vendredi 16 novembre 2018

Le projet Énergie Saguenay - un beau nom pour cacher un projet inacceptable


Les journaux du 16 novembre 2018 commentent le projet Énergie Saguenay  un projet de transport de gaz de schiste mis de l'avant par un promoteur M. Bergeron, au nom d'intérêts américains.

Qu'il soit produit dans les provinces de l'ouest, le gaz non conventionnel reste du gaz fossile extrait par la fracturation étendue du roc qui le contient. Rien ne change au fait que ce combustible fossile représente un immense recul environnemental par rapport aux gisements conventionnels de gaz naturel. Au fur et à mesure que la production provenant des gisements conventionnels s'amenuise, la proportion du gaz produit par la fracturation hydraulique est en constante augmentation dans le gaz qui provient des provinces de l'ouest. La part du gaz tiré des gisements non conventionnels est actuellement 86%. (données de 2019)  au Canada, comparable aux USA (87%). La part de gaz conventionnel va s'amenuiser considérablement en Amérique du Nord car les derniers gisements conventionnels trouvés n'arrivent pas du tout à compenser la baisse de production des gisements plus anciens. 

La fracturation hydraulique est une des pires techniques inventées par l'homme pour laisser un impact permanant et désastreux pour les générations futures. Les milliers de puits par lesquels on fait la fracturation étendue et continue de toute une strate géologique, créent de toutes pièce un nouveau milieu facturé dans lequel les fluides peuvent migrer. La technique, très imparfaite, ne permet d'extraire commercialement que 8 à 15% du gaz emprisonné dans la  couche de roc; le reste (>85%) est encore en place quand on abandonne les puits. Les fuites pendant la production du gaz  annulent complètement le petit avantage que la combustion du méthane possède en théorie sur celle de l'utilisation du charbon. Mais en plus, à moyen et long termes, ces milliers de puits seront des de sources incontrôlables pour des fuites de méthane qui vont contribuer de façon significative à l'effet de serre; ces fuites qui surviennent après la fin de l'extraction ajoutent un lourd passif à l'utilisation du gaz fossile.

Le promoteur avance pour son projet, les vieux mensonges quant aux impacts réels de l'exploitation du gaz fossile. Cela fait déjà huit ans que les études sérieuses ont démontré la fausseté de la prétention que le gaz  serait moins polluant que le charbon; il serait plus que temps que le promoteur du projet rajuste son discours.

Ce nouveau gazoduc n'est pas planifié pour les besoins locaux; il servira essentiellement à accroitre l'expansion de l'industrie du gaz non conventionnel de l'ouest canadien en créant un nouvel accès aux marchés d'exportation. Le Québec doit impérativement éviter de s'associer à cette expansion de l'industrie des hydrocarbures. Cette façon d'envisager du développement économique est incongrue dans le contexte nouveau des changements climatiques. Il faut impérativement réduire l'utilisation des combustibles fossiles; le projet Énergie Saguenay vise le contraire: permettre de relancer  une expansion de la production de gisements non conventionnels dans l'ouest du continent. La figure ci-dessous montre que le nombre de puits forés chaque année a subi une diminution drastique de 16 000 puits/an à moins de 2000 puits/an durant la dernière décennie. Les provinces de l'ouest cherchent désespérément à relancer à la hausse cette activité majeure de leur économie.



Par contre l'augmentation considérable des longueurs forées indiquent qu'on ne fait maintenant que des puits avec des extensions horizontales de plus en plus longues; elles sont exclusivement destinées à faire de la fracturation hydraulique dans des gisements non conventionnels.

Le Saguenay est une région magnifique à protéger; je suis certain que personne n'acceptera de la sacrifier ainsi pour le bénéfice d'une l'industrie qui songe encore en 2018 à s'enrichir avec l'exportation des hydrocarbures. Même dans un autre lieu moins magnifique, cela ne serait pas plus acceptable. Il est impensable de faire encore aujourd'hui la promotion de nouveau projets d'expansion dans la production et le transport d'hydrocarbures.

lundi 1 octobre 2018

Du travail en perspective ?

1er octobre, jour d'élection.


Nous verrons bientôt si les prédictions des sondages se confirment. Si c'est un gouvernement CAQ avec le tandem F. Legault - Youri Chassin, nous allons devoir reprendre à zéro la sensibilisation des nouveaux ministres. Youri Chassin qui vient de l'Institut Économique de Montréal a écrit des textes où il voit des milliards en développement pétrolier à Anticosti. François Legault est aussi favorable à la reprise des forages à Anticosti et au lancement (financement public?) de cette filière, mais ils sont tous les deux aussi ignorants l'un que l'autre sur les questions pétrolières. Ils n'ont pour l'instant sur ce dossier que l'information et le point de vue provenant des Chambres de Commerce.

Tout est peut-être à recommencer ...


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18 octobre, jour de la présentation du conseil des ministres:  ma crainte de voir Y. Chassin au conseil des ministres s'est avérée vaine.  J'en suis bien heureux. L'Institut Économique de Montréal (Germain Belzile, Youri Chassin, etc.) financé par les grands promoteurs de la droite économique ont milité sans relâche pour le développement pétrolier. À propos d'Anticosti, ils ont notamment propagé l'estimé 400 milliards de revenus pétroliers (sic !).

Je ne sais rien de la nouvelle ministre de l'Environnement Marie Chantal Chassé. ni de Jonathan Julien le nouveau ministre au MERN. Donnons la chance au coureurs en demeurant vigilants. La principale qualité que je leur souhaite avoir serait la volonté de s'informer à fond auprès des scientifiques et de ne pas se lancer tête baissée dans des décisions politiques. 

samedi 1 septembre 2018

Un communiqué de presse précipité, qui ajoute à la confusion

Le ministre Pierre Moreau du MERN a encore beaucoup de mal à se dépêtrer dans sa position sur les forages dans les lacs et les cours d'eau. Alexandre Shields dans le journal Le Devoir tente depuis des semaines de faire la part des choses dans les informations contradictoires qui émanent du ministre, de ses adjoints et des textes officiels du MERN.

Ajoutant encore à la confusion, le gouvernement a émis le 17 août  2018 un communiqué de presse qui précise que dans les milieux hydriques  - i.e. les lacs et les cours d'eau - les activités pétrolières, gazières seront interdites, mais elles seront aussi permises par le ministre, si l'entreprise lui fournit une étude appropriée. Voici le communiqué avec mes annotations:


Le ministre Pierre Moreau se fait à chaque occasion très cinglant pour ceux qui tentent d'obtenir des précisions sur sa position dans ce dossier. Il affirme catégoriquement à chaque occasion que des forages dans les lacs et les cours d'eau, ce sera l'interdiction totale. Il omet de commenter cependant le paragraphe "toutefois le ministre aura la possibilité d'autoriser ...". Il y a même encore et toujours le règlement #3  prévu pour encadrer dans le détails ces forages à l'intérieur même des milieux hydriques.

Addendum du 5 septembre 2018: La publication aujourd'hui dans la Gazette officielle des versions finales des règlements, confirme totalement l'analyse que j'en ai fait ci-dessus. Alexandre Shields dans Le Devoir réitère avec raison que les forages, sondages stratigraphiques et sismiques demeureront possibles dans les lacs et cours d'eau du Québec, sauf dans seize lieux énumérés dans les articles No 70 et 123. J'ai publié ce commentaire au bas du texte du Devoir: 
Très ardu pour un gouvernement de faire virer le paquebot
Après s'être activé de 2008 à 2018 à promouvoir partout (incluant les lacs et rivières) et à tout prix le développement de la production d'hydrocarbures, le gouvernement resserre finalement les règles. Mais il le fait en conservant des reliquats de ses anciennes positions et le résultat apparait assez bancal: la fracturation est toujours là comme possibilité, mais pas dans le schiste. Dans le règlement « milieu terrestre » il est interdit de mener toute activité (sondage stratigraphique, forage, etc.) à moins de 1000m d'un milieu hydrique (art.23). Or dans l'autre règlement (milieu hydrique) ces mêmes activités sont systématiquement régies dans le menu détail*. On y précise que ce 2e règlement " s’applique aux activités réalisées en milieu hydrique, à l’exception du milieu marin", donc il s'agit bien de viser les lacs et cours d'eau. Ces activités incluent les forages et sondages stratigraphiques, etc.; il y a une restriction: la fracturation ne peut pas se faire dans un puits foré par une plateforme dans le cours d'eau. Pour fracturer sous le cours d'eau, il faut le faire à partir d'un puits en milieu terrestre situé à au moins 1000m à l'intérieur des terres.

* menu détail: ex. l'art.159 on exige un rapport journalier des travaux qui comprend les items 1 à 27. À l'item 26 on a 7 sous-items dont : "la hauteur, la période et la direction des vagues et de la houle, le roulis, le tangage et le mouvement vertical du navire ou de l'installation de forage" (barge flottante pour la foreuse). Cela contraste avec un flou complet des articles qui traitent de la question des fuites de gaz et du colmatage de ces fuites. On se limite a demander "les meilleures pratiques" i.e. autoréglementation de l'industrie.

mercredi 1 août 2018

Consultation sur les règlements publiés le 20 juin 2018

Je vous livre ci-dessous le document que j'ai envoyé au MERN, à la sous-ministre Luce Asselin qui sollicite des commentaires sur les versions publiées le 20 juin dernier dans la Gazette Officielle du Québec. Ces règlements sont reliés à la loi 106 qui porte sur les hydrocarbures.  
N.B. Mon texte de juin contenait déjà une ébauche de ce nouveau texte, mais je l'ai bonifié. Il y a aussi à la fin de mon document une réplique au communiqué de presse de l'APGQ qui tente d'amadouer les municipalités avec une promesse qui repose sur du vent. Depuis le BAPE de 2010, les ÉES, BAPE 2014, etc., c'est sûrement la dixième fois que le MERN et le MDDELCC sollicitent des commentaires et que nous y répondons. Cela semble le plus souvent des opérations de façade, car les avis externes (
sauf s'ils viennent de l'industrie ...) ont apparemment bien peu d'impact auprès des fonctionnaires.

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Commentaires de Marc Durand, doct-ing en géologie appliquée et géotechnique
sur la version publiée le 20 juin dans la Gazette Officielle
des quatre règlements sur les hydrocarbures

L'article 196 indique " La fracturation est interdite dans le schiste.
                  Elle est aussi interdite à une profondeur verticale réelle de moins de 1 000 m.
                        … cette profondeur est mesurée à partir de la surface du sol."
L'interdiction de la fracturation hydraulique dans le schiste représente un important changement dans les positions du MERN et du gouvernement. L'interdiction de la fracturation pour l'exploration/exploitation des hydrocarbures dans les roches mères (shale ou "schiste") est ce pourquoi je suis sorti de ma retraite et ce pourquoi je suis intervenu à de multiples reprises depuis 2010 dans ce dossier. Je salue donc avec bonheur cette décision inscrite dans la version de juin 2018 des projets de règlements.
Jusqu'en 2017, le gouvernement partageait encore l'objectif des promoteurs dans leurs visées pour les roches mères de l'Utica et du Macasty. Le MERN s'obstinait ouvrir simultanément toutes les options, les gisements conventionnels et les gisements d'hydrocarbures diffus dans la roche mère (gisements non-conventionnels). Cette position a suscité avec raison un vaste mouvement d'opposition qui n'a cessé de croitre de 2010 à 2018.
Les preuves scientifiques des très grands risques environnementaux associés à la fracturation de vastes superficies pour l'exploitation de gisements marginaux n'ont pas cessé de s'accumuler depuis dix ans. De plus en plus d'États, de pays et de provinces ont, soit légiféré pour une interdiction de ce type d'exploitation, soit imposé des moratoires en suivant les recommandations des commissions d'enquête sous leur juridiction. Jusqu'au revirement de juin 2018, le Québec persistait à faire le contraire.
L'article 196 cité en haut de cette page règle le cas de l'Utica; il s'applique aussi au shale de Macasty à Anticosti qui était déjà l'objet d'une interdiction complète. Cependant, il y a encore dans les règlements bien des dispositions qui menacent les communautés et l'environnement, car la fracturation n'est pas interdite partout.
Dans les "bons" gisements, ceux qui contiennent un pétrole ou un gaz exploitable sans fracturation induite, l'impact environnemental peut être limité. Le Québec contient très peu de ces vrais gisements conventionnels.
Les dispositions des règlements gardent la porte ouverte pour les gisements marginaux, pauvres et non rentables en exploitation conventionnelle, car leurs hydrocarbures ne sont présents qu'en mode ténu ou disséminé. Ce n'est qu'en modifiant fortement la perméabilité du roc qu'on peut espérer les rendre exploitables. Cette grande modification du roc par la fracturation hydraulique aura là, comme dans le schiste, des conséquences désastreuses pour l'environnement. La fracturation hydraulique n'est pas plus acceptable dans les gisements marginaux dans des grès, des microgrès ou des calcaires, qu'elle ne l'est dans le schiste. Il est incohérent et illogique de maintenir des dispositions pour permettre la fracturation hydraulique au Québec.
Les articles qui précisent les conditions pour l'emploi de la fracturation hydraulique dans les règlements sont en plus très insuffisants. Une opération de fracturation se réalise et démarre dans les sections horizontales des puits; or les règlements ne traitent que des distances par rapport à la position des puits en surface, et non pas par rapport à la position des extensions horizontales des puits. L'ancienne version et la nouvelle version des règlements ont ce même vice de fond, même si les distances horizontales ont été augmentées dans la version présentée en juin 2018.

Des nouvelles restrictions plus sévères quant aux distances? Si ces puits d'exploration/exploitation se situent hors des zones habitées, tout sera encore permis, y compris l'obtention de permis de fracturation. La seule véritable modification qui s'appliquera alors sera que la distance verticale, qui est de 600 m dans le RPEP, devient 1000 m  dans la version 2018 des règlements du MERN; un gain de 40% pour la norme verticale entre la surface et la partie horizontale d'un puits (figure ci-dessous). Mais cela reste une règle très risquée, car c’est dans cette distance que se fait la fracturation (fig. 1 ci-dessous).



Fig. 1  Vue en coupe d'un puits d'exploration ou exploitation. La couche cible est au bas de l'image. Les fuites dans les puits en exploitation ou abandonnés en fin d'exploitation se situent au puits (1), par des failles naturelles ou par un réseau de fractures élargies par la fracturation (1 et 2). Les fuites de méthane rejoignent l'atmosphère (1 et 2) et la nappe phréatique (3).

Les risques reliés aux fuites sont encore présents même quand on a une strate de grès, ou de calcaire par exemple, comme gisement potentiel (la couche plus foncée au bas de la figure 1). Dans un vrai bon gisement, on n'aurait pas besoin de faire de la fracturation. Mais si l'exploitant d'un gisement très peu perméable et très marginal tient quand même à tenter de l'exploiter, il pourra demander au gouvernement du Québec l'autorisation de faire de la fracturation, en autant qu'il ne s'agisse pas d'hydrocarbures emprisonnés dans une roche mère, comme du shale (schiste dans le libellé du règlement).
Voici un résumé des nouvelles distances horizontales dans les règlements du MERN; elle doublent les valeurs initialement mises dans les versions présentées en 2017, mais elles sont encore bien petites par rapport aux demandes des municipalités: 

Fig. 2  Les nouvelles distances séparatrices telles que présentées sur le site du MERN. Des articles (ex. a.84 & 132) dans les règlements se rapportent aux distances ci-dessus (550m, 300m, 200m). La distance de 1000m à un cours d'eau est traitée dans l'article 23. Ceci est totalement absurde parce qu'il y a un des quatre règlements qui justement traite des plates-formes flottantes de forages directement dans les milieux hydriques ...

Le grand problème avec les distances horizontales c'est de ne pas tenir compte que les puits d'hydrocarbures se sont plus uniquement verticaux comme il y a une génération. Toutes les restrictions édictées dans la figure 2 s'appliquent uniquement pour la localisation de la foreuse en surface, pour la tête de puits. Elles ne tiennent aucunement compte des grandes extensions horizontales des forages.  Je me suis permis d'emprunter et de déplacer tous les jolis dessins de bâtiments que le MERN a placé dans la figure 2, pour les situer à bonne distance pour un exemple de puits qui aurait dans quelques années une longueur horizontale de 3500 m (fig. 3 ci-dessous). 

Fig. 3   Vue en coupe de la nouvelle distance verticale publiée par le MERN, dans le cas d'un forage que la technique permettra très prochainement d'étendre à 3500m (coupe à l'échelle). N.B. C'est ci-dessus une coupe de terrain avec une mince bande bleue peu profonde, comme le figure le MERN, pour représenter la nappe phréatique. Or ce n'est pas très réaliste pour représenter les nappes réelles; elle descendent bien plus bas et suivent les irrégularités de perméabilité du roc.
On constate aisément que la fracturation peut s'étendre vers le haut à faible distance sous les habitations, les écoles, les cours d'eau. Ces normes de surface oublient un élément essentiel: on peut passer et fracturer juste en-dessous des habitations et contourner ainsi bien des restrictions.  Comme on ne connait encore que très peu de choses sur les migrations possibles et sur la circulation des fluides dans les zones intermédiaires entre les couches fracturées et la surface, ou entre la fracturation et le bas des nappes phréatiques, on viole là le principe de précaution. C'est la raison pour laquelle bien des législations autres que le Québec, ont interdit la fracturation hydraulique.  Ici, on persiste à maintenir cette voie ouverte pour l'industrie. 
Les règlements modifiés que le MERN vient de publier trainent encore une confusion entre l'ancienne approche de "tout permettre partout" et la nouvelle décision d'épargner l'île d'Anticosti (shale Macasty) et les Basses-Terres du St-Laurent (schiste d'Utica). La seule approche cohérente serait d'interdire la fracturation pour la recherche et l'exploitation d'hydrocarbures partout au Québec, point à la ligne. 
Il n'y a toujours aucune disposition dans la loi 106 et dans les présents règlements qui traite de la question des puits orphelins et des puits transmis au domaine public une fois fermés. L'Alberta a une jurisprudence bien plus élaborée qui s'occupe justement des puits après la fin de l'exploitation. À la lecture des règles proposées, on constate qu’au Québec le gouvernement légifère comme si les puits disparaissaient dès qu'on a éliminé les têtes de puits et qu'on a remblayé un mètre de sol remis en végétation par dessus. La caution que les exploitants doivent déposer n'est là que pour assurer la conformité de l'étape finale de la fermeture des puits. Les règlements indiquent que la caution est entièrement remise aux exploitants une fois les conditions de fermeture remplies. Le gouvernement n'a prévu aucune cotisation pour la constitution d'un fonds servant à la gestion des sites des puits fermés. Les fonctionnaires du MERN n'ont vraiment rien compris des nombreux mémoires qu'on leur a soumis depuis 2011 (BAPE et ÉES).
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Autre commentaire sur les propositions de l'APGQ
J'ajoute ce commentaire suite au récent communiqué de presse de l'APGQ (26-07-2018) où le président de cet organisme tente de fléchir le gouvernement dans sa décision de rejeter la fracturation dans le schiste. Il le fait avec d'énormes faussetés qu'on se doit de dénoncer.
  • La fausse carotte financière: on promet $500 000/an par puits aux municipalités en postulant que la moyenne des puits généreraient 15M$/an en profits nets! C'est totalement irréaliste et incompatible avec les résultats des 18 puits fracturés au Québec. Le puits qui aurait donné les meilleurs résultats (A-275-St-Edouard-HZ) ne pourrait rapporter pour l'ensemble de sa production EUR (Estimated Ultimate Recovery)  que moins de 4M$, ce qui ne paie même pas 50% de son coût de construction; l'analyse détaillée est à ce lien:
               Un projet-pilote dans les Basses-Terres du St-Laurent? 
  • La prétention de réutilisation de l'eau de fracturation à 100%: des eaux de fracking injectées dans le roc, il n'en remonte partout que 30 à 50% (eaux de reflux). Cela s'explique par divers facteurs incontournables techniquement: des nouveaux vides sont créés dans la roche, une partie des eaux pénètrent la fine porosité du schiste, des composés chimiques du fluide de fracturation se lient en partie avec les minéraux naturels présents. On connaît très mal la chimie de ce qui se passe entre le roc fracturé et les composants des fluides de fracturation; cela se passe loin de toute observation directe, sous haute pression, à 1000 m de profondeur, à des températures plus élevées qu'en laboratoire, etc.
  • Aucun additif chimique? Là encore de la poudre aux yeux. C'est pour endormir les enfants qu'on raconte habituellement des histoires roses.
  • Les études des commissions d'enquêtes n'ont pas démontré que les puits de gaz de schiste ne contaminent pas les nappes. C'est le contraire qu'elles ont inscrit dans leurs rapports. C'est justement l'absence de preuve de l'innocuité des techniques de fracturation sur les milieux naturels qui ont incité bien des administrations à interdire ou à suspendre la fracturation hydraulique sur leur territoire. Les risques à moyen et long termes des lentes migrations sont encore totalement inconnus.
    M. Binnion invoque la science mais semble ignorer un de ses principes fondamentaux: on ne doit pas faire dire à un rapport ce que son contenu réel contredit explicitement.
  • Appliquer l'expression "gaz propre" au gaz produit par fracturation hydraulique est un non sens.  Le bio-méthane peut prétendre à un titre de gaz compatible avec les préoccupations environnementales; mais les hydrocarbures des gisements marginaux et ceux tirés du schiste qu'on extrait par la fracturation complète de la strate emprisonnant ces hydrocarbures ténus et très disséminés, n'auront jamais droit à cette appellation. La fracturation c'est une coupe à blanc dans une couche géologique; de cette coupe à blanc on retire 2% des hydrocarbures en place dans le cas du pétrole et 15 à 20% dans le cas du gaz de schiste. Ce sont d'énormes dévastations permanentes et irréversibles du domaine public (l'espace souterrain) pour une ressource bien temporaire au profit d'intérêts privés.
N.B. Le Soleil du 5 août a publié le texte de cette réplique à l'APGQ.

dimanche 1 juillet 2018

Bonnes vacances

Bonnes vacances à tous. Mon billet de juillet arrivera un peu plus tard; d'ici là profitez bien de l'été et de la chaleur  et célébrez les belles victoires des derniers mois: l'abandon d'Énergie Est, la fin de la saga Anticosti et la fin de tous les projets de gaz de schiste au Québec qui résultera de l'interdiction de la fracturation dans le schiste.  C'est ce qui motivait ces pages depuis le début de mes billets du mois et c'est ce qui a finalement été entendu au gouvernement. On peut s'en réjouir.

Bon été

Marc Durand,  dont-ing en géologie appliquée et géotechnique

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addenda du 21 juillet 2018 à propos des règlements modifiés pour la loi sur les hydrocarbures, tels que publiés à la Gazette Officielle le 20 juin dernier.
Je vous rappelle que si vous avez encore un peu d'énergie dans ce dossier, il reste deux semaines pour envoyer vos commentaires à la sous-ministre associée à l'énergie, comme c'est indiqué dans le préambule des règlements:
"Toute personne intéressée ayant des commentaires à formuler à ce sujet est priée de les faire parvenir par écrit, avant l'expiration du délai de 45 jours mentionné ci-dessus, à madame Luce Asselin, sous-ministre associée à l’Énergie, ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles, 5700, 4e Avenue Ouest, bureau A-407, Québec (Québec) G1H 6R1."

La formulation ci-dessus pour l'envoi de commentaires suggère de les poster par écrit; mais à la dernière occasion en 2017, il était également possible de les faire parvenir par courriel à la sous-ministre associée à l'Énergie, Mme Luce Asselin: luce.asselin@mern.gouv.qc.ca

L'interdiction de la fracturation hydraulique dans le schiste représente un important recul du gouvernement dans la ligne politique qu'il a maintenu jusqu'en 2017, où il s'alignait sur les besoins et la vision des promoteurs. Ce revirement récent est donc un grand pas dans la bonne direction. Cependant, il y a encore dans les règlements bien des dispositions qui menacent les communautés et l'environnement; j'en ai souligné quelques unes dans mon billet du mois dernier.  Je vous encourage à faire part de vos commentaires au MERN. 

jeudi 7 juin 2018

Les règlements révisés

Le ministre Moreau annonce ce 6 juin qu'il a révisé les quatre règlements pour la mise en oeuvre de la loi sur les hydrocarbures. Les versions administratives des textes sont actuellement disponibles sur le site du MERN. Les versions officielles sont ont été publiées dans la Gazette Officielle le 20 juin 2018,

Le ministre Moreau ferme la porte à l'aventure gaz de schiste dans les Basses-Terres du St-Laurent. L'APGQ et son président n'en seront pas très heureux. Ce qu'ils avaient demandé depuis toujours leur avait été accordé, mais pas cette fois-ci. C'était sans compter l'approche des élections; il y a beaucoup de députés à élire dans la plaine du St-Laurent. Il y a aussi une forte opposition des citoyens et la menace d'action en justice de 338 municipalités que la ministre Mélançon a tenté de minimiser jusqu'à maintenant; il devenait urgent d'en tenir compte en pleine campagne électorale. Bref, on ferme la porte pour le shale d'Utica. C'est une excellente nouvelle si elle se concrétise et si le prochain gouvernement s'y conforme. On avait déjà fermé une porte semblable pour le shale Macasty à Anticosti en 2017. Agir différemment en pleine zone habitée de la Montérégie du Centre du Québec et de la Beauce aurait été intenable.

Quelles portes restent donc ouvertes pour le gaz et le pétrole "made in Québec" ? La réponse évidente est la Gaspésie, le Bas-St-Laurent et éventuellement toute autre région où les spéculateurs pétroliers décideraient d'explorer. Les nouvelles distances séparatrices éliminent de facto le "gisement" d'Haldimand, qui n'en était pas un réellement envisageable de toutes façons. Il y a Bourque et Galt où les hydrocarbures ne sont pas dans du shale. Les règlements modifiés restent assis entre deux chaises: veut-on permettre les techniques d'extraction qui sont utilisées dans les gisements conventionnels faciles à exploiter et exclure les gisements qui demandent de techniques non-conventionnelles? La réponse ici est très ambiguë. Le gouvernement permet encore d'utiliser la fracturation tant que la couche ciblée n'est pas du shale (schiste). Mais permettre encore la fracturation hydraulique au Québec, c'est essentiellement pour des gisements marginaux trop pauvres pour être exploités de façon conventionnelle.

Il y aura toujours très peu de vrai bons gisements d'hydrocarbures au Québec comme le ministre Moreau l'a reconnu. Mais alors pourquoi ouvrir avec tant de risques environnementaux les cas marginaux qui ne seraient possibles qu'avec l'apport de la fracturation hydraulique? C'est un choix des plus discutables; les citoyens et les municipalités ne doivent pas relâcher la pression.

Des nouvelles restrictions plus sévères quant aux distances? Si ces puits d'exploration/exploitation se situent hors des zones habitées, tout sera encore permis, y compris l'obtention de permis de fracturation. La seule véritable modification qui s'appliquera alors sera que la distance verticale qui est de 600 m dans le RPEP devient 1000 m  dans la version 2018 des règlements; un gain de 40% pour la norme verticale entre la surface et la partie horizontale d'un puits (figure ci-dessous).
Fig. 1  Vue en coupe de terrain d'un puits d'exploration ou exploitation. La couche cible est au bas de l'image. Les fuites dans les puits en exploitation ou abandonnés en fin d'exploitation se situent au puits (1), par des failles naturelles ou par un réseau de fractures élargies par la fracturation. Les fuites de méthane rejoignent l'atmosphère (1 et 2) et la nappe phréatique (3).
Les risques reliés aux fuites sont encore présents même quand on a une strate de grès, ou de calcaire par exemple, comme gisement potentiel (la couche plus foncée au bas de la figure 1). Dans un vrai bon gisement, on aurait pas besoin de faire de la fracturation. Mais si l'exploitant d'un gisement très peu perméable et très marginal tient quand même à tenter de l'exploiter, il pourra demander au gouvernement du Québec l'autorisation de faire de la fracturation, en autant qu'il ne s'agisse pas d'hydrocarbures emprisonnés dans une roche mère, comme du shale (schiste dans le libellé du règlement).

Voici un résumé des nouvelles distances dans les règlements du MERN; elle doublent les valeurs initialement mises dans les versions 2017, mais elles sont encore bien petites par rapport aux demandes des municipalités.
Fig. 2  Les nouvelles distances séparatrices telles que présentées sur le site du MERN.

Notez qu'on a aucune indication pour l'instant sur la distance de 500 m à puits d'eau potable pour une résidence isolée; c'est une norme du RPEP émise par un autre ministère (MDDELCC).  Sera-t-elle doublée aussi?  Passera-t-elle à 1000 m?  Je rappelle que les municipalités réclament que cette distance passe à 2000 mètres. Quant à la distance verticale, il y a une nouvelle donne qui reste cependant à préciser. L'illustration publiée sur le site du MERN indique 1000 m depuis la surface, mais cette distance s'arrête un peu au-dessus du forage horizontal.  Le libellé de l'article 196 se lit ainsi:      "196. La fracturation est interdite dans le schiste.
                  Elle est aussi interdite à une profondeur verticale réelle de moins de 1 000 m.
                 Malgré l’article 25, cette profondeur est mesurée à partir de la surface du sol."
Une opération de fracturation se réalise et démarre dans les sections horizontales des puits; la distance de 400 m était précisée de la même façon dans le RPEP. Le MDDELCC accordait l'autorisation si la distance de 400 m était respectée entre la section de puits et le bas des nappes, ou 600 m sous la surface du sol.

Le grand problème avec les distances horizontales c'est de ne pas tenir compte que les puits d'hydrocarbures se sont plus uniquement verticaux comme il y a une génération. Toutes les restrictions édictées dans la figure 2 s'appliquent uniquement pour la localisation de la foreuse en surface, pour la tête de puits. Elles ne tiennent aucunement compte des grandes extensions horizontales des forages.  Je me suis permis d'emprunter et de déplacer tous les jolis dessins de bâtiments que le MERN a placé dans la figure 2, pour les situer à bonne distance d'un exemple de puits qui aurait dans quelques années une longueur horizontale de 3500 m (figure 3 ci-dessous).

Fig. 3   Vue en coupe de la nouvelle distance verticale publiée par le MERN, dans le cas d'un forage que la technique permettra très prochainement d'étendre à 3500m.
On constate aisément que la fracturation peut s'étendre vers le haut à faible distance sous les habitations, les écoles, les cours d'eau. Ces norme de surface oublient un élément essentiel: on peut passer et fracturer juste en-dessous et contourner bien des restrictions.  Comme on ne connait encore que très peu de choses sur les migrations possibles et sur la circulation des fluides dans les zones intermédiaires, entre les couches fracturées et la surface, on viole là le principe de précaution. C'est la raison pour laquelle bien des législations autres que le Québec, ont interdit la fracturation hydraulique. Ici, on persiste à maintenir cette voie ouverte pour l'industrie.

Les règlements modifiés que le MERN vient de publier trainent encore une confusion entre l'ancienne approche de "tout permettre partout" et les nouvelles déclarations du ministre Moreau. Ce dernier semble en pas avoir encore eu le temps de lire et de comprendre tout ce qui traine encore dans les règlements et qui perdure depuis l'orientation pro-hydrocarbures de l'ancienne politique. Le confusion la plus évidente existe entre les déclarations du ministre Moreau qui affirme qu'il ne peut dorénavant avoir des forages dans les cours d'eau et le règlement sur les activités d’exploration, de production et de stockage d’hydrocarbures en milieu hydrique qui permet exactement le contraire: des forages à partir de plateformes flottantes dans les cours d'eau. À quoi sert alors la distance de 1000m* entre un puits et un cours d'eau (fig. 2) dans la vidéo promotionnelle du MERN? Elle ne s'applique qu'à des cas de fracturation hydraulique. Le ministre Moreau ne semble pas avoir saisi cette distinction. 

* Cette norme de 1000m n'apparait que dans la vidéo; il n'y a aucune mention de cela dans les textes des règlements. Un oubli?  Une autre incohérence?

vendredi 1 juin 2018

Une question qui demeure pertinente.

J’ai reçu de nombreux commentaires depuis la parution de mes billets du mois. Cette question que M. Claude Paré m'adressait en janvier 2011 demeure pertinente sept ans plus tard; j'avais écrit ce texte en février 2011 pour y répondre en détails:

J'aimerais que Monsieur Durand éclaircisse deux points. Je sais qu'il a des connaissances sur le béton. - Quelle est selon lui la durée de vie d'un puits tel que construit par l'industrie. Si des failles apparaissent dans ces puits, peuvent-elles devenir des conduits pour les liquides et les gaz. - Les eaux salines et les eaux de fracturation enfouies dans le sous-sol peuvent-elles affaiblir le béton.

Je n'ai pas lu tous les mémoires présentés au BAPE, mais dans ceux que j’ai lus il n’y en a pas un seul qui pose ou qui traite de votre question, que je reformulerais ainsi : "Quelle est la durée de vie d'un puits - y compris son efficacité dans le temps à servir de "bouchon" sur le forage jusqu'à la fin des temps... et qu'advient-il quand la partie souterraine du puits perd son efficacité suite à la corrosion et autres dégradations ?"

Il y a forcément une échéance; celle-ci est plus longue pour des ouvrages inspectés et entretenus et plus courte pour des ouvrages temporaires; tous les ingénieurs connaissent cette donnée fondamentale ; par exemple le devis pour stabiliser et recouvrir la voûte d’un tunnel de métro n’est pas le même que pour une galerie temporaire dans une mine. Dans le cas du métro, on n’a pas le choix de construire très solide et durable, en plus d’ajouter un programme d’inspection et d’entretien pour toute la durée d’utilisation. On l’a vu récemment avec les viaducs et les ponts; arrivés en fin de vie et avant de préférence, on doit les démolir et les reconstruire à neuf. On ne doit pas prendre de chances de voir un ouvrage dépasser la fin de vie de sa structure. Certains ponts avec un bon entretien durent des siècles ; d’autres mal adaptés à l’usage et aux conditions d’exposition ont une fin de vie après un demi-siècle seulement. Pour un bâtiment temporaire ou encore un ouvrage où l’homme n’a pas accès, la sécurité et la durée de vie sont conçues avec des critères de construction bien moindre.

Tout ce que l’on connaît sur les puits de gaz de schiste, c'est que ce sont des ouvrages dont le design est optimisé pour une durée de vie très courte: les années d'exploitation du puits. Après on bouche (le terme anglais est plus descriptif : cementing), on enterre le sommet de la structure et on revégétalise le site (mémoire de l'APGQ). Il n'y a pratiquement rien de publié pour répondre à l’interrogation de M. Paré, sur la durée de vie de la structure souterraine. Pourtant la question est primordiale, car pour 20 000 puits qui arriveront un jour en fin de vie, et qui seront juste "masqués" avant d'être légués à la géographie locale, il en coûtera combien par année dans 20 ou 30 ans? C’est le silence total sur cette question, car de tout temps dans le domaine minier et pétrolier, ce qui advient des forages n’a jamais été une préoccupation. L’industrie n’a jamais prévu dépenser un dollar pour ça ; les législations les plus récentes dans le monde ne créent des obligations que pour la réhabilitation des sites à la fin de l’exploitation. On oblige les compagnies à prévoir la remise en état de la surface des sites, mais à peu près rien pour ce qui est enfoui.  

Des forages qui sont arrivés en fin de vie, qui sont devenus dangereux, d’autant plus qu’on avait oublié leur emplacement, ayant été juste masqués dans le paysage de surface, il y en a des milliers. Aux USA on rapporte de plus en plus de victimes d’explosion en raison des gaz qui remontent par ces vieux forages. Dans la majorité des cas, il s’agit d’anciens forages d’exploration (Appalaches, Colorado) datant du début du siècle dernier. Le problème va prendre une tout autre ampleur d’ici peu, avec la fin de vie des puits de gaz dans des strates ayant subi une intense modification par le technique de la fracturation hydraulique. La technique nouvellement appliquée à grande échelle va laisser à l’abandon des milliers de forages sous les zones habitées, sans que rien ne soit prévu quant aux impacts qui vont surgir en fin de vie des ouvrages.

Précisons ce que nous entendons par fin de vie d’un puits de gaz de schiste.  L’ouvrage comme puits d’extraction a une vie de 3 à 5 ans. C’est un dispositif optimisé pour extraire du gaz le plus rapidement et au meilleur coût. Le débit que livre le shale nouvellement fracturé est très élevé au début, puis il diminue de façon logarithmique ou exponentielle. On abandonne le puits sous un débit jugé non rentable ; à cette étape environ 20% du gaz en place est capté. Dans les réservoirs de gaz classique, jusqu’à 95 % du gaz naturel peut être récupéré « Dans le cas des schistes, on s’attend à un taux de récupération de 20 % en raison de la faible perméabilité et en dépit du forage horizontal haute densité et du recours intensif à la fracturation hydraulique » Office National de l’Énergie:   L’ABC du gaz de schistes 

À la fin de cette période on transforme sommairement le puits d’extraction en un autre type d’ouvrage, qui a pour unique fonction de stopper le débit du gaz dans le puits. Par des obturateurs, des ciments bouchant le tubage, etc. on doit transformer un ouvrage temporaire d’extraction en ouvrage permanent visant une fonction bien différente. Dans la réalité, pratiquement rien ne change dans la structure et la composition du puits, sauf le rajout d’un bouchon permanent. Quelque soit le design du bouchon, le nouvel ouvrage, appelons-le puits-bouchant, ne peut avoir une durée de vie drastiquement modifiée. Pourtant ces bouchons devront résister à perpétuité à la pression du méthane qui va continuer à se libérer du shale fracturé.  N’oublions pas que 80% du gaz demeure dans le shale à la fin de l’extraction.  

Sous la plaine habitée, l'Utica sera devenu un réservoir extrêmement perméable, contenant toujours ce qui reste de méthane après l'écrémage (20%). Cet énorme volume, 100 m d’épaisseur x 10000 Km2 sera relié directement à la surface par 20 000 puits en lente corrosion ; les tubages d’acier et les coulis d’obturation en présence d'un milieu très salin vont se dégrader. Cela pourra se faire à des vitesses variables d’un puits à l’autre, selon la qualité de la mise en place des forages, tubage et coulis, etc. La durée de vie de chacun de ces puits, c’est le temps avant que la dégradation soit telle que des fuites majeures obligent les autorités à intervenir. Forcément à partir de là il y aura un coût. Ce coût peut apparaître très tôt dans le processus pour certains puits, comme on le constate au Québec sur des puits pour lesquels l’exploitation n’est même pas commencée ; mais en ce moment, c’est à la charge de l’industrie qui est propriétaire du puits. Ça montre que des fuites ça existe, même sur un puits tout neuf.

La figure 1 rassemble les divers chemins que le gaz peut suivre pour atteindre les nappes en surface et les puits d’eau potable (p). Les lettres en bleu clair (A,B,C) montrent les circulations dans un cas où le forage recoupe une faille ou une fracture de grande extension. Cette occurrence pourra arriver dans une proportion des puits qui reste difficile à estimer, car la cartographie géologique détaillée n’est pas vraiment disponible sous les dépôts meubles dans les Basses-Terres du St-Laurent.  

Figure 1   Divers chemins possibles pour des fuites de méthane vers la surface. À gauche, un puits, au bas le shale d'Utica et à droite, la ligne rouge est une faille.

Dès qu’il y a présence d’une telle discontinuité, le liquide injecté ouvre cette voie et pénètre très loin (A) dans les strates du Lorraine. La circulation est ouverte dès lors en permanence pour continuer dans les lentilles de grès et les autres couches plus perméables. Des fuites de gaz se manifesteront dans les puits artésiens et les habitations qui se situent à proximité de la faille. À noter que le fluide de fracturation ouvre aussi beaucoup plus loin que prévu la discontinuité dans les strates calcaires sous-jacentes (A’). Le Trenton est plus perméable que le shale et il contient des eaux de très grande salinité. Une voie est donc aussi ouverte pour des contaminations salines. Certaines analyses d’eaux de forage indiquent que déjà ce type de problème a probablement déjà été rencontré dans les premiers puits.  

Entre le tubage et le roc foré, et entre le tubage de production et le tubage de protection, la qualité de mise en place du coulis peut avoir laissé des vides ; des fractures annulaires peuvent aussi se former pendant l’utilisation intensive du puits (L).  C’est là une origine possible des fuites de gaz qui surviennent dans le puits même (E et K).

En plus de ces possibilités de fuites, il y aura en fin de vie des puits, probablement entre deux et cinq décennies après la fin des opérations, des fuites plus généralisées qui vont survenir progressivement dans une proportion grandissante des puits abandonnés. Les causes premières seront :1- la dégradation des aciers et ciments de colmatage 2- la pression du gaz qui va lentement certes, mais sûrement faire de plus en plus pression sur ces ouvrages-bouchons 3- le rééquilibrage des pressions (plus précisément l’état des contraintes) dans le roc fracturé va lentement se réajuster, cisaillant ou déformant localement des sections de tubage. Des strates dans l’Utica tendent à gonfler à l’air libre ; la même propriété en profondeur va tendre à fluer et à refermer un peu avec le temps les fractures ouvertes. Le massif va donc ainsi évoluer vers une diminution de sa perméabilité ; mais ça ne sera pas suffisant pour le ramener à son imperméabilité initiale. Ces micro-ruptures vont au contraire contribuer à libérer encore plus de méthane dans le temps.  

On a affaire ici à des structures qui se dégraderont en milieu de salinité extrême, loin dans le substratum de toute possibilité d’inspection et d’entretien, dans un milieu transformé par les opérations de fracturation hydraulique. Les circulations de fluides, eaux salines et méthane vont s’en trouver modifiées. Toutes les structures reliant la surface à l’Utica transformé vont tôt ou tard atteindre un degré de décomposition avancé. Les puits atteindront un état où leur fonction comme puits-bouchants ne sera plus opérationnelle. Ça veut dire quoi en clair : des méga problèmes à chacun de ces puits, des moyens de mitigation à mettre en place, des études complexes à entreprendre pour tenter de trouver une solution, des commission du BAPE pour chaque site ? voir mon analyse du cas de Mercier dans mon texte précédent*. Il y en aura beaucoup sur les 20 000; peut-être entre 250 et 500 nouveaux cas par décennie dans une génération. Des milliards à prévoir dans le budget du Québec.

Si on gardait à perpétuité les têtes de puits accessibles plutôt que de restaurer les sites on aurait déjà une tâche moins complexe, car on pourrait ausculter et voir venir la catastrophe, mais personne ne propose ça nulle part. On indique qu’on devra « restaurer le site » à la fin de l’extraction. En fait ça veut juste dire enterrer le problème et l’oublier jusqu’à ce qui nous éclate en plein visage. Trouver une solution à ce problème à ce moment là sera une tâche impossible à réaliser, tout comme il est impossible d’effacer un puits. Le trou reste là, même si on essaie de le boucher avec autre chose ; cet autre chose n’aura jamais les propriétés du shale intact qu’on a foré et fracturé. Le shale d’Utica a conservé le gaz pendant plus de 450 000 000 ans. Toutes nos techniques présentes et futures n’arriveront jamais à faire aussi bien.

Figure 2    Plan d'affaire incluant un schéma de la durée de vie d'un puits.
La figure 2 ci-dessus montre les revenus et dépenses pour le Québec dans son entité globale, c’est-à-dire toute la collectivité. Le plan d’affaire de l’industrie gazière s’arrête avec les étapes 1 et 2 ; il prend fin avec l’arrêt de l’exploitation et le temps requis pour restaurer les terrains en surface. Pendant la première étape (EXPLORATION), la collectivité reçoit chaque année des revenus modestes par le paiement des permis d’exploration, par ex : 10¢/hectare + $100/puits foré. Le Québec a par contre des coûts d’analyse, de surveillance, de déplacement d’inspecteurs, etc. C’est très certainement un bilan négatif à cette étape pour la collectivité. Pendant l’exploitation, les dépenses de surveillance et autres continuent, mais elles sont largement compensées par le paiement de redevances sur le gaz extrait. À la fin de l’exploitation, les compagnies gazières, cessent de payer les redevances. Elles peuvent cesser également de payer le coût des droits miniers, ce qu’elles auront intérêt à faire; la pleine propriété du gisement de gaz retourne au gouvernement. Le diagramme indique que la durée de vie des structures-bouchantes reste une inconnue, mais à la question de savoir si il y a une durée de vie: c’est oui sans hésiter. Dans le plan d’affaire actuel, si on se fie aux enseignements du passé, c’est la collectivité qui va assumer les coûts qui vont apparaître fatalement un jour ou l’autre.

Les puits-bouchants ne vont pas avoir tous le même durée de vie. Pour un petit nombre, la détérioration va se manifester assez tôt, le gros du peloton plus tardivement et un dernier lot ne pourrait miraculeusement ne présenter aucun signe pendant des générations. Globalement les coûts pourront apparaître tôt, avec une courbe s’amplifiant sans cesse, surtout vers le temps qui correspondra à la durée de vie moyenne des ouvrages (figure 2).

Quels qu’en soient les paramètres, le plan d’affaire de Gaz-Québec Inc, c’est-à-dire nous la collectivité dans ce dossier, sera une opération fortement déficitaire. Un seul gagnant: les compagnies gazières qui nous auront passé un beau sapin ; c’est le nom officiel des têtes de puits (Christmas tree) et ce n’est pas par hasard ; c’est un signe du destin qui nous dit d’allumer les lumières pendant qui est encore temps.

mardi 1 mai 2018

Un retour sur la méga-fuite à Aliso Canyon, Ça

Je reviens pour mon billet de ce mois-ci sur la méga fuite de gaz d’Aliso Canyon aux USA survenue il y a un peu plus de deux ans. C’est toujours en dossier très chaud en Californie ; les séquelles de cette catastrophe sont encore bien loin d’être estompées. Le coût à ce jour pour les dommages monte à 913 millions de dollars US.  Le bilan est encore très incomplet; il y a 340 poursuites devant les tribunaux contre l’opérateur Southern California Gas Co et contre les autorités qui gèrent la règlementation reconnue déficiente.

L’étude d’enquête se poursuit et elle pourrait être complétée vers la fin de l’année 2018. La publication récente d’un rapport intérimaire permet de comprendre un peu mieux ce qui est la cause technique de la fuite survenue dans le puits SS-25. Il y a 24 sections de tubages qui ont été inspectées; ces sections ont en moyenne 12,76 m de long mais cette longueur varie d’une section à l’autre (fig. 1 ci-dessous).





Figure 1  Les 24 sections de tubage du puits SS-25 à Aliso Canyon (source : Protocol for Metallurgical Investigation of the SS-25 Failure, février 2018).

L’inspection par géocaméra du tubage de sept pouces sur toute sa longueur révèle qu'à la hauteur du joint 22  à la profondeur de 271,9 m (892 pieds) il y a une fracture et une rupture complète du tubage (fig. 2). Le tubage a ensuite été remonté en surface et transporté à Houston, Texas,  pour des tests et des examens métallurgiques plus poussés en labo.








Figure 2  Détail de la fracturation dans la section 22 du tubage de sept pouces
                     (source : Protocol for Metallurgical Investigation of the SS-25 Failure, février 2018).

Les auteurs du rapport notent que la corrosion est généralisée et elle augmente avec la profondeur.  La corrosion amincit l'épaisseur du tubage ce qui le rend moins résistant à la pression interne. Là où il a cédé, on constate la présence d'un gonflement qui a finalement cédé par une fracture (fig. 3).





Figure 3  Deux des défauts reconnus dans le tubage :  a) fracture axiale due au gonflement du tubage sous la pression   b) amincissement de la paroi en raison de la corrosion
              (source : Protocol for Metallurgical Investigation of the SS-25 Failure, février 2018).


Ce rapport porte sur le protocole mis en place pour la suite des analyses sur ce tubage ramené dans les labos de Houston. Le rapport final apportera un complément d'analyse sur l'ensemble des causes qui ont mené à la rupture. Le contrôle des pressions dans le réservoir par l'opérateur, ainsi que l'ensemble des mesures d'inspection de l'état des installations seront au coeur du contenu du rapport final.

La connaissance scientifique et la connaissance technologique évoluent de deux façons; l'industrie choisit de faire évoluer ses techniques en fonction de quelques critères dont la sécurité et la rentabilité. Les techniques évoluent sans contrainte quand elles améliorent l'aspect rentabilité; par contre les aspects sécurité se heurtent très vite aux impératifs économiques et n'ont que peu de chances d'évoluer réellement, sauf si une catastrophe très coûteuse survient. Les rapports d'enquête sur les causes techniques des catastrophes constituent à peu près toujours la seule option pour l'acquisition de connaissances scientifiques qui mènent à l'amélioration des techniques au point de vue de la sécurité des installations.