lundi 14 février 2022

Pressions du lobby et projets pilotes


Les rédacteurs du projet de loi 21 ont placé dans l­eur texte un très étrange chapitre VII (p.17 et 18) intitulé  -Projets Pilotes- .  Il compte 4 articles : 

42. Un projet pilote mis en œuvre en vertu du présent chapitre ne peut avoir pour effet de permettre la recherche d’hydrocarbures ou de réservoirs souterrains, la production d’hydrocarbures ou l’exploitation de la saumure. 

43. Le ministre peut, par arrêté, autoriser la mise en œuvre d’un projet pilote afin d’acquérir des connaissances géoscientifiques relatives : 

  1° au potentiel de séquestration de dioxyde de carbone; 

  2° au potentiel de stockage d’hydrogène produit à partir d’une source d’énergie renouvelable; 

  3° au potentiel de géothermie profonde; 

  4° au potentiel en minéraux critiques et stratégiques de la saumure; 

 5° à toute autre activité qui favorise la transition énergétique ou qui participe à l’atteinte des objectifs de lutte contre les changements      climatiques. 

Le ministre détermine les normes et les obligations applicables dans le cadre d’un projet pilote, lesquelles peuvent différer des normes et des obligations prévues par la présente loi* ou par un règlement pris pour son application. Il peut également déterminer, parmi les dispositions du projet pilote, celles dont la violation constitue une infraction. 

44. Un projet pilote a une durée maximale de trois ans que le ministre peut, s’il le juge nécessaire, prolonger d’au plus deux ans. 

Le ministre peut, en tout temps, modifier un projet pilote ou y mettre fin. 

45. Le cas échéant, le ministre détermine, dans l’arrêté qui autorise la mise en œuvre du projet pilote, la personne responsable de la fermeture définitive de puits et de la restauration de site conformément aux dispositions de la présente loi, avec les adaptations nécessaires**, ainsi que les délais impartis. 

 

Je n’ai connaissance que d’un seul projet pilote: celui que les six lobbyistes de Questerre Energy de Calgary tentent de vendre au gouvernement du Québec. Ce projet servirait à tester le stockage du COdans des puits déjà forés. Questerre s’est porté acquéreur de 3200km2 de permis délaissés par les autres qui ont abandonné dès 2013 - 2014 l’idée de développer le gaz de schiste dans les Basses-terres du St-Laurent. Ce projet situé dans la région de Bécancour s'appuie sur une entente récente avec le chef du Conseil de la nation Abénakis de Wôlinak.

 

Le stockage du CO2 dans le roc profond peut se réaliser dans des conditions géologiques bien particulières; des formations rocheuses comme le grès de Postdam ont dans certaines de leurs strates et de façon naturelle des porosités élevées (20 à 25%). Ces couches constitueraient des cibles éventuelles pour du stockage de CO2.


Les shales se situent à l'autre bout du spectre des porosités et des perméabilités. Dans le cas des gisements diffus de gaz de schiste, la porosité est très faible et la perméabilité est quasi nulle; il faut avoir recours à la fracturation hydraulique pour modifier de façon drastique la perméabilité du shale et espérer pouvoir en voir sortir une partie (8 à 15%) du gaz emprisonné. La fracturation hydraulique augmente artificiellement la perméabilité de plusieurs ordres de grandeur; par contre cette opération n'augmente pas de façon significative la porosité du roc.


Quand on injecte 20 millions de litres pour fracturer le shale gazifère dans un puits horizontal long de 1200m, on ajoute une très infime valeur de l'ordre de 0,05% à la porosité existante, qui elle peut valoir 0,5% à 2% dans les shales. Les puits qui existent dans la région de Bécancour, comme tous les autres forés durant la période d'exploration pour les gaz de schiste dans l'Utica (29 puits, dont 18 ont eu la fracturation) ne constituent pas des puits qu'on pourrait reconvertir pour y faire du stockage de CO2.  Le prétendre apparait comme une astuce non scientifique qui vise d'autres objectifs, qui peuvent être de se soustraire à l'obligation de fermeture définitive des puits.

 

Il n’est pas approprié de placer dans la loi qui se rapporte à la fermeture des puits d’hydrocarbures un chapitre qui ne peut absolument pas concerner la reconversion de puits de gaz de schiste pour du stockage de la perméabilité . Le lobby pour le projet pilote de Questerre a réussi à faire inclure dans la loi 21 un chapitre incongru qui leur permettra peut-être d’échapper à l’obligation de fermeture définitive des puits. Cela démontre encore une fois que le législateur est réceptif à ce type de pression. Cela se fait au détriment de la logique, des faits scientifiques et des objectifs mêmes de la loi 21.

 

En 2014 la rédaction du RPEP (Règlement sur le Prélèvement des Eaux et leur Protection) avait subi les effets du même type de pression de la part du lobby pétrolier de l’époque. Ce règlement, qui visait dans son essence la protection des eaux souterraines, s’est vu ajouter de façon tout à fait incongrue, dans son chapitre V une section de sept articles consacrés à la fracturation hydraulique dans les puits d’hydrocarbures. À l’époque Pétrolia avait de nombreux lobbyistes qui grenouillaient dans les ministères pour faire ajuster les lois et les règlements en cours d’élaboration en fonction des besoins de l’époque. L’extraction des hydrocarbures de schiste à Anticosti n’avait strictement rien à voir avec la protection des eaux, bien au contraire; pourtant la vision des promoteurs de l’heure a fait que ces sept articles ont été intégrés au RPEP en 2014.

 

Nous avons lutté sans relâche durant huit ans pour faire invalider ces articles du RPEP qui visaient la fracturation hydraulique.  En 2022 le gouvernement dans un virage à 180° pense maintenant mettre fin à l’exploration des hydrocarbures. La loi 21 comporte un article (p.43) qui abroge les dispositions sur la fracturation dans le RPEP :  

                     114. La section IV du chapitre V de ce règlement, comprenant les articles 40 à 46, est abrogée. 

Cela a pris huit ans pour corriger cette aberration. Par contre cette même loi 21 refait le même genre d’erreur avec ses articles sur les projets pilotes.



N.B. Les 22, 23 et 24 février 2022, le projet de loi 21 fera l'objet d'audiences en commission parlementaire.


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* C'est une porte ouverte pour permettre à un détenteur de permis de demander de soustraire à cette loi tout projet qui se prétendrait "projet pilote".

** Il y a beaucoup de flou dans ces articles 43 et 45; le ministre s'attribue une latitude qui n'a  aucune limite précise définie dans cette loi, ni même un objectif clairement présenté.

2 commentaires:

  1. Merci M. Durand de dire si bien ce que nous avons formulé autrement dans notre mémoire pour la consultation publique sur ce projet de loi.
    Juste une précision: Utica dit avoir déjà commencé des essais pilotes saumure/géothermie profonde dans ce que nous pensons être le parc industriel de Bécancour. :(

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  2. Jean-Philippe Waaub15 février 2022 à 09 h 29

    Félicitations Marc. Très pertinent.

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