Je vous livre ci-dessous le document que j'ai envoyé au MERN, à la sous-ministre Luce Asselin qui sollicite des commentaires sur les versions publiées le 20 juin dernier dans la Gazette Officielle du Québec. Ces règlements sont reliés à la loi 106 qui porte sur les hydrocarbures.
N.B. Mon texte de juin contenait déjà une ébauche de ce nouveau texte, mais je l'ai bonifié. Il y a aussi à la fin de mon document une réplique au communiqué de presse de l'APGQ qui tente d'amadouer les municipalités avec une promesse qui repose sur du vent. Depuis le BAPE de 2010, les ÉES, BAPE 2014, etc., c'est sûrement la dixième fois que le MERN et le MDDELCC sollicitent des commentaires et que nous y répondons. Cela semble le plus souvent des opérations de façade, car les avis externes (sauf s'ils viennent de l'industrie ...) ont apparemment bien peu d'impact auprès des fonctionnaires.
N.B. Mon texte de juin contenait déjà une ébauche de ce nouveau texte, mais je l'ai bonifié. Il y a aussi à la fin de mon document une réplique au communiqué de presse de l'APGQ qui tente d'amadouer les municipalités avec une promesse qui repose sur du vent. Depuis le BAPE de 2010, les ÉES, BAPE 2014, etc., c'est sûrement la dixième fois que le MERN et le MDDELCC sollicitent des commentaires et que nous y répondons. Cela semble le plus souvent des opérations de façade, car les avis externes (sauf s'ils viennent de l'industrie ...) ont apparemment bien peu d'impact auprès des fonctionnaires.
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Commentaires de Marc Durand, doct-ing en géologie appliquée et géotechnique
sur la version publiée le 20 juin dans la Gazette Officielle
des quatre règlements sur les hydrocarbures
des quatre règlements sur les hydrocarbures
L'article 196 indique " La fracturation est interdite dans le schiste.
Elle est aussi interdite à une profondeur verticale réelle de moins de 1 000 m.
… cette profondeur est mesurée à partir de la surface du sol."
L'interdiction de la fracturation hydraulique dans le schiste représente un important changement dans les positions du MERN et du gouvernement. L'interdiction de la fracturation pour l'exploration/exploitation des hydrocarbures dans les roches mères (shale ou "schiste") est ce pourquoi je suis sorti de ma retraite et ce pourquoi je suis intervenu à de multiples reprises depuis 2010 dans ce dossier. Je salue donc avec bonheur cette décision inscrite dans la version de juin 2018 des projets de règlements.
Jusqu'en 2017, le gouvernement partageait encore l'objectif des promoteurs dans leurs visées pour les roches mères de l'Utica et du Macasty. Le MERN s'obstinait ouvrir simultanément toutes les options, les gisements conventionnels et les gisements d'hydrocarbures diffus dans la roche mère (gisements non-conventionnels). Cette position a suscité avec raison un vaste mouvement d'opposition qui n'a cessé de croitre de 2010 à 2018.
Les preuves scientifiques des très grands risques environnementaux associés à la fracturation de vastes superficies pour l'exploitation de gisements marginaux n'ont pas cessé de s'accumuler depuis dix ans. De plus en plus d'États, de pays et de provinces ont, soit légiféré pour une interdiction de ce type d'exploitation, soit imposé des moratoires en suivant les recommandations des commissions d'enquête sous leur juridiction. Jusqu'au revirement de juin 2018, le Québec persistait à faire le contraire.
L'article 196 cité en haut de cette page règle le cas de l'Utica; il s'applique aussi au shale de Macasty à Anticosti qui était déjà l'objet d'une interdiction complète. Cependant, il y a encore dans les règlements bien des dispositions qui menacent les communautés et l'environnement, car la fracturation n'est pas interdite partout.
Dans les "bons" gisements, ceux qui contiennent un pétrole ou un gaz exploitable sans fracturation induite, l'impact environnemental peut être limité. Le Québec contient très peu de ces vrais gisements conventionnels.
Les dispositions des règlements gardent la porte ouverte pour les gisements marginaux, pauvres et non rentables en exploitation conventionnelle, car leurs hydrocarbures ne sont présents qu'en mode ténu ou disséminé. Ce n'est qu'en modifiant fortement la perméabilité du roc qu'on peut espérer les rendre exploitables. Cette grande modification du roc par la fracturation hydraulique aura là, comme dans le schiste, des conséquences désastreuses pour l'environnement. La fracturation hydraulique n'est pas plus acceptable dans les gisements marginaux dans des grès, des microgrès ou des calcaires, qu'elle ne l'est dans le schiste. Il est incohérent et illogique de maintenir des dispositions pour permettre la fracturation hydraulique au Québec.
Les articles qui précisent les conditions pour l'emploi de la fracturation hydraulique dans les règlements sont en plus très insuffisants. Une opération de fracturation se réalise et démarre dans les sections horizontales des puits; or les règlements ne traitent que des distances par rapport à la position des puits en surface, et non pas par rapport à la position des extensions horizontales des puits. L'ancienne version et la nouvelle version des règlements ont ce même vice de fond, même si les distances horizontales ont été augmentées dans la version présentée en juin 2018.
Des nouvelles restrictions plus sévères quant aux distances? Si ces puits d'exploration/exploitation se situent hors des zones habitées, tout sera encore permis, y compris l'obtention de permis de fracturation. La seule véritable modification qui s'appliquera alors sera que la distance verticale, qui est de 600 m dans le RPEP, devient 1000 m dans la version 2018 des règlements du MERN; un gain de 40% pour la norme verticale entre la surface et la partie horizontale d'un puits (figure ci-dessous). Mais cela reste une règle très risquée, car c’est dans cette distance que se fait la fracturation (fig. 1 ci-dessous).
Fig. 1 Vue en coupe d'un puits d'exploration ou exploitation. La couche cible est au bas de l'image. Les fuites dans les puits en exploitation ou abandonnés en fin d'exploitation se situent au puits (1), par des failles naturelles ou par un réseau de fractures élargies par la fracturation (1 et 2). Les fuites de méthane rejoignent l'atmosphère (1 et 2) et la nappe phréatique (3).
Les risques reliés aux fuites sont encore présents même quand on a une strate de grès, ou de calcaire par exemple, comme gisement potentiel (la couche plus foncée au bas de la figure 1). Dans un vrai bon gisement, on n'aurait pas besoin de faire de la fracturation. Mais si l'exploitant d'un gisement très peu perméable et très marginal tient quand même à tenter de l'exploiter, il pourra demander au gouvernement du Québec l'autorisation de faire de la fracturation, en autant qu'il ne s'agisse pas d'hydrocarbures emprisonnés dans une roche mère, comme du shale (schiste dans le libellé du règlement).
Voici un résumé des nouvelles distances horizontales dans les règlements du MERN; elle doublent les valeurs initialement mises dans les versions présentées en 2017, mais elles sont encore bien petites par rapport aux demandes des municipalités:
Fig. 2 Les nouvelles distances séparatrices telles que présentées sur le site du MERN. Des articles (ex. a.84 & 132) dans les règlements se rapportent aux distances ci-dessus (550m, 300m, 200m). La distance de 1000m à un cours d'eau est traitée dans l'article 23. Ceci est totalement absurde parce qu'il y a un des quatre règlements qui justement traite des plates-formes flottantes de forages directement dans les milieux hydriques ...
Le grand problème avec les distances horizontales c'est de ne pas tenir compte que les puits d'hydrocarbures se sont plus uniquement verticaux comme il y a une génération. Toutes les restrictions édictées dans la figure 2 s'appliquent uniquement pour la localisation de la foreuse en surface, pour la tête de puits. Elles ne tiennent aucunement compte des grandes extensions horizontales des forages. Je me suis permis d'emprunter et de déplacer tous les jolis dessins de bâtiments que le MERN a placé dans la figure 2, pour les situer à bonne distance pour un exemple de puits qui aurait dans quelques années une longueur horizontale de 3500 m (fig. 3 ci-dessous).
Fig. 3 Vue en coupe de la nouvelle distance verticale publiée par le MERN, dans le cas d'un forage que la technique permettra très prochainement d'étendre à 3500m (coupe à l'échelle). N.B. C'est ci-dessus une coupe de terrain avec une mince bande bleue peu profonde, comme le figure le MERN, pour représenter la nappe phréatique. Or ce n'est pas très réaliste pour représenter les nappes réelles; elle descendent bien plus bas et suivent les irrégularités de perméabilité du roc.
On constate aisément que la fracturation peut s'étendre vers le haut à faible distance sous les habitations, les écoles, les cours d'eau. Ces normes de surface oublient un élément essentiel: on peut passer et fracturer juste en-dessous des habitations et contourner ainsi bien des restrictions. Comme on ne connait encore que très peu de choses sur les migrations possibles et sur la circulation des fluides dans les zones intermédiaires entre les couches fracturées et la surface, ou entre la fracturation et le bas des nappes phréatiques, on viole là le principe de précaution. C'est la raison pour laquelle bien des législations autres que le Québec, ont interdit la fracturation hydraulique. Ici, on persiste à maintenir cette voie ouverte pour l'industrie.
Les règlements modifiés que le MERN vient de publier trainent encore une confusion entre l'ancienne approche de "tout permettre partout" et la nouvelle décision d'épargner l'île d'Anticosti (shale Macasty) et les Basses-Terres du St-Laurent (schiste d'Utica). La seule approche cohérente serait d'interdire la fracturation pour la recherche et l'exploitation d'hydrocarbures partout au Québec, point à la ligne.
Il n'y a toujours aucune disposition dans la loi 106 et dans les présents règlements qui traite de la question des puits orphelins et des puits transmis au domaine public une fois fermés. L'Alberta a une jurisprudence bien plus élaborée qui s'occupe justement des puits après la fin de l'exploitation. À la lecture des règles proposées, on constate qu’au Québec le gouvernement légifère comme si les puits disparaissaient dès qu'on a éliminé les têtes de puits et qu'on a remblayé un mètre de sol remis en végétation par dessus. La caution que les exploitants doivent déposer n'est là que pour assurer la conformité de l'étape finale de la fermeture des puits. Les règlements indiquent que la caution est entièrement remise aux exploitants une fois les conditions de fermeture remplies. Le gouvernement n'a prévu aucune cotisation pour la constitution d'un fonds servant à la gestion des sites des puits fermés. Les fonctionnaires du MERN n'ont vraiment rien compris des nombreux mémoires qu'on leur a soumis depuis 2011 (BAPE et ÉES).
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Autre commentaire sur les propositions de l'APGQ
J'ajoute ce commentaire suite au récent communiqué de presse de l'APGQ (26-07-2018) où le président de cet organisme tente de fléchir le gouvernement dans sa décision de rejeter la fracturation dans le schiste. Il le fait avec d'énormes faussetés qu'on se doit de dénoncer.
- La fausse carotte financière: on promet $500 000/an par puits aux municipalités en postulant que la moyenne des puits généreraient 15M$/an en profits nets! C'est totalement irréaliste et incompatible avec les résultats des 18 puits fracturés au Québec. Le puits qui aurait donné les meilleurs résultats (A-275-St-Edouard-HZ) ne pourrait rapporter pour l'ensemble de sa production EUR (Estimated Ultimate Recovery) que moins de 4M$, ce qui ne paie même pas 50% de son coût de construction; l'analyse détaillée est à ce lien:
Un projet-pilote dans les Basses-Terres du St-Laurent? - La prétention de réutilisation de l'eau de fracturation à 100%: des eaux de fracking injectées dans le roc, il n'en remonte partout que 30 à 50% (eaux de reflux). Cela s'explique par divers facteurs incontournables techniquement: des nouveaux vides sont créés dans la roche, une partie des eaux pénètrent la fine porosité du schiste, des composés chimiques du fluide de fracturation se lient en partie avec les minéraux naturels présents. On connaît très mal la chimie de ce qui se passe entre le roc fracturé et les composants des fluides de fracturation; cela se passe loin de toute observation directe, sous haute pression, à 1000 m de profondeur, à des températures plus élevées qu'en laboratoire, etc.
- Aucun additif chimique? Là encore de la poudre aux yeux. C'est pour endormir les enfants qu'on raconte habituellement des histoires roses.
- Les études des commissions d'enquêtes n'ont pas démontré que les puits de gaz de schiste ne contaminent pas les nappes. C'est le contraire qu'elles ont inscrit dans leurs rapports. C'est justement l'absence de preuve de l'innocuité des techniques de fracturation sur les milieux naturels qui ont incité bien des administrations à interdire ou à suspendre la fracturation hydraulique sur leur territoire. Les risques à moyen et long termes des lentes migrations sont encore totalement inconnus.
M. Binnion invoque la science mais semble ignorer un de ses principes fondamentaux: on ne doit pas faire dire à un rapport ce que son contenu réel contredit explicitement. - Appliquer l'expression "gaz propre" au gaz produit par fracturation hydraulique est un non sens. Le bio-méthane peut prétendre à un titre de gaz compatible avec les préoccupations environnementales; mais les hydrocarbures des gisements marginaux et ceux tirés du schiste qu'on extrait par la fracturation complète de la strate emprisonnant ces hydrocarbures ténus et très disséminés, n'auront jamais droit à cette appellation. La fracturation c'est une coupe à blanc dans une couche géologique; de cette coupe à blanc on retire 2% des hydrocarbures en place dans le cas du pétrole et 15 à 20% dans le cas du gaz de schiste. Ce sont d'énormes dévastations permanentes et irréversibles du domaine public (l'espace souterrain) pour une ressource bien temporaire au profit d'intérêts privés.
N.B. Le Soleil du 5 août a publié le texte de cette réplique à l'APGQ.
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