lundi 1 mai 2017

Maintenir les faits alternatifs pour Anticosti c’est bien utile pour livrer des millions aux promoteurs.


Les faussetés devenues des « faits alternatifs » se multiplient depuis l’arrivé de Trump répète-t-on souvent. Elles bénéficient largement dans bien des cas de l’effet levier des médias qui les relaient sans l’examen critique sérieux qui serait de mise.

Les milliards de dollars d’un incroyable gisement de pétrole à Anticosti constituent un bel exemple de fausseté présentée comme un fait réel par les médias. Cette affaire qui est bien de chez nous, n’a rien à voir avec le phénomène Trump, car elle le précède.

Les promoteurs ont bien joué leurs cartes et le gouvernement a été roulé dans la farine ; c’est très facile de berner quelqu’un qui ne demande que ça de se laisser séduire par des fausses promesses. Plus le mensonge est gros, plus il fait la manchette et plus il a de chances de s’implanter comme fait alternatif.

Ainsi a-t-on vécu depuis 2011 une l’interminable suite d’articles de journaux traitant du pétrole d’Anticosti. À chaque occasion on reprenait les nombres faramineux à l’origine du psycho-drame : 43 milliards de barils ! 45 milliards de dollars de profits !  Certains*, vites en calcul, se sont même avancés à se dire : « Mais non, c’est plus que ça ! à 100$ /baril, il faut compter plus de 400 milliards de dollars  même avec seulement 10% du pactole.» « Le Québec n’a pas les moyens de se priver de cette manne ». Un beau très gros mensonge devenu une « vérité » à force d’avoir été relayé des centaines de fois.            *Institut Économique de Montréal


Peu de gens se sont préoccupés d’analyser si vraiment il y a sous l'île d'Anticosti du pétrole exploitable économiquement. On a plutôt érigé dès le départ une lutte à finir entre les pros et les contres. Les pros étant les promoteurs, le lobby, des fonctionnaires et des membres du gouvernement ayant pris les dires des lobbyistes pour du « cash ». Du côté des contres, il y avait des environnementalistes, des artistes et poètes défendant la beauté et les valeurs patrimoniales de l’île, mais aussi beaucoup de citoyens simplement préoccupés par l’avenir et les conséquences d’une exploitation irréfléchie des combustibles fossiles.

Il est beaucoup plus intéressant pour les médias de couvrir les moindres détails de ce débat entre les « verts » et les « $$$ », d’autant plus que la politique s’en est vite mêlé. Chaque déclaration venant d’un politicien à propos d’Anticosti a été systématiquement relayée par les médias, même quand manifestement le politicien en question était un parfait ignare dans ce type de dossier technique.

Il aurait été beaucoup plus terne (donc bien moins vendable comme contenu de média) de traiter de la question de fond : les paramètres techniques et économiques qui déterminent l’exploitabilité ou la non-exploitabilité du shale Macasty à Anticosti. Ça demanderait à ceux qui ont sauté pieds joints dans le débat, les pros comme les contres, de tenter de lire et comprendre les documents techniques et de faire la part des choses entre les documents produits par les promoteurs et d’autres plus indépendants. Ce n’est pas simple à faire, c’est drabe, ça fait de moins bons articles que de relater une bonne dispute entre écolos et chambres de commerce, ou encore entre deux députés assis de part et d’autre à l’Assemblée Nationale.

Nous sommes maintenant six ans plus tard ;  le gouvernement a finalement décrété qu’Anticosti devra oublier son développement pétrolier. Tant mieux, mais on ne s’est toujours pas intéressé à présenter le fait que le potentiel pétrolier n’a jamais existé ; c’était un à priori érigé en pseudo-vérité (vérité alternative inventée par les promoteurs). Le gouvernement continue sur le postulat qu’il existerait un gisement, mais qu’il y renonce pour des raisons environnementales, patrimoniales, etc. Ce sera peut-être très rentable politiquement de se donner cette image de vertu écologique. En même temps, on se garde bien d’aller au fond des choses, car la nouvelle solution trouvée va permettre de pouvoir contenter bien des amis.

À l’origine de la saga d’Anticosti, il y a une entente demeurée très longtemps secrète grâce à laquelle des promoteurs privés obtenaient de l’État et d’Hydro-Québec des titres miniers pour un prix dérisoire. Ensuite, l’État encore rachète à ces mêmes promoteurs, mais à très haut prix cette fois, une participation (35%) pour les mêmes droits miniers. Pauline Marois annonce juste avant la campagne électorale de 2014 la création d’une société Hydrocarbures Anticosti en même temps qu’un potentiel de 45G$ de revenus pour l’État. Le mythe est crée : il ne reste plus qu’à le nourrir pendant les trois années qui suivent.

Pour mettre fin à cette saga, le gouvernement n’a rien trouvé de mieux que d’annoncer la fin de l’exploration en même temps que d’émettre une déclaration pour dire que grâce aux surplus budgétaires obtenus aux coupures sauvages des années 2015 et 2016, il aurait les moyens de dédommager les promoteurs déçus.

Ce n’est pas du tout comme ça que cela devrait se passer, mais comme l’État est impliqué, tout se fera par calculs politiques plutôt qu’en fonction de faits strictement économiques.

Cela devrait se passer ainsi : des partenaires s’embarquent en 2014 dans une campagne d’exploration minière où rien n’est certain, où tout est hautement spéculatif. Trois ans plus tard, on fait le bilan des résultats les plus probants : on doit se rendre à l’évidence que le pétrole de shale à Anticosti n’a vraiment aucune possibilité économique, même en se projetant dans un futur lointain, même avec un prix au baril largement supérieur à 100$. Les permis ne valent donc plus rien. Chaque partenaire s’est engagé dans les conditions entendues en 2014 et chacun savait que c’était une aventure spéculative. Au final les contributions fournies pouvaient devenir une perte sèche. La contribution de Pétrolia et de Corridor étaient simplement de partager une partie des droits qu’ils détenaient ; Corridor de plus a négocié une compensation de 13,3M$.  L’entente étant là aussi secrète (ça fait bien des ententes secrètes pour des biens publics !), on ne peut préciser ici les motifs de cette compensation.  L’État (57,7%) et Maurel&Prom (43,3%) ont fourni 100% des vraies dépenses d’exploration ; Pétrolia et Corridor zéro %.

En décrétant un arrêt maintenant, en annonçant d’avance qu’on va compenser les détenteurs de permis pétroliers sur toute l’Île, le gouvernement annonce qu’il va livrer aux promoteurs des compensations pour des profits fictifs anticipés en 2014. C’est le mythe de l’exploitabilité économique d’un pseudo gisement à l’origine de la saga qui est ainsi maintenu comme vérité alternative jusqu’à la conclusion finale. Les promoteurs n’auront même pas à se salir les mains en réalisant des forages ; l’argent escompté va leur être livré directement en chèque signé Ministère des finances.

Les vérités alternatives ont donc un coût au Québec. Ce qui a été sans doute promis aux promoteurs en 2011 et 2014, au final leur sera livré, mais sous une autre forme. On leur avait vendu des droits à prix dérisoire (10¢/ha), on leur a livré toutes les autorisations, les lois et les règlements pour favoriser leurs actifs. Mais comme entretemps le vent politique a tourné, comme le premier ministre juge plus opportun de se déclarer protecteur d’Anticosti, on va quand même livrer aux promoteurs un généreux dédommagement. Pour justifier cela, il est nécessaire de garder le mythe du gisement rentable bien vivant. Pas question donc de mettre les projecteurs sur un bilan réel et objectif de la question du pétrole d’Anticosti, car cela indiquerait trop clairement qu’il est injustifié de compenser les promoteurs.


Quelques rappels

Pétrolia Inc. 
Société par action fondée
en 2002 par André Proulx
Siège social à Québec
Capitalisation en bourse
en date de la rédaction de
ce texte 26 avril 2017:  14,5M$.
La Caisse de Dépôt était un des actionnaires
importants de Pétrolia. Elle a récemment retiré ses billes.



Hydrocarbures Anticosti S.E.C. Société en commandite créée en 2014 et annoncé le 13 février 2014.

Superficie des permis détenus : 6196 km2

Montant annuel du coût des permis:  61 960$ (comme revenu pout l'État - cela ne paie même pas le coût du salaire d'un seul fonctionnaire au MERN ! )

La base du partenariat repose sur l’attribution fictive d’une valeur de 200 M$ à ces permis, soit environ 32 300$/km2  bien qu’ils n’aient été obtenus du gouvernement qu’au tarif annuel de 10$/km2 - l'État en rachète une partie à un tarif 3000 plus élevé que le tarif de cession initiale !
L’entente est secrète bien qu’elle implique l’injection de fonds majoritairement publics pour réaliser de l’exploration sur un territoire public (Anticosti). « La première phase d’exploration comprend des travaux de puits stratigraphiques (entre 15 et 18) en 2014 et 3 forages d’exploration avec fracturation en 2015 avec le projet de Pétrolia, Corridor Resources et Maurel & Prom. Pour l’entente avec Junex, il est question de 4 puits stratigraphiques en 2014 ainsi que de 3 puits d’exploration et de 2 puits horizontaux avec fracturation en 2015. »  Dans la réalité, il aura fallu deux ans pour réaliser 12 forages seulement ; les trois forages avec fracturation ont été retardés deux fois d’un an ; ils ne seront pas réalisés en 2017 et ne seront probablement jamais forés. C'est une filiale d'Investissement Québec, Ressources Québec, qui s'est engagé à injecter 56,6 millions de dollars dans une co-entreprise dont les partenaires sont Pétrolia, Corridor Resources et Maurel & Prom. L'accord prévoit également que Ressources Québec verse 13,3 millions de dollars à Corridor pour une participation additionnelle dans la co-entreprise.
N.B. La preuve que la valeur attribuée aux permis fut très grossièrement surestimée est que Junex qui détient en plus 944km2 dans la partie sud d’Anticosti, n’a jamais trouvé de partenaire privé disposé à accepter d’embarquer dans le financement d’une entente comparable sur la base d’une valeur de cet ordre (32 300$/km2). Et comble de l'hérésie, Junex qui n'a  pas participé à Hydrocarbures Anticosti se voit aussi grassement bénéficier pour l'annulation de l'exploration.

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Addendum du 22 juin 2017: Le journal Le Devoir du 21 juin a accepté une variante de ce texte dans sa sections "IDÉES"