En juillet, c’est la période des vacances qui s’amorce. Ce fut souvent
dans les années passées la période choisie par le gouvernement pour passer en douce des
décrets, des règlements, des autorisations et des permis très controversés. On
juge en hauts lieux qu’il vaut mieux choisir un temps où la population est en
vacances pour passer discrètement ce qui soulève l’opposition et les débats
publics.
À quoi aurons nous droit cet été en juillet et en août 2017 dans le
dossier des hydrocarbures et de la fracturation hydraulique ? Je ne suis
pas devin, mais il y a encore sur les bureaux des fonctionnaires des éléments
dans quatre dossiers qu’on a choisi de ne pas présenter précédemment :
1) La question de la loi sur les
hydrocarbures. La loi 106 a certes
été adoptée en vitesse, sous le bâillon même pour motif d’urgence, en décembre
2016. La loi sur les hydrocarbures n’est toujours pas entrée en vigueur, car le
gouvernement doit publier les divers règlements d’application. Le règlement sur
le prélèvement des eaux (RPEP) est
publié et en vigueur depuis août 2014, mais les autres plus spécifiques aux
modalités d’application de la loi sur les hydrocarbures se font attendre. L’été
sera peut-être une occasion de les mettre en vigueur discrètement. Les lois
sont soumises aux débats en chambre, mais ce n’est pas le cas des
règlements ; le gouvernement les rédige et les édicte seul.
2) La question de l’Utica.
Cela semblait réglé depuis les conclusions très négatives du dernier BAPE. Pourtant les milieux du lobby gazier
s’activent à nouveau en 2017. Le pdg de l’APGQ et Questerre tentera encore de
faire approuver un projet
pilote dans les Basses-Terres. On ne connaît pas véritablement les appuis
qu’ils peuvent avoir au gouvernement quant à l’implantation de puits
expérimentaux sur des terres publiques dans la forêt de Lotbinière.
Contrairement à ce qu’a exprimé M. Binnion, il n’y a pas de zones inhabitées
dans les permis de recherche de gaz (toujours valides) pour la très vaste
étendue de la formation géologique du shale d’Utica. La population des
Basses-Terres habite tout ces territoires, même là où il n’y a pas de maisons,
car ces zones forestières font patrie d’un patrimoine collectif, qu’on aime,
qu’on visite et qu’on lèguera intact aux prochaines générations.
3) La question d’Anticosti.
C’est là que les actions gouvernementales révèlent des plus grandes
ambiguïtés. L’an passé, le gouvernement appuyait
la demande de classement à l’UNESCO et décernait au même moment à Pétrolia
toutes les autorisations et modifications
d’autorisations pour des forages avec fracturation. Cette année c’est derrière des portes closes qu’on
discute le versement de compensations pour un arrêt de l’exploration. Un des avocats
à qui on confié le mandat de négocier pour le gouvernement avait en 2014
accepté l’inacceptable montant de 200 millions de dollars comme base de calcul
pour la valeur des permis. On sait maintenant que l’ensemble des permis vaut moins que le
montant des frais qui seront payés à cet avocat. L’été risque bien d’être le
moment choisi pour faire avaler une couleuvre à la population, laquelle paiera
à la fois l’avocat et les cadeaux de compensation versés aux pétrolières.
4) La fracturation hydraulique
et les gisements d’hydrocarbures en
Gaspésie. J’ai à peu près rien publié sur la Gaspésie, pour deux
raisons :
a) ce ne sont pas des gisements étendus de roche mère nécessitant a priori des milliers de puits avec fracturation. J’ai concentré mes analyses uniquement sur les gisements de roche mère (shales d’Utica et shale de Macasty - voir fig. 1).
a) ce ne sont pas des gisements étendus de roche mère nécessitant a priori des milliers de puits avec fracturation. J’ai concentré mes analyses uniquement sur les gisements de roche mère (shales d’Utica et shale de Macasty - voir fig. 1).
b) je fais mes analyses avec les données recueillies sur le terrain. Or les promoteurs et le gouvernement se font très discrets dans ces dossiers gaspésiens. On veut minimiser les controverses en retenant un maximum d’information. Il n’y a presque rien de publié, à part les brochures « d’information » et quelques communiqués de presse des compagnies.
Fig.1 Trois secteurs ciblés au Québec par les promoteurs du développement pétrolier et gazier. |
Contrairement aux cas de l’Utica des Basses-Terres et du shale Macasty
à Anticosti, qui ont fait l’objet de trois ÉES et deux BAPE, il n’y a eu rien
de tel pour la Gaspésie. Les groupes locaux, à Gaspé notamment, ont eu très peu
de collaboration de la part des ministères. On ignore le plus souvent leurs
demandes répétées d’accès à l’information.
Pas d’information = pas d’arguments d’opposition semble bien être la
stratégie maintenant adoptée. En 2010 avec le premier BAPE, le gouvernement
croyait qu’il suffirait d’informer pour que tombent les réticences dans la
population. C’est le contraire qui s’est produit : plus on a eu des
données sur les enjeux réels, plus l’opposition a pu articuler des arguments
solides. Le dernier BAPE
n’a pu que conclure à un manque évident d’avantages de la filière gaz de
schiste pour le Québec. À Anticosti,
les plus récents résultats des forages (dont on a pas vraiment voulu parler au
gouvernement, mais ils les ont reçus…) ont convaincu le premier ministre du
cul-de-sac de ce projet que sa prédécesseure avait présenté en 2014 comme un possible
eldorado.
Fig.2 Trois sites en Gaspésie faisant actuellement l'objet d'exploration pétrolière et gazière: Bourque, Galt et Haldimand. |
En Gaspésie donc, il n’y a pas (encore) eu de délivrance d’autorisation
pour faire de la fracturation hydraulique. Ça pourrait se faire discrètement
cet été. La loi 106 l’autorise. Il faudrait impérativement que le Québec adopte
une loi pour interdire la fracturation hydraulique comme technique
d’exploitation de gisements d’hydrocarbures et qu’en plus on révise les permis
des détenteurs actuels en fonction de cette donne. La France l’a fait et a
indiqué aux détenteurs de permis que le recours à toute technique de
fracturation en étape d’exploration ou d’exploitation annulerait
automatiquement leurs permis actuels. Les permis de recherche d’hydrocarbures
demeurent valides pour la recherche de gisements conventionnels.
Pourquoi le Québec a-t-il mis en place une loi et des règlements qui
incluent spécifiquement la fracturation hydraulique alors même que les deux cas
envisagés pour cette technique (shale d’Utica dans les Basses-Terres et shale
Macasty à Anticosti) sont tous les deux de facto mis au rancart ? La réponse que plusieurs trouvent évidente,
ce sont trois gisements en Gaspésie : Bourque, Galt et Haldimand (voir fig. 2). Il pourrait aussi y en avoir quelques autres, mais
le Québec ne sera jamais l’Arabie, le Koweït ou le Texas ; les gisements
potentiels sont de faible ampleur et leur rentabilité bien incertaine avec les
techniques conventionnelles. Le gouvernement tient à offrir à l’industrie
l’option de la fracturation hydraulique ; c’est tout à fait inacceptable*.
Que ce soit dans un gisement de roche mère étendu ou dans un gisement de
moindre ampleur, la fracturation hydraulique dans chacun de ces puits aura un
passif environnemental considérable et inacceptable.
Après avoir fermé l’Utica, puis Anticosti, s’apprête-t-on à offrir une
compensation à l’industrie en permettant le recours à la fracturation dans des
puits peu productifs pour en accroitre le débit ? Ce qui est inacceptable
dans les Basses-Terres, ce qui ne doit pas se faire à Anticosti, c’est tout
aussi, sinon plus, inacceptable en Gaspésie.
Je vous souhaite de bonnes vacances, mais gardons un œil
ouvert cet été ; la loi 106, les règlements, le lobby pétrolier auprès du
gouvernement, les fonctionnaires qui décernent des autorisations très
discrètement pendant l’été, tout cela demeure présent pendant les mois de
juillet et août.
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* C'est pour satisfaire
une demande du lobby pétrolier le plus actif que le gouvernement a ouvert le
Québec d'un seul coup, tous azimuts. Il aurait été sans doute plus normal
d'ouvrir la porte à cette industrie nouvelle (le pétrole extrait ici) de façon
prudente, c'est-à-dire en encadrant de façon rigoureuse une exploration et une
extraction d'hydrocarbures tirés uniquement de gisements
conventionnels. Dans le cas des gisements conventionnels, je n'ai pas les
objections que je formule dans mes textes depuis 2010. Le gouvernement a été
bien mal avisé de vouloir implanter ici une industrie extractive en ouvrant un
front aussi large; la fracturation hydraulique et ses variantes futures ont et
auront toujours une image très négative dans la population. Cela va bien au-delà
des perceptions; les risques associés à cette technique sont bien réels et ils
sont de mieux en mieux documentés. La tendance partout dans le monde (incluant
plusieurs États aux USA) va vers une interdiction pure et simple. En décembre
2016 le gouvernement du Québec est allé directement dans le sens contraire; il
a bâillonné le débat qui a mené à l'adoption de la loi 106. La commission
parlementaire ne s'est même pas rendue à l'analyse des articles sur le vif du
sujet. L'ouverture tout azimuts du gouvernement crée maintenant une opposition
tous azimuts dans la population; je ne souscris ni à l'un, ni à l'autre.