Nous avons eu droit en octobre à
deux changements de ministres dans le dossier des hydrocarbures : Pierre
Moreau est maintenant aux commandes du MERN et Isabelle Melançon a été nommée ministre du
Développement durable, de l'Environnement et de la Lutte contre les changements
climatiques (MDDELCC). Peut-on espérer une nouvelle orientation dans les
dossiers de l’industrie extractive des hydrocarbures? Au MERN, Pierre Moreau a vite indiqué qu’il souhaite la poursuite du moratoire de facto sur les
forages dans les Basses-Terres du St-Laurent. Par ailleurs, il s’interroge
ouvertement sur le sort des permis déjà accordés. Ses plus récentes déclarations au congrès de l'APGQ montrent qu’il n’a pas encore pris la mesure du contenu des règlements sur
les hydrocarbures ; il n’a fait qu’ajouter à la confusion sur leur portée
réelle, notamment sur la proximité des forages et des cours d’eau, car ses
propos sont contredits par les dispositions mises de l’avant dans la loi.
Du côté du MDDELCC où plus de 300 municipalités contestent le règlement
sur le prélèvement des eaux et leur protection (RPEP), on a pas vraiment encore
d’éléments clairs sur les intentions de la ministre Melançon. Le premier ministre a quant à lui a laissé
entendre en septembre dernier que les
municipalités qui souhaiteraient exclure de leur territoire les forages
pétroliers pourraient le faire.
Du côté des promoteurs et de ceux qui les financent, leur réaction au
contenu de la loi 106 et des règlements qui l’accompagnent a été de reprendre
des projets d’extraction du gaz et du pétrole. La législation leur a ouvert
tout grande la porte à l’emploi des techniques de fracturation, ce qui a relancé la recherche de financement pour étudier
un projet-pilote d’extraction du gaz de schiste. Les promoteurs comprennent
bien la distinction entre les déclarations des ministres et le contenu réel des
lois et règlements ; ils savent que des déclarations rassurantes mais peu
précises sont requises pour maintenir dans les médias un nuage flou. Ils savent
surtout que c’est uniquement le contenu précis des lois et des
règlements qui importe pour autoriser leurs travaux et pour des contestations
légales éventuellement.
D’autre part l’opposition populaire aux projets d’hydrocarbures ne
faiblit pas ; elle s’est plutôt renforcée suite à des décisions récentes
perçues comme des victoires pour son action : l’abandon de l’exploration
pétrolière à Anticosti et l’abandon d’Énergie Est. Ces pressions populaires ont un impact
politique ; les ministres déclarent qu’ils constatent l’absence
d’acceptabilité sociale pour les projets.
Comment concilier deux volontés bien opposées ? Comment régler ces
questions en évitant le choix désastreux qui a été retenu pour mettre fin aux permis
à Anticosti ? L’abolition des permis des Basses-Terres coûterait une
fortune en raison du précédent créé à Anticosti. Ces permis ont été octroyés de
façon totalement irréfléchie pendant l’ère Charest. Comment gérer cette
situation de façon intelligente maintenant ?
Il y a une solution qui pourra s’imposer au gouvernement:
l’interdiction totale et partout au Québec d’employer des techniques de
fracturation dans l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures. Cela
suppose un sérieux changement de cap dans la politique suivie jusqu’à
maintenant, mais c’est tout à fait réalisable à court terme. Bien sur le
gouvernement doit alors retirer de sa loi 106 et de ses règlements
d’application toutes les dispositions qui se rapportent aux autorisations de
fracturation.
L’interdiction de la fracturation aurait un impact indirect sur les
permis d’exploration. Il n’est pas nécessaire de racheter les permis
d’exploration d’hydrocarbures, car l’objectif de ces permis c’est de
trouver des gisements de pétrole ou de gaz. Les permis comme tels ne portent
aucune garantie quant aux techniques permises, ni quant au type de gisement visé
par les permis d’exploration. Il n’y a donc aucun motif justifiant de compenser
quiconque en retirant simplement l’emploi des techniques de fracturation.
Si la fracturation hydraulique n’est plus possible, l’intérêt pour
conserver des permis d’hydrocarbures tombera de lui-même avec le temps. En
effet, la possibilité de trouver des gisements conventionnels éventuellement
rentables avec les seules techniques normales a toujours été très faible au
Québec. C’est essentiellement l’arrivée de la fracturation hydraulique dans le
décor qui a permis un certain regain d’intérêt pour l’exploration pétrolière au
tournant des années 2008. Le gouvernement a de plus pris lui-même des
participations dans des projets marginaux ; ces projets n’auraient pas
connu de suite sans l’implication gouvernementale active. On ne pouvait
envisager l’exploration/exploitation du shale d’Anticosti sans l’emploi de la
fracturation hydraulique et sans l’injection massive de fonds publics dans
l’exploration.
Ayant fait marche arrière dans le pétrole de schiste d’Anticosti, ayant
maintenu un moratoire de facto dans les Basses-Terres, l’autre région où la
possibilité d’extraction requiert obligatoirement la fracturation hydraulique,
la suite logique, le pas suivant est l’interdiction de la fracturation, ce qui
signifiera en pratique l’abandon pur et simple de l’exploration de gisements
non conventionnels.
Les détenteurs de permis actuels pourront donc continuer à chercher des
hydrocarbures, mais cela ne pourra être alors que des gisements conventionnels
uniquement. Comme la possibilité d’en trouver est très marginale par rapport
aux coûts d’exploration, le jeu n’en vaudra plus la peine. Il faudra aussi que
le gouvernement hausse un peu plus les frais annuels des
permis. Au tarif ridicule de 10¢/ha il en coûtait presque rien pour maintenir
de vastes territoires sous la menace des titres miniers. En ramenant leurs coûts
annuels à ce qui se fait de comparable ailleurs, les détenteurs
actuels vont laisser tomber leurs permis à la fin de la période légale. Le
gouvernement ne devra pas offrir à d’autres exploitants ces permis libérés, du
moins là où il n’y a pas d’acceptabilité sociale pour l’exploration pétrolière
et partout où les municipalités auront défini d’autres usages pour leur
territoire.
N.B. Une version condensée de ce texte a été publiée dans Le Devoir le 14 novembre 2017
N.B. Une version condensée de ce texte a été publiée dans Le Devoir le 14 novembre 2017