vendredi 22 avril 2022

Un pas historique, mais qui ne règle pas tout

Le 12 avril, le projet de  Loi visant principalement à mettre fin à la recherche et à la production d’hydrocarbures ainsi qu’au financement public de ces activités a été adopté par un vote nettement majoritaire:  Pour 10, Contre 0; il y a eu 10 abstentions. Il s'agit là d'un pas historique qui, souhaitons-le, pourrait être imité par d'autres législations.

Il faut cependant souligner que le Québec n'a jamais été un acteur significatif dans la production d'hydrocarbures. Les spéculations sur le pseudo potentiel du gaz de schiste dans le shale d'Utica, l'aventure du pétrole d'Anticosti, les forages en Gaspésie à Galt, ceux dans les secteurs Bourque et Haldimand, n'auront jamais été autre choses que des aventures fort spéculatives. Elles n'ont jamais démontré qu'elles étaient viables économiquement. Elles n'auraient sans doute jamais démarré sans l'appui soutenu du gouvernement du Québec, un appui législatif ainsi qu'un appui financier très concret. Le gouvernement et Investissement Québec ont injecté en pure perte plus d'une centaine de millions dans ces aventures sans lendemain.

Le potentiel de développement pétrolier et gazier au Québec a de tout temps été considéré faible par les experts reconnus et les grands investisseurs sérieux de cette industrie. Les travaux d'exploration des quinze dernières années n'ont eu lieu qu'en raison d'une certaine frénésie qui s'est emparé de ce marché à partir de 2007 avec l'utilisation généralisée en Amérique du Nord de la fracturation hydraulique. Les spéculateurs ont "vu" des gisements potentiels partout où il y avait du shale. Les autorités gouvernementales du Québec se sont laissés bernés par les spéculateurs et ont embraqué dans cette frénésie d'exploration, d'abord les shales dans les Basses-Terres du St-Laurent, ensuite le shale Macasty à Anticosti.

En 2022, le gouvernement du Québec est revenu sur terre; le potentiel réel d'une industrie extractive des hydrocarbures au Québec ainsi que les impacts négatifs que la simple exploration a causé ont été évalués par des commissions gouvernementales (ÉES, BAPE, etc.). Leurs conclusions et leurs recommandations ont toutes été sans appel; il fallait mettre fin dès que possible à ce coûteux gaspillage de temps et de ressources.

Avec la loi 21 qui met fin aux permis d'exploration et qui s'attaque à la question de la fermeture des puits forés, l'industrie extractive d'hydrocarbures au Québec c'est fini. En réalité, cela n'avait jamais commencé. Les puits de Galt en Gaspésie n'ont produit qu'un très maigre volume de pétrole; comme c'était encore considéré comme une phase expérimentale, le gouvernement n'en a obtenu aucune redevance. Ailleurs le bilan productif est tout simplement zéro. Donc dans la réalité, le Québec tire un trait sur un potentiel qui s'est avéré inexistant. Par contre au passif les chiffres sont plus importants; le gouvernement a subventionné, investi, pris des participations de dizaines de millions, sans compter l'argent public dépensé en études, commissions d'enquête, etc.  La loi 21 met un frein à cette période où les gouvernements qui se sont succédés croyaient fermement à l'établissement de cette industrie extractive et mettaient en oeuvre tous les moyens concrets pour favoriser son développement. Il était plus que temps de réaliser que cette industrie n'avait en fait aucun potentiel de rentabilité et que les intenses pressions du lobby auprès des ministères avaient mené le Québec à les subventionner en pure perte.

Hélas, la loi 21 ne marque pas la fin de la dilapidation de fonds publics. Elle prévoit devoir encore investir $100,000,000 pour payer à l'industrie 75% du coût de fermeture des puits. Elle tente aussi de se prémunir contre des poursuites de la part des détenteurs de permis d'exploration en réservant des fonds pour compenser l'annulation des permis. J'ai trois remarques à faire sur ce point:

1) Offrir des compensations pour des dépenses spéculatives constitue une grave erreur; c'est une erreur qui a été faite à Anticosti mais ce n'est pas une raison pour la répéter. Offrir ces compensations n'arrêtera pas l'appétit des spéculateurs. Cela va plutôt les encourager à demander encore plus d'argent et cela n'empêchera aucunement les poursuites.

2) Les dépenses soit disant d'exploration faites par les détenteurs de permis ont été le plus souvent, soit déjà largement compensées par des avantages fiscaux de la part des deux ordres de gouvernements, soit des dépenses visant non pas des actifs tangibles en exploitation/exploration géologique, mais bien autre chose comme du lobbying dans un contexte où l'acceptabilité sociale est quasi nulle. C'est particulièrement le cas après le moratoire effectif de 2011, comme le démontre l'analyse du professeur Éric Pineault.

3) Financer 75% du coût de la fermeture "définitive" des puits en espérant régler définitivement cette question, c'est aussi une grande illusion. Le coût de gestion des puits après fermeture sera non négligeable. L'industrie le sait très bien; elle a contribué à façonner dans les États où elle existe des législations qui toutes lui permettent de transférer les puits au domaine public une fois qu'elle a extrait la portion rentable de la ressource. Mais ce n'est jamais la fin des fuites. J'avais écrit dans mon mémoire au BAPE en 2014 ceci:

Revoir la règlementation sur les puits de façon radicale, en éliminant par exemple le retour des puits au domaine public. Si les risques à moyen et long termes après l’abandon des puits sont nuls comme le laisse entendre les promoteurs, laissons leur en la pleine responsabilité. Des permis d’exploitation avec une règle rendant l’exploitant totalement responsable de son puits pour 99 ans par exemple. Pas de fermeture en fin d’exploitation commerciale, mais une période de 99 ans à compléter pour l’ausculter, vérifier que le débit de gaz est toujours zéro (cela ne sera pas le cas évidemment… ), réparer ou remplacer les bouchons, tubage, valves pour s’assurer tout ce temps que « le puits doit être laissé dans un état qui empêche l'écoulement des liquides ou des gaz hors du puits ». 


J'avais formulé cette recommandation en 2014, car dans mon esprit cela aurait découragé fortement les détenteurs de permis à forer des nouveaux puits à des fins purement spéculatives.


N.B. À relire aussi mon billet de mai 2021: Mettre fin aux permis d'exploration d'hydrocarbures au Québec.