mercredi 1 octobre 2014

Fuites des puits d’hydrocarbures après leur fermeture (suite)

La visite de deux puits abandonnés de la région de Leclercville le 30 août a été le sujet de mon billet du mois dernier. Je poursuis ce mois-ci cette analyse des fuites des puits d’hydrocarbures après leur fermeture en analysant de façon plus spécifique les causes et les mécanismes des fuites. Le billet suivant fera une analyse comparative des fuites des puits non conventionnels VS conventionnels.
Il faut en premier regarder comment sont construits ces puits, quels sont les éléments de leur structure et comment ces éléments de structure peuvent être la cause des fuites de gaz. La figure 1 montre un schéma de puits assez représentatif. La figure n’est pas à l’échelle, car le diamètre des puits est de l’ordre  0,3m et leur longueur de 1000m ou plus; le dessin comprime donc fortement cette dimension verticale.
Ces forages se font par étape : le trou de plus grand diamètre et peu profond est d’abord foré et un tube de grand diamètre est mis en place pour empêcher les terres de surface de s’ébouler dans le trou. Ce premier trou forme le cellier qui est parfois démonté et remblayé une fois le puits complété. On fore ensuite pour installer un premier tube-guide (diam. 34cm), puis on poursuit en forant au trépan en 31,8cm (12,5") pour mettre en place un tubage de 24,45cm (9"5/8); on poursuit le forage en 21,6cm (8,5") pour mettre en place un tubage de 17,78cm (7"). Le dernier tubage dit "de production" a un diamètre de 11,43cm (4,5"), dans les puits récents comme ceux de Talisman Leclercville. Il y a d'autres choix de diamètres et les tubages employés dans les divers puits peuvent varier. La figure 1A montre un schéma de cet arrangement de tubages concentriques désignés ainsi:
(S) tubage de surface, 
(I) tubage intermédiaire
(P) tubage profond/de production
La figure 1A indique aussi les diamètres et les profondeurs dans un exemple réel: le puits A190 commenté dans le billet du mois dernier, où on donne aussi sa localisation précise. Il a été foré du 1er janvier au 28 février 1979, jusqu'à la profondeur de 2174m en traversant successivement 20m de dépôts meubles, 1905m des strates du groupe de Lorraine, 205 m du shale d'Utica, pour s'arrêter dans les calcaires du Trenton. Il a été fermé et abandonné le 14 octobre 1981.

Les tubages viennent le plus souvent en sections de 40’ (~12m) filetés mâles aux deux extrémités; l’assemblage de deux longueurs se fait par une bague de jonction. Dans un tubage qui descend à 1000 m on a donc plus de 80 joints de section, et cela pour chacun des assemblages concentriques. Entre les tubes de métal, c'est en principe du ciment qui remplit l'espace. Le coulis de ciment est injecté depuis le bas et doit remonter lors de sa mise en place dans un espace bien étroit entre deux parois (roc-acier  ou  acier-acier, selon le cas). Tous ceux qui ont déjà travaillé avec du béton ou du coulis de ciment entre deux coffrages* vous le diront: la mise en place résulte à peu près toujours avec des imperfections inévitables.

Figure 1  A) Puits foré en trois diamètres successifs        B) Le même puits fermé, bouché et abandonné.


Les conditions d'un forage et la cimentation de ses tubages sont bien plus contraignantes que les cas des coffrages dans la construction d'édifices. Les défauts de remplissage sont d'autant plus courants que les conditions sont adverses. Même neufs, les puits construits de sections de tubes vissées et de remplissage imparfait de coulis comportent de très nombreuses sources de fuites.


Figure 2   Les sources possibles de fuites (adapté de Celia et al. 2006).
La figure 2 ci dessus montre huit causes de fuite; j'ai repris les six causes (Nos 1 à 6) énumérées par Celia et al. 2006 dans leur analyse des fuites dans les puits conventionnels simples. Il n'y a qu'un seul tubage (le tubage P) et un seul anneau de ciment dans ce schéma. On a aussi omis la la présence des nombreux joints qui assemblent les sections de tubage. L'industrie présente à peu près toujours les tubages sans mentionner qu'il peut y en avoir plus de cent dans un puits foré.

J'ai ajouté à leur figure deux autres causes assez fréquentes dans les fuites observées. L'élément (7) représente l'extension d'une fracture annulaire qui se développe avec le temps, comme Dusseault et al 2000 l'ont commenté dans une étude très détaillée. J'ai ajouté un phénomène (8) qui est responsable parfois de grandes catastrophes comme celle de la rupture du puits Deep Water Horizon le 20 avril 2010 et le puits Total en mer du Nord le 25 mars 2012. Ce phénomène survient lors de la mise en place du coulis, avant qu'il ne se solidifie. Le coulis à une profondeur donnée subit les pressions de la colonne de liquide qui existe jusqu'en surface; il subit aussi la pression de fluides (eau, gaz) présents naturellement dans certaines strates. Si la pression du gaz et/ou de l'eau  dans le roc dépasse celle du coulis, ces fluides entrent et diluent le coulis pendant qu'on le met en place. Le coulis perd de sa densité, ce qui entraine en même temps une diminution du poids de la colonne de coulis. La baisse de pression facilite encore plus l'intrusion d'eau et de gaz dans le coulis.

Le phénomène s'auto alimente et prend une ampleur catastrophique quand les opérateurs n'interviennent pas assez rapidement. Les grandes catastrophes sont rares, car ce risque est connu et suivi de près; on contrôle depuis la surface la pression et on utilise des boues alourdies pour plus de pression. Si les ruptures fatales sont rares, ça ne veut pas dire que les phénomènes d'infiltration d'eau et de gaz dans les coulis le sont aussi. Ce sont les développements catastrophiques du phénomène que l'industrie arrive à empêcher le plus souvent, et non pas le phénomène à plus petite échelle. Il y a beaucoup de cas où des infiltrations mineures d'eau et/ou gaz affaiblissent le coulis sur des longueurs difficiles à évaluer. Sur ces distances le coulis durcit, mais avec une porosité et une perméabilité bien plus élevée que ce qui était prévu. Tout cela constitue des voies pour les fuites.

Le contrôle de la pression dans le coulis liquide est possible tant que le coulis est liquide. Mais dans un espace annulaire de deux ou trois centimètres et long de 1000 à 2000m, la prise du ciment n'est jamais uniforme et synchrone sur toute cette distance. De plus le durcissement se fait toujours avec une contraction de volume (1 à 5%). Ces deux conditions font que des portions annulaires de coulis durcissent avant d'autres, encore liquides, dans cette longue colonne. Les portions durcies empêchent à cet instant le maintien de la pression dans les zones liquides en voie de contraction. Dans ces secteurs, la pression chute et les venues d'eau et/ou de gaz entrent dans le coulis (à gauche sur la figure 2) et le rendent très poreux avant qu'il durcisse à son tour. Des chenaux perméables sont ainsi créés dans le coulis, avant même son vieillissement.
Les trois figures ci-dessous sont tirées de l'une des rares études faites sur des tubages sortis d'un puits relativement récent (Soter 2003). Cette recherche a été réalisée pour comprendre pourquoi les tentatives de colmatage des fuites dans les puits pétroliers du Golfe du Mexique échouent dans un très grand nombre de cas.
On peut y voir sur les trois figures des causes de fuites parmi les plus fréquentes:

Figure 3  – Les tubages en sections assemblées par bague de jonction qui ont servi à l'étude Soter 2003.

 - Mauvaise mise en place du coulis dans un volume mal débarrassé des particules et des reliquats de boue (fig. 4).
 - Espace annulaire ouvert de quelques millimètres aux contacts coulis/tubages. (fig. 4 et 5).
 - Décentrage courant des tubages: le coulis n'arrive jamais à obturer ce mince espace dans la zone de contact (fig. 3, 4 et 5).
 - Circulation de fluide par les joints de tubage et amorce de corrosion accélérée (fig. 5, tubage à gauche).

Figure 4 tirée de la thèse de Soter 2003 – Vides au contact coulis/tubage et autres défauts de scellement.


Figure 5 tirée de la thèse de Soter 2003 – Vides dus aux tubages décentrés et amorce de corrosion.
La réparation des zones mal cimentées est possible (par des "squeezes") mais c'est complexe, coûteux à mettre en œuvre et ce n'est pas toujours efficace. Talisman l'a tenté pour trois zones dans le puits A266; ce n'est qu'à la troisième zone que l'opération de perçage du tubage pour injection forcé de ciment de colmatage a un peu mieux fonctionné; sans pour autant arrêter complètement les fuites à ce puits. La réparation par injection de coulis ne fonctionne à peu près jamais correctement si la corrosion s'est déjà installée.
Les opérateurs n'ont comme accès que l'intérieur du tube le plus petit; pour injecter une zone défectueuse entre les tubages déjà installés et cimentés, ou encore entre le tubage externe et le roc, ce type de réparation requiert le perçage de plusieurs centaines trous dans le tube d'acier, ce qui devient par la suite autant de zones affaiblies du tubage, donc des amorces possibles pour la corrosion.
Quand on en a terminé avec un puits, l'exploitant le ferme et il devient "abandonné" un terme défini dans la loi des mines: "fermeture définitive: une cessation des travaux de forage, de complétion ou de modification d'un puits avec l'intention de cesser toute activité et de ne plus poursuivre les travaux dans un puits, lequel est désigné puits abandonné". Le puits retourne à la collectivité puisqu'il est implanté dans le substratum qui est une propriété de l'État.
Le puits A190 est un exemple concret de puits fermé et abandonné. Les règles en vigueur exigent la mise en place de bouchons de béton de 10 m de longueur minimale quand ils sont placés dans un puits avec tubage pour isoler chaque zone perméable, ainsi qu'en tête du puits, plus un bouchon de 30 m au fond du puits. Le problème avec cette idée de bouchons c'est qu'ils ne servent qu'à fermer l'intérieur du tube le plus petit (tubage P). Les chiffres encerclés de la figure 1B montrent qu'il y a bien des chemins possibles pour la circulation des fluides et le tube interne (tubage P) n'est qu'un élément (le No 5) de cette liste de six:
(1) fluide venant de strates perméable ou de joint naturel sur toute la colonne forée; le gaz remonte dans l'espace entre le roc et le tubage externe
(2) défaut d'étanchéité de joints de tubages aggravé par la corrosion
(3) l'espace entre P et I et entre les tubages I et S – défauts du coulis
(4) fractures naturelles permettant la circulation dans le roc au voisinage du puits
(5) par l'intérieur du tubage central (tubage P- fuite au travers des bouchons dégradés

(6) fuite au pourtour de la plaque de scellement (fig. 6)

Figure 6  Une plaque en cours d'installation sur un puits qu'on ferme. Fuite de gaz dans un cas où la plaque est neuve, pas encore enterrée, ni corrodée (tiré de  Bachu & Watson).

Avec le temps ces bouchons de béton sont plus ou moins efficaces: les mêmes défauts de mise en place qu'on a indiqués pour les coulis entre les tubages, les fissures annulaires, les mauvais contact métal-ciment, la dégradation dans le temps, etc. se retrouvent dans le tubage le plus interne et ses bouchons. Les coulis et le béton se dégradent, le métal des tubages se corrode au niveau des multiples joints de section en premier, mais également partout ailleurs. Les fluides suivent aussi des chemins de circulation dans le voisinage de la paroi du roc foré. Dans cet anneau externe, les défauts d'imperméabilité du joint permettent la remontée de méthane (et autres fluides). Le gaz peut provenir du shale d'Utica en fond de forage, mais le gaz existe aussi dans des strates (1) qui sont stratigraphiquement au-dessus de l'Utica. Les strates du groupe de Lorraine contiennent assez de gaz pour donner naissance à des fuites.
Quand on ferme définitivement un puits, les tubages sont découpés au chalumeau à un mètre sous le sol et une plaque d'acier de un cm (6) est soudée sur l'ouverture du tubage extérieur. La loi précise  pour la fermeture que "le puits doit être laissé dans un état qui empêche l'écoulement des liquides ou des gaz hors du puits". Or les fuites sont observables, tant à l'intérieur des puits obturés qu'à l'extérieur des tubages. On constate même qu'il y a eu parfois l'installation d'évents pour éviter l'accumulation de trop fortes pressions dans certains puits bouchés, ce qui évidemment est en contradiction totale avec l'exigence qu'on vient de citer ci-dessus, par exemple aux puits A190 et A216.
Les règles ont été resserrées quant à la mise en place des bouchons: on exigera des bouchons plus long et plus nombreux, mais cela ne règlera aucunement la question des fuites. Même avec le bétonnage total de toute la longueur du tube de production, il y aura encore des fuites. Le bouchon interne dans le tube P  ne concerne qu'une petite superficie ou petite section en travers du chemin des fluides. Les zones entre les divers tubages P, I, S (fig. 7) et le roc sont bien plus souvent impliquées comme causes des fuites. Les coulis mis en place lors de la construction des puits forment rarement des obturations étanches; de plus les autres sections en cause sont nettement plus importantes que la section intérieure du tubage le plus petit.

Figure 7  Les espaces à obturer: lors de la construction avec les coulis et lors de la fermeture avec le bouchon de béton.
Les tubages existent en plusieurs épaisseurs de parois selon la résistance désirée et en conséquence les épaisseurs des parois de tubage affectent un peu les superficies des sections inter-tubages qui sont remplis de coulis:
Figure 8  Les espaces à obturer; bouchons de béton en jaune –   coulis: cyan (I-P),  vert (S-I),  orangée (S et roc).
Le tableau ci-dessus indique qu'il y a une section de 74 à 81 cm2 à obturer avec un bouchon de béton; mais la section entre les tubages P et I (>91 cm2) possède une ouverture plus grande, de même qu'entre I et S (>134 cm2). Finalement l'espace entre le tubage externe (S) et le roc a 322 cm2 de section; il est à lui seul quatre fois plus grand que la section d'un bouchon intérieur. La règlementation accorde beaucoup d'importance aux bouchons à mettre en place l'intérieur du tubage P, bien que cette superficie ne constitue que 12% à 15% des sections perméables à obturer. Les sections avec coulis ont au final une bien plus grande importance dans la production des fuites que les bouchons, mais les règles actuelles n'accordent aucune exigence spéciale quant à l'état des coulis lors de la fermeture; seuls les bouchons internes sont règlementés.
Dans ce document je présente les fuites comme elle se déroulent: des circulations de méthane qui remontent verticalement entre les tubages et à l'extérieur des tubages; ils finissent par rejoindre la nappe phréatique, puis l'atmosphère. Je me permettrai ici de compléter cette présentation en ajoutant un commentaire sur la présentation fort différente que fait l'industrie de cette question de contamination de nappes par les fuites des puits. Dans leurs documents les promoteurs présentent couramment l'énoncé suivant: l'aquifère (limité à une très mince couche en bleue dans la figure 8 ci-dessous) serait protégé par la conception judicieuse des trois tubages concentriques. Il serait donc impossible que le gaz dans le tube le plus interne puisse traverser ces six barrières "étanches" (trois anneaux de ciment faussement décrit dans la figure du mémoire APGQ comme étant en "béton" + trois parois d'acier).
Figure 9  La thèse défendue par les promoteurs de l'industrie (deux figures tirées des références indiquées au bas des figures ci-dessus).
Décrire des fuites qui voyageraient à l'horizontale et traversant les parois (flèches bleues dans la figure 9) est évidemment une façon de présenter la question sous un jour très favorable à l'industrie. Comme les fuites existent bel et bien, présenter les trois tubages comme des barrières c'est donc une analyse très incomplète, voire frauduleuse, de la question des fuites possibles.
Cette "démonstration" de la protection des nappes grâce à la conception judicieuse des coffrages (tubages), ne tient jamais compte évidemment de la présence des jonctions des sections dans ces tubages; or il y a des centaines de ces jonctions dans chaque puits. On n'y traite jamais non plus de l'effet de la présence des perforations qu'on réalise justement à la hauteur de zones problématiques pour pouvoir injecter un coulis de réparation et de colmatage (opérations désignées "squeezes").
Finalement on ne traite pas du tout la question du vieillissement et de la corrosion des aciers et des coulis. Les coulis se dégradent de façon plus rapide que les tubages, mais ces derniers ne sont pas à l'abri des perforations par de la corrosion avancée.


Figure 10 Quelques images de tubages corrodés illustrés dans des brochures des firmes spécialisées dans leur détection par diagraphie.
Il y a toute une littérature abondante sur le sujet de l'inspection des corrosion des tubage de production; ce sont en effet les seuls accessibles par les  auscultations qui se font par diverses techniques. Cette question de détection des corrosions et dans les cas extrêmes perforations du tubage de production préoccupe l'industrie pétrolière, car toutes les brochures des firmes qui vendent ce type de service insistent sur la perte de profit (voir "A hole in your pocket") causés par ces trous dans les tubage des puits actifs. Dans ce document, on indique que ces ruptures du tubage ("casing failure") se développent pendant la vie productive des puits, dans certains cas en moins de 24 mois ; à quel taux se développent-elles ensuite après l'abandon pur et simple des puits fermés?
En résumé de cette analyse, ce qu'on doit retenir c'est que les fuites se produisent pour une multitude de raisons, liées surtout à la mise en place des coulis dès la construction. Les images de corrosion de la figure 10 représentent des cas considérés comme extrêmes et peu fréquents, mais il faut noter qu'ils se rapportent à des investigations dans des puits actifs; c'est-à-dire des puits qui n'étaient pas encore arrivés à l'étape de l'abandon. La corrosion s'ajoute comme cause de fuites, mais elle n'est pas indispensable pour qu'il y ait des fuites. En fait la corrosion est plutôt une conséquence de l'existence de voies de circulation; elle s'amorce là où il y a des défauts d'étanchéité. Elle s'installe en premier là où les fluides ont commencé à circuler. Comme c'est déjà un problème pour les puits actifs, on peut trouver dans les publications de l'industrie une documentation abondante sur ce que j'ai présenté ici de façon très résumée et simplifiée.
Par contre, il n'y a à peu près rien comme études pour les puits fermés, enterrés, abandonnés. Aux USA, au Canada, comme partout dans le monde la prise de conscience des problèmes que posent les puits abandonnés est toute récente; dans certains pays, cette prise de conscience est même inexistante**. Les études récemment entreprises ça et là en sont pour la plupart à l'étape de l'analyse initiale: faire l'inventaire des puits, tenter d'en retrouver la localisation. On a très peu de données sur l'état réel de ces puits. Les investiguer couterait une fortune et il n'y a plus personne qui en prend réellement la responsabilité. Si on peut prétendre que les images de la figure 10 sont des exceptions dans les puits actifs, je crois par contre que c'est, ou que ce sera l'état général des puits abandonnés.

Trois questions qu'on m'a posées:


Si on bouche l'évent dans les puits (ex. A190, A216) arrête-t-on les fuites de méthane?
Rép. :  Absolument pas. Le méthane va tout simplement se mettre en pression sous l'évent fermé. Ce gaz aura une pression plus haute que précédemment et alors va fuir par les autres chemins possibles, dans l'espace entre le tubage externe et le roc fort probablement. Dans le pire cas, celui où la fuite par l'évent serait la seule voie possible et qu'on la ferme, la pression va monter considérablement sous la tête du puits, créant alors une situation très dangereuse de gaz à haute pression confiné dans un cylindre vieillissant  à moins d'un mètre sous le sol. L'évent ouvert est un moindre mal, et c'est pour cette raison qu'il a été installé.
Peut-on régler ce problème de fuites autrement?
Rép. :  On peut tenter de le faire, tout peut se faire. La vraie question est avec quels moyens, combien cela couterait et quelle en sera l'efficacité. Comme pour un pont vieilli, il est inutile de commander des couteux travaux de réparation sans une investigation complète de l'état de dégradation de la structure. Dans un puits c'est la même chose: inutile de réparer les fuites d'un tubage interne (P) si les deux autres (I ou S, qui eux sont inaccessibles) sont dans le même état. Les fuites prendront tout simplement le chemin alternatif. Investiguer un puits fermé signifie l'ouvrir à nouveau, faire venir des équipes spécialisées, une tour de forage à réinstaller, forer dans les bouchons, inspecter par sondes et caméras toute la longueur du puits, etc. Toutes ces opérations sont à haut risque dans un puits endommagé et bien plus couteuses que dans un puits lors de sa construction initiale. Elles sont incomplètes quand on inspecte que l'intérieur du tubage P, le seul accessible directement. Finalement dans le cas où des travaux de réparation seraient finalement exécutés, cela amène automatiquement une dernière question: combien de temps cette réparation tiendra-t-elle? Combien de temps avant d'avoir à nouveau l'obligation de recommencer pour réparer la dégradation de la réparation précédente? Un puits abandonné qui fuit coutera au final plus cher que le prix de sa construction; le réparer à chaque trente ans sera prohibitif et inefficace; ne pas le réparer et laisser les fuites a aussi un impact économique: perte de valeur des terrains, CH4 à comptabiliser en taxe de gaz à effet de serre, inspections et suivi, etc.
Quelle est actuellement l'ampleur du problème au Québec?
Rép. : Pour la situation actuelle au Québec il faut préciser que même corrodés et plein de trous, tous les puits ne produiront pas nécessairement des fuites. Pour qu'il y ait fuite, il faut aussi le deuxième élément: la présence de fluide pouvant s'échapper (gaz, pétrole, eaux sursalines, etc.). J'ai analysé ce point dans le texte de septembre et cela indiquait qu'environ 63% des puits sont à risque, les autres étant probablement "sec" (i.e. sans source de gaz ou pétrole). Les 950 puits forés au Québec pour la recherche d'hydrocarbures au cours du dernier siècle étaient des puits d'exploration; il n'est pas anormal de constater qu'un tiers de ces forages aient été secs. Le problème des fuites est donc en ce moment encore limité à quelques centaines de puits; ce sera néanmoins une tâche considérable de les investiguer, car plusieurs sont encore "perdus" dans la nature et le gouvernement n'a même pas d'étude de terrain qui lui indiquerait quels puits sont problématiques. La situation serait très différente si on commençait à forer des milliers de puits d'exploitation; ils seront alors à peu près tous implantés dans des secteurs où la présence d'hydrocarbures aura été identifiée et tous ces puits en contiendront; tous fuiront une fois fermés et arrivés à un certain niveau de détérioration. La situation serait dans un tel cas autrement plus complexe.
Ce texte complète celui du mois de septembre pour ce qu'on peut présenter comme analyse des puits conventionnels, des simples puits verticaux forés dans un but d'exploration dans les cas des >900 puits abandonnés au Québec. À ceux là s'ajoutent depuis 2008 dix huit puits très différents, car on y a fait de la fracturation artificielle du shale d'Utica. Mon billet du mois de novembre complète cette série de trois textes en analysant ce que la fracturation apporte comme paramètres nouveaux dans la question des puits implantés à demeure dans l'environnement. Nous verrons alors que les mêmes lacunes dans les techniques sont présentes, mais qu'elles sont nettement amplifiées par la présence d'un nouvel élément: fracturation. Bien qu'en Amérique du Nord, moins de 0,1% des 4,5 millions de puits abandonnés sont dans cette catégorie, mais déjà on parle de "superemitters".


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* Le terme coffrage s'applique bien aux parois temporaires qui servent temporairement à mouler les éléments d'une structure en béton. Dès que le béton a fait prise, les coffrages sont retirés. Ce n'est pas du tout le cas des puits: les tubages sont des éléments permanant dans la conception des puits et ce n'est pas du béton qu'on infiltre pour remplir l'espace entre les tubages, mais bien un coulis de ciment très fluide. L'emploi des termes "coffrages" et "béton" pour des puits est une incongruité qui perdure ici au Québec dans des documents du ministère MERN et des documents de promoteurs de l'industrie.

** Lors d'un colloque sur la gaz de schiste en France en 2012, un ingénieur responsable de ce dossier m'a dit que la situation que je décrivait dans mon exposé ne s'appliquait nullement en France car m'affirmait-il " les puits français ne fuient pas". J'ai pas la suite compris qu'aucune fuite n'avait jamais été répertoriée pour l'excellente raison qu'il n'y avait aucun programme de détection!

5 commentaires:

  1. Le volume de gaz qui va fuire n'est autre que les 75 à 80% des réserves mobilisables situées dans la zone fracturée. Au delà de ce rayon de drainage la perméabilité du schiste est supposée nulle. Comment donc aura lieu la répressurisation menaçant la structure du puits?

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    1. Le volume de gaz qui peut nourrir ces fuites réside effectivement dans ce qui reste en fin de production. On ignore pour l'instant dans quelle proportion ce qui est encore dans le shale, va effectivement fuir. Il n'est pas exclu qu'une part reste emprisonnée à jamais dans le shale. Mais cela n'a rien à voir avec un quelconque rayon de drainage.
      Dans les shales exploités actuellement, la densité des forages parallèles est optimisée pour couvrir toute l'étendue. Si la fracturation s'étend à 200m, l'espacement des forages horizontaux est choisie à 400m. Tout le volume du shale contribue à la production, comme aux fuites qui suivront. Cela suit une courbe exponentielle que j'ai expliquée à ce lien: http://rochemere.blogspot.ca/2014/07/le-pourcentage-de-gaz-exploitable.html

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  2. Y a t-il possibilité de revenir sur le puits après quelques années, après repressurisation, et produire ce gaz à haute pression pour minimiser les fuites, d'une part, et mieux exploiter la zone fracturée, d'autre part.

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    1. M. Beghoul, votre question m'a été posée régulièrement et elle est très pertinente. La réponse simple est NON, aucun intérêt commercial à revenir sur un puits de gaz de schiste; ça peut arriver cependant dans des puits des gisements conventionnels. Dans le cas des exploitations avec fracturation hydraulique, le débit de production diminue de façon exponentielle. Après quelques années, prenons 5 ans par exemple, le massif de shale fracturé ne fourni plus qu'un débit non intéressant commercialement (https://youtu.be/FeJvh7T3-pY). Les dépenses pour le maintenir ouvert sont plus grandes que la valeur du gaz extrait. Supposons que trois ans plus tard l’exploitant revienne sur le puits. Du gaz se sera accumulé dans le puits (qui a un volume restreint) et dans le volume des fractures ouvertes (qq. milliers de m3).
      En supposant qu’il réouvre ce puits 3 ans plus tard (travaux coûteux) et le remette en production, il aura pour quelques jours seulement un bon débit constitué par le gaz accumulé et mis en pression dans le conduit du puits+fractures. Très rapidement, le débit qu’il en tirerait retournera sur la portion faible de la courbe de production, une valeur (8 ans) encore plus faible que celle à cinq ans, au moment de l’abandon.

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  3. Merci beaucoup Monsieur Durand pour vos enrichissantes réponses à mes deux questions ,dont celle en anonymat, le même jour, @13:52. Aussi, je vous exprime mes félicitations pour les efforts scientifiques que vous menez pour vulgariser un sujet aussi sensible.
    Said Beghoul

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