vendredi 1 septembre 2017

Billet de septembre 2017

L'ouragan Harvey a eu un impact considérable sur les installations pétrolières du Texas en cette fin d'août 2017. Les médias ont bien commenté les dégâts subis par les raffineries; mais il y a beaucoup plus que des raffineries qui ont été touchées. Les installations d'extraction du pétrole et du gaz de schiste dans le gisement Eagle Ford étaient aussi dans la trajectoire de l'ouragan Harvey. On commence à peine à mesurer les impacts économiques directs sur l'importante industrie pétrolière dans cet État le Texas. Mais les impacts environnementaux auront indirectement un coût économique encore plus considérable; ces autres coûts résultent des effets sur la santé des populations humaines et sur toute la santé de la vie biologique dans son ensemble. Cela touche l'état du Texas, ainsi que la vie marine dans le Golfe du Mexique.

Un ouragan accompagné d'une inondation étendue, balaie non seulement l'atmosphère et les cours d'eau, mais aussi les installations, les dépôts de déchets et les réservoirs de substances industrielles. Ces substances accumulées au cours des dernières décennies durant le développement industriel, sont balayées d'un seul coup par l'inondation. Ce grand "coup de vadrouille" n'est guère rassurant, car une bonne partie des millions de tonnes de contaminants est remobilisée et redistribuée sur les sols pendant l'inondation; l'autre partie est emportée dans les cours d'eau lors de la décrue. Les cours d'eau et ultimement les eaux marines du Golfe du Mexique les reçoivent.

La figure ci-dessous montre trois "shale plays" au Texas dans le voisinage des zones affectées par l'ouragan Harvey: le shale Barnett, le shale Haynesville et le shale Eagle Ford. Ces trois secteurs produisent du pétrole et du gaz par des puits avec des extensions horizontales où on a fait de la fracturation hydraulique (fig. 1 ci-dessous).

Fig. 1  La côte texane avec les zones de hautes précipitations, les zones inondées et trois shales exploités par fracturation hydraulique.

L'ouragan Harvey a touché terre près de Corpus Christi (fig. 2),  à faible distance du gisement Eagle Ford. Il y a 19 000 puits horizontaux avec fracturation hydraulique dans le gisement Eagle Ford, qui se situe à l'ouest de Houston et entre Corpus Cristi et San Antonio.

Fig. 2  Le gisement Eagle Ford comptait environ 19 000 puits en date d'avril 2017.


Les puits dans la portion est du gisement Eagle Ford qui se situe entre San Antonio et Houston, ont probablement été plus directement exposés aux effets de l'ouragan. Nous allons regarder les grandes caractéristiques de ce gisement. Ces données sont compilées par Enno Peters; nous vous recommandons d'aller sur son site qui fournit d'excellents diagrammes interactifs pour le gisement Eagle Ford, ainsi que pour d'autres régions.

Fig. 3 Nombre de puits: échelle de gauche donne le nombre/mois de puits construits; l'échelle de droite donne le nombre cumulatif. En avril 2014,  il y avait 18028 puits actifs plus 77 nouveaux puits entrant en production; s'ajoute à cela 895 puits inactifs, pour un grand total de 19000 puits.






Fig. 4  La production totale de pétrole pour l'ensemble des puits dans l'Eagle Ford; la production maximale atteinte en tout début d'année 2015 décline ensuite car le taux de construction de nouveaux puits (maximum de 419 puits/mois atteint en fin d'année 2014 -voir fig.3), chute à moins de 250 puits/mois.

Fig. 5  Les puits dans ce gisement, comme dans les gisements non conventionnels, donnent un débit très élevé les premiers mois; il décline ensuite de façon accélérée. En cinq ans (60 mois), les débits tombent à environ 3% du débit initial.


Les puits et les conduites, qui parcourent toute la zone d'exploitation jusqu'aux centres de traitement, aux réservoirs et aux raffineries, ont été affectés de deux façons:

- on a dû procéder à la fermeture des puits à l'approche de l'ouragan. On connait encore mal l'impact des mises à l'arrêt multiples et généralisées des puits et des conduites. Les fuites bien connues dans les opérations en continu (~ 3% de la production), risquent non seulement de se poursuivre même si les valves sont fermées, mais elles seront possiblement plus intenses dans le futur en raison de cette interruption inopinée de la production.

- plusieurs têtes de puits ont été inondées, de même que les dispositifs de contrôle sur les puits et les conduites, les bassins de stockages d'eau usée, des réservoirs de produits polluants, etc.; les bassins des eaux de fracturation ouverts ont probablement été délavés par les montées des eaux. Tout cela se retrouve dans l'environnement; dans l'eau en premier, mais il y a aussi les gaz dans l'air et des contaminants qui s'infiltrent dans le sol.

Il y a sans doute dans cet événement un signe que la nature envoie à tous ceux qui croient encore au développement effréné de l'industrie des hydrocarbures non conventionnels. C'est dans le secteur pétrolier le plus important des USA que l'ouragan Harvey a frappé. Il devient insoutenable de nier l'impact concret des changements climatiques; la puissance et la fréquence des ouragans dans le secteur du Golfe du Mexique comme dans les autres mers est directement relié à la chaleur accumulée dans l'océan. Les installations du Texas vont reprendre du service c'est assuré, mais la cause de la catastrophe ne pouvant être éliminée, d'autres événements du même type vont survenir.

Nous attendons avec impatience les données pour les mois à venir dans les diagrammes des figures No 3, 4  et 5.  Un arrêt ou même un simple ralentissement dans la mise en chantier de nouveaux puits fait chuter la production très rapidement. L'industrie du pétrole et du gaz de schiste est une industrie éphémère: la production chute de façon drastique dès que le rythme de construction de nouveaux puits n'est pas maintenu sur une courbe croissante (fig. 3 et fig. 4). Par contre, les impacts environnementaux eux sont reliés au nombre cumulatif de puits; ce nombre est déjà considérable dans l'Eagle Ford après seulement huit ans de développement. Un puits abandonné est tout aussi dommageable, sinon plus, pour l'environnement. L'étape que marque l'événement Harvey dans l'extraction d'Eagle Ford oblige l'industrie à faire maintenant face à l'ensemble de ses coûts, y compris les coûts climatiques et environnementaux. C'est donc l'heure du vrai bilan comptable, pas juste celui du profit court terme qui a prévalu jusqu'à maintenant.

N.B. J'ai utilisé l'exemple des puits dans l'Eagle Ford, car ils sont bien documentés et ils se situent dans le voisinage immédiat de l'événement Harvey. La problématique s'étend évidement à toutes les exploitations du même type; on pourrait y faire la même analyse avec les mêmes constats.