Lettre ouverte déposée dans le cadre de la consultation pour les ÉES Hydrocarbures et ÉES-Anticosti. Ce texte est une version
mise à jour et augmentée de mon mémoire 2013 - Commission sur les enjeux
énergétiques du Québec, notamment pour tenir compte des apports récents dans le
dossier d'Anticosti. Le document est également publié sur le site du gouvernement.
Marc
Durand, doct-ing. en génie géologique, mars 2015
Les
hypothétiques gisements d’hydrocarbures non conventionnels au Québec - Anticosti
Nous analyserons de façon générale la problématique des gisements d’hydrocarbures de roche-mère dans la première partie de ce mémoire. Dans la 2e partie du document, nous présenterons une analyse spécifique du pétrole dans le shale Macasty à Anticosti. L'autre gisement non conventionnel au Québec est le shale d'Utica; lui aussi ne pourrait être exploité qu'en ayant recours à une technique de fracturation. Ce dernier cas a été traité dans le rapport du BAPE 2014 [1]; j'ai aussi soumis un mémoire pour l'Utica [2].
Le portail Hydrocarbures [3] du Gouvernement du Québec mentionne "les nouvelles technologies d’exploitation des ressources fossiles ouvrent de nouvelles perspectives pour les formations géologiques pétrolifères, les shales, présentes au Québec." Le gisement d’hydrocarbure du shale Macasty est l'objet en 2015 d'une ÉES spécifique à Anticosti. Déjà en 2013 le document de consultation [4] du gouvernement contenait ce texte: "Ces estimations représentent des centaines de milliards de dollars en valeur potentielle et, selon le régime de redevances et la structure de propriété des sociétés d’exploration et d’exploitation, cela pourrait représenter des dizaines de milliards de dollars de revenus pour les Québécois" p.75 réf.[4]. Le présent document explique que les prétendus milliards de revenus pour Anticosti ne résistent pas à une analyse scientifique objective des données géologiques.
Nous traitons ci-dessous des gisements de roche-mère, tant de gaz (méthane en grande partie) que de pétrole ; dans le dernier cas on oublie très souvent que le gaz est également présent dans les gisements de pétrole comme dans le gisement Macasty à Anticosti et que la disposition du gaz constitue de ce fait un problème majeur.
Le portail Hydrocarbures [3] du Gouvernement du Québec mentionne "les nouvelles technologies d’exploitation des ressources fossiles ouvrent de nouvelles perspectives pour les formations géologiques pétrolifères, les shales, présentes au Québec." Le gisement d’hydrocarbure du shale Macasty est l'objet en 2015 d'une ÉES spécifique à Anticosti. Déjà en 2013 le document de consultation [4] du gouvernement contenait ce texte: "Ces estimations représentent des centaines de milliards de dollars en valeur potentielle et, selon le régime de redevances et la structure de propriété des sociétés d’exploration et d’exploitation, cela pourrait représenter des dizaines de milliards de dollars de revenus pour les Québécois" p.75 réf.[4]. Le présent document explique que les prétendus milliards de revenus pour Anticosti ne résistent pas à une analyse scientifique objective des données géologiques.
Nous traitons ci-dessous des gisements de roche-mère, tant de gaz (méthane en grande partie) que de pétrole ; dans le dernier cas on oublie très souvent que le gaz est également présent dans les gisements de pétrole comme dans le gisement Macasty à Anticosti et que la disposition du gaz constitue de ce fait un problème majeur.
Partie 1 - Les "nouvelles" énergies fossiles: un pont pour la transition énergétique?
Les hydrocarbures de roche-mère (shales avec pétrole diffus, gaz de schiste) constituent la nouvelle cible de l'industrie pétrolière. Dans la problématique de la consommation d'énergies fossiles et du réchauffement climatique, on nous présente souvent ces énergies comme un "pont" pour une nécessaire transition vers des énergies plus vertes. Le gaz de schiste, dit-on, serait la ressource dans une étape de transition entre nos énergies de combustibles fossiles classiques et les énergies renouvelables que l'humanité devra impérativement développer.
Jamais mensonge n'aura été plus gros! Tant de la part de l'industrie que des politiciens qui continuent de véhiculer cette image des plus fausses. Au Québec par exemple pour nommer une commission du BAPE en 2010, le gouvernement en lui donnant son mandat l'a intitulé "Développement durable de l'industrie des gaz de schiste au Québec" ; exploiter un combustible fossile, donc non renouvelable est au départ l'antithèse du développement durable.
Qu'en est-il du pont ? La consommation
effrénée des combustibles fossiles a amené la planète à dépasser 400ppm de CO2
dans son atmosphère. Toute poursuite de cette hausse entrainera des impacts
absolument catastrophiques, y compris des impacts économiques dommageables,
reliés entre autres à la hausse du niveau de la mer ; elle pourrait
devenir significative d'ici la fin du siècle. L'humanité doit faire un virage
complet et urgent dans ses choix énergétiques. Ceci est admis par toutes les
parties, sauf quelques irréductibles négationnistes dont les intérêts se
situent justement dans les hydrocarbures. En attendant d'arriver de l'autre
côté de cette transition, l'industrie pétrolière voit certaines ressources
domestiques de gaz et de pétrole conventionnel se tarir; elle se lance dans
l'exploitation de gisements de plus en plus marginaux. Il y a trois paramètres
nouveaux qui entrent alors dans l'équation:
1)
Pour exploiter du gaz et du pétrole, il faut aussi en dépenser une certaine
quantité, celle qu'utilisent les foreuses, les véhicules de transport, les usines
de raffinage, etc. La proportion pétrole requis pour produire/pétrole produit
est relativement faible dans les gisements
conventionnels. Cette proportion augmente considérablement dans le cas où il
faut fracturer des formations géologiques entières pour en extraire du gaz ou
du pétrole, parce qu’ils sont là finement disséminés dans la roche-mère. Il
faut maintenant dépenser le sixième ou même le quart de l'énergie qu'on va
produire. Exploiter ces hydrocarbures disséminés pollue déjà beaucoup au site
d'extraction, avant même que le gaz, ou le pétrole, soit utilisable.
2) À
cela s'ajoute le fait que ce sont des étendues de plusieurs milliers de km2
qu'il faut perturber pour exploiter, car la ressource est diffuse et finement
disséminée dans toute l’étendue d'une couche géologique. Ce ne sont plus des
gisements localisés qui sont exploités, mais des régions entières qui en
subissent les impacts. Le shale doit être fracturé dans tout son volume pour
permettre l'extraction d'hydrocarbures; c'est actuellement la fracturation
hydraulique qui est utilisée, mais tout autre technique de fracturation donnera
les mêmes conséquences: une modification irréversible de toute la masse de la
roche-mère.
3)
Finalement le troisième élément nouveau à prendre en compte n'est pas le
moindre: l'efficacité de l'extraction. Dans les gisements de pétrole et de gaz
conventionnels, les hydrocarbures sont trouvés dans des concentrations
naturelles, nommés pièges stratigraphiques, localisés dans des zones ou dans des
strates poreuses et perméables. Le pompage est facilité par cette condition
naturelle du gisement; l'efficacité de l'extraction est élevée, car le pétrole et
le gaz circulent facilement. Le taux de récupération est aussi très élevé: 50 à
95%. En fin d'extraction, les conditions souterraines (hydrogéologiques notamment)
du site sont sensiblement celles qu'elles étaient avant l'implantation des
forages; la seule différence notable est qu'il y a dans la strate moins de
pétrole et de gaz après qu'avant. Dans le cas d'hydrocarbures de
roche-mère, l'exploitation n'est possible qu'en apportant une modification
extrême de la strate; l'imperméabilité qui emprisonnait les hydrocarbures
depuis des centaines de millions d'années doit être radicalement modifiée. La
fracturation artificielle change de façon irréversible la perméabilité de la
roche de plusieurs ordres de grandeur. Le pétrole et le gaz commencent alors à
s'écouler par les nouvelles fractures ouvertes. Cet écoulement est à grand
débit initialement, mais il diminue rapidement et de façon significative. Après
quelques années, le débit tombe sous la valeur rentable.
Les gisements conventionnels que la nature a créés
se sont formés par le même phénomène d’une lente migration de gaz et de pétrole
au cours de siècles, plutôt de milliers, voire de millions d'années. Créer des
fractures nouvelles dans une strate de roche-mère en un instant donné amorce ce
même processus, mais ne le change pas fondamentalement ; il n'est pas
possible de l'accélérer. L'efficacité de l'exploitation se limite à une petite
portion de ce que contient la roche-mère. Le taux d'extraction mesuré dans
l'industrie du gaz de schiste est de 10 à 20 % du méthane en place. Pour le
pétrole dans le shale, c'est un taux dix fois moindre: 1 à 2% du pétrole en
place est récupéré pendant les quelques années où le débit est satisfaisant.
Que se passe-t-il ensuite? Le gaz (80%)
et le pétrole (98%) qui restent continuent lentement à migrer dans ce shale
transformé par la fracturation. Il n’y a aucune possibilité en fin d’exploitation
d’arrêter ce processus ; on ne peut que boucher le conduit des puits, mais
on ne peut intervenir sur le grand volume (entre 50 et 150 millions de m3/puits)
du roc rendu très perméable et fracturé.
Il y a donc là, entre l’avant et l’après
exploitation
une différence radicale qui n'existait pas dans le cas des
gisements conventionnels. L'extraction partielle d'une nouvelle source étendue
de combustible fossile ne sera pas sans conséquence: l'écrémage de ces
hydrocarbures laissera en place en fin de production d'énormes quantités de
méthane dans des strates radicalement transformées. Ce gaz pourra trouver des
voies de circulation vers les nappes phréatiques, mais également vers
l'atmosphère, par les fractures et, après un certain temps, par les conduits mêmes
des puits abandonnés. Ce n'est pas le scellement des puits en fin de production
qui va changer la donne; ces scellements ont des durées de vie bien moindre que
ce qui serait requis [5].
Ouvrir toutes ces nouvelles sources d'émission de méthane, un gaz à effet de
serre autrement plus nocif que le CO2, va contribuer au
réchauffement climatique avec une ampleur significativement plus élevée que la
combustion des combustibles fossiles conventionnels. On sait maintenant que les
fuites existent déjà dès les premières années, celles où les opérateurs
contrôlent les puits ; d’après les premiers estimés les fuites
représentent jusqu’à 9% de la production [6]. Ces fuites vont continuer bien longtemps après que
la production aura cessé.
Ces trois conditions modifient considérablement la
perspective dans laquelle il convient d’aborder la poursuite de l'exploitation
des énergies fossiles contenues dans les sources non conventionnelles. L’exploitation
des hydrocarbures roche-mère ne constitue aucunement un « pont » ou une transition, mais un énorme bond en
arrière:
Échelle de pollution: le pire à gauche, le plus vert à droite:
Passer de (2)
à (1) pour aller vers (3) est une aberration, certainement pas
un "pont". Faut-il
exploiter jusqu'à les dernières gouttes de pétrole sur terre, simplement parce
que des exploitants pourront y trouver une rentabilité à court terme?
"La
civilisation a évolué par des étapes significatives souvent en fonction des
ressources et des techniques, mais quand l'humanité a quitté l'âge de pierre,
ce n'était pas par manque de pierre" *.
- - - o o o 0 o o o - - -
Partie 2 – L'hypothétique gisement d'hydrocarbures non conventionnels d'Anticosti
Le gaz de schiste dans l’Utica et le pétrole diffus
dans le shale Macasty à Anticosti ont cette particularité commune :
contenir des hydrocarbures diffus dans toute leur masse. La fine porosité et la
très faible perméabilité de ce shale (Macasty et Utica sont deux entités
stratigraphiques équivalentes dans le temps géologique) emprisonnent de façon
efficace les hydrocarbures depuis 450 millions d’années. En mesurant
l’épaisseur et la superficie du shale, ainsi qu’en estimant le pourcentage de
matière organique transformée en hydrocarbure dans la roche, on est arrivé à
estimer qu’il y aurait un peu plus de 45 milliards de barils (= 7 milliards m3)
de pétrole à Anticosti.
Il est tout-à-fait irresponsable de multiplier les
quantités d’hydrocarbures en place par la valeur d’un baril de pétrole ($50 ou
même $100 x 45 milliards !) comme on a jusqu’à maintenant eu tendance à le
faire dans bien des milieux économiques manifestement peu au courant des
données géologiques. Une faible portion de ces hydrocarbures serait éventuellement
récupérable par fracturation hydraulique : 1 à 2% dans le cas du pétrole
dans le shale, c’est-à-dire dix fois moins que le taux de récupération (10 à
20%) dans le cas du gaz de schiste.
Malgré ce faible taux de récupération, le pétrole de
roche-mère est actuellement en production au Dakota Nord et il y crée un
« boom » économique. Certains rêvent de reproduire ce boom de production
au Québec dans un gisement du même type à Anticosti. Mais il faut bien réaliser
que c’est en raison de législations permissives et au détriment de
l’environnement que les coûts d’extraction et de transport rendent possible
cette production dans certains États américains.
Le document de présentation de la CEÉQ [4] reprend pour le
pétrole du Macasty des estimés très optimistes (ex. : taux de récupération
de 5%) qui sont en fait ceux qui sont avancés par les promoteurs privés.
L’étude commandée par Pétrolia [7] de laquelle on a tiré l’estimé des volumes de
pétrole en place mentionne pourtant, en introduction comme en conclusion, qu’on
n’a pas observé de pétrole liquide dans aucun des 20 forages analysés :
« No moveable oil has yet been discovered within the Macasty
Formation on the island » p.2, réf. [4]
« no oil or gas has yet been recovered from the Macasty shale
through testing » p.8, réf. [4].
Le
gisement pétrolier dans le shale Bakken au Dakota est souvent cité comme
exemple. Il possède une différence fondamentale avec le Macasty : c’est un
gisement qui était exploité de façon conventionnelle avant l’introduction de la
fracturation hydraulique en 2008. C’était déjà un champ de production de
pétrole marginalement productif ; on avait donc là des preuves bien
concrètes de la présence de beaucoup de «moveable oil».
Depuis
2008, on a déjà foré plus de 15000 puits dans le Bakken et ce nombre pourrait
atteindre à terme 50 000 puits. C’est un gisement plus étendu que celui
d’Anticosti et le volume en place de pétrole est estimé à dix fois la valeur du
Macasty. Nous avons là bien plus de données que celles fournies par l’analyse
de 20 puits dans la référence citée [7] ; on peut donc se fier à la
valeur de 1,2% comme taux de récupération dans le Bakken, comme l’indique le tableau
ci-dessous tiré de la référence [8].
Tableau1. Paramètres des principaux gisements de pétrole de roche-mère aux USA, Sandrea 2012, réf. [8].
Tableau1. Paramètres des principaux gisements de pétrole de roche-mère aux USA, Sandrea 2012, réf. [8].
À
l’exception du gisement Elm Coulée, la majorité des valeurs de taux de
récupération sont de cet ordre. Pour le gisement potentiel d’Anticosti dans
lequel il n’y a pas encore aucun forage ayant permis de récupérer du pétrole
liquide, il est totalement irréaliste de tabler sur un taux de récupération
plus du triple («… 2 à 5 % seraient
récupérables avec les techniques actuelles» [4] p.74) de celui qui est calculé dans le Bakken. C'est pourtant sur cette
base erronée que la décision d'investir 115M$ de fonds publics a été prise à
Québec en février 2014.
En fonction des caractéristiques géologiques du gisement
du shale Macasty, des données fragmentaires qu’on peut comparer à celles des
autres gisements de pétrole de roche-mère aux USA, la valeur réaliste et
prudente d’un taux de récupération à prendre en compte à cette étape de
l’analyse serait plutôt 1%. C’est cette valeur que nous utiliserons dans la
suite du texte. Les quelques forages ajoutés en 2014 n'ont pas modifié de
quelque façon l'image globale des caractéristiques du Macasty; il est
improbable que ceux qui viendront s'ajouter en 2015 y changent quoi que ce
soit.
- La question du gaz associé: Un grand laxisme dans la réglementation locale
du Dakota permet le brulage à la torchère du gaz associé au pétrole dans le
gisement Bakken. Près du tiers du gaz extrait est brulé sur place; c’est une
quantité qui représente 260,000 millions de pi.cu/jour [9]. Cette situation résulte du manque de capacité des
gazoducs en place, du faible prix du gaz et des distances de transport vers des
débouchés potentiels. C'est le pétrole qui intéresse vraiment les exploitants.
Qu’en serait-il à Anticosti où il n’y aurait bien
moins de possibilités économiques envisageables pour transporter et
commercialiser le gaz? La réglementation actuelle au Québec à propos du
torchage n’est guère reluisante, même en la comparant à celle du Dakota :
« Aucune redevance n'est exigible sur le
pétrole, le gaz naturel ou la
saumure utilisés sur place par le locataire à des fins de forage ou de
production ou sur le gaz naturel brûlé à
l'air libre.» [10]
On constate que le torchage sur place bénéficie par la
loi du Québec d’un avantage économique pour le producteur de pétrole : il
peut le bruler gratuitement. La publication récente des lignes directrices [11]
n'est pas rassurante sur l'évolution possible des règles à ce sujet, puisqu'on
annonce qu'il n'y aura qu'une déclaration volontaire des rejets dans
l'atmosphère qui dépassent 10 000 tonnes ("le
requérant qui émet dans l’atmosphère une quantité de gaz à effet de serre (GES)
égale ou supérieure à 10 000 tonnes métriques en équivalent CO2 doit déclarer
ses émissions") [11 p. 44].
Les estimés des quantités de gaz associé au pétrole
dans le shale Macasty n’ont pas beaucoup retenu d’attention, car le gaz présente
peu d’intérêt économique dans ce contexte insulaire. Les estimés relatifs au gaz
n’ont pas été faits par les promoteurs, mais cela ne veut pas dire qu’on ne
peut pas en faire.
Le gaz et le pétrole qui se séparent dans les gisements conventionnels, sont à l’origine intimement associés et présents dans la roche-mère (figure 1). Il n’est pas possible en exploitant les gisements non-conventionnels de n’extraire que le pétrole, sans le gaz. En fait la fracturation va libérer bien plus facilement le méthane que le pétrole, dans un gisement comme le shale de Macasty à Anticosti, car la molécule de méthane circule plus facilement dans la très fine porosité du shale.
Tableau 2. Rapport Gaz/Pétrole dans le shale Macasty [13] et dans le shale Bakken [14].
Des données certes fragmentaires (tableau 2) montrent que le
rapport gaz/pétrole pour le Macasty (40,9/27,8 = 1,47) est plus
du triple que celui mesuré dans le Bakken (16,6/42,7 = 0,39). Nous avons présenté dans la conférence [12] les estimés pour la quantité de gaz dans le gisement
Bakken; le volume de méthane (52 Gm3)** est le double de celui
du pétrole (25 Gm3). Les volumes de gaz sont présentés
aux conditions standards ; dans la roche-mère le méthane occupe un volume
bien moindre car il est fortement comprimé. Il est raisonnable d’estimer à
cette étape-ci le volume de méthane dans le Macasty à une valeur entre trois à
huit fois celle du pétrole en place, qui lui est évalué à 6 Gm3.
Dans la fracturation de la roche-mère pour libérer les
hydrocarbures emprisonnés, le gaz se libérera bien plus rapidement que le
pétrole et en plus grande proportion de ce qui est en place (~1% du pétrole en
place - vs - 10 à 20% du méthane en place). Pendant et surtout après
l’exploitation des puits, le méthane résiduel continuera sa migration vers les
nappes et l’atmosphère [12 & 16].
** Gm3 indique milliard de mètres cubes.
- La profondeur
minimale pour la fracturation: Il y a de plus pour Anticosti une question
technologique et environnementale qui pose un problème majeur : le shale
Macasty se situe de 350 m à 1100 m de profondeur pour les quatre cinquièmes de
l’île ; cette portion devrait être à priori exclue des estimés et de
l’exploration-exploitation. Dans toute cette zone, cette trop faible profondeur
ne respecte pas les normes tacites que l’industrie a elle-même proclamées [17]. La figure 2 montre deux compilations des données de
fracturation compilées pour les puits de deux gisements: le shale de Marcellus
en Pennsylvanie et le shale de Barnett au Texas. On y indique la limite
inférieure des aquifères (jusqu'à 240m et jusqu'à 400m dans ces deux cas), ainsi
que l'extension mesurée de la fracturation (jusqu'à 550 m dans les deux cas).
L'auteur [17] explique que
l'industrie minimise les risques de pollution des nappes en maintenant entre le
haut de la fracturation et le bas des nappes une distance sécuritaire de près
d'un mille (1585m à 1160m selon les cas). Nous n'avons pas trouvé de diagramme
semblable pour le gisement pétrolifère du Bakken au Dakota, mais ce cas
donnerait une marge observée encore plus grande car la profondeur y est plus
élevée: elle représente 3 Km en moyenne.
Ce qui est notable dans ces deux diagrammes, c'est l'extension
considérable que peut avoir la fracturation en d'étendant vers le haut:
couramment 300m et parfois 550m.
Figure 2. La limite inférieure des nappes VS l'extension de la
fracturation, tel que compilé pour des milliers de forages et de fracturations dans les shales
Marcellus et Barnett - données de Fisher 2010 [17]
Le
gouvernement annonce pour Anticosti de bien belles intentions et le respect des
meilleures pratiques, mais il met en place en même temps une
réglementation [18] pour la protection des nappes qui contredit de façon
flagrante tous ces principes. Dans une réglementation qui porte avant tout sur l'eau et non pas
dans une loi sur les hydrocarbures, on définit pour des forages d’exploration et/ou
d'exploitation des conditions à respecter pour des demandes futures de permis
de fracturation ; une norme de 400 m taillée sur mesure pour lever l’exclusion virtuelle qui affecte les
quatre cinquièmes de l’île d’Anticosti, comme le montre les figures 3 et 4 ci-dessous.
Figure 3. Zone à Anticosti où il est impossible d'avoir une marge de 1000m entre la fracturation
et le bas des nappes.
La coupe de terrain à gauche sur la figure 3, montre
que nous avons pris des distances verticales très raisonnables par rapport aux
données des USA: 200m pour le bas des nappes, 300m pour l'extension maximale de
la fracturation et entre les deux une marge sécuritaire de 1000m (et non pas
"one mile").
Figure 4. L'article 40 [18] fusionne
la zone des fractures la marge verticale et ramène le tout à 400m.
Permettre la fracturation
dans une tranche de 400 m de roc qui
se situe entre la section horizontale d’un puits et le bas d’une nappe, c’est
permettre en fait de conserver zéro mètre de marge de sécurité quant cette
fracturation s’étend sur 400 m ! Les
données de l’industrie montrent que des fracturations peuvent s’étendre vers le
haut jusqu’à plus de 500 m [figure 2 et réf.17].
La section IV du
règlement RPEP [19] doit être enlevée et toutes les questions relatives à l’exploitation des
hydrocarbures de roche-mère doivent être analysées dans leur ensemble, dans une
loi spécifique. La fracturation et la libération du méthane qui en découlent
affectent les nappes phréatiques certes, mais pas seulement les nappes,
l’atmosphère également, le bilan des gaz à effet de serre, etc. Il est
prématuré de fournir maintenant à l’industrie des normes et des directives
laxistes, qui ont l’apparence d’avoir été conçues avant tout pour contourner une
question de faible profondeur du shale à Anticosti.
L'implication du
gouvernement en début d'année 2014 dans la propriété des permis apparaît
illogique en rapport avec le respect d'une distance sécuritaire: une petite
portion (3,5%) du territoire détenu conjointement avec ses partenaires (Hydrocarbures
Anticosti S.E.C.) serait théoriquement fracturable (figure 5).
Figure 5. Emplacement des permis détenus par Hydrocarbures
Anticosti par rapport à la marge de la fig. 3.
- Un gisement
exploitable? : La rentabilité d’une
industrie de pétrole de roche-mère à Anticosti semble en elle-même bien douteuse† ;
1% comme taux de récupération de 46 Gbarils en
place, c’est 460 millions de barils récupérables, pour toute l’île. Or
seulement moins d'un cinquième du gisement se situe à une profondeur suffisante,
ce qui laisse ~100 millions de barils récupérables, sur environ 1500km2. Il faudra
construire 3000 puits pour cette seule partie du gisement. Il est réaliste
d’estimer à $10millions/puits le coût de cette exploitation partielle. C’est
donc $30 milliards de
travaux à faire en construction de puits pour cette seule portion sud de l’île.
La valeur marchande de 100 millions de barils, en supposant que la valeur remonte à$100/baril
rapporterait $10 milliard
brut, mais il y aurait $30 milliards de dépenses! Même en rognant sur les coûts des puits et sur
leur nombre, il est difficile de voir où se situeraient la possibilité économique
d'une exploitation réelle du Macasty.
L'intérêt économique actuel des
promoteurs est tout autre: les activités d'exploration géologiques génèrent des
avantages fiscaux très importants et elles ont un impact immédiat sur la valeur
des actions des détenteurs de permis. Dans le cas d'Anticosti, on a impliqué de
plus des fonds publics pour ces dépenses à très hauts risques spéculatifs.
Nous avons ci-dessus une analyse très sommaire des
coûts, nous le reconnaissons, mais elle vaut autant que bien d’autres encore
plus simplistes [20]. Le
texte complet de cette analyse avec diverses variantes est à ce lien : [21]. Il faudrait de plus tenir
compte des coûts environnementaux et pas seulement des coûts des travaux
d’exploitation.
Nous reprenons ici comme conclusion la dernière
figure de la conférence présentée le 30 janvier 2013 [12].
Références :
[1] BAPE, novembre 2014. Les enjeux liés à l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste dans le shale d’Utica des basses-terres du Saint-Laurent.
[2] Durand 2014.
Les risques technologiques liés à la fracturation du shale d’Utica.
Mémoire au BAPE - DM99 , 36 p.
[4] CEÉQ 2013. De la réduction des gaz à effet de serre à l'indépendance énergétique du Québec, - document de consultation 84 p.
[5] Brufatto et al
2003. From Mud to Cement—Building Gas
Wells, Oilfield Review,
Sept. 2003, pp 62-76.
[6] Cooperative Institute for Research
in Environmental Science 2013. « CIRES and
NOAA scientists observe significant methane leaks in a Utah natural gas field » CIRES News Release 5 août 2013
[7] Sproule, 2011. Resource assessment of the Macasty formation in certain petroleum and natural gas holdings on Anticosti Island , 50 p.
[8] Sandrea, 2012. Evaluating production potential of mature US oil, gas shale plays. Oil & Gas Journal, déc. 2012
[9] Scheyder 2013. Bakken Shale Flaring Burns Nearly One-Third Of Natural Gas Drilled, New Study Finds. Huffington Post 29 juillet 2013
[11] Québec, juillet 2014. Lignes directrices provisoires sur l’exploration gazière et pétrolière, 200p
[12] Durand 2013. Les risques et enjeux de l’exploitation du pétrole de roche-mère d’Anticosti. Conférence présentée à la Salle des Boiseries de l'Université du Québec À Montréal le 30 janvier 2013 http://youtu.be/VCEJ-lAHS4Y
[15] Durand 2011. L’expérimentation – La durée de vie des structures, texte + présentation en vidéo.
[16] Durand 2012. Les
dangers potentiels de l’Exploitation des Gaz et Huiles de schiste - Analyse des
aspects géologiques et géotechniques. Rapport final du Colloque duConseil régional Île-de-France, 7 février 2012, Paris, pp 173-185.
[18] GAZETTE OFFICIELLE DU QUÉBEC, 16 juillet 2014., Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection,
[19] Durand 2014. D'où vient la "norme" de 400 m du règlement qui entre en vigueur le 14 août 2014 – impact sur Anticosti. Norme de 400m - impact pour Anticosti expliquée dans une présentation vidéo : http://youtu.be/QdKEOBeXa3c
[20] Institut Économique de
Montréal, 2012 : "À 100 $ le baril (probablement un
chiffre prudent pour le prix du pétrole à long terme) et en présumant que
seulement un dixième de ces réserves est récupérable, on parle donc d’une
ressource valant la somme extraordinaire de 400 milliards de dollars" Les avantages du développement de la production pétrolière au Québec, 4p.
Je vous remercie infiniment d'avoir produit cette synthèse. Je conclue qu'il faut arrêter ce projet. Je m'interroge, par ailleurs, sur l'industrie du méthane (23 à 25 fois plus dommageable que le CO2), il y a une " offensive " qui se colore vers les usines de biométhanisation auxquelles on veut étendre de nouvelles infrastructures pour se substituer à l'hydro-électricité. Je me demande quelle est la part du méthane extrait des matières putrescibles versus le gaz naturel extrait des champs pétrolifères.
RépondreEffacerLe facteur PRG (Potentiel de Réchauffement Global - GWP: Global Warming Potential) du méthane (VS CO2) n'est pas 23à25. Il a été révisé par le GIEC et est en réalité 86 fois (période de 20 ans) et 34 fois( période de 100 ans). voir réf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Potentiel_de_réchauffement_global
RépondreEffacerPour ce qui est des parts de contribution de chaque source, vous aurez une répartition globale sur cette figure: http://www.globalcarbonproject.org/methanebudget/13/files/CATL-cycleMethane-2000-09.png