dimanche 1 mai 2016

De la fracturation "à petite échelle"?

Après bien des hésitations (on y va - on y vas pas !) de notre premier ministre,  Pétrolia, l'opérateur désigné pour les opérations du consortium Hydrocarbures Anticosti, attend de recevoir sous peu les trois permis demandés pour trois forages avec fracturation qu'il souhaite faire cet été 2016, mais qui ne seront peut-être aussi achevés qu'à l'été 2017. J'ai écrit en mars dernier que ces trois permis seraient accordés, car les règles d'attribution ont été conçues justement en fonction des besoins de l'industrie pétrolière et des scénarios élaborés au gouvernement pour Anticosti.

On insiste au gouvernement pour dire que ces trois forages ne constitueront que des opérations limitées de fracturation; comme on disait au gouvernement en 2014 et 2015 que les forages d'exploration n'étaient pas des forages*, mais des "sondages stratigraphiques". On tentait ainsi de minimiser la nature réelle des opérations.

Qu'en est-il exactement de ces opérations de forages avec fracturation? Est-ce vraiment limité?  C'est l'objet de mon présent billet du mois.

La figure ci-dessous montre un bloc type de ce qui constitue une plate-forme de forage: dix forages implantés sur un même site qui permettraient d'aller couvrir en souterrain une superficie de 4 km2 (1,25 km x 3,2 km). Un forage seul s'étend horizontalement sur 1,6 km et il permet de couvrir 0,4 km2 (c'est-à-dire 400 000 m2).

Fig.1 Une plateforme de 10 puits et l'étendue couverte sous-terre.







Les trois forages seront implantés dans le shale Macasty, qui a une épaisseur estimée d'environ 60 mètres dans le site prévu pour le forage Jupiter HZ. Le volume de roc qui sera fracturé dans un seul forage déborde de part et d'autre de cette couche de 60 m. Les fractures s'étendront plus probablement sur 125 mètres au minimum. C'est à peu près la hauteur du plus haut édifice à Québec (33 étages à l'édifice Marie-Guyart: hauteur 132 m). 

Il est assez difficile de visualiser mentalement ce que représente le volume de roc fracturé par un seul forage. Il est donc plus pertinent d'en faire une représentation graphique en 3D qui respecte rigoureusement les dimensions données pour un forage unique. Pour rendre visible ce qui se situe sous terre, je vous présente ce modèle 3D sorti de terre.  Je le présente justement juxtaposé à l'édifice Marie-Guyart, au sommet duquel siège le ministère qui a émis ces trois permis de forage. La portion de terrain d'Anticosti (250 m x 1,6 km) est transportée et superposée sur les édifices du Vieux Québec, ainsi que le forage et sa zone de fracturation dans leurs dimensions réelles:

Fig.2  Un puits unique et le volume de roc fracturé sous-terre, comparé avec les édifices du Vieux-Québec -  Cliquez sur l'image pour voir l'animation. Il y aura trois fracturations de cette taille autorisées à Anticosti.


Le volume de roc fracturé variera avec l'extension réelle des fractures: entre 75 et 125 millions de mètres cubes à chacun des trois sites. Ce n'est pas réellement "une petite fracturation" comme on tente de le laisser entendre. De plus, c'est une modification irréversible du roc. Sa perméabilité est augmentée de plusieurs ordres de grandeur, ce qui rend possible la circulation des fluides: méthane, alcanes, composés gazeux ou liquides qui sont ainsi libérés du shale qui antérieurement les emprisonnait de façon étanche.

Que l'exploitation des hydrocarbures ait lieu ensuite, ou qu'on abandonne le tout sans exploiter, ne changera que très peu le problème qu'on va créer sur ces trois sites. Les trois forages avec fracturation sont là pour l'éternité; il est impossible de sceller de façon permanente les puits abandonnés. Les scellements et les puits auront une durée de vie technique après laquelle la corrosion fera son oeuvre. On va créer avec ces trois fracturations, trois sites problématiques et coûteux pour les générations futures. Il est extrêmement complexe de gérer les émissions de méthane dans des vieux puits corrodés. C'est encore plus complexe pour des gaz qui suivent des chemins inconnus loin de la tête des puits dans des zones des fractures du roc entre les portions profondes des forages et la surface du terrain.
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* Pas des forages vraiment? Les appels d'offres réfère pourtant à l'emploi de foreuses, opérés par des foreurs, pour pouvoir forer en profondeur jusqu'à la couche de shale, etc. Ce sont bel et bien des forages réalisés pour faire de l'échantillonnage visant à caractériser le roc recueilli par ces opérations de forage. Les raisons de l'introduction en novembre 2014 de l'appellation "sondage stratigraphique" étaient une manœuvre pour contrer une intervention du CQDE.

1 commentaire:

  1. Le 15 juin, après quelques délais ajoutés pour arriver à une annonce finale après la fin de la session parlementaire, un ensemble d'autorisations ont été accordées en bloc pour les trois sites. J'ai expliqué en quoi consistent ces autorisations dans un texte du 15 juin 2016 : http://bit.ly/23e9JlL

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