus a négocié une compensation de 13,3M$. L’entente étant là aussi secrète (ça fait bien
des ententes secrètes pour des biens publics !), on ne peut préciser ici
les motifs de cette compensation. L’État
(57,7%) et Maurel&Prom (43,3%) ont fourni 100% des vraies dépenses
d’exploration ; Pétrolia et Corridor zéro %.
En décrétant un arrêt maintenant, en annonçant
d’avance qu’on va compenser les détenteurs de permis pétroliers sur toute l’Île,
le gouvernement annonce qu’il va livrer aux promoteurs des compensations pour
des profits fictifs anticipés en 2014. C’est le mythe de l’exploitabilité
économique d’un pseudo gisement à l’origine de la saga qui est ainsi maintenu
comme vérité alternative jusqu’à la conclusion finale. Les promoteurs n’auront
même pas à se salir les mains en réalisant des forages ; l’argent escompté
va leur être livré directement en chèque signé Ministère des finances.
Les vérités alternatives ont donc un coût au
Québec. Ce qui a été sans doute promis aux promoteurs en 2011 et 2014, au final
leur sera livré, mais sous une autre forme. On leur avait vendu des droits à
prix dérisoire (10¢/ha), on leur a livré toutes les autorisations, les lois et les
règlements pour favoriser leurs actifs. Mais comme entretemps le vent politique
a tourné, comme le premier ministre juge plus opportun de se déclarer
protecteur d’Anticosti, on va quand même livrer aux promoteurs un généreux
dédommagement. Pour justifier cela, il est nécessaire de garder le mythe du
gisement rentable bien vivant. Pas question donc de mettre les projecteurs sur
un bilan réel et objectif de la question du pétrole d’Anticosti, car cela
indiquerait trop clairement qu’il est injustifié de compenser les promoteurs.
Quelques rappels
Pétrolia Inc.
Société par action fondée
en 2002 par André Proulx
Siège social à Québec
Capitalisation en bourse
en
date de la rédaction de
ce texte 26 avril 2017: 14,5M$.
La Caisse de Dépôt était un des
actionnaires
Hydrocarbures
Anticosti S.E.C. Société en
commandite créée en 2014 et annoncé le 13 février 2014.
Superficie des permis détenus : 6196 km2
Montant annuel du coût des permis: 61 960$ (comme revenu pout l'État - cela ne paie même pas le coût du salaire d'un seul fonctionnaire au MERN ! )
La base du partenariat repose sur l’attribution fictive d’une valeur de 200
M$ à ces permis, soit environ 32 300$/km2 bien
qu’ils n’aient été obtenus du gouvernement qu’au tarif annuel de 10$/km2 - l'État en rachète une partie à un tarif 3000 plus élevé que le tarif de cession initiale !
L’entente est secrète bien qu’elle implique l’injection de fonds
majoritairement publics pour réaliser de l’exploration sur un territoire public
(Anticosti). « La
première phase d’exploration comprend des travaux de puits stratigraphiques
(entre 15 et 18) en 2014 et 3 forages d’exploration avec fracturation en 2015
avec le projet de Pétrolia, Corridor Resources et Maurel & Prom. Pour
l’entente avec Junex, il est question de 4 puits stratigraphiques en 2014 ainsi
que de 3 puits d’exploration et de 2 puits horizontaux avec fracturation en
2015. » Dans la
réalité, il aura fallu deux ans pour réaliser 12 forages seulement ; les
trois forages avec fracturation ont été retardés deux fois d’un an ; ils
ne seront pas réalisés en 2017 et ne seront probablement jamais forés. C'est une filiale d'Investissement
Québec, Ressources Québec, qui s'est engagé à injecter 56,6 millions de
dollars dans une co-entreprise dont les partenaires sont Pétrolia, Corridor
Resources et Maurel & Prom. L'accord
prévoit également que Ressources Québec verse
13,3 millions de dollars à Corridor pour une participation additionnelle
dans la co-entreprise.
N.B. La preuve que la valeur attribuée aux permis fut très grossièrement
surestimée est que Junex qui détient en plus 944km2 dans la partie sud d’Anticosti, n’a
jamais trouvé de partenaire privé disposé à accepter d’embarquer dans le
financement d’une entente comparable sur la base d’une valeur de cet ordre (32 300$/km2). Et comble de l'hérésie, Junex qui n'a pas participé à Hydrocarbures Anticosti se voit aussi grassement bénéficier pour l'annulation de l'exploration.
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Addendum du 22 juin 2017: Le journal Le Devoir du 21 juin a accepté une variante de ce texte dans sa sections "IDÉES"
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Addendum du 22 juin 2017: Le journal Le Devoir du 21 juin a accepté une variante de ce texte dans sa sections "IDÉES"
Je suis en grande partie d'accord avec votre analyse M. Durand, mais la partie sur le gouvernement qui se fait rouler dans la farine qui me semble faible. Il faudrait envisager que le gouvernement fait partie du deal.
RépondreEffacerÀ preuve : "Nous avons les marges nécessaires pour renégocier ce contrat, qui était par ailleurs un très mauvais contrat », a fait valoir jeudi matin le ministre Leitão." http://www.ledevoir.com/environnement/actualites-sur-l-environnement/495741/anticosti-quebec-a-les-moyens-de-compenser-petrolia-affirme-carlos-leitao
LE ministre des finances dit qu'il s'agit d'un mauvais contrat, ne dit pas pourquoi, (j'assume que là-dessus, il pourrait être d'accord avec votre analyse économique), mais engage les mêmes avocats pour sortir de là que ceux qui ont mis le gouvernement dans le pétrin. De surcroît, par un contrat de gré à gré de 300000$ chacun, fois 2 avocats.
"Deux avocats ont été embauchés à grands frais par le ministère des Finances pour piloter cette négociation. Pierre A. Raymond et Daniel Picotte ont chacun obtenu un contrat d’une valeur de 300 000 $ pour représenter le gouvernement du Québec.
Me Picotte est en terrain connu. C’est lui qui a négocié l’entente initiale au nom de l’État québécois en 2014, face à Lucien Bouchard, qui représentait Pétrolia à l’époque."
http://www.journaldequebec.com/2017/04/05/exploration-des-hydrocarbures-un-deal-pour-anticosti
La négociation avec Pétrolia court-circuite les processus d'autorisation d'Environnement Canada (qui n'acceptera pas le rejets d'eaux de fraturation dans le Golfe si elles ont une toxicité aigüe pour les poissons, non-diluées), de Pêche et Océans Canada, et la demande d'injonction permanente des Innus, qui chacun rendrait invalide ces permis, sans compensation. Comme s'ils voulaient absolument donner de l'argent à Pétrolia avant que les permis ne perdent toute valeur spéculative. Curieux, n'est-ce pas?
http://environnementvertplus.org/lettre-ouverte-a-carlos-leitao/
http://environnementvertplus.org/fou-rire-de-carlos-leitao/
M. Bergeron, je vous remercie pour votre commentaire détaillé, qui complète en fait les réflexions dans mon texte. Je nez suis pas adepte des théories de complot; je me limite à regarder les faits avérés. Comme je n'ai pas accès au contenu du "deal", je ne peut donc pas savoir ce qu'il contient vraiment. Mais ce qui l'entoure est très questionnable, il ne faut pas être dupe des seules déclarations des ministres.
RépondreEffacerCe qui me semble évident c'est que l'argent public a été investi dans le dossier de l'exploration pétrolière à Anticosti et qu'on a présenté ce dossier d'une façon qui tente de rouler à tout le moins, les contribuables dans la farine.