mardi 1 décembre 2015

billet de décembre 2015 - Jusqu'où s'enfoncera-t-on dans un fiasco annoncé.

Jusqu'où ira-t-on au gouvernement avec les fonds publics dépensés à Anticosti? 

Pour ce billet de décembre, je reviens sur la même question que pour mon billet précédent: les conséquences de présenter une étude économique qui compte en double les hydrocarbures potentiellement en place dans le shale Macasty. Doubler en raison d'une erreur méthodologique les quantités de pétrole et de gaz en place surestime par un facteur deux les revenus bruts que présente la simulation. J'ai exposé la nature de cette erreur dans mon 2e mémoire déposé à l'ÉES et j'ai de plus rédigé une petite analogie pour illustrer l'origine et la nature de l'erreur.

Ce doublement erroné des ressources en place permet de simuler une rentabilité, car il double aussi les revenus bruts des hydrocarbures potentiellement extraits sur 75 ans. En corrigeant l'erreur, les revenus bruts tombent à la moitié et ils deviennent insuffisants pour compenser pour les coûts (dépenses de forage, infrastructures, fracturation, couts d'opération, etc.) dans la simulation.

L'APGQ a réagi à cette dénonciation en disant que " le travail du gouvernement a été fait selon les règles". Le gouvernement, en l'occurrence les sous-ministres qui siègent à l'ÉES-Anticosti ont choisi de confier les deux études du chantier Économie à l'interne (i.e. aux fonctionnaires du gouvernement). Les auteurs ont présenté un rapport unique qui regroupe les deux études.

Ce n'est certes pas dans les règles de choisir un seul point de vue, qui de plus est celui d'un acteur actionnaire majoritaire dans le consortium Hydrocarbures Anticosti S.E.C. Une étude externe neutre aurait été autrement plus crédible. De plus, voir le ministère des finances du Québec (MFQ) signer le seul rapport d'évaluation d'un gisement d'hydrocarbures, paraît plus "incongru" que "dans les règles".
Quand en plus les auteurs restent anonymes, sans qu'on y trouve ni les noms, ni les champs de compétence, ce n'est absolument pas dans les règles. Les rapports scientifiques, les rapports d'ingénierie, les rapports d'évaluation de gisements, comme dans le cas du rapport Sproule portent
Figure 1  Les auteurs du rapport Sproule 2011
tous les signatures et les descriptions des champs de compétence (fig.1) de ceux qui les rédigent. Et dans les cas très rares où on leur signaleraient que leur méthodologie comportent une erreur grossière, les auteurs ne restent pas dans l'anonymat et acceptent d'en débattre. Ce n'est pas ce qui se produit en ce moment avec l'étude gouvernementale. Les fonctionnaires impliqués restent dans l'anonymat et on envoie simplement un porte-parole qui nie l'erreur, sans en débattre.

C'est le même cercle restreint de personnes au gouvernement qui contrôlent actuellement le déroulement des études ÉES, les mêmes ministères MERN, MDDELCC et MFQ qui ont rédigé les documents préparatoires pleins de lacunes, le rapport AECNo1&No2 qui comporte une erreur méthodologique,  qui vont aussi rédiger le rapport ATVS02 Analyse avantages coûts d'un éventuel développement des hydrocarbures à Anticosti (Disponible sous peu).

Ce qui est à craindre est que les promoteurs tirent des résultats des campagnes de 2015 des éléments impossibles à contre vérifier. Ils les interpréteront à huis clos, peut-être à l'avantage de la poursuite de la phase 2 prévue à l'été 2016. Je dis impossible à vérifier de façon indépendante, car l'introduction d'une nouvelle définition légale des forages d'Anticosti, maintenant désignés comme "sondages stratigraphiques" les soustrait à l'obligation légale de divulgation des données de forages.

Du temps où les forages s'appelaient encore des forages, les rapports des forages devenaient publics trois ans après la réalisation des travaux. Pour les puits avec fracturation hydraulique, la situation est pire: les rapports de complétion (entendez "fracturation") n'ont pas de dépôt obligatoire. On a jamais* accès à ces données, sauf si l'exploitant choisit lui-même de les divulguer, ce qui n'est jamais arrivé.  Dix huit puits ont eu des travaux de complétion (fracturés) dans le shale d'Utica entre 2007 et 2010 et jamais aucun des document de fracturation n'a été divulgué. Pire, même après une ÉES Gaz de schiste suivi d'un BAPE spécifique sur le même sujet, aucune de ces deux commissions n'a obtenu et divulgué les détails de ces travaux de fracturation du roc. Une des onze commissaires à l'ÉES Gaz de schiste avait pourtant elle-même les données de ces rapports de travaux de complétion des puits de sa firme Talisman Energy. Avec son double chapeau, à la fois géologue employée de Talisman et présentée comme experte indépendante pour l'ÉES Gaz de schiste, elle s'est bien gardée d'inclure cette analyse parmi celles que le comité a commandées.

À Anticosti, on a un arrêté ministériel + des dispositions réglementaires qui rendent maintenant totalement opaques toutes les données de forage. Les fonctionnaires du gouvernement en tireront ce que leur bon vouloir leur dira. Le lobby pétrolier veille au grain et les obstacles mis en travers de la route de ceux qui cherchent à scruter d'un oeil différent ces données, empêchent toute transparence. On devra se contenter de ce que contiendront les rapports maison produits par les MERN et MDDELCC.

On s'arrêtera peut-être là si des résultats très décevants apparaissent trop manifestes avec les trois puits prévus avec fracturation à l'été 2016. Mais cela peut aussi être autrement; on pourra peut-être avoir ciblé un "sweet spot", i.e. un endroit dans le shale où des conditions exceptionnellement favorables sont réunies. Ces "sweet spots" existent dans bien des gisements, mais ne sont absolument pas représentatifs de la production moyenne. Extrapoler à partir de cela serait absolument catastrophique.



Figure 2  Carte d'Anticosti avec la délimitation du scénario PLUS; le secteur initial pour 30 puits.

Les scénarios de mai dernier indiquaient que pour la suite des forages à Anticosti, on commencera avec trente puits (trois plateformes de dix puits) dans le secteur de la rivière Jupiter (fig.2 ci-dessus). Il est à prévoir que le coût des trente premiers puits d'exploitation sera entre 10M$ et 15M$, certainement plus près de quinze que de dix. Le gouvernement devra débourser 35% de ces coûts si il veut suivre avec sa participation dans le consortium Hydrocarbures Anticosti. On aura donc entre 100M$ et 150M$ comme participation additionnelle en deniers publics simplement pour les puits de l'an 1.  Là s'arrêtera l'aventure, quand on constatera que la production n'est pas au rendez-vous. Selon le prix du baril en 2020, les trente puits ne donneront en valeur de production brute que le tiers ou la moitié des dépenses. Avec une production largement déficitaire, tout s'arrêtera là, non sans avoir laissé entre temps beaucoup de dégâts sur le terrain.

À moins que l'on s'entête, en gardant les données secrètes, pour aller jusqu'à l'an deux de la production; les scénarios prévoient pour cette deuxième année (2021?) soixante autres puits (six plateformes). Le coûts de construction de ce total de 90 puits dépassera le milliard et ce sera une pure perte. Sans parler évidemment du coût énorme (>10 milliards) pour la mise en place des infrastructures requises pour l'extraction, le traitement et le transport du gaz associé.

Ce beau gâchis résulte d'un manque flagrant d'analyse objective et indépendante au gouvernement, une vision trop étroitement partagée avec d'anciens fonctionnaires passés des ministères ---> vers des compagnies juniors, qui ont bien évidemment un intérêt à court terme de voir bonifier leurs titres d'exploration. On a grandement restreint du processus gouvernemental les possibilités d'y voir exprimé des opinions divergentes. Les ministres qui se sont succédé au dossier ont été eux-mêmes très enclins à écouter le chant des sirènes des promoteurs du projet pétrolier, repris dans les rapports internes et les belles promesses de création d'emploi.

Jusqu'où iront les dommages, les dommages aux finances publiques et les dommages environnementaux. Si on poursuit jusqu'à l'an deux, c'est quatre-vingt-dix puits fracturés à gérer pour la suite des temps. En tant que puits fracturés et abandonnés, ils auront un coût énorme rivé de façon permanente au budget du Québec. Espérons que ce projet insensé s'arrêtera bien avant; pourquoi pas dès maintenant?

L'erreur de doublement des ressources en place a permis de dégager une rentabilité hypothétique dans une simulation du scénario optimisé. Toute erreur (dans ce cas-ci elle se chiffre en plusieurs dizaines de milliards de dollars d'hydrocarbures) peut être initialement présumée involontaire. Mais quand elle est signalée, les responsables ne peuvent plus se contenter de l'ignorer, de la nier, de tenter de discréditer ceux qui la dénoncent. Si l'ÉES et le gouvernement persistent dans cette voie, alors l'erreur n'est plus une simple erreur: elle devient une tromperie délibérée. Si c'est le cas, alors cela confirmerait que ce doublement des ressources était indispensable dans la simulation pour arriver à un bilan final positif. On "tripote" des gros chiffres ici; certainement un record absolu et inédit au gouvernement.


Addendum du 6 juin 2016: L'ÉES et le gouvernement ont persisté dans la voie indiqué au paragraphe précédent : le rapport final reprend telles quelles les valeurs erronées du bilan établi dans le rapport AECNo1&2 d'octobre 2015.

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*J'ai expressément demandé ces rapports qui datent de la période 2007-2010. Le MERN m'a répondu que ces rapports restaient confidentiels en raison de l'article 14 de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels. Peut-on rappeler que les renseignements personnels dont il est question ici se rapportent à la fracturation irréversible du substratum rocheux qui est propriété absolue de l'État.

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