vendredi 25 février 2011

Exploitation de puits gaziers classiques vs exploitation par forages à grande extension horizontale et fracturation hydraulique

Pourquoi dans l’exploitation du gaz de shale ne peut-on extraire plus de 20 % du gaz présent et quel est la conséquence de ce fait ?  Pour y répondre de façon claire à partir des connaissances encore limitées que nous avons des impacts à long terme de la technique  de fracturation hydraulique dans des long forages horizontaux, nous allons analyser ici les différences les plus évidentes entre cette dernière méthode versus l’exploitation des gisements classiques.

Dans l'exploitation classique, les gisements gaziers sont trouvés dans des structures géologiques particulières : formation ou structure géologique présentant une grande porosité résultant de vides intergranulaires et/ou fractures naturelles intercommunicantes, le tout coiffé par une formation étanche qui emprisonne le sommet du réservoir, comme dans le schéma ci-dessous:


Figure 1   Schéma classique d’un gisement de gaz.

Ces concentrations créées par la nature ne sont pas simples à trouver; il faut faire une véritable exploration géologique, pour les localiser sur un grand territoire. En opposition, l'exploitation du gaz de schiste étendu n'a pas à explorer ainsi, car l'Utica par exemple est déjà cartographié par les services gouvernementaux. Revenons au gisement classique. Une fois découvert, les puits d'extraction atteignant le réservoir peuvent extraire la quasi totalité (>95%) du gaz du gisement. Le gaz est poussé vers le haut par l'eau (éventuellement présence d'hydrocarbures liquides entre l'eau et le gaz). Il est important de noter que ce gaz a TRÈS lentement migré depuis une roche mère (une roche sédimentaire qui peut être du shale par exemple) et s'est accumulé dans le réservoir naturel dans un processus qui a pris des centaines de milliers d'années et plus probablement des millions d'années. Pourquoi? Parce que les perméabilités des roches-mères de type shale ont des valeurs extrêmement faibles (10exp-6 m/s).
Dans la strate où le gaz s'est accumulé (en bleu et vert pâle de la figure 1), la porosité est significative (5 à 25%) et la perméabilité est couramment un million de fois plus élevée; en exploitant cette strate dans un gisement naturel, le gaz migre facilement vers le puits d'extraction. C'est pourquoi on estime qu'à un moment donné, la production du puits tombe presqu'à zéro. Le réservoir n'est pas vide à 100%, mais presque. 

C'est extrêmement dangereux de transposer cette image dans le cas des puits pour le gaz de schiste; dans ces cas là, la fracturation est immédiate et l'équilibre n'est pas atteint en fin d'exploitation. En plus, les étendues ne sont pas limitées à un gisement localisé, mais à toute une couche géologique qu'on transforme radicalement.
Dans le cas où on fracture artificiellement le shale gazier lui-même, la migration du gaz se fait sur une distance plus courte que la longue migration dans le cas précédent, mais ce n'est pas un processus instantané. À quelques mm du bord d'une fracture, le gaz s'échappe assez vite (figure ci-dessous), mais plus la distance augmente, plus il faut compter sur des temps géologiques pour que le processus de migration fasse dans ce nouveau shale ce qu'il a fait dans les migrations vers les réservoirs naturels. Avec une perméabilité de 10exp-12 cm/s par exemple même sous un gradient (i) élevé de 100, le temps requis pour parcoures quelques centimètres seulement se compte en siècles et même en millénaires (v = Kxi).  C’est ainsi que ça se passe dans les parties du shale resté intact entre les fractures. Mais en raison du fort gradient, la migration se fait tout de même.


Figure 2  Mécanisme de migration du gaz dans le shale au voisinage de nouvelles fractures ; vue métrique du shale à la fin de l’exploitation (3 à 5 ans ?).

L'exploitation par fracturation hydraulique donne ailleurs des courbes de décroissance logarithmique ou exponentielles comme le montre la figure ci-dessous inspirée de données obtenues pour divers shales aux USA:


Figure 3  Les courbes théoriques de débits d’exploitation du gaz de shale.

Le débit n'est intéressant commercialement que pour quelques années; mais après, c'est aberrant de dire qu'il n'y a plus de gaz et qu'on ferme le puits (dixit géologue de Talisman*). Il n'y a pas de débit zéro avant un temps = à l'Infini.

Surtout que L'Office National de l'Energie estime que la partie extraite pendant la période d'extraction commerciale, laisse en fait encore 80% du gaz dans le shale. Il n'y a rien pour stopper le processus amorcé. Il va se poursuivre sur des siècles et millénaires. Et les puits-bouchons n'auront pas cette durée de vie.  Il serait bien étonnant que l'industrie du gaz de schiste ait inventé dans les huit dernières années des structures qui résisteront des millénaires. La poursuite de la migration du gaz va lentement remettre les puits en pression. Après un temps d’ordre géologique, ça pourra même devenir, ce nouveau réseau de fractures, un gisement comparable à un gisement classique.

Les ingénieurs civils aimeraient bien depuis toujours avoir des techniques pour faire des viaducs et des ponts qui résistent plus de cinquante ans.  Voici que l'industrie du gaz, avec les mêmes matériaux, acier et ciment, veut nous convaincre qu'elle détient la recette pour que ces milliers de puits-bouchons résistent éternellement aux pressions croissantes dans ce grand réservoir d'Utica fracturé, sous nos pieds dans la plaine du St-Laurent.

Le cas des 31 puits déjà forés (ou 29 selon le rapport du BAPE)

Je suggère qu’on trouve rapidement un mode de gestion des puits déjà en place ; un peu plus de la moitié ont atteint l’étape de la fracturation hydraulique, ce qui réduit le nombre de cas à traiter à dix-huit puits. Mais cela constitue néanmoins autant de sites à gérer. La collectivité ne doit absolument pas hériter de cette tâche un jour. L’industrie gazière qui construit le forage doit en assurer la gestion future dans la très longue période qui suivra la fin de l’exploitation. La législation doit être revue dans le cas présent pour lier à jamais la responsabilité des puits à ceux qui les ont creusés.

Le gouvernement actuel a un penchant pour les projets clefs en main où le privé construit , exploite , entretient, etc. Ce mode de gestion doit être celui qui doit âtre appliqué aux trois dizaines de puits. Par un bail de 99 ans avec renouvellement obligatoire au bout d’un siècle, chacun des propriétaires de ces puits en aura la charge complète et devra être muni d’assurance et de garantie de solvabilité: être responsable de tout problème pouvant se manifester à long terme va changer la donne. L’industrie ne devrait pas rechigner trop devant cette obligation, car d’après ses prétentions (contraires à mon propre avis cependant) il n’y en a pas de problèmes. Je suis personnellement convaincu que ce seul changement s’il est imposable de façon rigoureuse, va suffire à stopper net tout autre activité, ici dans l’Utica.

L’idée d’obliger les constructeurs de puits pour 9 fois 99 ans peut paraître saugrenue au premier abord, mais je cite une source que l’industrie ne devrait pas contester : Halliburton. Sur les pages qui traitent des shales gaziers, on ne lit pas une ligne sur les risques à long terme.  Mais sur d’autres pages qui portent sur les CCS (Carbon Capture & Storage) on vante les techniques Halliburton d’auscultation et de réparation de puits vieillissants dans des cycles d’auscultation – réparation –retour à une phase d’auscultation, tout cela sur des siècles, voire des millénaires « The Post-Closure phase addresses post decommissioning—which has an extremely long time horizon of hundreds, if not thousands, of years. » Halliburton - Carbon Capture & Storage: Post-closure.
Ces puits qu’Halliburton indique devoir suivre des millénaires sont des puits moins risqués à priori que les puits avec extension horizontale et fracturation hydraulique : ce sont des puits verticaux connectant la surface à des stockages de CO2, moins problématiques que le méthane.  Les industries gazières n’ignorent pas les risques à long terme ; elle font seulement semblant que cela n’existe pas et qu’ils seront refilés en douce au domaine public. Aucune réglementation nulle part ne les oblige à les inclure dans leurs plans d’affaire. Elles savent aussi qu’il faut faire vite par contre, car cela risque de changer.


En conclusion

Il y a deux différences importantes entre le gaz de shale et le gisement de gaz classique et ces deux différences fournissent à elles seules les raisons fondamentales pour écarter totalement l’idée très peu réfléchie d’exploiter les gaz de schiste par la technique proposée actuellement :

1- La technique de fracturation hydraulique crée artificiellement un réseau de fractures interconnectées vers lequel le gaz se mets à migrer ; la technique amorce un processus d’écoulement du gaz dans le gisement, comme cela s’est fait dans les gisements classiques en centaines de milliers d’années, mais la technique ne peut aucunement accélérer ce processus géologique. La construction d’un puits et la fracturation sont réalisées en quelques semaines ; l’écoulement s’amorce et se poursuivra sur une échelle de temps géologique (>100 000ans). La durée du temps, avant qu’on ferme les puits quand le débit devient non rentable, ne représente qu’une infime portion de ce temps géologique.

2- Le forage de puits et la fracturation du massif est une opération totalement irréversible sans aucune solution technique pour remettre le massif de shale dans son état d’imperméabilité originale. Ces puits, obturés en fin d’exploitation commerciale, deviennent des conduits potentiels pour les fuites de gaz. Pour ces structures, comme toute structure faite d’acier et de béton**, on doit se poser la question fondamentale de leur durée de vie, de ce qui surviendra quand leur état de dégradation ne leur permettra plus de résister à la pression du gaz. La pression des gaz dans le réservoir va croître de façon lente mais continue d’une part et la dégradation des puits va aller croissant dans le temps d’autre part. Ces deux phénomènes vont se manifester dans le temps en surface par une montée en nombre et en débit des fuites de méthane. La gestion de ces ouvrages enfouis va coûter des sommes colossales.

** plus précisément de coulis de ciment dans le cas de puits et non de vrai béton ; le coulis est beaucoup moins résistant et durable que du vrai béton. Il est surtout, en raison des très nombreuses difficultés de mise en place correctement, beaucoup plus poreux et perméable.

jeudi 17 février 2011

Gaz de schiste – un plan d’affaire fortement dans le rouge

Suite à la publication sur La TOILE de mon texte « Gaz de schiste – quelques réflexions d’un ingénieur en génie géologique» *, j’ai reçu de nombreux commentaires, dont cette question de Claude Paré :

J'aimerais que Monsieur Durand éclaircisse deux points. Je sais qu'il a des connaissances sur le béton. - Quelle est selon lui la durée de vie d'un puits tel que construit par l'industrie. Si des failles apparaissent dans ces puits, peuvent-elles devenir des conduits pour les liquides et les gaz. - Les eaux salines et les eaux de fracturation enfouies dans le sous-sol peuvent-elles affaiblir le béton.

Je n'ai pas lu tous les mémoires présentés au BAPE, mais dans ceux que j’ai lus il n’y en a pas un seul qui pose ou qui traite de votre question, que je reformulerais ainsi : "Quelle est la durée de vie d'un puits - y compris son efficacité dans le temps à servir de "bouchon" sur le forage jusqu'à la fin des temps... et qu'advient-il quand la partie souterraine du puits perd son efficacité suite à la corrosion et autres dégradations ?"

Il y a forcément une échéance; celle-ci est plus longue pour des ouvrages inspectés et entretenus et plus courte pour des ouvrages temporaires; tous les ingénieurs connaissent cette donnée fondamentale ; par exemple le devis pour stabiliser et recouvrir la voûte d’un tunnel de métro n’est pas le même que pour une galerie temporaire dans une mine. Dans le cas du métro, on n’a pas le choix de construire très solide et durable, en plus d’ajouter un programme d’inspection et d’entretien pour toute la durée d’utilisation. On l’a vu récemment avec les viaducs et les ponts; arrivés en fin de vie et avant de préférence, on doit les démolir et les reconstruire à neuf. On ne doit pas prendre de chances de voir un ouvrage dépasser la fin de vie de sa structure. Certains ponts avec un bon entretien durent des siècles ; d’autres mal adaptés à l’usage et aux conditions d’exposition ont une fin de vie après un demi-siècle seulement. Pour un bâtiment temporaire ou encore un ouvrage où l’homme n’a pas accès, la sécurité et la durée de vie sont conçues avec des critères de construction bien moindre.

Tout ce que l’on connaît sur les puits de gaz de schiste, c'est que ce sont des ouvrages dont le design est optimisé pour une durée de vie très courte: les années d'exploitation du puits. Après on bouche (le terme anglais est plus descriptif : cementing), on enterre le sommet de la structure et on revégétalise le site (mémoire de l'APGQ). Il n'y a pratiquement rien de publié pour répondre à l’interrogation de M. Paré, sur la durée de vie de la structure souterraine. Pourtant la question est primordiale, car pour 20 000 puits qui arriveront un jour en fin de vie, et qui seront juste "masqués" avant d'être légués à la géographie locale, il en coûtera combien par année dans 20 ou 30 ans? C’est le silence total sur cette question, car de tout temps dans le domaine minier et pétrolier, ce qui advient des forages n’a jamais été une préoccupation. L’industrie n’a jamais prévu dépenser un dollar pour ça ; les législations les plus récentes dans le monde ne créent des obligations que pour la réhabilitation des sites à la fin de l’exploitation. On oblige les compagnies à prévoir la remise en état de la surface des sites, mais à peu près rien pour ce qui est enfoui.  

Des forages qui sont arrivés en fin de vie, qui sont devenus dangereux, d’autant plus qu’on avait oublié leur emplacement, ayant été juste masqués dans le paysage de surface, il y en a des milliers. Aux USA on rapporte de plus en plus de victimes d’explosion en raison des gaz qui remontent par ces vieux forages. Dans la majorité des cas, il s’agit d’anciens forages d’exploration (Appalaches, Colorado) datant du début du siècle dernier. Le problème va prendre une tout autre ampleur d’ici peu, avec la fin de vie des puits de gaz dans des strates ayant subi une intense modification par le technique de la fracturation hydraulique. La technique nouvellement appliquée à grande échelle va laisser à l’abandon des milliers de forages sous les zones habitées, sans que rien ne soit prévu quant aux impacts qui vont surgir en fin de vie des ouvrages.

Précisons ce que nous entendons par fin de vie d’un puits de gaz de schiste.  L’ouvrage comme puits d’extraction a une vie de 3 à 5 ans. C’est un dispositif optimisé pour extraire du gaz le plus rapidement et au meilleur coût. Le débit que livre le shale nouvellement fracturé est très élevé au début, puis il diminue de façon logarithmique ou exponentielle. On abandonne le puits sous un débit jugé non rentable ; à cette étape environ 20% du gaz en place est capté. Dans les réservoirs de gaz classique, jusqu’à 95 % du gaz naturel peut être récupéré « Dans le cas des schistes, on s’attend à un taux de récupération de 20 % en raison de la faible perméabilité et en dépit du forage horizontal haute densité et du recours intensif à la fracturation hydraulique » Office National de l’Énergie:   L’ABC du gaz de schistes 

À la fin de cette période on transforme sommairement le puits d’extraction en un autre type d’ouvrage, qui a pour unique fonction de stopper le débit du gaz dans le puits. Par des obturateurs, des ciments bouchant le tubage, etc. on doit transformer un ouvrage temporaire d’extraction en ouvrage permanent visant une fonction bien différente. Dans la réalité, pratiquement rien ne change dans la structure et la composition du puits, sauf le rajout d’un bouchon permanent. Quelque soit le design du bouchon, le nouvel ouvrage, appelons-le puits-bouchant, ne peut avoir une durée de vie drastiquement modifiée. Pourtant ces bouchons devront résister à perpétuité à la pression du méthane qui va continuer à se libérer du shale fracturé.  N’oublions pas que 80% du gaz demeure dans le shale à la fin de l’extraction.  

Sous la plaine habitée, l'Utica sera devenu un réservoir extrêmement perméable, contenant toujours ce qui reste de méthane après l'écrémage (20%). Cet énorme volume, 100 m d’épaisseur x 10000 Km2 sera relié directement à la surface par 20 000 puits en lente corrosion ; les tubages d’acier et les coulis d’obturation en présence d'un milieu très salin vont se dégrader. Cela pourra se faire à des vitesses variables d’un puits à l’autre, selon la qualité de la mise en place des forages, tubage et coulis, etc. La durée de vie de chacun de ces puits, c’est le temps avant que la dégradation soit telle que des fuites majeures obligent les autorités à intervenir. Forcément à partir de là il y aura un coût. Ce coût peut apparaître très tôt dans le processus pour certains puits, comme on le constate au Québec sur des puits pour lesquels l’exploitation n’est même pas commencée ; mais en ce moment, c’est à la charge de l’industrie qui est propriétaire du puits. Ça montre que des fuites ça existe, même sur un puits tout neuf.

La figure 1 rassemble les divers chemins que le gaz peut suivre pour atteindre les nappes en surface et les puits d’eau potable (p). Les lettres en bleu clair (A,B,C) montrent les circulations dans un cas où le forage recoupe une faille ou une fracture de grande extension. Cette occurrence pourra arriver dans une proportion des puits qui reste difficile à estimer, car la cartographie géologique détaillée n’est pas vraiment disponible sous les dépôts meubles dans les Basses-Terres du St-Laurent.  

Divers chemins possibles pour des fuites de méthane vers la surface. À gauche, un puits, au bas le shale d'Utica fracturé et à droite la ligne rouge est une faille.

Dès qu’il y a présence d’une telle discontinuité, le liquide injecté ouvre cette voie et pénètre très loin (A) dans les strates du Lorraine. La circulation est ouverte dès lors en permanence pour continuer dans les lentilles de grès et les autres couches plus perméables. Des fuites de gaz se manifesteront dans les puits artésiens et les habitations qui se situent à proximité de la faille. À noter que le fluide de fracturation ouvre aussi beaucoup plus loin que prévu la discontinuité dans les strates calcaires sous-jacentes (A’). Le Trenton est plus perméable que le shale et il contient des eaux de très grande salinité. Une voie est donc aussi ouverte pour des contaminations salines. Certaines analyses d’eaux de forage indiquent que déjà ce type de problème a probablement déjà été rencontré dans les premiers puits.  

Entre le tubage et le roc foré, et entre le tubage de production et le tubage de protection, la qualité de mise en place du coulis peut avoir laissé des vides ; des fractures annulaires peuvent aussi se former pendant l’utilisation intensive du puits (L).  C’est là une origine possible des fuites de gaz qui surviennent dans le puits même (E et K).

En plus de ces possibilités de fuites, il y aura en fin de vie des puits, probablement entre deux et cinq décennies après la fin des opérations, des fuites plus généralisées qui vont survenir progressivement dans une proportion grandissante des puits abandonnés. Les causes premières seront :1- la dégradation des aciers et ciments de colmatage 2- la pression du gaz qui va lentement certes, mais sûrement faire de plus en plus pression sur ces ouvrages-bouchons 3- le rééquilibrage des pressions (plus précisément l’état des contraintes) dans le roc fracturé va lentement se réajuster, cisaillant ou déformant localement des sections de tubage. Des strates dans l’Utica tendent à gonfler à l’air libre ; la même propriété en profondeur va tendre à fluer et à refermer un peu avec le temps les fractures ouvertes. Le massif va donc ainsi évoluer vers une diminution de sa perméabilité ; mais ça ne sera pas suffisant pour le ramener à son imperméabilité initiale. Ces micro-ruptures vont au contraire contribuer à libérer encore plus de méthane dans le temps.  

On a affaire ici à des structures qui se dégraderont en milieu de salinité extrême, loin dans le substratum de toute possibilité d’inspection et d’entretien, dans un milieu transformé par les opérations de fracturation hydraulique. Les circulations de fluides, eaux salines et méthane vont s’en trouver modifiées. Toutes les structures reliant la surface à l’Utica transformé vont tôt ou tard atteindre un degré de décomposition avancé. Les puits atteindront un état où leur fonction comme puits-bouchants ne sera plus opérationnelle. Ça veut dire quoi en clair : des méga problèmes à chacun de ces puits, des moyens de mitigation à mettre en place, des études complexes à entreprendre pour tenter de trouver une solution, des commission du BAPE pour chaque site ? voir mon analyse du cas de Mercier dans mon texte précédent*. Il y en aura beaucoup sur les 20 000; peut-être entre 250 et 500 nouveaux cas par décennie dans une génération. Des milliards à prévoir dans le budget du Québec.

Si on gardait à perpétuité les têtes de puits accessibles plutôt que de restaurer les sites on aurait déjà une tâche moins complexe, car on pourrait ausculter et voir venir la catastrophe, mais personne ne propose ça nulle part. On indique qu’on devra « restaurer le site » à la fin de l’extraction. En fait ça veut juste dire enterrer le problème et l’oublier jusqu’à ce qui nous éclate en plein visage. Trouver une solution à ce problème à ce moment là sera une tâche impossible à réaliser, tout comme il est impossible d’effacer un puits. Le trou reste là, même si on essaie de le boucher avec autre chose ; cet autre chose n’aura jamais les propriétés du shale intact qu’on a foré et fracturé. Le shale d’Utica a conservé le gaz pendant plus de 450 000 000 ans. Toutes nos techniques présentes et futures n’arriveront jamais à faire aussi bien.

Figure 2 : Plan d’affaire incluant un schéma de la durée de vie des puits.

La figure 2 ci-dessus montre les revenus et dépenses pour le Québec dans son entité globale, c’est-à-dire toute la collectivité. Le plan d’affaire de l’industrie gazière s’arrête avec les étapes 1 et 2 ; il prend fin avec l’arrêt de l’exploitation et le temps requis pour restaurer les terrains en surface. Pendant la première étape (EXPLORATION), la collectivité reçoit chaque année des revenus modestes par le paiement des permis d’exploration, par ex : 10¢/hectare + $100/puits foré. Le Québec a par contre des coûts d’analyse, de surveillance, de déplacement d’inspecteurs, etc. C’est très certainement un bilan négatif à cette étape pour la collectivité. Pendant l’exploitation, les dépenses de surveillance et autres continuent, mais elles sont largement compensées par le paiement de redevances sur le gaz extrait. À la fin de l’exploitation, les compagnies gazières, cessent de payer les redevances. Elles peuvent cesser également de payer le coût des droits miniers, ce qu’elles auront intérêt à faire; la pleine propriété du gisement de gaz retourne au gouvernement. Le diagramme indique que la durée de vie des structures-bouchantes reste une inconnue, mais à la question de savoir si il y a une durée de vie: c’est oui sans hésiter. Dans le plan d’affaire actuel, si on se fie aux enseignements du passé, c’est la collectivité qui va assumer les coûts qui vont apparaître fatalement un jour ou l’autre.

Les puits-bouchants ne vont pas avoir tous le même durée de vie. Pour un petit nombre, la détérioration va se manifester assez tôt, le gros du peloton plus tardivement et un dernier lot ne pourrait miraculeusement ne présenter aucun signe pendant des générations. Globalement les coûts pourront apparaître tôt, avec une courbe s’amplifiant sans cesse, surtout vers le temps qui correspondra à la durée de vie moyenne des ouvrages (figure 2).

Quels qu’en soient les paramètres, le plan d’affaire de Gaz-Québec Inc, c’est-à-dire nous la collectivité dans ce dossier, sera une opération fortement déficitaire. Un seul gagnant: les compagnies gazières qui nous auront passé un beau sapin ; c’est le nom officiel des têtes de puits (Christmas tree) et ce n’est pas par hasard ; c’est un signe du destin qui nous dit d’allumer les lumières pendant qui est encore temps.