jeudi 7 juin 2018

Les règlements révisés

Le ministre Moreau annonce ce 6 juin qu'il a révisé les quatre règlements pour la mise en oeuvre de la loi sur les hydrocarbures. Les versions administratives des textes sont actuellement disponibles sur le site du MERN. Les versions officielles sont ont été publiées dans la Gazette Officielle le 20 juin 2018,

Le ministre Moreau ferme la porte à l'aventure gaz de schiste dans les Basses-Terres du St-Laurent. L'APGQ et son président n'en seront pas très heureux. Ce qu'ils avaient demandé depuis toujours leur avait été accordé, mais pas cette fois-ci. C'était sans compter l'approche des élections; il y a beaucoup de députés à élire dans la plaine du St-Laurent. Il y a aussi une forte opposition des citoyens et la menace d'action en justice de 338 municipalités que la ministre Mélançon a tenté de minimiser jusqu'à maintenant; il devenait urgent d'en tenir compte en pleine campagne électorale. Bref, on ferme la porte pour le shale d'Utica. C'est une excellente nouvelle si elle se concrétise et si le prochain gouvernement s'y conforme. On avait déjà fermé une porte semblable pour le shale Macasty à Anticosti en 2017. Agir différemment en pleine zone habitée de la Montérégie du Centre du Québec et de la Beauce aurait été intenable.

Quelles portes restent donc ouvertes pour le gaz et le pétrole "made in Québec" ? La réponse évidente est la Gaspésie, le Bas-St-Laurent et éventuellement toute autre région où les spéculateurs pétroliers décideraient d'explorer. Les nouvelles distances séparatrices éliminent de facto le "gisement" d'Haldimand, qui n'en était pas un réellement envisageable de toutes façons. Il y a Bourque et Galt où les hydrocarbures ne sont pas dans du shale. Les règlements modifiés restent assis entre deux chaises: veut-on permettre les techniques d'extraction qui sont utilisées dans les gisements conventionnels faciles à exploiter et exclure les gisements qui demandent de techniques non-conventionnelles? La réponse ici est très ambiguë. Le gouvernement permet encore d'utiliser la fracturation tant que la couche ciblée n'est pas du shale (schiste). Mais permettre encore la fracturation hydraulique au Québec, c'est essentiellement pour des gisements marginaux trop pauvres pour être exploités de façon conventionnelle.

Il y aura toujours très peu de vrai bons gisements d'hydrocarbures au Québec comme le ministre Moreau l'a reconnu. Mais alors pourquoi ouvrir avec tant de risques environnementaux les cas marginaux qui ne seraient possibles qu'avec l'apport de la fracturation hydraulique? C'est un choix des plus discutables; les citoyens et les municipalités ne doivent pas relâcher la pression.

Des nouvelles restrictions plus sévères quant aux distances? Si ces puits d'exploration/exploitation se situent hors des zones habitées, tout sera encore permis, y compris l'obtention de permis de fracturation. La seule véritable modification qui s'appliquera alors sera que la distance verticale qui est de 600 m dans le RPEP devient 1000 m  dans la version 2018 des règlements; un gain de 40% pour la norme verticale entre la surface et la partie horizontale d'un puits (figure ci-dessous).
Fig. 1  Vue en coupe de terrain d'un puits d'exploration ou exploitation. La couche cible est au bas de l'image. Les fuites dans les puits en exploitation ou abandonnés en fin d'exploitation se situent au puits (1), par des failles naturelles ou par un réseau de fractures élargies par la fracturation. Les fuites de méthane rejoignent l'atmosphère (1 et 2) et la nappe phréatique (3).
Les risques reliés aux fuites sont encore présents même quand on a une strate de grès, ou de calcaire par exemple, comme gisement potentiel (la couche plus foncée au bas de la figure 1). Dans un vrai bon gisement, on aurait pas besoin de faire de la fracturation. Mais si l'exploitant d'un gisement très peu perméable et très marginal tient quand même à tenter de l'exploiter, il pourra demander au gouvernement du Québec l'autorisation de faire de la fracturation, en autant qu'il ne s'agisse pas d'hydrocarbures emprisonnés dans une roche mère, comme du shale (schiste dans le libellé du règlement).

Voici un résumé des nouvelles distances dans les règlements du MERN; elle doublent les valeurs initialement mises dans les versions 2017, mais elles sont encore bien petites par rapport aux demandes des municipalités.
Fig. 2  Les nouvelles distances séparatrices telles que présentées sur le site du MERN.

Notez qu'on a aucune indication pour l'instant sur la distance de 500 m à puits d'eau potable pour une résidence isolée; c'est une norme du RPEP émise par un autre ministère (MDDELCC).  Sera-t-elle doublée aussi?  Passera-t-elle à 1000 m?  Je rappelle que les municipalités réclament que cette distance passe à 2000 mètres. Quant à la distance verticale, il y a une nouvelle donne qui reste cependant à préciser. L'illustration publiée sur le site du MERN indique 1000 m depuis la surface, mais cette distance s'arrête un peu au-dessus du forage horizontal.  Le libellé de l'article 196 se lit ainsi:      "196. La fracturation est interdite dans le schiste.
                  Elle est aussi interdite à une profondeur verticale réelle de moins de 1 000 m.
                 Malgré l’article 25, cette profondeur est mesurée à partir de la surface du sol."
Une opération de fracturation se réalise et démarre dans les sections horizontales des puits; la distance de 400 m était précisée de la même façon dans le RPEP. Le MDDELCC accordait l'autorisation si la distance de 400 m était respectée entre la section de puits et le bas des nappes, ou 600 m sous la surface du sol.

Le grand problème avec les distances horizontales c'est de ne pas tenir compte que les puits d'hydrocarbures se sont plus uniquement verticaux comme il y a une génération. Toutes les restrictions édictées dans la figure 2 s'appliquent uniquement pour la localisation de la foreuse en surface, pour la tête de puits. Elles ne tiennent aucunement compte des grandes extensions horizontales des forages.  Je me suis permis d'emprunter et de déplacer tous les jolis dessins de bâtiments que le MERN a placé dans la figure 2, pour les situer à bonne distance d'un exemple de puits qui aurait dans quelques années une longueur horizontale de 3500 m (figure 3 ci-dessous).

Fig. 3   Vue en coupe de la nouvelle distance verticale publiée par le MERN, dans le cas d'un forage que la technique permettra très prochainement d'étendre à 3500m.
On constate aisément que la fracturation peut s'étendre vers le haut à faible distance sous les habitations, les écoles, les cours d'eau. Ces norme de surface oublient un élément essentiel: on peut passer et fracturer juste en-dessous et contourner bien des restrictions.  Comme on ne connait encore que très peu de choses sur les migrations possibles et sur la circulation des fluides dans les zones intermédiaires, entre les couches fracturées et la surface, on viole là le principe de précaution. C'est la raison pour laquelle bien des législations autres que le Québec, ont interdit la fracturation hydraulique. Ici, on persiste à maintenir cette voie ouverte pour l'industrie.

Les règlements modifiés que le MERN vient de publier trainent encore une confusion entre l'ancienne approche de "tout permettre partout" et les nouvelles déclarations du ministre Moreau. Ce dernier semble en pas avoir encore eu le temps de lire et de comprendre tout ce qui traine encore dans les règlements et qui perdure depuis l'orientation pro-hydrocarbures de l'ancienne politique. Le confusion la plus évidente existe entre les déclarations du ministre Moreau qui affirme qu'il ne peut dorénavant avoir des forages dans les cours d'eau et le règlement sur les activités d’exploration, de production et de stockage d’hydrocarbures en milieu hydrique qui permet exactement le contraire: des forages à partir de plateformes flottantes dans les cours d'eau. À quoi sert alors la distance de 1000m* entre un puits et un cours d'eau (fig. 2) dans la vidéo promotionnelle du MERN? Elle ne s'applique qu'à des cas de fracturation hydraulique. Le ministre Moreau ne semble pas avoir saisi cette distinction. 

* Cette norme de 1000m n'apparait que dans la vidéo; il n'y a aucune mention de cela dans les textes des règlements. Un oubli?  Une autre incohérence?

vendredi 1 juin 2018

Une question qui demeure pertinente.

J’ai reçu de nombreux commentaires depuis la parution de mes billets du mois. Cette question que M. Claude Paré m'adressait en janvier 2011 demeure pertinente sept ans plus tard; j'avais écrit ce texte en février 2011 pour y répondre en détails:

J'aimerais que Monsieur Durand éclaircisse deux points. Je sais qu'il a des connaissances sur le béton. - Quelle est selon lui la durée de vie d'un puits tel que construit par l'industrie. Si des failles apparaissent dans ces puits, peuvent-elles devenir des conduits pour les liquides et les gaz. - Les eaux salines et les eaux de fracturation enfouies dans le sous-sol peuvent-elles affaiblir le béton.

Je n'ai pas lu tous les mémoires présentés au BAPE, mais dans ceux que j’ai lus il n’y en a pas un seul qui pose ou qui traite de votre question, que je reformulerais ainsi : "Quelle est la durée de vie d'un puits - y compris son efficacité dans le temps à servir de "bouchon" sur le forage jusqu'à la fin des temps... et qu'advient-il quand la partie souterraine du puits perd son efficacité suite à la corrosion et autres dégradations ?"

Il y a forcément une échéance; celle-ci est plus longue pour des ouvrages inspectés et entretenus et plus courte pour des ouvrages temporaires; tous les ingénieurs connaissent cette donnée fondamentale ; par exemple le devis pour stabiliser et recouvrir la voûte d’un tunnel de métro n’est pas le même que pour une galerie temporaire dans une mine. Dans le cas du métro, on n’a pas le choix de construire très solide et durable, en plus d’ajouter un programme d’inspection et d’entretien pour toute la durée d’utilisation. On l’a vu récemment avec les viaducs et les ponts; arrivés en fin de vie et avant de préférence, on doit les démolir et les reconstruire à neuf. On ne doit pas prendre de chances de voir un ouvrage dépasser la fin de vie de sa structure. Certains ponts avec un bon entretien durent des siècles ; d’autres mal adaptés à l’usage et aux conditions d’exposition ont une fin de vie après un demi-siècle seulement. Pour un bâtiment temporaire ou encore un ouvrage où l’homme n’a pas accès, la sécurité et la durée de vie sont conçues avec des critères de construction bien moindre.

Tout ce que l’on connaît sur les puits de gaz de schiste, c'est que ce sont des ouvrages dont le design est optimisé pour une durée de vie très courte: les années d'exploitation du puits. Après on bouche (le terme anglais est plus descriptif : cementing), on enterre le sommet de la structure et on revégétalise le site (mémoire de l'APGQ). Il n'y a pratiquement rien de publié pour répondre à l’interrogation de M. Paré, sur la durée de vie de la structure souterraine. Pourtant la question est primordiale, car pour 20 000 puits qui arriveront un jour en fin de vie, et qui seront juste "masqués" avant d'être légués à la géographie locale, il en coûtera combien par année dans 20 ou 30 ans? C’est le silence total sur cette question, car de tout temps dans le domaine minier et pétrolier, ce qui advient des forages n’a jamais été une préoccupation. L’industrie n’a jamais prévu dépenser un dollar pour ça ; les législations les plus récentes dans le monde ne créent des obligations que pour la réhabilitation des sites à la fin de l’exploitation. On oblige les compagnies à prévoir la remise en état de la surface des sites, mais à peu près rien pour ce qui est enfoui.  

Des forages qui sont arrivés en fin de vie, qui sont devenus dangereux, d’autant plus qu’on avait oublié leur emplacement, ayant été juste masqués dans le paysage de surface, il y en a des milliers. Aux USA on rapporte de plus en plus de victimes d’explosion en raison des gaz qui remontent par ces vieux forages. Dans la majorité des cas, il s’agit d’anciens forages d’exploration (Appalaches, Colorado) datant du début du siècle dernier. Le problème va prendre une tout autre ampleur d’ici peu, avec la fin de vie des puits de gaz dans des strates ayant subi une intense modification par le technique de la fracturation hydraulique. La technique nouvellement appliquée à grande échelle va laisser à l’abandon des milliers de forages sous les zones habitées, sans que rien ne soit prévu quant aux impacts qui vont surgir en fin de vie des ouvrages.

Précisons ce que nous entendons par fin de vie d’un puits de gaz de schiste.  L’ouvrage comme puits d’extraction a une vie de 3 à 5 ans. C’est un dispositif optimisé pour extraire du gaz le plus rapidement et au meilleur coût. Le débit que livre le shale nouvellement fracturé est très élevé au début, puis il diminue de façon logarithmique ou exponentielle. On abandonne le puits sous un débit jugé non rentable ; à cette étape environ 20% du gaz en place est capté. Dans les réservoirs de gaz classique, jusqu’à 95 % du gaz naturel peut être récupéré « Dans le cas des schistes, on s’attend à un taux de récupération de 20 % en raison de la faible perméabilité et en dépit du forage horizontal haute densité et du recours intensif à la fracturation hydraulique » Office National de l’Énergie:   L’ABC du gaz de schistes 

À la fin de cette période on transforme sommairement le puits d’extraction en un autre type d’ouvrage, qui a pour unique fonction de stopper le débit du gaz dans le puits. Par des obturateurs, des ciments bouchant le tubage, etc. on doit transformer un ouvrage temporaire d’extraction en ouvrage permanent visant une fonction bien différente. Dans la réalité, pratiquement rien ne change dans la structure et la composition du puits, sauf le rajout d’un bouchon permanent. Quelque soit le design du bouchon, le nouvel ouvrage, appelons-le puits-bouchant, ne peut avoir une durée de vie drastiquement modifiée. Pourtant ces bouchons devront résister à perpétuité à la pression du méthane qui va continuer à se libérer du shale fracturé.  N’oublions pas que 80% du gaz demeure dans le shale à la fin de l’extraction.  

Sous la plaine habitée, l'Utica sera devenu un réservoir extrêmement perméable, contenant toujours ce qui reste de méthane après l'écrémage (20%). Cet énorme volume, 100 m d’épaisseur x 10000 Km2 sera relié directement à la surface par 20 000 puits en lente corrosion ; les tubages d’acier et les coulis d’obturation en présence d'un milieu très salin vont se dégrader. Cela pourra se faire à des vitesses variables d’un puits à l’autre, selon la qualité de la mise en place des forages, tubage et coulis, etc. La durée de vie de chacun de ces puits, c’est le temps avant que la dégradation soit telle que des fuites majeures obligent les autorités à intervenir. Forcément à partir de là il y aura un coût. Ce coût peut apparaître très tôt dans le processus pour certains puits, comme on le constate au Québec sur des puits pour lesquels l’exploitation n’est même pas commencée ; mais en ce moment, c’est à la charge de l’industrie qui est propriétaire du puits. Ça montre que des fuites ça existe, même sur un puits tout neuf.

La figure 1 rassemble les divers chemins que le gaz peut suivre pour atteindre les nappes en surface et les puits d’eau potable (p). Les lettres en bleu clair (A,B,C) montrent les circulations dans un cas où le forage recoupe une faille ou une fracture de grande extension. Cette occurrence pourra arriver dans une proportion des puits qui reste difficile à estimer, car la cartographie géologique détaillée n’est pas vraiment disponible sous les dépôts meubles dans les Basses-Terres du St-Laurent.  

Figure 1   Divers chemins possibles pour des fuites de méthane vers la surface. À gauche, un puits, au bas le shale d'Utica et à droite, la ligne rouge est une faille.

Dès qu’il y a présence d’une telle discontinuité, le liquide injecté ouvre cette voie et pénètre très loin (A) dans les strates du Lorraine. La circulation est ouverte dès lors en permanence pour continuer dans les lentilles de grès et les autres couches plus perméables. Des fuites de gaz se manifesteront dans les puits artésiens et les habitations qui se situent à proximité de la faille. À noter que le fluide de fracturation ouvre aussi beaucoup plus loin que prévu la discontinuité dans les strates calcaires sous-jacentes (A’). Le Trenton est plus perméable que le shale et il contient des eaux de très grande salinité. Une voie est donc aussi ouverte pour des contaminations salines. Certaines analyses d’eaux de forage indiquent que déjà ce type de problème a probablement déjà été rencontré dans les premiers puits.  

Entre le tubage et le roc foré, et entre le tubage de production et le tubage de protection, la qualité de mise en place du coulis peut avoir laissé des vides ; des fractures annulaires peuvent aussi se former pendant l’utilisation intensive du puits (L).  C’est là une origine possible des fuites de gaz qui surviennent dans le puits même (E et K).

En plus de ces possibilités de fuites, il y aura en fin de vie des puits, probablement entre deux et cinq décennies après la fin des opérations, des fuites plus généralisées qui vont survenir progressivement dans une proportion grandissante des puits abandonnés. Les causes premières seront :1- la dégradation des aciers et ciments de colmatage 2- la pression du gaz qui va lentement certes, mais sûrement faire de plus en plus pression sur ces ouvrages-bouchons 3- le rééquilibrage des pressions (plus précisément l’état des contraintes) dans le roc fracturé va lentement se réajuster, cisaillant ou déformant localement des sections de tubage. Des strates dans l’Utica tendent à gonfler à l’air libre ; la même propriété en profondeur va tendre à fluer et à refermer un peu avec le temps les fractures ouvertes. Le massif va donc ainsi évoluer vers une diminution de sa perméabilité ; mais ça ne sera pas suffisant pour le ramener à son imperméabilité initiale. Ces micro-ruptures vont au contraire contribuer à libérer encore plus de méthane dans le temps.  

On a affaire ici à des structures qui se dégraderont en milieu de salinité extrême, loin dans le substratum de toute possibilité d’inspection et d’entretien, dans un milieu transformé par les opérations de fracturation hydraulique. Les circulations de fluides, eaux salines et méthane vont s’en trouver modifiées. Toutes les structures reliant la surface à l’Utica transformé vont tôt ou tard atteindre un degré de décomposition avancé. Les puits atteindront un état où leur fonction comme puits-bouchants ne sera plus opérationnelle. Ça veut dire quoi en clair : des méga problèmes à chacun de ces puits, des moyens de mitigation à mettre en place, des études complexes à entreprendre pour tenter de trouver une solution, des commission du BAPE pour chaque site ? voir mon analyse du cas de Mercier dans mon texte précédent*. Il y en aura beaucoup sur les 20 000; peut-être entre 250 et 500 nouveaux cas par décennie dans une génération. Des milliards à prévoir dans le budget du Québec.

Si on gardait à perpétuité les têtes de puits accessibles plutôt que de restaurer les sites on aurait déjà une tâche moins complexe, car on pourrait ausculter et voir venir la catastrophe, mais personne ne propose ça nulle part. On indique qu’on devra « restaurer le site » à la fin de l’extraction. En fait ça veut juste dire enterrer le problème et l’oublier jusqu’à ce qui nous éclate en plein visage. Trouver une solution à ce problème à ce moment là sera une tâche impossible à réaliser, tout comme il est impossible d’effacer un puits. Le trou reste là, même si on essaie de le boucher avec autre chose ; cet autre chose n’aura jamais les propriétés du shale intact qu’on a foré et fracturé. Le shale d’Utica a conservé le gaz pendant plus de 450 000 000 ans. Toutes nos techniques présentes et futures n’arriveront jamais à faire aussi bien.

Figure 2    Plan d'affaire incluant un schéma de la durée de vie d'un puits.
La figure 2 ci-dessus montre les revenus et dépenses pour le Québec dans son entité globale, c’est-à-dire toute la collectivité. Le plan d’affaire de l’industrie gazière s’arrête avec les étapes 1 et 2 ; il prend fin avec l’arrêt de l’exploitation et le temps requis pour restaurer les terrains en surface. Pendant la première étape (EXPLORATION), la collectivité reçoit chaque année des revenus modestes par le paiement des permis d’exploration, par ex : 10¢/hectare + $100/puits foré. Le Québec a par contre des coûts d’analyse, de surveillance, de déplacement d’inspecteurs, etc. C’est très certainement un bilan négatif à cette étape pour la collectivité. Pendant l’exploitation, les dépenses de surveillance et autres continuent, mais elles sont largement compensées par le paiement de redevances sur le gaz extrait. À la fin de l’exploitation, les compagnies gazières, cessent de payer les redevances. Elles peuvent cesser également de payer le coût des droits miniers, ce qu’elles auront intérêt à faire; la pleine propriété du gisement de gaz retourne au gouvernement. Le diagramme indique que la durée de vie des structures-bouchantes reste une inconnue, mais à la question de savoir si il y a une durée de vie: c’est oui sans hésiter. Dans le plan d’affaire actuel, si on se fie aux enseignements du passé, c’est la collectivité qui va assumer les coûts qui vont apparaître fatalement un jour ou l’autre.

Les puits-bouchants ne vont pas avoir tous le même durée de vie. Pour un petit nombre, la détérioration va se manifester assez tôt, le gros du peloton plus tardivement et un dernier lot ne pourrait miraculeusement ne présenter aucun signe pendant des générations. Globalement les coûts pourront apparaître tôt, avec une courbe s’amplifiant sans cesse, surtout vers le temps qui correspondra à la durée de vie moyenne des ouvrages (figure 2).

Quels qu’en soient les paramètres, le plan d’affaire de Gaz-Québec Inc, c’est-à-dire nous la collectivité dans ce dossier, sera une opération fortement déficitaire. Un seul gagnant: les compagnies gazières qui nous auront passé un beau sapin ; c’est le nom officiel des têtes de puits (Christmas tree) et ce n’est pas par hasard ; c’est un signe du destin qui nous dit d’allumer les lumières pendant qui est encore temps.