jeudi 3 février 2022

Des compensations pour l'arrêt de l'exploration des hydrocarbures au Québec ?

Pas de compensations justifiables

Dans l’étude du projet de loi 21 pour l’abolition des licences d’exploration d’hydrocarbures au Québec, surgira la question des compensations à verser aux détenteurs de ces permis. On mentionne déjà le remboursement des dépenses d’exploration encourues. Est-ce logique? Les détenteurs vont aussi réclamer des sommes pour des profits anticipés; dans ce dernier cas, il faut fermer fermement la porte à ce type de demande, car le potentiel exploitable de l’Utica est maintenant établi comme nul. Il n’y aurait pas eu de profits dans un pseudo gisement qui s’est avéré non exploitable dès la fin des premiers travaux d’exploration.


Reste donc la question de la valeur des permis. Est-ce qu’un permis d’exploration qu’on rachète a comme valeur les dépenses encourues par son ancien détenteur ? La réponse est NON; un permis d’exploration a au départ une valeur très incertaine et hautement spéculative. Elle monte si l’exploration fait une découverte commerciale; elle tombe à zéro si les conditions d’exploitation rendent toute extraction commercialement non viable. Pour l’Utica, c’est le deuxième cas qui s’applique. Aucun acheteur de permis n’investira un cent pour un pseudo gisement maintenant reconnu non exploitable. L’exploration minière comme l’exploration pour les hydrocarbures est constituée d’une longue suite de nombreux échecs, où les dépenses à perte d’exploration en divers 'prospects' sont compensées par les autres cas, plus rares, où un gisement rentable est finalement trouvé.


La valeur d’un billet de loterie est au départ son coût d’achat; ensuite une fois les résultats connus, cette valeur grimpe en flèche, ou tombe à zéro. Dans l’exploration géologique, ce changement de valeur n’est pas aussi instantané, car l’exploration se fait sur des années; mais il y a là aussi au final plus de cas perdants que de cas gagnants. Les travaux d’exploration ont finalement démontré que le potentiel n’était pas suffisant pour rendre le gisement Utica exploitable. Je crois que tous les investisseurs connaissent et acceptent au départ les règles du jeu. Cela a toujours été ainsi dans le domaine minier, ainsi que dans le secteur des hydrocarbures, qu'on a prospecté au Québec depuis plus d'un siècle, sans grand succès d'ailleurs à part deux petits gisements de gaz exploités quelques années à St-Flavien et à Pointe-du-Lac.


Divers autres facteurs s’ajoutaient à cette démarche spéculative entreprise entre 2007 et 2010: le contexte d’un potentiel gisement en plein milieu de la zone densément habitée du Québec. On devait savoir qu’une politique extractive controversée était encore à établir, que des renversements étaient possibles, ce qui ajoutait une dimension politique aux investissements spéculatifs. Pour toutes ces raisons, le gouvernement ne devrait pas verser un cent de compensation. Il a le plein droit et le devoir de mettre fin au potentiel spéculatif de l’extraction d’hydrocarbures ici.


Les permis ont cependant conservé dans le milieu une valeur fictive, mais qui n’a rien à voir avec le potentiel réel d’un pseudo gisement; il s’agit de les garder ou de les racheter avec la seule perspective de tenter de négocier des compensations auprès d’un gouvernement naïf ou complaisant. Le gouvernement a déjà créé un précédent en payant pour annuler les permis à Anticosti. C’était une grave erreur, mais elle fournit maintenant une valeur spéculative à des permis qui autrement ne vaudraient plus un cent.


 

Des compensations malgré tout ?


Dans le cas où le gouvernement souhaiterait malgré tout compenser l’annulation des permis pour ainsi se donner une image respectable auprès de l’industrie, je tiens à lui rappeler que les dépenses d’exploration qu’il s’apprête à rembourser généreusement ont déjà fait l’objet de compensations gouvernementales bien généreuses.


Lors de la 2e Conférence de l’APGQ en octobre 2010, il y a eu des présentations qui toutes tendaient à démontrer un avenir radieux pour l’exploration pétrole et gaz au Québec. Une de ces présentations comparait les divers contextes économiques et fiscaux des dépenses d’explorations dans les principales régions où cette industrie démarrait : Les shales Barnett et Eagleford au Texas, le gisement Haynesville en Louisianne, le shale Marcellus en Pennsylvanie, et finalement le potentiel gisement Utica au Québec.


Pour bien vanter le « grand potentiel » d’investir en exploration dans l’Utica au Québec, la présentation utilisait une étude comparative produite par la firme spécialisée et reconnue dans ces questions : RossSmith Energy Group Ltd. – Shale Plays : State of the Industry. Comme à l’époque, il n’y avait pas encore de données sur la production potentielle dans l’Utica, l’étude comparait les contextes économiques : redevances, avantages fiscaux, subventions etc. C’est dans l’Utica du Québec que se trouvait le meilleur contexte fiscal pour un excellent retour sur l’investissement (102,5%).





















Les avantages combinés des subventions, avantages fiscaux à l’industrie d’exploration venant de deux gouvernements (Québec et Ottawa) ont constitué un incitatif certain pour les dépenses d’exploration au Québec. Ce ne sont donc pas les dépenses brutes d’exploration qu’il faut examiner pour un calcul de compensations éventuelles. Ces dépenses peuvent avoir déjà été partiellement compensées par les gouvernements (i.e. nous les contribuables). Il ne faudrait surtout pas payer deux fois ce qui a déjà été donné sous forme d’avantages fiscaux divers.

Le financement public des travaux de fermeture des puits

Le gouvernement prévoit très généreusement payer 75% du coût de la fermeture "définitive" des puits. Je commente tout de suite l'expression fermeture définitive des puits. La réglementation prévoit depuis longtemps l'obligation de fermeture définitive des puits; on précise fermeture définitive, car la loi permet aussi un autre type de fermeture: il y a fermeture temporaire quand l'exploitant se garde la possibilité de revenir exploiter un puits. À la fin des activités, c'est la fermeture appelée définitive que l'exploitant doit exécuter; la loi a toujours prévu de tout temps que ces fermetures sont aux frais de l'exploitant. Il n'a jamais été question qu'un exploitant qui ferme un puits puisse le faire en ne payant que 25% des couts.

Le mot définitif maintenant: ce n'est pas parce qu'un puits est fermé définitivement qu'il n'y aura plus problème et pas d'autres couts. L'Alberta jongle actuellement avec cette question, qui était passée sous le radar depuis des décennies. Ses centaines de milliers de puits "fermés", "fermés définitivement", "inactifs", "orphelins", commenceront à peser très lourd dans le budget de la province. Le gouvernement fédéral vient d'accorder une aide de plus d'un milliard pour démarrer l'indispensable campagne de gestion. Ce n'est qu'un timide début, car on en est encore à l'étape d'inventorier, de classer est de "nettoyer" une petite portion de ces puits. Le budget de 1,7 G$ pour l'Alberta, la Saskatchewan et la Colombie Britannique ne s'adresse pour l'instant qu'aux quelques milliers des puits les plus problématiques. Les autorités ont publié deux estimés pour l'ensemble des puits 300000 puits albertains qui se chiffrent plutôt entre 58,7G$ (Alberta Energy Regulator) et 70G$ (Alberta Liabilities Disclosure Project).


La valeur négative des puits existants

Les sites miniers abandonnés sont inscrits au passif du Québec; l'estimé conservateur et encore incomplet chiffrait cette valeur négative à 1,2G$ en 2019. Le Québec n'a pas encore fait d'évaluation comptable comparable pour les puits d'exploration de pétrole et gaz. Mon précédent billet traitait du coût des puits abandonnés dans l'Ouest canadien; il y en a aussi au Québec, en moins grand nombre heureusement. Les plus problématiques sont les 18 puits où les exploitants ont effectué de la fracturation hydraulique dans le shale d'Utica. Il y en a plusieurs centaines d'autres où des travaux correctifs seront requis pour colmater des fuites de gaz. Ces travaux d'obturation auront eux-mêmes une durée de vie limitée; la gestion des puits abandonnés, c'est un travail de suivi et de travaux correctifs à reprendre périodiquement sur une très longue période encore indéfinie. Le rapport du Conseil des Académies Canadiennes sur la question indique ceci: « This raises the possibility of needing to monitor wells in perpetuity because, even after leaky older wells are repaired, deterioration of the cement repair itself may occur » (CAC 2014, p.193).

Fermeture définitive ne signifie pas la fin des ennuis. Tous les puits conservent une valeur négative léguée aux prochaines générations. Il n'y a pas d'estimé encore de cette valeur négative, mais je propose l'estimé ci-dessous:
- Le Québec ne compte que 800 puits, soit 437 fois moins qu'en Alberta (i.e.  0,23%)
- Au prorata de l'estimé albertain (70G$), on arrive à une valeur de passif de 160,000,000$.

Avant de livrer des compensations irréfléchies aux détenteurs de licences d'exploration, le gouvernement doit impérativement attribuer une valeur négative à chacun des puits existants sur le territoire de ces permis; cela s’applique à tous les puits, y compris les puits fermés et ceux qui connaitront une fermeture prochaine. Des inventaires sur des puits fermés entre 1 et 40 ans ont montré qu’avec le temps la proportion de puits détériorés et donnant des fuites augmente avec les années. L'acier et le ciment des travaux de fermeture ne dure qu'un temps limité.

Un puits qui aura coûté 12M$ à construire peut éventuellement devenir problématique quelques décennies plus tard; l'intervention requise pour tenter de colmater ce puits corrodé pourra s'avérer extrêmement coûteuse et se chiffrer en millions de dollars. Il est très complexe car très risqué de revenir travailler, en présence de gaz, sur une structure dont l'état de corrosion est inconnu, car enfoui profondément sous terre.

Tant que ce bilan négatif n'est pas entrepris, aucune compensation ne doit être versée. Les frais reliés aux puits doivent demeurer à la charge des acteurs privés qui les ont implantés. Ces nuisances environnementales ne doivent pas être transférées à l'État de façon irréfléchie.

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N.B. Les 22, 23 et 24 février 2022, le projet de loi 21 fera l'objet d'audiences en commission parlementaire.

Avec trois autres co-auteurs, j'ai publié dans le journal La Tribune un article qui traite en résumé de la question des compensations à ne pas verser pour le retrait des permis.

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