Le ministre Moreau annonce ce 6 juin qu'il a révisé les quatre règlements pour la mise en oeuvre de la loi sur les hydrocarbures. Les versions administratives des textes sont actuellement disponibles sur le site du MERN. Les versions officielles sont ont été publiées dans la Gazette Officielle le 20 juin 2018,
Le ministre Moreau ferme la porte à l'aventure gaz de schiste dans les Basses-Terres du St-Laurent. L'APGQ et son président n'en seront pas très heureux. Ce qu'ils avaient demandé depuis toujours leur avait été accordé, mais pas cette fois-ci. C'était sans compter l'approche des élections; il y a beaucoup de députés à élire dans la plaine du St-Laurent. Il y a aussi une forte opposition des citoyens et la menace d'action en justice de 338 municipalités que la ministre Mélançon a tenté de minimiser jusqu'à maintenant; il devenait urgent d'en tenir compte en pleine campagne électorale. Bref, on ferme la porte pour le shale d'Utica. C'est une excellente nouvelle si elle se concrétise et si le prochain gouvernement s'y conforme. On avait déjà fermé une porte semblable pour le shale Macasty à Anticosti en 2017. Agir différemment en pleine zone habitée de la Montérégie du Centre du Québec et de la Beauce aurait été intenable.
Quelles portes restent donc ouvertes pour le gaz et le pétrole "made in Québec" ? La réponse évidente est la Gaspésie, le Bas-St-Laurent et éventuellement toute autre région où les spéculateurs pétroliers décideraient d'explorer. Les nouvelles distances séparatrices éliminent de facto le "gisement" d'Haldimand, qui n'en était pas un réellement envisageable de toutes façons. Il y a Bourque et Galt où les hydrocarbures ne sont pas dans du shale. Les règlements modifiés restent assis entre deux chaises: veut-on permettre les techniques d'extraction qui sont utilisées dans les gisements conventionnels faciles à exploiter et exclure les gisements qui demandent de techniques non-conventionnelles? La réponse ici est très ambiguë. Le gouvernement permet encore d'utiliser la fracturation tant que la couche ciblée n'est pas du shale (schiste). Mais permettre encore la fracturation hydraulique au Québec, c'est essentiellement pour des gisements marginaux trop pauvres pour être exploités de façon conventionnelle.
Il y aura toujours très peu de vrai bons gisements d'hydrocarbures au Québec comme le ministre Moreau l'a reconnu. Mais alors pourquoi ouvrir avec tant de risques environnementaux les cas marginaux qui ne seraient possibles qu'avec l'apport de la fracturation hydraulique? C'est un choix des plus discutables; les citoyens et les municipalités ne doivent pas relâcher la pression.
Des nouvelles restrictions plus sévères quant aux distances? Si ces puits d'exploration/exploitation se situent hors des zones habitées, tout sera encore permis, y compris l'obtention de permis de fracturation. La seule véritable modification qui s'appliquera alors sera que la distance verticale qui est de 600 m dans le RPEP devient 1000 m dans la version 2018 des règlements; un gain de 40% pour la norme verticale entre la surface et la partie horizontale d'un puits (figure ci-dessous).
Les risques reliés aux fuites sont encore présents même quand on a une strate de grès, ou de calcaire par exemple, comme gisement potentiel (la couche plus foncée au bas de la figure 1). Dans un vrai bon gisement, on aurait pas besoin de faire de la fracturation. Mais si l'exploitant d'un gisement très peu perméable et très marginal tient quand même à tenter de l'exploiter, il pourra demander au gouvernement du Québec l'autorisation de faire de la fracturation, en autant qu'il ne s'agisse pas d'hydrocarbures emprisonnés dans une roche mère, comme du shale (schiste dans le libellé du règlement).
Voici un résumé des nouvelles distances dans les règlements du MERN; elle doublent les valeurs initialement mises dans les versions 2017, mais elles sont encore bien petites par rapport aux demandes des municipalités.
Fig. 2 Les nouvelles distances séparatrices telles que présentées sur le site du MERN. |
Notez qu'on a aucune indication pour l'instant sur la distance de 500 m à puits d'eau potable pour une résidence isolée; c'est une norme du RPEP émise par un autre ministère (MDDELCC). Sera-t-elle doublée aussi? Passera-t-elle à 1000 m? Je rappelle que les municipalités réclament que cette distance passe à 2000 mètres. Quant à la distance verticale, il y a une nouvelle donne qui reste cependant à préciser. L'illustration publiée sur le site du MERN indique 1000 m depuis la surface, mais cette distance s'arrête un peu au-dessus du forage horizontal. Le libellé de l'article 196 se lit ainsi: "196. La fracturation est interdite dans le schiste.
Elle est aussi interdite à une profondeur verticale réelle de moins de 1 000 m.
Malgré l’article 25, cette profondeur est mesurée à partir de la surface du sol."
Une opération de fracturation se réalise et démarre dans les sections horizontales des puits; la distance de 400 m était précisée de la même façon dans le RPEP. Le MDDELCC accordait l'autorisation si la distance de 400 m était respectée entre la section de puits et le bas des nappes, ou 600 m sous la surface du sol.
Le grand problème avec les distances horizontales c'est de ne pas tenir compte que les puits d'hydrocarbures se sont plus uniquement verticaux comme il y a une génération. Toutes les restrictions édictées dans la figure 2 s'appliquent uniquement pour la localisation de la foreuse en surface, pour la tête de puits. Elles ne tiennent aucunement compte des grandes extensions horizontales des forages. Je me suis permis d'emprunter et de déplacer tous les jolis dessins de bâtiments que le MERN a placé dans la figure 2, pour les situer à bonne distance d'un exemple de puits qui aurait dans quelques années une longueur horizontale de 3500 m (figure 3 ci-dessous).
Fig. 3 Vue en coupe de la nouvelle distance verticale publiée par le MERN, dans le cas d'un forage que la technique permettra très prochainement d'étendre à 3500m. |
On constate aisément que la fracturation peut s'étendre vers le haut à faible distance sous les habitations, les écoles, les cours d'eau. Ces norme de surface oublient un élément essentiel: on peut passer et fracturer juste en-dessous et contourner bien des restrictions. Comme on ne connait encore que très peu de choses sur les migrations possibles et sur la circulation des fluides dans les zones intermédiaires, entre les couches fracturées et la surface, on viole là le principe de précaution. C'est la raison pour laquelle bien des législations autres que le Québec, ont interdit la fracturation hydraulique. Ici, on persiste à maintenir cette voie ouverte pour l'industrie.
Les règlements modifiés que le MERN vient de publier trainent encore une confusion entre l'ancienne approche de "tout permettre partout" et les nouvelles déclarations du ministre Moreau. Ce dernier semble en pas avoir encore eu le temps de lire et de comprendre tout ce qui traine encore dans les règlements et qui perdure depuis l'orientation pro-hydrocarbures de l'ancienne politique. Le confusion la plus évidente existe entre les déclarations du ministre Moreau qui affirme qu'il ne peut dorénavant avoir des forages dans les cours d'eau et le règlement sur les activités d’exploration, de production et de stockage d’hydrocarbures en milieu hydrique qui permet exactement le contraire: des forages à partir de plateformes flottantes dans les cours d'eau. À quoi sert alors la distance de 1000m* entre un puits et un cours d'eau (fig. 2) dans la vidéo promotionnelle du MERN? Elle ne s'applique qu'à des cas de fracturation hydraulique. Le ministre Moreau ne semble pas avoir saisi cette distinction.
* Cette norme de 1000m n'apparait que dans la vidéo; il n'y a aucune mention de cela dans les textes des règlements. Un oubli? Une autre incohérence?
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