Note: Ce billet de janvier 2015 a été mis en ligne deux semaines d'avance le 15 décembre.
La réalité et les faits sont têtus. On peut les ignorer, les masquer, les décrire en les déformant, tenter de les contourner, on peut tout faire, ils restent là tels quels, indépendamment de ce qu'on tente de faire avec. Ils sont très têtus et c'est là une force absolument unique qui résiste à tout. Et qu'on peut exploiter.
La réalité et les faits sont têtus. On peut les ignorer, les masquer, les décrire en les déformant, tenter de les contourner, on peut tout faire, ils restent là tels quels, indépendamment de ce qu'on tente de faire avec. Ils sont très têtus et c'est là une force absolument unique qui résiste à tout. Et qu'on peut exploiter.
Dans le dossier du gaz de schiste, dès le début (en novembre 2010 pour moi, mais d'autres étaient déjà actifs bien avant) des faits ont été perçus, de façon floue initialement, intuitivement sans doute chez des personnes clairvoyantes. J'ai alors commencé bien timidement, isolément à fouiller un peu autour de quelques réalités qui pointaient au travers du sol et qui commençaient à devenir progressivement très apparentes. Nous sommes devenus plusieurs à creuser, chacun avec ses outils, chacun avec son expertise propre. La réalité des faits autour de cette proposition de l'industrie des gaz de schiste nous a guidé pour déterrer une à une plusieurs évidences.
Nous avons commencé à écrire des textes, des mémoires, des lettres aux ministres. Pas facile de réussir à emmener ces gens à voir les réalités qu'on avait déterrées, dégagées sur le terrain. Il y avait déjà beaucoup de personnes qui grenouillaient autour des gens de pouvoir pour leur montrer d'autres images; des images embellies d'où dégoulinait des dollars et des fausses promesses de richesses. Les dirigeants pensaient n'avoir plus besoin de se déplacer pour venir s'informer sur le terrain: les lobbyistes leur commenteraient le sujet à partir de belles images. Des commissions d'études stratégiques commandaient des modélisations des phénomènes en cause; la commande des études était bien dirigée, bien stratégique justement car le lobby y était présent là aussi. On a produit des modèles qui donnait d'aussi aussi belles images que celles présentées par les lobbyistes. Ça devait donc être vrai toutes ces belles richesses qu'on pouvait avoir simplement en fracturant tout sous nos pieds.
On a continué de notre côté à déterrer, à dégager, à fouiller plus en détails les faits et la réalité. On a fait des conférences, des vidéos de vulgarisation sur cette réalité. On a persévéré sachant que les faits sont têtus et qu'il faut sans cesse revenir sur eux, les rappeler, les montrer tels qu'ils sont au plus grand nombre. Ce plus grand nombre est devenu vraiment très grand. On appelle ça maintenant l'acceptabilité sociale; c'est aussi une réalité. Les promoteurs pensaient pouvoir gérer celle-ci avec leurs outils usuels: les firmes de relations publiques. L'opinion publique ça se manipule et les oppositions ça se résorbe quand c'est bien géré pouvaient-ils croire. Mais cela n'a pas fonctionné comme ils l'avaient espéré; plus le temps passait, plus l'acceptabilité sociale diminuait. Les citoyens s'informaient sur les faits et leur opposition grandissait encore plus.
Le marketing, ça marche mieux avec des boites de lessives qu'avec des tentatives de lessiver les cerveaux. L'industrie se payait comme beaux parleurs des personnalités bien connues; pas des experts si on en juge par ce qu'ils racontaient comme balivernes. C'était ce que la stratégie marketing avait conseillé: payer des personnalités prestigieuses pour détourner l'attention des faits. Talisman Energy de Calgary, le plus gros joueur s'était même payé un ancien premier ministre. La stratégie marketing a du être changée à quelques reprises vu des insuccès manifestes.
Puis sous la pression populaire, sous la nécessité devenue incontournable, le gouvernement a confié au BAPE le soin de vider la question. Les citoyens et les experts indépendants ont alors enfin pu présenter les faits tels qu'ils les ont vécus, trouvés, déterrés. Les commissaires du BAPE ont consigné ces faits dans un rapport qui traite à la fois des études et visions des promoteurs (rapports gouvernementaux et mémoires de l'industrie) ainsi que des mémoires apportés par les opposants. En tranchant entre ces deux positions, les commissaires du BAPE ont fait un remarquable travail qui a permis enfin de nommer, décrire, analyser les faits perçus initialement il y a quatre ans.
Merci au BAPE pour ce merveilleux cadeau de Noël.
Merci à tous ceux qui ont travaillé sans jamais douter de ce simple adage: "les faits sont têtus - il suffit d'y tenir et de les ramener sans cesse en avant-plan".
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Dans l'actualité du 19 décembre 2014: Après une longue série d'études durant les quatre années 2010 à 2014, après avoir scruté et souspesé les pseudos avantages économiques de la fracturation du shale d'Utica, le BAPE a produit un rapport étoffé sur l'ensemble des questions qui lui ont été soumises dans les mémoires. À toutes les étapes des études antérieures (ex. ÉES), les aspects économiques ont été pris en compte.
L’industrie, les chambres de commerce, les promoteurs n'ont traité pratiquement que du sujet économie dans les mémoires qu’ils ont déposés au BAPE, ainsi qu'à toutes les autres commissions précédentes: emplois créés, bilan des taxes générés, autres retombées, etc. Ils n’ont présenté que cet aspect positif, sans jamais avoir un début de réponse aux questions des scientifiques indépendants. Le BAPE a donc traité, parmi bien d'autres aspects, du bilan économique. Il l'a fait en incluant certains coûts d’externalités – ce que les bilans économiques des promoteurs ne font pas, évidemment. Le BAPE n'a pas ajouté le coût réel de toutes les externalités; cela aurait amplifié encore plus le bilan prospectif déjà très négatif qu'il a établi pour cette filière.
On a unanimement salué la qualité du rapport du BAPE publié en début de semaine, y compris les conseillers du premier ministre et Monsieur Couillard mardi. Que voit-on poindre trois jours plus tard? Les chambres de commerce et des promoteurs tentent aujourd'hui de dire que le mandat du BAPE ne devait pas lui permettre de traiter des aspects économiques, qu'il n'aurait pas la compétence pour cela !
Il est curieux, maintenant que les jeux sont faits et que le rapport indique que les retombées présentées par les promoteurs sont fallacieuses, qu'on tente de reprocher au BAPE d’avoir examiné aussi les questions de rentabilité et de retombées affectant l’économie. Le BAPE a fait un bon travail sérieux. Il avait pour trancher ce long débat de quatre ans, toutes les études et tous les mémoires; le processus était sans tache. Les chambres de commerce ne jouent pas franc jeu maintenant dans ce dossier.
J'ai donc une question pour ceux qui formulent cette critique: si vous estimiez que le BAPE n'avait pas à traiter le volet économique, pourquoi alors n'avez-vous fait que cela, soumettre des mémoires sur les retombées économiques?
J'ai donc une question pour ceux qui formulent cette critique: si vous estimiez que le BAPE n'avait pas à traiter le volet économique, pourquoi alors n'avez-vous fait que cela, soumettre des mémoires sur les retombées économiques?