Le gouvernement Trudeau a annoncé à la mi avril une aide de 1,7 milliards de dollars pour l’industrie pétrolière de l’Ouest. Ce montant est destiné au problème des puits abandonnés et inactifs en Alberta, en Saskatchewan et en Colombie-Britannique. Quel est donc l’ampleur de ce problème? Il n’existe toujours pas en 2020 une réelle évaluation du coût de la gestion des puits, une fois la production terminée. On ne dispose que de données fragmentaires; elles ne donnent qu’une indication sommaire du problème.
L’Alberta qui a depuis 2001 un programme pour les puits abandonnés, doté initialement d’un budget de 10 M$, puis rehaussé régulièrement pour atteindre 60 M$ en 2020. En Colombie Britannique le fond comparable a un budget annuel de 30 M$. Pour la Saskatchewan, il ne nous a pas été possible d’obtenir des infos quant au budget global; les exploitants sont soumis à une règlementation qui gère l’abandon des puits actifs à leur charge, mais cet inventaire exclut les puits orphelins abandonnés avant l’instauration du programme appliqué à l’industrie; donc seul un inventaire partiel est disponible. L'octroi fédéral récent vise à donner un réel coup de pouces à ces programmes qui sont encore bien minimes par rapport aux réels besoins.
On estime qu’il y a entre 350,000 et 450,000 puits de toutes catégories (actifs, inactifs, abandonnés, orphelins) en Alberta seulement. Les puits inventoriés bien identifiés sont au nombre de 172,000 puits en exploitation, 94,000 inactifs mais toujours détenus par leurs exploitants et le reste des puits sont, soit déclarés orphelins, soit classés indéfinis car inventoriés de façon incomplète. La très forte baisse du prix des combustibles fossiles va certainement augmenter le nombre des faillites et par voie de conséquence, le nombre de puits qui ne seront plus sous la responsabilité d’exploitants actifs va lui aussi augmenter. En 2017, l’Institut CD Howe fixait de façon conservatrice à 8G$* le cout de traitement des puits inventoriés en Alberta à l’époque. Dix-sept ans après sa création, le fond albertain des puits orphelins ne possédait toujours qu'une réserve de caution (200 M$) qui ne représente qu'une très faible portion (2,5%) de cette somme.
Boucher un puits devenu inactif avec la façon minimale qu’impose les lois actuelles, peut couter entre 20,000$ et 60,000$. Ces obturations sommaires ne tiennent pas compte des cas problématiques et des conditions géologiques particulières à chaque puits. De plus, les obturations ne tiennent qu’un temps; on constate quand il y a un véritable programme de surveillance, que les bouchons et les réparation des puits obturés doivent elles-mêmes être réparées après quelques décennies. Ces obturations sommaires se détériorent comme tous les autres types d’ouvrages.
Forer un puits simple coute entre 2 M$ et 4 M$; c'est 8 M$ à 10 M$ dans le cas où il y a de la fracturation hydraulique. Un puits d'exploitation, c’est une structure temporaire optimisée pour sortir du gaz et/ou du pétrole. Pour l’obturation, l’industrie se limite donc à dépenser ~1% de la valeur du puits (20,000$/2M$) en prétendant que cela permettra à l’ouvrage d’assurer pour le reste des temps la fonction inverse i.e. empêcher le gaz de sortir, de fuir. C’est totalement farfelu comme prétention. La réalité montre que la gestion des puits abandonnés peut se révéler nettement plus couteuse et plus complexe. Nous prendrons ici un exemple célèbre, celui du cas d’une des toutes premières restaurations en Alberta: Histoire d’un puits - "The Peace River Well" - Publié initialement le 7 mars 2011
Le puits de Rivière La Paix est très instructif, pour voir comment dans la réalité se fait la gestion d'un problème quand il survient. Ça ressemble un peu au cas ici des lagunes de Mercier, mais juste un peu plus étalé dans le temps... peut-être, car le cas de la grande pollution de Mercier (1968 à aujourd'hui) lui n'est toujours pas réglé.
Cette histoire débute en avril 1916. Un puits d'exploration pour trouver du pétrole, mais qui n'en rencontre pas. C'est plutôt de l'eau de grande salinité accompagnée et propulsée par du méthane, qui surgit. Le derrick s'effondre. On le reconstruit en 1917. Le forage avait atteint la profondeur de 346 m.
1954: Première inspection par les autorités de l'Alberta (Alberta Energy and Utilities Board); ils constatent un cratère érodé de 24 x 4 m et un écoulement toujours présent estimé à 3000 m3/jour d'eau saline avec gaz.
1955: Forage d'un premier puits de colmatage par boue et ciment. Diamètre du tubage: 27,3 cm jusqu'à 70 m, puis 178 cm jusqu'à 259 m
1982: Le propriétaire du lieu rapporte un cratère de 8 m autour du puits, une grosse venue d'eau saline avec bulles de gaz qui se déchargent dans la rivière par un passage érodé sous le sol. Nouveau forage entrepris à l'automne, mais qui échoue en raison de l’affaissement du terrain au site de l'installation. Tubage: 51 cm jusqu'à 15 m, puis 40,6 jusqu'à 17 m, 17,8 cm jusqu'au fond; profondeur atteinte: 99 m.
Fuites: 1526 m3/jour pour le puits de 1955 + 3053 m3/jour pour le nouveau puits.
Mise en place de conduits pour dériver l'écoulement des deux puits vers la rivière. Loin de se régler le problème se complique: on avait un puits au début des travaux correctifs et on se retrouve maintenant trois puits en tout sur le site. Aucun de ces puits n’a rempli la fonction pour lequel il a été foré. Tous les équipements et tubages se corrodent rapidement en raison de la forte salinité des fuites.
1988: Nettoyage au jet de sable et recouvrement des têtes des puits par de la fibre de verre pour ralentir leur corrosion rapide.
1989: On remplace tout ça moins d'un an après par des tuyaux de fibre de verre.
1991; installation d'une nouvelle canalisation pour dériver l'eau saline. Le débit mesuré à ce moment là est entre 4450 et 5350 m3/jour.
2000: Visites mensuelles d'inspection. Établissement de plans pour remédiation prévus pour 2001
2001: Estimé du débit de gaz un million de pieds cubes/jour; brulé sur place par une torchère.
2003: Gros travaux de 5,000,000$ dépensés pour boucher le puits de 1916, celui de 1955 et celui de 1982. On continue un programme d'inspection en espérant que tout ça tienne le coup au moins une génération ...
CONCLUSION: Entre 1916 et 2003, 100,000 pi.cu/jour de méthane + H2S (0,1%) et 400 m3 d'eau saline/heure se sont écoulés en continu. En 87 ans donc on peut estimer à 3 milliard de pieds cubes le méthane libéré et 30,000,000 m3 le volume de saumure. On ne précise pas la durée de vie de l'ouvrage de colmatage de 2003. Cette histoire est celle d'un simple puits classique. Les puits avec fracturation hydraulique étendue sur 1000 m et plus, seront autrement plus complexes à traiter.
à consulter : Le document détaillé qui était disponible en ligne en 2011 et qui montrait plusieurs photos, semble maintenant introuvable. Il faut dire que c'était sur le site de la Petroleum Tech. Alliance Canada et comme c'était pas glorieux pour cette industrie on a sans doute jugé préférable de retirer cette présentation. Par contre il a été archivé à ce lien WebArchive. Voici un échantillon des photos: Voici un échantillon des photos:
crédit pour la photo: An Orphan Well Case Study “The Peace River Well”, AOP 2003 |
Figure : mélange de saumure et de gaz projeté en geyser au puits Rivière-la-Paix.
Au Canada, l'Alberta est la province qui a mis en place la règlementation la plus complète et la plus avancée quant à la gestion des puits. En 2002, on y a créé un organisme pour la gestion des puits orphelins. Doté à sa création d'un budget annuel d'environ 10 M$ il s'occupe encore principalement de l'étape initiale: faire un inventaire et une surveillance des puits orphelins et procéder aux travaux les plus urgents.
Cliquez sur la carte pour accéder au site su gouvernement de l'Alberta |
Le budget de 1,7 G$ annoncé vive plus particulièrement 3400 puits identifiés en 2014 comme orphelins et nécessitant une réparation d'obturation. C'est une faible proportion des puits inactifs (94,000) et l'inventaire lui-même des 350,000 à 450,000 puits présents sur le seul territoire de l'Alberta est encore à compléter. Il y a également des puits abandonnés dans les autres provinces canadiennes, y compris au Québec où un peu moins d'un millier de puits d'exploration ont été forés à la recherche d'hydrocarbures.
Depuis deux ans les gouvernements du Canada et de l'Alberta ont massivement injecté des centaines de millions pour accélérer la restauration des sites des puits. Cependant plus on avance dans le temps plus la question du coût des puits abandonnés se révèle problématique. Les coûts d'intervention sont maintenant estimés à 70G$ pour uniquement ceux situés en Alberta.
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* 8 G$ ne s’applique pas au nombre total de puits qui seront un jour inactifs, mais seulement à une partie d’entre eux; en effet même en supposant un cout moyen de 40000$/puits appliqué à 450000 puits, le nombre obtenu est plutôt : 18G$ et non pas 8G$
Références
Colombie Britanique : Orphan Site Reclamation Fund (OSRF)