samedi 19 février 2022

Consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 21

Est-ce la fin des hydrocarbures au Québec?

Mardi 22 février 2022, la Commission de l'agriculture, des pêcheries, de l'énergie et des ressources naturelles commence des consultations particulières et des auditions publiques sur le projet de loi n° 21. Cette loi vise principalement à mettre fin à la recherche et à la production d’hydrocarbures, ainsi qu’au financement public* de ces activités.

La commission a mis en ligne une page pour l'envoi de commentaires et des mémoires.

La commission a choisi d'entendre treize groupes ou associations, plus deux professeurs:

- Fédération québécoise des municipalités

- Front commun pour la transition énergétique

- Environnement vert plus

- Solidarité Gaspésie

- Centre québécois du droit de l'environnement

- Association pétrolière et gazière du Québec

 • M. Richard Ouellet, professeur titulaire à la fac de droit Université Laval

- Institut national de la recherche scientifique 

 • Mme Annie Chaloux, prof. à la fac de Lettres et sc. h., Université de Sherbrooke

- Équiterre 

- Fondation David Suzuki

- Eau Secours

- Mères au front

- Nature Québec

- Greenpeace


Il est possible de voir ces présentations en direct ou en différé.


Sans mettre en doute la compétence de toutes ces personnes, j'espère que la question des puits après leur fermeture sera abordée. Le projet de loi 21 oublie totalement cette question dans ses articles. Les puits même fermés définitivement ne disparaissent pas de la réalité; ils devront être inscrits au passif du Québec.


Hélas cet impact négatif n'est même pas inventorié et évalué; il dépassera sans aucun doute 100M$. La commission d'étude de la loi 21 s'apprête à examiner les articles du projet de loi, et peut-être même discuter des compensations à verser à l'Industrie, alors qu'ils ne disposent même pas des données à inscrire au passif. Pire, personne ne semble avoir pensé à cet aspect de la question au gouvernement. J'aurais bien aimé avoir la chance d'exposer cela il y a six ans, lors d'une occasion qui me fut nommément refusée en 2016: Étude de la loi 106 en commission parlementaire. La semaine prochaine pourrait aussi être une bonne occasion...


Nous allons soumettre à cette commission un mémoire pour en faire un rappel. La Commission indique que les mémoires seront mis en ligne dès qu'il seront reçus et entendus lors des consultations. Je le mettrai également sur cette page-ci dès que possible. 


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* Redondant ici: s'ił n'y a plus d'activités, comment pourrait-t-il y avoir du financement public de ces activités ? Pourquoi mentionner ici du financement public ? À moins qu'il s'agisse d'un lapsus d'écriture, très révélateur: on pense "financement public pour mettre fin à l'activité"?  Encore des fonds publics bientôt dilapidés.


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ADDENDUM du 22 février 2022 -  Je visionne les auditions et je trouve cela très frustrant de constater que tous semble croire qu'une fois les indemnités payés, les puits fermés, etc. qu'il n'y aura plus de problème ! Une très grosse partie de la question est totalement oubliée: le passif que représentent les puits, même fermés avec la technologie "state of the art". Il y en a plus de 800 dans le décor. L'inventaire est mal fait mais ce qu'on sait c'est qu'ils vont devenir problématiques et très couteux à réparer dans dix, quinze ou vingt ans. Les détenteurs de permis empocheront encore des subsides, mais en échange ils transfèrent à l'état des puits qui ont une valeur négative considérable. Il n'est pas exagéré de chiffrer cela entre $50,000 à $1,000,000 par puits. C'est scandaleux.


Avec trois autres collègues, nous avons déposé à la commission un mémoire collectif. La Commission nous avait indiqué qu'il serait mis en ligne sur leur site; comme je n'ai pas vu trace de notre document sur le site de la Commission en date de ce jour, je le place ci-dessous au bénéfice de tous ceux qui seraient intéressés par son contenu: 


Addendum:  les mémoires déposés ont finalement fait leur apparition sur le site de la Commission à ce lien:https://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/CAPERN/mandats/Mandat-47129/memoires-deposes.html



Récemment, le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles du Québec, M. Jonathan Julien, déposait le projet de loi intitulé  Loi visant principalement à mettre fin à la recherche et à la production d’hydrocarbures ainsi qu’au financement public de ces activités. Au dire de son parrain, ce projet de loi concrétise l’engagement pris par le gouvernement du Québec, lors de la COP 26, de renoncer à l’exploration et à l’exploitation des hydrocarbures en territoire québécois. Au cœur de ce projet de loi, un juteux programme de compensation pour les titulaires de licence de recherche d’hydrocarbures assorti d’un calendrier pour la fermeture « définitive » de la trentaine de puits de gaz de schiste forés et, dans certains cas fracturés, entre 2004 et 2011. 

 

Le présent texte examine certains enjeux soulevés par ce projet de loi. 

 

Des compensations nécessaires et justifiées ? 

Le ministre Julien prétend qu’une somme de 100 millions de dollars doit être versée aux titulaires des licences octroyés dans le passé pour compenser les travaux réalisés en vain et les coûts administratifs liés à la détention de ces licences. D’emblée, remarquons d’abord que le projet de loi ne limite d’aucune façon la somme totale du pactole proposé et que les sociétés gazières ont des prétentions qui dépassent de très loin les compensations offertes. Aucune garantie n’est donc offerte au public sur les coûts que devront assumer les contribuables québécois. 

 

Ainsi, le projet de loi prévoit le remboursement des dépenses d’exploration encourues. Est-ce bien logique et conforme aux pratiques économiques usuelles? Les détenteurs de licence prétendent réclamer en plus des sommes pour des profits anticipés. Dans ce dernier cas, il faut clore fermement la porte à ce type de demande, car le potentiel exploitable de l’Utica est maintenant établi comme nul[1]. Il n’y aurait pas eu de profits dans un pseudo gisement qui s’est avéré non exploitable de façon rentable dès la fin des travaux d’exploration. 

 

Reste donc la question de la valeur des licences. Est-ce qu’un permis d’exploration qu’on rachète a comme valeur les dépenses encourues par son ancien détenteur? La réponse est négative; une licence d’exploration a, au départ, une valeur très incertaine et hautement spéculative. Elle monte si l’exploitant fait une découverte commercialement rentable; elle tombe à zéro si les conditions d’exploitation rendent toute extraction commercialement non viable.

 

Pour le territoire de l’Utica, c’est le deuxième cas qui s’applique. Aucun acheteur de permis n’investira un cent pour un pseudo gisement maintenant reconnu non exploitable. L’exploration minière comme l’exploration pour les hydrocarbures est constituée d’une longue suite de nombreux échecs, où les dépenses d’exploration de nombreux prospects sont compensées par les autres cas, plus rares, où un gisement très rentable est finalement trouvé. Telle est la logique économique prévalant dans ce secteur, mais telle est aussi la norme à laquelle les sociétés gazières en cause tentent d’échapper au Québec dans la plus pure logique néolibérale qui veut que les profits soient privés et les pertes doivent être assumées par les collectivités.

 

La valeur d’un billet de loterie est, au départ, équivalente, à son coût d’achat. Ensuite, une fois les résultats connus, cette valeur grimpe en flèche, ou tombe à zéro. Dans l’exploration géologique, ce changement de valeur n’est pas aussi instantané, car l’exploration se fait sur une plus longue période, généralement des années; mais il y a là aussi, au final, plus de cas perdants que de cas gagnants. Les travaux d’exploration ont démontré que le potentiel gazier n’était pas suffisant pour rendre le « gisement » de l’Utica exploitable. Tous les investisseurs du domaine des ressources minérales connaissent et acceptent, au départ, les règles du jeu. 

 

Divers autres facteurs s’ajoutaient à cette démarche spéculative entreprise en 2007: le contexte socio-démographique d’un potentiel gisement situé en plein centre de la zone la plus densément habitée du Québec. On savait ou aurait dû savoir qu’une politique extractive controversée était encore à établir, à rendre socialement acceptable, que des renversements étaient possibles, ce qui ajoutait une dimension politique au caractère spéculatif des investissements en exploration. 

 

Pour toutes ces raisons, le gouvernement ne devrait pas verser un cent de compensation. Il en a le droit plein et entier, voire le devoir de mettre fin au potentiel spéculatif de l’extraction d’hydrocarbures en territoire québécois. 

 

Les licences de recherche d’hydrocarbures ont cependant conservé pour certains spéculateurs ambitieux et gourmands une valeur qui n’a rien à voir avec le potentiel présumé d’un pseudo gisement : il s’agit de les garder ou de les racheter pour tenter de négocier des compensations auprès d’un gouvernement naïf ou complaisant. Il est vrai que tous les gouvernements qui se sont succédés au Québec depuis 15 ans ont adopté cette attitude. Le gouvernement a créé un précédent dangereux et inacceptable en payant pour annuler les licences octroyées pour la recherche d’hydrocarbures sur le territoire de l’île d’Anticosti. C’était une grave erreur; elle fournit maintenant une valeur spéculative à des permis qui autrement ne vaudraient plus rien. 

 

Des sociétés gazières déjà largement compensées ? 

Dans le cas où le gouvernement souhaiterait, malgré toute logique économique à l’effet contraire, compenser l’annulation des licences pour ainsi se donner une image respectable auprès de l’industrie, il faut lui rappeler que les dépenses d’exploration qu’il s’apprête à rembourser ont déjà fait l’objet de compensations gouvernementales généreuses.

 

Lors de la 2e Conférence de l’Association pétrolière et gazière du Québec (APGQ) en octobre 2010, il y a eu des présentations qui toutes tendaient à démontrer un avenir radieux pour l’exploration pétrole et gaz au Québec. Une de ces présentations comparait les divers contextes économiques et fiscaux des dépenses dans les principales régions où cette industrie démarrait : le Québec arrivait en tête des États les plus généreux avec l’industrie gazière et pétrolière, comme le montraient les déductions et congés fiscaux, octroyés, les subventions directes et les prises de participation significatives dans ces projets. Mentionnons encore les redevances ridicules exigées par l’État sur une éventuelle production gazière ou pétrolière (ce qui a d’ailleurs permis à Junex d’extraire plus de 12 000 barils de pétrole sans rien verser à l’État québécois). 

 

Comme on peut le constater, les avantages consentis combinés aux subventions et aux avantages fiscaux octroyés à l’industrie d’exploration et provenant des deux gouvernements (Québec et Ottawa) ont constitué un fort incitatif pour l’exploration au Québec. Ce ne sont pas les dépenses brutes d’exploration qu’il faut examiner pour un calcul de compensations éventuelles. Une bonne part de ces dépenses ont déjà été remboursées ou assumées par les gouvernements. Il ne faudrait donc pas payer deux fois ce qui a déjà été donné sous forme d’avantages divers. 

 

Un legs négatif dont il faut tenir compte

Les sites miniers abandonnés sont inscrits au passif du Québec; l'estimé conservateur et encore incomplet chiffrait cette valeur négative à 1,2G$ en 2019. Le Québec n'a pas encore fait d'évaluation comptable comparable pour les puits d'exploration de pétrole et de gaz.  Avant d’offrir de généreuses compensations, et ce, de façon irréfléchie aux détenteurs de licences d'exploration, le gouvernement doit impérativement attribuer une valeur négative à chacun des puits existants sur le territoire de ces permis.  Un puits qui aura coûté 12M$ à forer peut éventuellement devenir problématique quelques décennies plus tard. L'intervention requise pour tenter de colmater ce puits corrodé pourra s'avérer extrêmement coûteuse et se chiffrer en millions de dollars. Le rapport[2] sur la question du gaz de schiste du Conseil des Académies Canadiennes reconnait de plus qu’il faudra prévoir des réparations de réparations de ces puits et qu’ils devront être surveillés sur des siècles. Cela s’applique à tous les puits, y compris les puits fermés et ceux qui connaitront une fermeture prochaine. Des inventaires sur des milliers de puits fermés entre 1 et 40 ans ont montré qu’avec le temps la proportion de puits détériorés et donnant des fuites augmente avec les années[3]. Un puits classé « fermé définitivement » ne disparaît pas pour autant; c’est une structure souterraine longue de plusieurs centaines à quelques milliers de mètres qui se dégrade avec le temps[4]. C’est un passif important[5] légué aux prochaines générations. Ces nuisances environnementales se retrouvent transférées à la charge de l'État sans que leur bilan négatif soit établi. Le projet de loi 21 passe totalement à côté de cette problématique. Dans d’autres pays et provinces les exploitants doivent contribuer à un fonds dédié à cette question.

 

Des projets pilotes réalistes ?

Les rédacteurs du projet de loi 21 ont placé dans l­eur texte un très étrange chapitre VI  intitulé  - Projets Pilotes - .    Ce chapitre compte quatre articles (nous soulignons pour des renvois aux notes en bas de page)

42. Un projet pilote mis en œuvre en vertu du présent chapitre ne peut avoir pour effet de permettre la recherche d’hydrocarbures ou de réservoirs souterrains, la production d’hydrocarbures ou l’exploitation de la saumure. 

43. Le ministre peut, par arrêté, autoriser la mise en œuvre d’un projet pilote afin d’acquérir des connaissances géoscientifiques relatives : 

  1° au potentiel de séquestration de dioxyde de carbone; 

  2° au potentiel de stockage d’hydrogène produit à partir d’une source d’énergie renouvelable; 

  3° au potentiel de géothermie profonde; 

  4° au potentiel en minéraux critiques et stratégiques de la saumure; 

 5° à toute autre activité qui favorise la transition énergétique ou qui participe à l’atteinte des objectifs de lutte contre les changements climatiques. 

Le ministre détermine les normes et les obligations applicables dans le cadre d’un projet pilote, lesquelles peuvent différer des normes et des obligations prévues par la présente loi[6] ou par un règlement pris pour son application. Il peut également déterminer, parmi les dispositions du projet pilote, celles dont la violation constitue une infraction. 

44. Un projet pilote a une durée maximale de trois ans que le ministre peut, s’il le juge nécessaire, prolonger d’au plus deux ans. Le ministre peut, en tout temps, modifier un projet pilote ou y mettre fin. 

45. Le cas échéant, le ministre détermine, dans l’arrêté́ qui autorise la mise en œuvre du projet pilote, la personne responsable de la fermeture définitive de puits et de la restauration de site conformément aux dispositions de la présente loi, avec les adaptations nécessaires[7], ainsi que les délais impartis.

 

Nous n’avons connaissance que d’un seul projet pilote: celui que les six lobbyistes de Questerre Energy de Calgary tentent de vendre au gouvernement du Québec. Ce projet servirait à tester le stockage du CO2 dans des puits déjà forés. Questerre s’est porté acquéreur de 3200km2 de permis délaissés par les autres qui, dès 2012 – 2013, ont abandonné l’idée de développer le gaz de schiste[8] dans les Basses-terres du St-Laurent. Le projet encore mal défini de Questerre situé dans la région de Bécancour s'appuie sur une entente récente avec le chef du Conseil de la nation Waban Akis  de Wôlinak.

 

Prétendant participer activement à la lutte contre les dérèglements climatiques, le gouvernement ouvre la porte à certains projets pilotes de séquestration des GES en utilisant les puits forés dans l’Utica. Il faut dire que certains spéculateurs ont fait miroiter cette possibilité avec, à la clef, des compensations importantes pour les municipalités ou les communautés qui consentiraient à autoriser un tel projet sur leur territoire. Scientifiquement, ces dispositions législatives sont tout aussi farfelues que les rêves de richesse par l’exploitation des hydrocarbures au Québec.

 

Le stockage du CO2 dans le roc profond peut se réaliser dans des conditions géologiques bien particulières; certaines formations rocheuses comme le grès de Postdam ont dans certaines de leurs strates et de façon naturelle des porosité élevées (20% à 25%). Ces couches constitueraient des cibles éventuelles pour du stockage de CO2. Ces strates poreuses sont le plus souvent des aquifères non exploitables en raison de la très grande salinité de l’eau qu’elles contiennent. 

 

Les shales se situent à l'autre bout du spectre des porosités et perméabilité. Dans le cas des gisements diffus de gaz de schiste, la porosité est très faible et la perméabilité est quasi nulle; c’est la raison pour laquelle il faut avoir recours à la fracturation hydraulique pour modifier de façon draconienne le shale et espérer pouvoir en extraire une partie (10% à 15%) du gaz emprisonné.

 

Quand on injecte 20 millions de litres pour fracturer le shale gazifère dans un puits horizontal long de 1200m, on ajoute une très infime valeur de l'ordre de 0,04%[9] à la porosité existante, qui elle peut valoir 0,5% à 2% dans les shales. Les puits qui existent dans la région de Bécancour, comme tous les autres forés durant la période d'exploration pour les gaz de schiste dans l'Utica (29 puits, dont 18 ont eu la fracturation) ne constituent pas des puits qu'on pourrait reconvertir pour du stockage de CO2.  Le prétendre apparait comme une astuce non scientifique qui vise d'autres objectifs, qui peuvent être de se soustraire à l'obligation de fermeture définitive des puits.

 

Il n’est pas approprié de placer dans la loi qui se rapporte à la fermeture des puits d’hydrocarbures un chapitre qui ne peut absolument pas concerner la reconversion de puits de gaz de schiste. Le lobby pour le projet pilote de Questerre a réussi à faire inclure dans la loi 21 un chapitre incongru qui leur permettra peut-être d’échapper à l’obligation de fermeture définitive des puits. Cela démontre encore une fois que le législateur est perméable à ce type de pression et cela se fait au détriment de la logique et des objectifs de la loi.

 

En 2014 la rédaction du RPEP (Règlement sur le Prélèvement des Eaux et leur Protection) avait subi les effets du même type de pression de la part du lobby pétrolier de l’époque. Ce règlement, qui visait dans son essence la protection des eaux souterraines, s’est vu ajouter de façon tout à fait incongrue, dans son chapitre V une section de sept articles consacrée à la fracturation hydraulique dans les puits d’hydrocarbures[10]. À l’époque Pétrolia avait de nombreux lobbyistes qui grenouillaient dans les ministères pour faire ajuster les lois et les règlements en cours d’élaboration en fonction des besoins de l’époque. L’extraction des hydrocarbures de schiste à Anticosti n’avait strictement rien à voir avec la protection des eaux, bien au contraire; pourtant la vision des promoteurs de l’heure a fait que ces articles ont été intégrés au RPEP.

 

Nous avons lutté sans relâche durant huit ans pour faire invalider ces articles du RPEP. En 2022 le gouvernement dans un virage à 180° pense maintenant mettre fin à l’exploration des hydrocarbures. La loi 21 comporte un article qui abroge enfin dans le règlement sur les eaux les dispositions conçues pour la fracturation hydraulique:

114. La section IV du chapitre V de ce règlement, comprenant les articles 40 à 46, est abrogée

Cela a pris huit ans pour corriger cette aberration. Cependant cette même loi 21 refait le même genre d’erreur avec ses articles 42 à 45 sur les projets pilotes. Le stockage de CO2 n’a rien à voir avec des puits forés dans le shale pour du gaz de schiste.

 

La transparence indispensable

Les citoyens et les collectivités doivent vivre maintenant et à jamais avec la présence de puits réalisés pour l’exploration d’hydrocarbures. Pourtant réalisés dans l’espace public (i.e. le milieu souterrain), l’accès à des données cruciales[11] sur ces puits nous a été régulièrement refusé en invoquant les articles de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels. C’était là un abus manifeste au MERN et une interprétation très biaisée en faveur de l’industrie.

 

Nous demandons l’ajout de deux articles explicites pour mettre fin à ce blocage de l’information relative aux puits, qu’ils aient été désignés par le terme forage, ou par l’expression sondage stratigraphique[12].

-        Premier article : les détenteurs de permis actuels ou passés doivent déposer tous les documents relatifs aux forages, notamment les documents qui traitent des travaux de complétion et de fracturation, si ces documents n’ont pas déjà été transmis à l’époque ou leur dépôt était facultatif.

-        Deuxième article : tous les documents relatifs aux travaux et inspections sur les puits ont un caractère public et les délais antérieurement prévus pour leur divulgation cesse dès l’adoption de la loi. 

 

Conclusion

Comme scientifiques indépendants engagés dans le soutien aux municipalités et aux citoyens et citoyennes inquiets des conséquences environnementales d’un tel développement, nous ne pouvons qu’applaudir à l’abandon de la recherche d’hydrocarbures, mais, en même temps, nous devons réclamer des amendements à un projet de loi qui, une fois de plus, fait la part belle à ces spéculateurs en mal de gains obtenus sans cause légitime. L’actuel gouvernement a la responsabilité pleine et entière de régler ce fiasco économique et environnemental où près des centaines de millions de dollars d’argent public a été gaspillé. Les députés de la CAQ avaient voté en 2016, en troisième lecture et sous le bâillon, en faveur de l’adoption de la Loi sur les hydrocarbures[13] qu’on veut maintenant abroger. C’est cette loi qui suggère au gouvernement d’indemniser les détenteurs de permis s’il y porte atteinte. Ce qui place aujourd’hui le gouvernement en position de faiblesse pour négocier. Le gouvernement de Pauline Marois a malheureusement créé un précédent dangereux. Quant aux Libéraux qui ont « donné » les permis, inondé ces spéculateurs de subventions, de participations financières avantageuses, en plus de préparer le cadre de politique publique et législatif que le syndicat des ingénieurs a dénoncé. Il y a donc un aveuglement volontaire de tous les gouvernements qui se sont succédés depuis 15 ans et qui, aidés par un groupe de hauts fonctionnaires et de certains autres au service d’intérêts privés, ont cru à ces projets dont nous avions pourtant démontré le caractère chimérique, dès 2011.



[2] Conseil des académies canadiennes (CAC) 2014. Incidences environnementales liées à l’extraction du gaz de schiste au Canada, 266p. Voir p. 228 de ce rapport le texte cité : « la nécessité́ d’une surveillance à perpétuité́, car même après qu’on ait réparé́ d’anciens puits présentant des fuites, les réparations du ciment pourraient elles-mêmes se détériorer ».

[3] Brufatto et al 2003, From Mud to Cement—Building Gas Wells,  Oilfield Review, Sept 2003, pp 62-76

[4] Aucune des techniques disponibles n’apporte de solution aux fuites de gaz et autres composés fluides. C’est un problème connu qui perdure et augmente avec le temps.

[5] Les puits fracturés dans l’Utica, les autres puits en Gaspésie, Anticosti, les centaines d’autres plus anciens dont on a qu’un inventaire incomplet constituent un passif qui dépassera largement 100M$.

[6] C'est une porte ouverte pour permettre à un détenteur de permis de demander de soustraire à cette loi tout projet qui se prétendrait "projet pilote".

[7] Il y a beaucoup de flou dans ces articles 43 et 45; le ministre s'attribue une latitude qui n'a aucune limite précise définie dans cette loi, ni même un objectif clairement présenté.

[8] Pour des raisons de non rentabilité, le principal détenteur de permis Talisman assume en octobre 2012 la perte 109M$ d’investissement en exploration et forages au Québec

[9] C’est en effet au mieux 20000m3 de vides de volume injecté dans 50 millions de m3 de roc (20 000/50 000 000 = 0,0004 = 0,04%)

[10] Durand, 2014. D’où vient la norme de 400m du RPEP, aussi dans un document vidéo de 19 minutes.

[11] Les rapports portant sur les travaux de complétion des puits, notamment l’étape de la fracturation.

[12] Le MERN a introduit une distinction entre sondage stratigraphique et forage pour contrer une requête du CQDE à propos des autorisations de forages à Anticosti en 2013. Les obligations (autorisation, dépôt de rapport, etc.) relatives aux forages disparaissaient quand le MERN les désignait plutôt comme des sondages stratigraphiques. Les rapports de forage devaient être déposés au MERN et accessibles dans la banque du Système d’information géoscientifique pétrolier et gazier, mais pas ceux des sondages stratigraphiques.

























































1 commentaire:

  1. Merci de ce texte pertinent, comme toujours. Je tiens toutefois à vous confirmer que le Front commun pour la transition énergétique a clairement mentionné les coûts à prévoir après la fermeture des puits : "les puits de forage qui seront fermés constitueront une dette écologique illimitée que les titulaires de licences révoquées laisseront à la société québécoise et à toutes les communautés qui en subiront les impacts. Ni le ciment ni l’acier ne sont éternels. Plusieurs puits inactifs, sinon tous, laisseront échapper tôt ou tard du méthane, comme en témoigne déjà le Plan d’action pour la localisation, l’inspection et la correction des puits d’hydrocarbures inactifs sur le territoire du Québec du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles. Les 18 puits fracturés sont particulièrement préoccupants car il est tout aussi impossible de reconstituer une roche fracturée que d’enlever un puits de forage. Cet héritage signifie qu’une fois les puits « définitivement » fermés, des programmes rigoureux d’inspection et d’entretien devront être maintenus indéfiniment, et ce aux frais de la société québécoise."

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