lundi 7 mars 2011

Histoire d'un puits abandonné

 Données compilées et traduites par Marc Durand, doct-ing géologie de l'ingénieur

"The Peace River Well" - le puits de Rivière La Paix est très instructif, pour voir comment on peut gérer un problème quand il survient. Ça ressemble un peu au cas ici de Mercier, mais juste un peu plus étalé dans le temps... peut-être,  car le cas de Mercier (1968 à aujourd'hui) lui n'est toujours pas réglé.

Cette histoire débute en avril 1916. Un puits d'exploration pour trouver du pétrole, mais qui n'en rencontre pas. C'est plutôt de l'eau de grande salinité accompagnée et propulsée par du méthane, qui surgit. Le derrick s'effondre. On le reconstruit en 1917. Le forage avait atteint la profondeur de 346 m.

1954: Première inspection par les autorités de l'Alberta (Alberta Energy and Utilities Board); ils constatent un cratère érodé de 24 x 4 m et un écoulement toujours présent estimé à 3000 m3/jour d'eau saline avec gaz.

1955: Forage d'un puits de colmattage par boue et ciment. Diamètre du tubage: 27,3 cm jusqu'à 70 m, puis 178 cm jusqu'à 259 nm

1982: Le propriétaire du lieu rapporte un cratère de 8 m autour du puits, une grosse venue d'eau saline avec bulles de gaz qui se déchargent dans la rivière par un passage érodé sous le sol. Nouveau forage entrepris à l'automne, mais qui échoue par affaissement de l'installation. Tubage: 51 cm jusqu'à 15m, puis 40,6 jusqu'à 17m, 17,8 cm jusqu'au fond; profondeur atteinte: 99m.

Fuites: 1526 m3/jour pour le puits de 1955 + 3053 m3/jour pour le nouveau puits.

Mise en place de conduits pour dériver l'écoulement des deux puits vers la rivière.  Loin de se régler le problème se complique: un puits au début et maintenant trois puits en tout.

1988: Nettoyage au jet de sable et recouvrement des têtes des puits par fibre de verre pour ralentir leur corrosion rapide en raison de la salinité.

1989: On remplace tout ça moins d'un a après par des tuyaux de fibre de verre.

1991; installation d'une nouvelle canalisation pour dériver l'eau saline. Le débit mesuré à ce moment là est entre 4450 et 5350 m3/jour.

2000: Visites mensuelles d'inspection. Établissement de plans pour remédiation prévus pour 2001

2001: Estimé du débit de gaz un million de pieds cubes/jour; brulé sur place par une torchère.

2003: Gros travaux de 5 000 000$ dépensés pour boucher le puits de 1916, celui de 1955 et celui de 1982. On continue un programme d'inspection en espérant que tout ça tienne le coup au moins une génération ... 

CONCLUSION: Entre 1916 et 2003, 100000 pi.cu/jour de méthane +H2S (0,1%) et 400 m3 d'eau saline/heure  se sont écoulés en continu. En 87 ans donc on peut estimer à 3 milliard de pieds cubes le méthane libéré et 30 000 000 m3 le volume de saumure. On ne précise pas la durée de vie de l'ouvrage de colmatage de 2003. Cette histoire est celle d'un simple puits classique. Les puits avec fracturation hydraulique étendue sur 1000 m et plus, seront autrement plus complexes à traiter.

à consulter : Le document détaillé d'origine de l'Alberta Orphan Program était disponible en ligne en 2011; il montrait plusieurs photos. Il semble avoir été retiré peu après du site. Il faut dire que c'était sur le site de la Petroleum Tech. Alliance Canada et comme c'était pas glorieux pour cette industrie on a sans doute jugé préférable de retirer cette présentation. J'ai par chance retrouvé sur WebArchive le document d'origine. Voici un échantillon des photos:

crédit pour la photo: An Orphan Well Case Study “The Peace River Well”, AOP 2003

Figure : mélange de saumure et de gaz projeté en geyser au puits Rivière-la-Paix.
La fuite d'eau au début des travaux d'obturation.




Au Canada, l'Alberta est la province qui a la réglementation la plus complète et avancée quant à la gestion des puits. On y a mis en place tout récemment un organisme pour la gestion des puits orphelins. Doté d'un budget annuel d'environ 10M$ il s'occupe encore de l'étape initiale: faire un inventaire et une surveillance des puits orphelins. Les travaux du puits de Rivière-la-Paix, un petit puits assez conventionnel, mais problématique en raison des déversements de saumure directement dans la rivière, constitue un des tout premiers exemple d'intervention. Donc ce petit puits a accaparé 50% du budget de la commission Orphan Wells.  60 000 autres puits restent à gérer ...

mercredi 2 mars 2011

Lucien Bouchard en entrevue au 24-60

Fin février 2011, Lucien Bouchard est nouvellement engagé comme porte-parole des compagnies gazières, dont Talisman Energie qui le paie grassement vu son statut d'ancien premier ministre. En entrevue avec Anne-Marie Dussault il ridiculise mes interventions dans le dossier Gaz de Schiste (voir à la minute 28m 30) avec une pirouette mal avenue, ornée d'un très gros mensonge: je n'ai jamais dit ou écrit que les "puits allaient exploser".  J'ai soumis au Journal Le Devoir une lettre pour remettre les choses au point. Je la reprends ci-dessous:


J'ai toujours été un grand admirateur de Lucien Bouchard. Du temps où il mettait son côté engagé et émotif du côté des Québécois, je louais son engagement en apparence toujours sincère. Comme lui, je suis pour le développement des ressources. 

Jeudi dernier, en entrevue au 24 heures en 60 minutes avec Anne-Marie Dussault, j'ai fait les frais de l'un de ses emportements émotifs. Monsieur Bouchard, son patron Talisman Energies Inc. et l'industrie gazière sont en apparence très agacés par les trois textes* que j'ai mis en ligne (http://www.facebook.com/pages/Marc-Drand-doct-ing-en-géologie-appliquée/188600667838189) et qui remettent en question le plan d'affaires que l'industrie avait concocté discrètement en 2008 et qui maintenant se trouve de plus en plus contesté. Mon analyse d'expert indépendant en géologie de l'ingénieur (dix ans directeur des études avancées, maîtrise et Ph.D. en géologie, consultant pour des tunnels dans les shales de Lorraine et Utica, etc.) met en relief une faille majeure dans ce processus: les coûts énormes dans la gestion des puits abandonnés. L'industrie ne s'est jamais préoccupée de ça. C'est pourtant obligatoire avec le nouveau procédé.

Monsieur Bouchard a eu recours à un procédé tout à fait inacceptable en entrevue: il a inventé des propos ridicules qu'il m'attribue, mais qui ne se retrouvent ni dans mes textes ni dans mes entrevues. Il avait commencé l'entrevue avec Mme Dussault en rappelant l'importance qu'il accordait à bien préserver sa réputation; pourtant, il n'a pas hésité à ridiculiser tout mon travail d'expert, d'une pirouette sans aucune autre forme de commentaire. Son intervention dans le dossier des gaz de schiste n'annonce rien de bon, si c'est le traitement qu'il réserve aux experts qui diffèrent d'opinion avec Talisman.

Marc Durand, doct-ing en géologie appliquée et professeur retraité du Département des sciences de la Terre de l'UQAM - Le 1er mars 2011

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N.B. Le chroniqueur Michel David a lui aussi commenté ce comportement désinvolte envers moi, sous le titre  "Le charmeur de serpent"

* Autres liens pour mes trois premiers textes: