mercredi 1 mars 2017

L'accès à l'information environnementale

Mon billet de ce mois-ci vise à souligner et à rendre hommage à tous les citoyens qui consacrent temps et énergie à suppléer aux manques flagrants de nos gouvernants en ce qui a trait à la protection de l’environnement. Cet environnement est ce que nous léguons à nos enfants et petits enfants, ce qui nous donne une motivation très importante pour nous y investir autant.

Les présentations récentes des lois 106 (hydrocarbures) et 102 (réforme de la Loi sur la qualité de l’environnement) ont suscité des actions de mobilisation. Nous avons aussi réagi aux règlements promulgués pour régir les modalités d’application de ces textes de loi, dont le Règlement sur le pétrole, le gaz naturel et les réservoirs souterrains et le RPEP (Règlement sur le Prélèvement des Eaux et leur Protection).

Le RPEP a été passé en catimini pendant les vacances de l’été 2014. De plus en plus de municipalités s’y opposent. Les maires ont demandé à rencontrer les responsables de ce texte de règlement au MDDELCC; ils étaient accompagnés d’un comité ad hoc de quelques spécialistes des questions relatives à la protection des nappes d’eau. Les hauts fonctionnaires se sont limités à une écoute polie, mais ils sont restés sur la conviction de tenir eux seuls la vérité scientifique. Il est devenu manifeste lors des discussions que leurs assises scientifiques reposent sur des arguments qui se retrouvent essentiellement dans les  points de vue des promoteurs. Les maires et leurs experts défendent les nappes phréatiques alors les hauts fonctionnaires du MDDELCC défendent leur position avec les mêmes arguments qu’on retrouve dans les textes du lobby industriel (lobby pétrolier dans le cas de la loi 106 et du RPEP). C'est un peu le monde à l'envers: au ministère de l'environnement leurs experts défendent l'industrie et les maires défendent l'environnement.

L'opposition au RPEP tient beaucoup au fait que c'est par ce règlement que le gouvernement a introduit les dispositions pour autoriser la fracturation hydraulique au Québec. Cela s'est fait par le moyen d'un simple règlement, donc sans analyse et discussion par les élus du parlement. Les députés ont failli avoir une occasion d'en discuter sérieusement lors de l'examen de la loi 106 en commission parlementaire, mais ils ne se sont pas rendus plus loin que l’article 25 (sur 269 articles dans la loi 106). Le bâillon gouvernemental a mis fin brutalement à l'analyse de la loi sur les hydrocarbures en décembre 2016. Il n'y avait là qu'une fausse urgence, car la loi 106 n'est toujours pas promulguée en date d’aujourd’hui 1er mars 2017.

Le Regroupement Vigilance Hydrocarbures du Québec vient de mettre en œuvre un vaste programme d'opposition au RPEP.  Il est très difficile de faire entendre raison à un gouvernement, sauf en passant par une vaste mobilisation des citoyens.

Ces démarches demandent beaucoup de temps et d'énergie pour faire un travail qui devrait en réalité être fait par les élus et par les fonctionnaires dont c'est justement le rôle de prendre à coeur l'intérêt des citoyens. C'est souvent déprimant de constater en analysant les textes de loi et des règlements, que la réalité est toute autre.

Ces actions de mobilisation ont parfois porté fruit ; il faut souligner le cas récent du revirement significatif du ministre D. Heurtel le 21 février pour son projet de loi 102.  Le 9 février 2017 une lettre collective a été envoyée au premier ministre au sujet de la réforme présentée pour la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE). Le Centre Québécois du droit de l’Environnement (CQDE) avait présenté un important mémoire en novembre 2016.  Cette action patiente et soutenue du CQDE et d’autres groupes a porté fruit comme en témoigne le revirement du 21 février 2017. C’est une victoire à souligner. Elle implique la transparence dans la diffusion des documents déposés au gouvernement pour des demandes de permis notamment.

Sera-t-il vraiment possible à l'avenir d'avoir un accès aux documents déposés à l'appui des demandes d'autorisation? Il faudra voir à l'usage, quelles directives les fonctionnaires feront dans l'application des articles de loi. Il y a tant de moyens de contourner les bonnes intentions exprimées; deux exemples  auxquels je me suis buté:
1- Les rapports des forages des puits d'exploration étaient été mis en ligne sur le site SIGPEG. En 2014 juste à temps pour les travaux de forage à Anticosti, le gouvernement change l'appellation: ils deviennent des "sondages stratigraphiques" ce qui a pour résultat de soustraire tous ces rapports du domaine public. Les rapports de forage d'avant 2014 devenaient publics trois ans après les travaux; maintenant par un simple changement de définition, il n'y a plus aucun accès aux rapports de forages renommés "sondages stratigraphiques".
2- J'ai demandé au MERN les documents relatifs à la complétion (fracturation en termes clairs) des puits datant de 2010. Pour cela il faut passer par la loi d'accès à l'information; c'est une avocate du MERN qui répond après un long délai étiré au maximum: "Nous avons le regret de vous informer que nous ne pouvons vous transmettre le rapport détenu par le ministère ... protection des renseignements personnels (RLRQ, chap. A-2.1) etc.".  Est-il normal d'interpréter ainsi la loi alors que ce qui est en cause est le rapport de fracturation du substratum rocheux qui appartient à l'État? Le détenteur, Talisman* à l'époque, du permis pour le gaz de schiste a fait des modifications irréversibles par des travaux de fracturation dans un milieu qui appartient à la collectivité. Il ne possédait que des droits de durée limitée, concédés par l'État, pour les hydrocarbures emprisonnés dans le schiste. Les citoyens forment la collectivité propriétaire de ce milieu et de cette ressource;  les citoyens devraient pouvoir connaître les modifications que ce milieu a subies. Le gouvernement étire l'élastique de loi au maximum en invoquant la protection de renseignements personnels pour protéger en fait des intérêts de petits groupes industriels privés.  


Les lois sont énoncées pour des principes louables en soi. L'application concrète, voire le détournement de ces principes pour favoriser des gros intérêts d'un bien petit nombre, c'est hélas ce qu'on constate concrètement dans le dossier des hydrocarbures. 

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* Talisman Energy Inc. a été acquise par l'espagnole Repsol en 2015. Depuis le 1/01/2016, la cie se nomme Repsol Oil & Gas Canada Inc. En fin d'année 2012, Talisman avait déjà radié de ses actifs les puits  forés et fracturés au Québec, mais ces installations et leurs fuites sont encore présentes.