mercredi 1 novembre 2017

Changements de ministres: aurons-nous droit à un changement dans le dossier des hydrocarbures?

Nous avons eu droit en octobre  à deux changements de ministres dans le dossier des hydrocarbures : Pierre Moreau est maintenant aux commandes du MERN et Isabelle Melançon a été nommée ministre du Développement durable, de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC). Peut-on espérer une nouvelle orientation dans les dossiers de l’industrie extractive des hydrocarbures? Au MERN, Pierre Moreau a vite indiqué qu’il souhaite la poursuite du moratoire de facto sur les forages dans les Basses-Terres du St-Laurent. Par ailleurs, il s’interroge ouvertement sur le sort des permis déjà accordés. Ses plus récentes déclarations au congrès de l'APGQ  montrent qu’il n’a pas encore pris la mesure du contenu des règlements sur les hydrocarbures ; il n’a fait qu’ajouter à la confusion sur leur portée réelle, notamment sur la proximité des forages et des cours d’eau, car ses propos sont contredits par les dispositions mises de l’avant dans la loi.

Du côté du MDDELCC où plus de 300 municipalités contestent le règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection (RPEP), on a pas vraiment encore d’éléments clairs sur les intentions de la ministre Melançon.  Le premier ministre a quant à lui a laissé entendre en septembre dernier que les municipalités qui souhaiteraient exclure de leur territoire les forages pétroliers pourraient le faire.

Du côté des promoteurs et de ceux qui les financent, leur réaction au contenu de la loi 106 et des règlements qui l’accompagnent a été de reprendre des projets d’extraction du gaz et du pétrole. La législation leur a ouvert tout grande la porte à l’emploi des techniques de fracturation, ce qui a relancé la recherche de financement pour étudier un projet-pilote d’extraction du gaz de schiste. Les promoteurs comprennent bien la distinction entre les déclarations des ministres et le contenu réel des lois et règlements ; ils savent que des déclarations rassurantes mais peu précises sont requises pour maintenir dans les médias un nuage flou. Ils savent surtout que c’est uniquement le contenu précis des lois et des règlements qui importe pour autoriser leurs travaux et pour des contestations légales éventuellement.

D’autre part l’opposition populaire aux projets d’hydrocarbures ne faiblit pas ; elle s’est plutôt renforcée suite à des décisions récentes perçues comme des victoires pour son action : l’abandon de l’exploration pétrolière à Anticosti et l’abandon d’Énergie Est.  Ces pressions populaires ont un impact politique ; les ministres déclarent qu’ils constatent l’absence d’acceptabilité sociale pour les projets.

Comment concilier deux volontés bien opposées ? Comment régler ces questions en évitant le choix désastreux qui a été retenu pour mettre fin aux permis à Anticosti ? L’abolition des permis des Basses-Terres coûterait une fortune en raison du précédent créé à Anticosti. Ces permis ont été octroyés de façon totalement irréfléchie pendant l’ère Charest. Comment gérer cette situation de façon intelligente maintenant ?

Il y a une solution qui pourra s’imposer au gouvernement: l’interdiction totale et partout au Québec d’employer des techniques de fracturation dans l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures. Cela suppose un sérieux changement de cap dans la politique suivie jusqu’à maintenant, mais c’est tout à fait réalisable à court terme. Bien sur le gouvernement doit alors retirer de sa loi 106 et de ses règlements d’application toutes les dispositions qui se rapportent aux autorisations de fracturation.

L’interdiction de la fracturation aurait un impact indirect sur les permis d’exploration. Il n’est pas nécessaire de racheter les permis d’exploration d’hydrocarbures, car l’objectif de ces permis c’est de trouver des gisements de pétrole ou de gaz. Les permis comme tels ne portent aucune garantie quant aux techniques permises, ni quant au type de gisement visé par les permis d’exploration. Il n’y a donc aucun motif justifiant de compenser quiconque en retirant simplement l’emploi des techniques de fracturation.

Si la fracturation hydraulique n’est plus possible, l’intérêt pour conserver des permis d’hydrocarbures tombera de lui-même avec le temps. En effet, la possibilité de trouver des gisements conventionnels éventuellement rentables avec les seules techniques normales a toujours été très faible au Québec. C’est essentiellement l’arrivée de la fracturation hydraulique dans le décor qui a permis un certain regain d’intérêt pour l’exploration pétrolière au tournant des années 2008. Le gouvernement a de plus pris lui-même des participations dans des projets marginaux ; ces projets n’auraient pas connu de suite sans l’implication gouvernementale active. On ne pouvait envisager l’exploration/exploitation du shale d’Anticosti sans l’emploi de la fracturation hydraulique et sans l’injection massive de fonds publics dans l’exploration.

Ayant fait marche arrière dans le pétrole de schiste d’Anticosti, ayant maintenu un moratoire de facto dans les Basses-Terres, l’autre région où la possibilité d’extraction requiert obligatoirement la fracturation hydraulique, la suite logique, le pas suivant est l’interdiction de la fracturation, ce qui signifiera en pratique l’abandon pur et simple de l’exploration de gisements non conventionnels.

Les détenteurs de permis actuels pourront donc continuer à chercher des hydrocarbures, mais cela ne pourra être alors que des gisements conventionnels uniquement. Comme la possibilité d’en trouver est très marginale par rapport aux coûts d’exploration, le jeu n’en vaudra plus la peine. Il faudra aussi que le gouvernement hausse un peu plus les frais annuels des permis. Au tarif ridicule de 10¢/ha il en coûtait presque rien pour maintenir de vastes territoires sous la menace des titres miniers. En ramenant leurs coûts annuels à ce qui se fait de comparable ailleurs, les détenteurs actuels vont laisser tomber leurs permis à la fin de la période légale. Le gouvernement ne devra pas offrir à d’autres exploitants ces permis libérés, du moins là où il n’y a pas d’acceptabilité sociale pour l’exploration pétrolière et partout où les municipalités auront défini d’autres usages pour leur territoire.

N.B. Une version condensée de ce texte a été publiée dans Le Devoir le 14 novembre 2017