mardi 1 décembre 2015

billet de décembre 2015 - Jusqu'où s'enfoncera-t-on dans un fiasco annoncé.

Jusqu'où ira-t-on au gouvernement avec les fonds publics dépensés à Anticosti? 

Pour ce billet de décembre, je reviens sur la même question que pour mon billet précédent: les conséquences de présenter une étude économique qui compte en double les hydrocarbures potentiellement en place dans le shale Macasty. Doubler en raison d'une erreur méthodologique les quantités de pétrole et de gaz en place surestime par un facteur deux les revenus bruts que présente la simulation. J'ai exposé la nature de cette erreur dans mon 2e mémoire déposé à l'ÉES et j'ai de plus rédigé une petite analogie pour illustrer l'origine et la nature de l'erreur.

Ce doublement erroné des ressources en place permet de simuler une rentabilité, car il double aussi les revenus bruts des hydrocarbures potentiellement extraits sur 75 ans. En corrigeant l'erreur, les revenus bruts tombent à la moitié et ils deviennent insuffisants pour compenser pour les coûts (dépenses de forage, infrastructures, fracturation, couts d'opération, etc.) dans la simulation.

L'APGQ a réagi à cette dénonciation en disant que " le travail du gouvernement a été fait selon les règles". Le gouvernement, en l'occurrence les sous-ministres qui siègent à l'ÉES-Anticosti ont choisi de confier les deux études du chantier Économie à l'interne (i.e. aux fonctionnaires du gouvernement). Les auteurs ont présenté un rapport unique qui regroupe les deux études.

Ce n'est certes pas dans les règles de choisir un seul point de vue, qui de plus est celui d'un acteur actionnaire majoritaire dans le consortium Hydrocarbures Anticosti S.E.C. Une étude externe neutre aurait été autrement plus crédible. De plus, voir le ministère des finances du Québec (MFQ) signer le seul rapport d'évaluation d'un gisement d'hydrocarbures, paraît plus "incongru" que "dans les règles".
Quand en plus les auteurs restent anonymes, sans qu'on y trouve ni les noms, ni les champs de compétence, ce n'est absolument pas dans les règles. Les rapports scientifiques, les rapports d'ingénierie, les rapports d'évaluation de gisements, comme dans le cas du rapport Sproule portent
Figure 1  Les auteurs du rapport Sproule 2011
tous les signatures et les descriptions des champs de compétence (fig.1) de ceux qui les rédigent. Et dans les cas très rares où on leur signaleraient que leur méthodologie comportent une erreur grossière, les auteurs ne restent pas dans l'anonymat et acceptent d'en débattre. Ce n'est pas ce qui se produit en ce moment avec l'étude gouvernementale. Les fonctionnaires impliqués restent dans l'anonymat et on envoie simplement un porte-parole qui nie l'erreur, sans en débattre.

C'est le même cercle restreint de personnes au gouvernement qui contrôlent actuellement le déroulement des études ÉES, les mêmes ministères MERN, MDDELCC et MFQ qui ont rédigé les documents préparatoires pleins de lacunes, le rapport AECNo1&No2 qui comporte une erreur méthodologique,  qui vont aussi rédiger le rapport ATVS02 Analyse avantages coûts d'un éventuel développement des hydrocarbures à Anticosti (Disponible sous peu).

Ce qui est à craindre est que les promoteurs tirent des résultats des campagnes de 2015 des éléments impossibles à contre vérifier. Ils les interpréteront à huis clos, peut-être à l'avantage de la poursuite de la phase 2 prévue à l'été 2016. Je dis impossible à vérifier de façon indépendante, car l'introduction d'une nouvelle définition légale des forages d'Anticosti, maintenant désignés comme "sondages stratigraphiques" les soustrait à l'obligation légale de divulgation des données de forages.

Du temps où les forages s'appelaient encore des forages, les rapports des forages devenaient publics trois ans après la réalisation des travaux. Pour les puits avec fracturation hydraulique, la situation est pire: les rapports de complétion (entendez "fracturation") n'ont pas de dépôt obligatoire. On a jamais* accès à ces données, sauf si l'exploitant choisit lui-même de les divulguer, ce qui n'est jamais arrivé.  Dix huit puits ont eu des travaux de complétion (fracturés) dans le shale d'Utica entre 2007 et 2010 et jamais aucun des document de fracturation n'a été divulgué. Pire, même après une ÉES Gaz de schiste suivi d'un BAPE spécifique sur le même sujet, aucune de ces deux commissions n'a obtenu et divulgué les détails de ces travaux de fracturation du roc. Une des onze commissaires à l'ÉES Gaz de schiste avait pourtant elle-même les données de ces rapports de travaux de complétion des puits de sa firme Talisman Energy. Avec son double chapeau, à la fois géologue employée de Talisman et présentée comme experte indépendante pour l'ÉES Gaz de schiste, elle s'est bien gardée d'inclure cette analyse parmi celles que le comité a commandées.

À Anticosti, on a un arrêté ministériel + des dispositions réglementaires qui rendent maintenant totalement opaques toutes les données de forage. Les fonctionnaires du gouvernement en tireront ce que leur bon vouloir leur dira. Le lobby pétrolier veille au grain et les obstacles mis en travers de la route de ceux qui cherchent à scruter d'un oeil différent ces données, empêchent toute transparence. On devra se contenter de ce que contiendront les rapports maison produits par les MERN et MDDELCC.

On s'arrêtera peut-être là si des résultats très décevants apparaissent trop manifestes avec les trois puits prévus avec fracturation à l'été 2016. Mais cela peut aussi être autrement; on pourra peut-être avoir ciblé un "sweet spot", i.e. un endroit dans le shale où des conditions exceptionnellement favorables sont réunies. Ces "sweet spots" existent dans bien des gisements, mais ne sont absolument pas représentatifs de la production moyenne. Extrapoler à partir de cela serait absolument catastrophique.



Figure 2  Carte d'Anticosti avec la délimitation du scénario PLUS; le secteur initial pour 30 puits.

Les scénarios de mai dernier indiquaient que pour la suite des forages à Anticosti, on commencera avec trente puits (trois plateformes de dix puits) dans le secteur de la rivière Jupiter (fig.2 ci-dessus). Il est à prévoir que le coût des trente premiers puits d'exploitation sera entre 10M$ et 15M$, certainement plus près de quinze que de dix. Le gouvernement devra débourser 35% de ces coûts si il veut suivre avec sa participation dans le consortium Hydrocarbures Anticosti. On aura donc entre 100M$ et 150M$ comme participation additionnelle en deniers publics simplement pour les puits de l'an 1.  Là s'arrêtera l'aventure, quand on constatera que la production n'est pas au rendez-vous. Selon le prix du baril en 2020, les trente puits ne donneront en valeur de production brute que le tiers ou la moitié des dépenses. Avec une production largement déficitaire, tout s'arrêtera là, non sans avoir laissé entre temps beaucoup de dégâts sur le terrain.

À moins que l'on s'entête, en gardant les données secrètes, pour aller jusqu'à l'an deux de la production; les scénarios prévoient pour cette deuxième année (2021?) soixante autres puits (six plateformes). Le coûts de construction de ce total de 90 puits dépassera le milliard et ce sera une pure perte. Sans parler évidemment du coût énorme (>10 milliards) pour la mise en place des infrastructures requises pour l'extraction, le traitement et le transport du gaz associé.

Ce beau gâchis résulte d'un manque flagrant d'analyse objective et indépendante au gouvernement, une vision trop étroitement partagée avec d'anciens fonctionnaires passés des ministères ---> vers des compagnies juniors, qui ont bien évidemment un intérêt à court terme de voir bonifier leurs titres d'exploration. On a grandement restreint du processus gouvernemental les possibilités d'y voir exprimé des opinions divergentes. Les ministres qui se sont succédé au dossier ont été eux-mêmes très enclins à écouter le chant des sirènes des promoteurs du projet pétrolier, repris dans les rapports internes et les belles promesses de création d'emploi.

Jusqu'où iront les dommages, les dommages aux finances publiques et les dommages environnementaux. Si on poursuit jusqu'à l'an deux, c'est quatre-vingt-dix puits fracturés à gérer pour la suite des temps. En tant que puits fracturés et abandonnés, ils auront un coût énorme rivé de façon permanente au budget du Québec. Espérons que ce projet insensé s'arrêtera bien avant; pourquoi pas dès maintenant?

L'erreur de doublement des ressources en place a permis de dégager une rentabilité hypothétique dans une simulation du scénario optimisé. Toute erreur (dans ce cas-ci elle se chiffre en plusieurs dizaines de milliards de dollars d'hydrocarbures) peut être initialement présumée involontaire. Mais quand elle est signalée, les responsables ne peuvent plus se contenter de l'ignorer, de la nier, de tenter de discréditer ceux qui la dénoncent. Si l'ÉES et le gouvernement persistent dans cette voie, alors l'erreur n'est plus une simple erreur: elle devient une tromperie délibérée. Si c'est le cas, alors cela confirmerait que ce doublement des ressources était indispensable dans la simulation pour arriver à un bilan final positif. On "tripote" des gros chiffres ici; certainement un record absolu et inédit au gouvernement.


Addendum du 6 juin 2016: L'ÉES et le gouvernement ont persisté dans la voie indiqué au paragraphe précédent : le rapport final reprend telles quelles les valeurs erronées du bilan établi dans le rapport AECNo1&2 d'octobre 2015.

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*J'ai expressément demandé ces rapports qui datent de la période 2007-2010. Le MERN m'a répondu que ces rapports restaient confidentiels en raison de l'article 14 de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels. Peut-on rappeler que les renseignements personnels dont il est question ici se rapportent à la fracturation irréversible du substratum rocheux qui est propriété absolue de l'État.

jeudi 26 novembre 2015

L'erreur facteur DEUX dans l'étude ÉES: Analogie pour comprendre ce sujet complexe.

Calcul exact:
1- Dans un pays de 43 millions d’habitants des généraux préparent un modèle de mobilisation de soldats pour un état de guerre théorique.

2- Ils retiennent que la mobilisation se fera seulement dans une province qui constitue 23% du pays. Il y a en gros 9,9 millions d’habitants dans cette portion du pays.

3- Ils estiment qu’avec leurs critères ils pourraient mobiliser 5,9% des femmes et 20,4% des hommes sur le territoire retenu.

4- Évidemment on calcule d’abord combien d’hommes et de femmes il y a sur le territoire. En supposant 50% hommes et 50% femmes, c’est 4,950,000 personnes de chaque sexe.

5 – Le calcul donne 9,9 millions/2 x 5,9%        =>  292 000 recrutées (femmes)
        et            9,9 millions/2 x 20,4%           => 1 009 800 recrutés (hommes)

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Calcul inexact :
Le bug dans le calcul de l’étude de l’ÉES à Anticosti, c’est d’avoir appliqué les taux de récupération sur le total de la population, en omettant l’étape 4, en omettant donc de diviser par deux.

Eux arriveraient à  5,9% x 9,9 millions d’habitants      =>   584 100 recrutées femmes
                            20,4% x 9,9 millions d’habitants   =>  2 029 600 recrutés hommes

C’est le double de ce que le calcul donnait à l'étape 5 ci-dessus, à cause de cette erreur; c'est ça le bug facteur deux.

Par rapport à la population totale du pays les femmes recrutées dans le calcul ÉES (en ERREUR) sont 1,36% de la population totale  et les hommes recrutés sont 4,7% de la population totale, des valeurs que l’ÉES présente ainsi, et qui masquent la surestimation deux fois trop grande.

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En réalité les personnes recrutables sont deux fois moins nombreuses:
         femmes: 292 000/43 000 000 = 0,7%
et les hommes: 1009800/43 000 000 = 2,3%  de la population totale .


Le général qui se présentera au combat en faisant ainsi une erreur de DEUX perdra sans doute la bataille …
Dans le cas présent, c'est l'ÉES qui perd sa crédibilité en ne rectifiant pas promptement cette erreur;  en choisissant plutôt de la nier ou en tentant de la passer sous silence, l'erreur se transformerait alors en tromperie délibérée.

N.B. toutes les valeurs dans l'analogie sont celles de l'étude Économie de l'ÉES:
-  barils de pétrole => femmes recrutées    -  barils équivalents des hydrocarbures en gaz => hommes recrutés,
avec la seule nuance que les valeurs en milliards sont données en millions dans l'analogie. Les valeurs en % elles sont toutes rigoureusement identiques.

dimanche 1 novembre 2015

Des rapports d'études de l'ÉES-Anticosti : décevants


Le MDDELCC a mis en ligne fin octobre 2015 un bloc de 42 études, ainsi qu'un document de synthèse sur son site WEB. Il y a 64 études listées sur ce site pour les ÉES-Hydrocarbures et ÉES-Anticosti, deux sont indiquées ANNULÉE, celle sur les mesures de suivi lié au transport de matières dangereuses, (GECN01),  ainsi qu'une sur les scénarios de production autre qu'Anticosti (GTRA02)Il en reste donc 62,  touchant les six chantiers:
1) Aspects techniques  2) Économie  3) Environnement  4) Société  5) Transport    6) Transversal

Je m'intéresse plus particulièrement ici au cas d'Anticosti (28 des 62 études) et aux réponses qu'on pourrait trouver dans les rapports de l'ÉES maintenant publiés (15 pour Anticosti). Je le fais en fonction des questionnements et des obstacles que j'ai  soulevés pour cet hypothétique gisement.

a) La non rentabilité du gisement. C'est un point majeur et c'est dans le chantier Économie de l'ÉES Anticosti qu'on trouve ce sujet abordé. L'ÉES avait prévu là deux études: AECNo1 pour l'élaboration de scénarios et AECNo2 pour l'analyse de la rentabilité. Comme on peut le constater sur la figure 1 ci-dessous, ces deux études ont été fusionnées dans un seul rapport:
Figure 1. Un extrait des études, celles qui correspondent à Chantier Économie & ÉES Anticosti.

Ces deux études sont au centre de la décision de poursuivre avec l'investissement de fonds publics dans l'hypothétique gisement d'hydrocarbures d'Anticosti. Ces deux recherches ont toutes deux été confiées aux fonctionnaires du gouvernement; aux mêmes fonctionnaires qui déjà en février 2014, ont "embarqué" le gouvernement dans l'injection de 115 M$ de fonds publics dans une campagne d'exploration. Ces promoteurs du pétrole d'Anticosti semblent avoir répondu prestement aux attentes du lobby pétrolier dans cette décision précipitée qui visait à financer une campagne de 15 à 18 forages devant être complétée à l'été 2014. Pétrolia qui agit en maître-d'oeuvre pour Hydrocarbures Anticosti S.E.C. n'a pu en terminer que cinq cet été là; la campagne a été prolongée d'un 2e été en 2015. Sept autres forages ont ainsi été ajoutés en 2015 pour un total de douze, loin de l'objectif initial de 15 à 18 forages. Bizarrement le site où est décrit l'ÉES propre à Anticosti présente ses travaux comme étant cette campagne de forages. L'ÉES est-ce une campagne d'exploration de gisement par forage, ou bien est-ce une Évaluation Environnementale?

Que lit-on dans le rapport qui fusionne les deux études et qui émane des mêmes auteurs (anonymes en fait, car le texte est signé Finances Québecauteurs et leurs champs de compétence non identifiés ; seul l'accompagnement de Pierre-Olivier Pineau des HEC est cité nommément) ?  Y avait-t-il un expert compétent en évaluation géologique des gisements pétroliers parmi ces auteurs au ministère des finances ? On peut en douter; en tout les cas ce n'est certainement pas Pierre-Olivier Pineau qui possède un PhD en administration et une maîtrise en philosophie, ce qui en soi ne donne aucune expertise en géologie économique.

Tout d'abord en introduction on peut lire ceci:  "les travaux faisant l’objet du présent rapport ont été réalisés sur la base d’hypothèses qui reposent essentiellement sur ce qui est observé pour l’exploitation de formations géologiques considérées comme analogues à la formation de Macasty de l’île d’Anticosti, soit celles de l’Utica et de Point Pleasant en Ohio, où la production de gaz naturel est prépondérante à celle de pétrole"

Figure 2. Les shales Point Pleasant (en Ohio), Utica et Macasty (à Anticosti).

Outre le fait qu'il y a 1600 Km de distance entre ces deux entités géologiques (figure 2), il apparait incongru de baser tout un calcul de rentabilité, de faire des projections économiques sur 75 ans, etc. quand au départ on importe des paramètres qui ne sont pas ceux du gisement en question. L'analyse de Finances Québec est boîteuse dès son point de départ et contraire à toutes les normes d'évaluation de gisement. Elle souffre de plus d'approximations et des sous-estimations des coûts d'extraction du pétrole et du gaz, ainsi que des surestimations de la production. Nous allons donner dans ce billet quelques exemples parmi d'autres qui se retrouvent dans le scénario retenu, un scénario dit "Optimisé".  C'est présenté comme une variante des deux scénarios MOINS et PLUS présentés en mai 2015; du premier, le nouveau scénario retient le nombre et la densité de puits du premier; du second, il retient l'étalement de l'exploitation sur 75 ans. Il suppose aussi l'existence de zones plus productives, mais cette hypothèse ne repose sur rien du tout dans ce rapport, outre le fait qu'on aît rencontré quelques "sweet spots" dans l'Utica de l'Ohio. C'est tout à fait incongru* d'inclure cette donnée externe et de l'appliquer à toute la superficie de 1662Km2 (la superficie retenue dans ce scénario "Optimisé"). 

Nous avons analysé les deux scénarios présentés en mai dernier: dans les deux cas l'extraction du pétrole se révélait fortement déficitaire dans toutes les hypothèses (prix du baril à 100$, 150$, 200$, taux de récupération 1,2 et 1,8%). Les auteurs des scénarios ont eu tout le loisir de constater cela eux aussi. Ils ont donc travaillé ces derniers mois à "optimiser" les paramètres de l'exploitation envisagée. Tout ceux qui ont travaillé sur ordinateur avec une modélisation savent combien il est facile et tentant de modifier les paramètres d'input, et comment on peut tester diverses valeurs pour arriver à un résultat désiré. Manifestement ici pour arriver à ce 3e scénario dit "optimisé", ils ont introduit dans la machine des données très surprenantes:  taux de récupération inédit (5,9%), un volume tout à fait extraordinaire de gaz en place, mais ne reposant sur aucune évaluation, etc. La liste des optimisations serait très longue à exposer de façon exhaustive; nous n'allons ici traiter que de quelques exemples de paramètres d'input "optimisés".

1) Le coût des forages est établi à 8,8M$ ce qui n'est pas réaliste dans le contexte d'Anticosti et de l'étalement sur 50 ans (un petit nombre de puits/an) des travaux. On ne peut comparer les coûts à Anticosti à ceux obtenus aux USA dans des marchés en surchauffe de concurrence, à proximité des fournisseurs industriels et des services spécialisés. Il est plus réaliste de fixer à 11 ou 12M$ le coût d'un puits, car le scénario retenu étale la production sur 75 ans avec seulement 87 puits/an au maximum de l'activité.

Figure 3  Le coût des puits reste fixe dans la modélisation alors que les prix du pétrole et du gaz sont majorés au fil du temps (AECNo1-No2 p. 85); par un facteur de 5 dans le cas du gaz actuellement environ à 2$ (ajout en rouge à gauche). N.B. On ne peut même pas situer sur la figure de droite le prix actuel du baril, car les auteurs de cette figure n'y ont pas mis la zone 0$-50$ et ce prix est donc bien en-dessous de la valeur 50$.

La modélisation ajuste plusieurs paramètres à une inflation annuelle, les revenus, le prix du gaz, etc. (fig. 3), mais paradoxalement elle garde fixe ce coût de 8,8M$/puits pour toute la durée de l'exploitation (de 2020 à 2095), sois-disant que "des progrès technologiques observés dans cette industrie" vont garder les prix des puits à un niveau constant ou même les réduire (AECNo1-No2, p. 65). Cette vision "optimiste" reprend mot à mot celle des promoteurs de l'industrie. Le modèle ignore totalement la notion d'EROEI qui s'applique de façon significative dans les gisements marginaux du type de celui d'Anticosti.

Ce coût très bas attribué aux forages explique à lui seul en très grande partie le bilan positif total sur 75 ans que fait l'étude; le projet est très déficitaire les premières décennies en raison des énormes coûts d'infrastructures, pour le gaz notamment. Mais dans le modèle l'écart se creuse de façon considérable ensuite entre les coûts de forage, fracturation etc. fixes et les prix qu'il postule très élevés pour le gaz et le pétrole. Le revenu des dernières décennies réparti uniformément sur les 75 ans d'opération ramène le calcul à un bilan positif. Le rendement anticipé ne surviendra que dans une ou deux générations, après 2050. Le taux de rendement interne de 10% et la probabilité de rentabilité qu'ils estiment à 80-86% dans la conclusion (AECNo1-No2, p.41), c'est tout à fait irréaliste avec les intrants et hypothèses retenues pour une modélisation étalée sur 75 ans.

Le scénario précise "l’emprise souterraine d’une plateforme de 10 puits est de 4 km2", ce qui donne 2,5 puits/km2; on prévoit couvrir ainsi seulement 23% (=1 662 km2) du gisement avec 4155 puits. C'est comparable à ce qui a déjà été analysé dans les scénarios précédents.

2) Durée commerciale des puits: "les puits produisent pendant 25 ans". C'est peu réaliste car dans les puits en production entre 60 et 80% de la production sort durant l'an un, et après cinq ans, dix au maximum, le débit n'est plus commercialement intéressant. 

b) La question du gaz associé.  Au gouvernement cet été on a modifié d'un trait de plume la nature du gisement potentiel; on cherche à partir de maintenant dans le shale Macasty un gisement d'hydrocarbures à 22,5% pétrole et 77,5% gaz. Les infrastructures initiales requise pour extraire et commercialiser les deux formes de combustible sont autrement plus coûteuses et plus complexes que dans un simple gisement de pétrole. Ce changement récent est intégré dans le scénario Optimisé. Cet élément important dans la suite des calculs est expliquée ainsi: "Le scénario « Optimisé » intègre les informations les plus récentes, notamment à l’égard des productions estimées à partir des formations d’Utica et de Point Pleasant". 

On explique en toute franchise ici que ce changement n'est pas une découverte avec les données d'Anticosti (les anciennes ou même les plus récentes de la campagne actuelle d'exploration), mais bien après avoir été récemment informés qu'en Ohio le gisement produirait un gaz abondant en simultané avec le pétrole. Le ratio gaz/pétrole chiffré avec la précision au demi pour-cent (22,5% pétrole et 77,5% gaz) dans ce nouveau scénario, ne provient pas non plus de données d'Anticosti; ça fait partie des intrants intégrés dans le calcul avec des valeurs d'un autre gisement.

Le document évalue deux options pour traiter la gaz:
  a) Option navire-usine: coût initial (avant début de production); 3,86 milliards U$    -  coût final: 7,13 milliards U$

  b) Option gazoduc:       coût initial (avant        "         "            );  5,22 milliards U$    -  coût final: 9,64 milliards U$

En dollars canadiens, on parle donc de frais d'infrastructures pour le gaz seulement, entre 10 et 15 milliards de dollars; cela n'inclus pas le coût des puits et de la fracturation, etc. Plus de la moitié de cette somme doit être dépensée avant même de commencer la production; le rapport situe en 2020 son démarrage.

Il n'y a jamais eu d'évaluation scientifique des volumes de gaz en place dans le shale Macasty, pour la bonne raison que les travaux d'exploration étaient avant 2005 orientés vers la recherche de gisements conventionnels de pétrole, puis de 2005 à 2015 vers l'investigation du shale pour évaluer le pétrole disséminé dans toute la masse (pétrole non-conventionnel à extraire en fracturant le roc). Penser à aller à Anticosti pour du gaz de schiste n'a jamais été une option sérieuse. Malgré les fluctuations du prix du 1000 pi3 de gaz, malgré les variations des coût des puits, etc., une variable est inamovible: tout ce gaz n'arrivera jamais à être concurrentiel avec celui produit sur le territoire américain qui lui n'a aucun des inconvénients spécifiques à Anticosti. C'est une île isolée où tout les travaux sont plus coûteux en raison de l'absence d'infrastructures déjà en place; c'est loin des réseaux de gazoduc existants; le gaz ne se transporte pas comme le pétrole: il faut un port méthanier, navire-usine ou un gazoduc sous-marin, des solutions coûteuses qu'il faudrait mettre en place dès le début de la production. On a donc jusqu'à maintenant étudié le shale Macasty essentiellement pour son potentiel en pétrole de shale.

L'étude Sproule 2011 fait état des données recueillies avant 2011 (une vingtaine de forages, des relevés géophysiques, des échantillons analysés en laboratoire, etc.) pour établir des estimés de pétrole en place dans les permis maintenant détenus par Hydrocarbures Anticosti; l'estimé probable a été établi à 33,9 Gbarils. Sproule ne se prononçait pas sur le taux de récupération, l'exploitabilité, etc.  En avril 2015, huit nouveaux forages ont permis de réviser l'estimé en le fixant à 30,7 Gbarils (une baisse de 10%). Junex pour la partie sud de l'île a fait en 2011 une étude comparable qui indiquait 12,2 Gbarils. Junex n'a pas participé aux nouvelles explorations, donc il n'y a pas de données révisées pour sa portion de l'île. Au total, on a donc un estimé de 30,7 +12,2 Gbarils -> 42,9 qu'on arrondit couramment à 43 milliards de barils de pétrole (bep) estimé en place.

Il n'existe aucune évaluation spécifique pour le gaz en place. Les évaluations Sproule comme celle de Junex postulent une transformation de la matière organique en pétrole liquide, mais expriment leurs évaluations en bep barils équivalents pétrole, avec une note indiquant que les données utilisées ne permettent pas d'identifier précisément la nature des hydrocarbures ainsi évalués. Comme la campagne 2014-2015 de douze forages est maintenant complétée et que l'option GAZ arrive un peu comme un cheveu dans la soupe dans un scénario optimisé, conçu après le lancement de cette campagne de forages, il ne sera pas possible non plus d'arriver à une évaluation crédible et scientifique du gaz en place, d'ici la prise de décision par le gouvernement des suites à donner à ce dossier. Si au départ on avait choisi d'arriver à une évaluation du gaz en place, il y aurait eu une campagne d'échantillonnage et des relevés spécifiques pour l'évaluation du gaz. Les données partielles recueillies cet été ne suffiront pas à étayer un estimé crédible du gaz en place. Le rapport des deux études du chantier Économie qu'on commente ici a d'ailleurs choisi de prendre des valeurs hypothétiques basées sur celles obtenues en Ohio, plutôt que de traiter des données des travaux de forages faits en 2014 et 2015. C'est sidérant comme démarche. 

À la page 17 on donne quand même une valeur  "la production totale (11683Gpi3de gaz naturel et celle de pétrole sur la superficie exploitée correspondent respectivement à 4,7% et à 1,4% des hydrocarbures initialement en place estimés pour les permis".  Si 11683 Gpi3 est 4,7% du gaz en place, l'ÉES chiffre donc à 248000 Gpi3 le volume initial en place; c'est plus de gaz en place que ce qui a été estimé pour leshale d'Utica, (100 à 300 Tcf) dans les Basses-Terres, une formation géologique pourtant bien plus étendue. Une remarque additionnelle ici pour le pétrole: 1,4 % du total du pétrole en place, ce n'est pas le taux de récupération, car on prend le pétrole récupéré sur 23% du territoire des permis et on divise par le pétrole en place sur 100% des permis. En appliquant le calcul du pétrole en place dans seulement ce 23% de l'étendue du gisement, on obtient un taux de récupération de 5,9%**. Le taux de 4,7% indiqué pour le gaz contient la même ambigüité: les auteurs divisent ce qui serait récupéré sur 23% du gisement par tout le volume de gaz estimé dans 100% du gisement; pour le gaz, le taux de récupération que l'ÉES postule est donc (4,7%/0,23 =>) 20,4%. Le scénario optimisé choisit manifestement des hypothèses extrêmement optimistes, des valeurs qui permettent de passer au dessus du seuil de rentabilité.

c) La question de la trop faible profondeur pour faire de la fracturation hydraulique. Le document de l'ÉES ne traite pas de ce point. Il constitue pourtant un obstacle majeur à l'utilisation de la fracturation hydrauliques dans 96,5% des permis où le gouvernement a une participation. Par contre ils indiquent que dans la modélisation "aucun puits ne serait mis en place à moins de 600 mètres de part et d’autre de la faille". Le document précise que cela s'applique à la position projetée en surface de la faille Jupiter. Comme en profondeur les extensions horizontales des forages ont 1600m, il n'est pas précisé dans le rapport comment on évitera ainsi d'empêcher la fracturation hydraulique de rejoindre les failles.

La localisation des failles est souvent imprécise et change selon l'interprétation des données que peut faire chaque géologue. Utiliser la position d'une faille sur la carte est loin de garantir qu'on ne va pas avoir de la fracturation directement dans des zones de failles. Voici un exemple concret qui ne vient pas de l'Ohio, mais bien du Québec:

Bien que situé à plusieurs km de toute faille (fig. 4 ci-contre), ce puits a recoupé au moins sept failles bien réelles (fig. 5). Toutes les failles géologiques se présentent dans la réalité comme des zones qui peuvent comporter plusieurs "répliques". Le grand décalage stratigraphique se décompose alors dans le roc dans une multitude de décalages individuels. La figure 5 est typique de ce qui se passe dans la réalité. Les failles sont souvent des zones qui s'étendent sur plusieurs centaines de mètres et qui s'écartent ainsi de la position indiquée sur une carte géologique. Les cartes géologiques tracent avec un seul trait par simplification ce qui en réalité est beaucoup plus complexe.

La faille Jupiter n'est pas la seule faille connue à Anticosti; la carte 3-2 page 21 du rapport ATRA01 en montre 26 autres, ainsi que 4 gros dykes (intrusifs dans des zones de fractures). L'extension réelle de ces autres failles est encore très mal définie. Leur nombre et leur position approximative ayant été obtenus, non pas par observation directe, mais par interprétation de relevés géophysiques.
Figure 4  Carte de localisation du puits A276 (Leclercville No1a HZ)
par rapport à la position connue de la faille Yamaska et de la
 ligne Logan (à plusieurs km de distance dans chaque cas).

Figure 5 Vue en coupe de la partie horizontale du puits fracturé Leclercville No1a HZ.; sept failles recoupées.  

La fracturation naturelle est omniprésente dans toutes les roches de couvertures au dessus du shale qu'on projette de fracturer. La présence de failles ajoute évidemment des voies très propices pour la migration des contaminants. C'est la raison pour laquelle l'absence d'une épaisseur minimale de 1000m entre le bas des nappes et le haut de la fracturation constitue un paramètre si essentiel. Les scénarios en font abstraction totalement.

Notes sur l'étude ATRA01. Son chapitre 4 utilise un scénario avec 6800 puits mais arrive à une production totale de 548 Mbarils, très proche de 584 Mbarils du scénario optimisé; plus de puits, mais moins de pétrole. C'est en fait le scénario PLUS qui est utilisé dans cette étude pourtant récente et non pas le scénario optimisé du rapport AECNo1-No2. On peut penser que la couverture du terrain dans le scénario optimisé est celle des 4155 puits du scénario MOINS.  Il n'y a cependant aucune carte de localisation pour ce scénario.

Le rapport ATRA01 a l'avantage de fournir des cartes donnant la localisation des plateformes, donc des puits; ils sont montrés en bleu sur la figure 6 ci-dessous.


Figure 6  Deux cartes du rapport ATRA01 superposées sur le territoire montrant les permis et la zone où le shale donne une marge inférieure à 1000m entre la bas des nappes et le haut de la fracturation. Illustré: deux décennies de développement.

On notera que presque tout le développement envisagé dans les scénarios implique des puits qui ne respectent pas la marge sécuritaire de 1000m (zone en marron fig. 6). Il n'y a aucune analyse pour justifier cela dans aucun des rapports. La profondeur est de moins de 650m dans la partie N-O des premiers forages, donc elle est à moins de 450m sous le bas de la nappe. Ailleurs dans l'Île, la zone ciblée se colle sur la portion sud des permis d'Hydrocarbures Anticosti.

Dans un communiqué récent, JUNEX se félicite de voir des scénarios qui englobent ses permis dans la partie sud. Sans avoir déboursé un sous dans le programme d'exploration en cours, les travaux valorisent ses actifs et les scénarios couvrent une portion plus élevée de ses permis que les propres permis de l'organisme qui défraie ces travaux d'exploration.  C'est la même chose pour le petit détenteur d'un seul permis Transamerica Energy Inc. qui voit la totalité de sa superficie incluse dans chacun des trois scénarios (voir au bas de la fig. 6).


Au final. Que conclure de ce rapport AECNo1-No2 qui ne traite que des aspects financiers et qui n'inclus évidemment aucun coût des externalités? Nous constatons que cette étude a été très optimisée avec le choix d'un taux de récupération très élevé 5,9% appliqué à toute la zone, pour arriver à démontrer une rentabilité "brute" i.e. sans autres considérations que les coûts de production. On peut sur cette même base limité aux coûts de production arriver aussi à une conclusion (voir le tableau ci-dessous) contraire à celle des auteurs, qui eux concluent à une rentabilité.


Figure 7  Comparaison des données du scénario optimisé avec le taux retenu (5,9%) dans l'étude ÉES avec deux autres taux 1,2% & 1,8% pour le pétrole, plus conformes à ce que est la moyenne - gisements de pétrole de shale réellement en exploitation.


Le tableau (fig. 7) ci-dessus montre qu'en prenant les mêmes paramètres que ceux choisis par les auteurs de l'étude ÉES, mais en choisissant des taux de récupération moyens comparables à ceux de quatre gisements en opération aux USA (1,2% et 1,8% pour Bakken, Eagle Ford, Niobrara et Avalon), on obtient alors pour Anticosti de très gros déficits d'opération. Nous avons rajusté dans ce tableau le coût unitaire moyen des puits à 11,5M$, ce qui est beaucoup plus réaliste. Cependant, même avec un coût optimiste de 8M$/puits, les déficits d'opération demeureraient considérables, comme dans les scénarios PLUS et MOINS publiés en mai 2015.

Dans un projet de cette ampleur il est assez courant de voir les études présenter une analyse économique sur deux ou sur plusieurs scénarios, pour donner une fourchette de valeurs possibles. On aurait pu penser que les scénarios PLUS et MOINS présentés sommairement en mai 2015, auraient reçu dans le rapport leur évaluation économique absente en mai dernier. Il n'en est rien; le rapport AECNo1-No2 ne complète l'analyse économique que sur un seul scénario. Les deux autres n'ont pas droit à cette présentation.

Est-ce que l'ajout du gaz que font les auteurs de l'étude AECNo1-No2 peut combler les déficits par un apport de revenu en gaz? La réponse la plus probable est NON. Le rapport AECNo1-No2 postule la présence d'une énorme ressource en gaz dans le Macasty, mais pas à partir d'un bilan démontré; ils utilisent la présomption qu'on tirerait des puits un million de pieds cubes pour chaque 50 barils extraits. On fixe aussi à 248000Gpi3 le volume en place dont on tirerait 11683Gpi3 dans les 4155 puits. Tout cela ne repose sur aucune donnée et c'est surestimé grossièrement. Il n'y a pas de bilan probant en rapport avec les ressources en gaz, encore moins d'estimé quant aux volumes récupérables. Tout comme pour le pétrole récupérable, le volume de gaz récupérable apparait au premier abord surestimé par un facteur de 3 ou 4. Avec trois ou quatre fois moins de gaz, son exploitation ne serait pas rentable.


Il y a de plus une autre erreur fondamentale dans le calcul des ressources du rapport AECNo1-No2. Ce calcul se fait pour le scénario optimisé comme nous l'avons présenté, en estimant en premier une quantité de pétrole à partir des données du rapport Sproule: à partir du 43 milliards de barils en place pour 100% de la surface du gisement, avec une exploitation partielle sur 23% du territoire et avec un taux faramineux de 5,9%, ils arrivent à 584 millions de barils de pétrole produit. Or ensuite ils appliquent un ratio 3,4 / 1  (plus précisément 77,5%/22,5% en barils équivalents) pour ajouter une ressource en gaz encore plus phénoménale. Dans tous les gisements d'hydrocarbures de shale, que ce soit dans le Macasty à Anticosti, dans l'Utica en Montérégie, dans le Point Pleasant en Ohio, il y a des hydrocarbures dans la roche-mère dans un rapport qui dépend des facteurs géologiques qui l'ont contrôlé pendant l'évolution géologique locale. En termes techniques on peut passer latéralement de la fenêtre à huile pour le pétrole liquide, à une zone de maturation thermique qui dépasse ces conditions pour transformer les hydrocarbures plutôt en gaz. C'est complexe, mais une chose est sûre: on peut estimer raisonnablement la quantité totale de matière organique initiale, modéliser ensuite les transformations en pétrole, en gaz ou en mélange des deux dans une transition graduelle. Les études antérieures ont postulé qu'Anticosti correspondait plutôt à des conditions géologiques pour une transformation surtout en hydrocarbures liquides; cela n'exclut pas la présence de gaz associé, ce qui est couramment rencontré. Si on révise dans la modélisation l'interprétation géologique du gisement pour simuler maintenant que c'est un gisement de gaz (77,5%), c'est toujours à partir de la même évaluation en hydrocarbures en place. Le gaz ne s'ajoute pas; on doit postuler que la matière organique mesurée initialement comme un estimé de 43 milliards de barils équivalents dans le Macasty doit maintenant être vue comme ayant plutôt été transformée majoritairement en gaz. J’ai pas de problème à voir une simulation gaz et pétrole en diverses proportions en autant que l'estimé d'hydrocarbures en place reste une donnée fixe pour la somme totale d’hydrocarbures, gaz plus pétrole.  Gaz et pétrole dans une modélisation correcte sont simulées à partir de la quantité d'hydrocarbures estimé être encore en place. Calculer le pétrole, puis ensuite multiplier par un ratio gaz/pétrole pour ajouter un grand volume accessoire de gaz (11683Gpi3  c'est 2006 millions de barils équivalent pétrole) constitue une aberration qui équivaut dans ce cas-ci à doubler*** la quantité d'hydrocarbures en place et à multiplier par quatre la quantité d'hydrocarbures extraits (584 + 2006 => 2592 millions de bep).


Ce qui est le plus probable c'est qu'il y aura du gaz qui viendra avec le pétrole dans les puits, mais il est fort possible qu'il ne soit pas en quantité suffisante pour rentabiliser les coûts des installations spécifiques à la production et l'exportation du gaz: réseau de gazoducs de collecte, liquéfaction/port méthanier, navire-usine ou gazoduc, etc.  L'impact de la présence de gaz, vu l'insularité d'Anticosti, peut fort possiblement aggraver le déficit d'opération, et non pas le réduire. La question du gaz est l'élément le plus hautement spéculatif, celui qui repose encore sur le moins de données, celui aussi qui demanderait un très gros investissement (très à risque) dès le début du projet, avant 2020 selon le scénario.
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* Incongru et pas très scientifique: une modélisation par définition en science est une méthode pour obtenir des données générales, extrapolées ou interpolées, à partir d'un nombre limité de valeurs concrètes ou de points d'échantillons vérifiés sur le terrain même. Le shale en Ohio, l'Utica en Montérégie et le shale Macasty ont une origine géologique similaire; ces trois unités stratigraphiques ont le même âge géologique et le même type d'environnement les a créé. Ce qui détermine par contre leur potentiel en hydrocarbures, c'est ce que des strates ont subi après: profondeur d'enfouissement géologique, température et pressions subies au cours des 450 millions d'années écoulées depuis leur formation, profondeur actuelle sous la surface, l'épaisseur locale du shale contenant les hydrocarbures, etc. Une foule de paramètres qui font qu'en réalité ces formations sont uniques, toutes distinctes les unes des autres. 

La figure 2 montre trois shales cousins et de même âge. Une modélisation n'est valable que si elle se fonde sur des valeurs tirées de l'unité en cause, pas de données à 1600km de là. On n'utiliserait pas non plus les données de l'Utica en Montérégie pour modéliser Anticosti. C'est pourtant le shale du même âge géologique situé, de plus, à mi-chemin. Leurs paramètres sont distincts et spécifiques en chaque zone. 

Il est heureux que notre système de santé n'ait pas encore découvert la modélisation que Finance Québec applique aux décisions d'investir à Anticosti. Vous avez deux cousins qui ont le même âge que vous, un habite aux USA (pourquoi pas en Ohio par exemple!), un autre en Montérégie et vous résidez à Port-Menier. On n'utilisera pas le bilan de santé de votre cousin des USA, ou celui de la Montérégie, dans la décision de vous opérer ou non du cancer de la prostate, même si vous êtes cousins et du même âge. Heureusement on vous demandera pour ce type de décision d'aller passer vos propres analyses.

** Les valeurs du scénario optimisé sont les suivantes: 
            pétrole total produit sur 75 ans :                                         584  Mbarils
            pétrole en place pour tout le territoire des permis:           43000 Mbarils
            % du territoire des permis exploité avec les 4155 puits :         23%
            pétrole en place dans 23% (exploité avec 4155 puits):   9890 Mbarils       (= 23% de 43Gbarils)
            pétrole produit/pétrole en place (584/9890) = taux de réc.:    5,9%

  
Les auteurs du rapport AECNo1-No2 indiquent obtenir l'estimé de pétrole récupérable (584 Mbarils) en transposant à Anticosti les paramètres d'un gisement  "comparable" en Ohio, celui formé par le shale Utica et la formation shale et calcaires Point Pleasant. Or les évaluations pour ce gisement indiquent plutôt pour une valeur moitié moindre: 3%    (voir la conclusion de Final Report July 1, 2015 et cela dans les sweet spots - tableau ci-contre, tiré du rapport). C'est là une disparité qui mériterait d'être éclaircie. 
N.B. Cette évaluation à 3% est celle des promoteurs détenteurs des permis en Ohio, et non pas une mesure réelle sur des puits en production, qui pourra se révéler moindre quand les statistiques seront disponibles.

            
        
*** Dans le rapport AECNo1-No2 on lit ceci: "dans le cas du scénario Optimisé, pour lensemble des puits, la production pourrait totaliser 11 683 Gpi3 et 584 millions de barils de pétrole - la production totale de gaz naturel et celle de pétrole sur la superficie exploitée correspondent respectivement à 4,7 % et à 1,4 %  des hydrocarbures initialement en place estimés pour les permis dHydrocarbures Anticosti et de Junex sur lîle dAnticosti".
À combien de bep (baril équivalent pétrole) en quantité d'hydrocarbures initialement en place pensez-vous que correspond 11683Gpi3 , que le rapport situe à 4,7% du gaz en place dans le gisement?    Réponse: à 43 milliards de bep exactement !  On compte deux fois les hydrocarbures en place: première ronde dans le modèle pour dire 584Gbbl de pétrole. Deuxième passage dans le modèle, ce coup-ci pour  dire que ces mêmes hydrocarbures sont du gaz ! Qu'une erreur aussi grossière se retrouve dans le rapport du gouvernement illustre la précipitation de ces études. Si cette partie de l'analyse vous semble complexe, je vous propose une analogie plus concrète: analogie pour comprendre

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ADDENDUM le 3 décembre 2015.   Deux semaines après la fin des consultations publiques, qui constitue la voie offerte aux experts indépendants et au public en général pour s'exprimer devant la Commission, à peine la moitié (tableau ci-dessous) des études de l'ÉES spécifique à Anticosti sont disponibles: 15 études (dans 14 rapports publiés) VS 13 études "disponibles sous peu" (= non publiées). Cela dénote un mépris pour entendre des points de vue externes dans ce processus ÉES gardé sous l'étroit contrôle de certains fonctionnaires au gouvernement; ils rédigent eux-mêmes la majorité des rapports d'étude (22 des 28). La consultation s'annonce comme un processus pour la forme dans un contexte d'orientations en apparence déjà privilégiées, qui transparait dans le ton biaisé de bien des études faites par le gouvernement lui-même. Les délais ridiculement courts sont là pour limiter les possibilités de voir des opposants rédiger des contre-mémoires étoffés.

Tableau des études de l'ÉES ANTICOSTI - Rapports (OUI/non) disponibles en date du 23 nov.2015

Rapport
CODE
Sujet de l'Étude
AUTEUR
OUI
AECN01
Scénarios de développement détaillés- Anticosti
Gouvernement
   "
AECN02
Rentabilité commerciale (rapport inclu dans AECNO1)
Gouvernement
OUI
AENV01
Émissions de gaz à effet de serre
Gouvernement
OUI
AENV02
Besoins en eau de l'industrie
Gouvernement
OUI
AENV03
Cours d’eau  VS besoins en eau 
Gouvernement
non
AENV04
Caractérisation biophysique
Gouvernement
non
AENV05
Zones de contraintes 
Gouvernement
OUI
AENV06
Bassins versants
Gouvernement
non
AENV07
L’impact sonore 
externe
non
AENV08
Dispersion atmosphérique des contaminants 
externe
non
AENV09
Milieux aquatiques particulièrement sensibles
Gouvernement
non
AENV10
Macroinvertébrés benthiques
Gouvernement
non
AENV11
Risques des rejets d’eaux usées
Gouvernement
OUI
AENV12
Contaminants des eaux usées de sondage
Gouvernement
OUI
AENV13
Toxicité - déversements d’hydrocarbures
Gouvernement
non
AENV14
Critères- qualité d’eau de surface
Gouvernement
OUI
AENV15
Mesures d’urgence environnementales
Gouvernement
non
AENV16
Communautés biologiques aquatiques- vs hydrocarbures 
externe
non
AENV17
Élaboration d’un projet type
externe
OUI
AENV18
Habitat du saumon VS déversements accidentels
externe
OUI
AENV19
Population de cerfs de virginie VS activités pétrolières
Gouvernement
OUI
AENV20
Portrait faunique de l’île d’Anticosti
Gouvernement
OUI
AENV21
Mouvements dans le sol et le roc 
Gouvernement
OUI
ASOC01
Portrait social et économique de la population
Gouvernement
OUI
ATRA01
Infrastructures de transport des hydrocarbures
externe
non
ATRA02
Besoins - infrastructures routières
Gouvernement
non
ATVS01
Externalités et mesures d’atténuation/ compensation
Gouvernement
non
ATVS02
Analyse avantages-coûts-développement hydrocarbures
Gouvernement