mercredi 22 février 2023

La poursuite Lone Pine VS Canada - décision finale rendue

La justice est lente, mais elle est arrivée à donner un résultat satisfaisant dans le cas d'une poursuite consécutive à une loi du Québec entrée en vigueur en juin 2011.

En 2011 Junex détenait quatre permis d'exploration d'hydrocarbures le long du fleuve St-Laurent. Pour cette exploration, Junex a fait des ententes avec l'albertaine Canadian Forest Oil, qui deviendra peu après (septembre 2011) Lone Pine Ressources Inc. 

Les quatre permis détenus par Junex en 2011  (image tirée de Affaires mondiales Canada).


L'Assemblée Nationale du Québec adopte la loi 18 qui entre en vigueur le 13 juin 2011 "Loi limitant les activités pétrolières et gazières". Ce texte de loi constitue un modèle de concision et de précision; il ne comporte que cinq articles. Ils ont pour but de révoquer la portion des permis d'exploration qui se situent sous le fleuve St-Laurent et les îles qu'il comporte.

L'article 4 précise qu'il n'y aura "aucune indemnité de la part de l'État". Ce seul petit article revêt une importance capitale.

Évidemment, l'industrie pétrolière et les détenteurs de permis ont menacé l'État de poursuites. Leur contestation choisit de prendre un moyen indirect pour lutter contre la disposition de révocation de permis sans compensation. Lone Pine Resources Inc est une entreprise dont le siège social est en Alberta et ses activités sont au Canada. En raison d'avantages divers, cette entité (LPRI) est cependant enregistrée au Delaware. LPRI lance en février 2015 une poursuite devant le tribunal d'arbitrage de l'ALENA contre le Canada en espérant avoir un bon angle d'attaque en passant par les dispositions du chapitre 11 de l'ALENA, 

Le 21 novembre 2022, le tribunal d'arbitrage rend finalement sa décision. La poursuite de 118,9M U$ est rejetée. L'État n'a pas de compensations à payer pour l'annulation de permis d'exploration d'hydrocarbures, car la loi qui abroge les permis d'exploration n'est pas arbitraire. Le tribunal reconnait que la loi a été votée pour le respect du bien public et de l'environnement. C'est un précédent remarquable qu'aurait pu suivre le gouvernement du Québec à Anticosti, ainsi que plus récemment lors de sa décision d'offrir des compensations pour l'abrogation des permis. Le gouvernement a offert et donné des dizaines de millions de dollars pour des compensations qui sont injustifiées

Le principal motif invoqué par les requérants pour justifier leurs demandes monétaires faramineuses étaient reliés à la "perte de profits anticipés" pour l'extraction du gaz ou du pétrole. On peut également penser que les poursuites, et même les simples menaces de poursuites de ce type, visaient surtout à empêcher les gouvernements d'introduire des lois limitant l'activité de l'industrie extractive. Tout cela s'est déroulé entre 2011 et 2022 avec une très intense activité de lobby auprès des ministères, tant à Québec qu'à Ottawa. À certains moments ce lobby a réussi à influencer très efficacement les gouvernements. Par contre ces derniers ont eu aussi affaire à une opposition citoyenne de mieux en mieux informée. Les gouvernements ont eu des valses hésitations d'un côté et de l'autre. La longue suite des décisions des ministres guidés par leur cohorte de hauts fonctionnaires* dans le dossier hydrocarbures montre un manque de cohérence flagrant. Il en a résulté un bilan très lourd en gaspillage inutile de fonds publics. Lorsqu'on compare la loi 18 de 2011 et celle plus récente d'avril 2022, on constate ce manque de cohérence dans la politique des indemnités.

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* Des "experts" au MERN et MELCC ont utilisé les portes tournantes, passant du gouvernement au lobby, etc.  Dans les documents annexés à la poursuite de LPRI, il y a vers la fin de la liasse un document daté du 8 novembre 2012. Il contient des détails assez intriguants sur le rôle qu'aurait joué des hauts fonctionnaires (MM Sauvé e t J-Y Laliberté du MERN), du moins des promesses assez favorables faites à Junex et LPRI (voir p. 12 du document intitulé "Notice of intention to submit to Arbitration under chapter eleven of the North Americam Free Trade Agrement").

Le centre Québécois du Droit de l'Environnement (CQDE) avait obtenu le 10 septembre 2017 la permission de déposer un mémoire à titre d'ami de la Cour.