samedi 13 juillet 2024

Des irresponsables à tous les niveaux

Le Devoir publie ce matin un article  Les puits de gaz de schiste forés et fracturés au Québec laissent toujours fuir du méthane. J'ai placé un commentaire très écourté vu les restrictions du journal relatives à la longueur des lettres acceptées. Voici le texte entier que j'ai rédigé suite à la lecture de cet article.

Voici un bref résumé de la gestion locale du dossier « gaz de schiste » depuis 15 ans. Au début on a un petit groupe de promoteurs qui sont encouragés et aidés par des fonctionnaires à Québec (octroi de permis à prix ridicule, contributions financières directes d’Investissement Québec, etc.). Il n’y a là que pure spéculation car aucun des puits ne démontre qu’il peut être rentable, ni dans le shale d’Utica (Basses-terres du St-Laurent), ni à Anticosti. Deux BAPE, deux ÉES plus tard, les études et leurs conclusions évidentes démontrent qu’il n’y a aucune rentabilité possible pour la société au Québec dans ces projets d’un autre siècle. C’est finalement en avril 2022 que le gouvernement prend le virage à 180 degrés qui met fin à l’octroi de tout nouveau développement d’exploration et de forages. Les promoteurs se disent floués et intentent des poursuites qui bloquent actuellement toutes les interventions sur les dizaines de puits existants, dont les 18 puits fracturés. 

La loi 21 du 12 avril 2022, ne règle qu’une partie du dossier : elle change la politique d’avant qui encourageait le développement d’un illusoire filière d’exploitation d’hydrocarbures sur le territoire du Québec; c’est maintenant une interdiction pure et simple. Mais ce dossier n’est pas clos pour autant. Outre les poursuites qui ne sont que de l’esbrouffe temporaire, le vrai problème demeure l’existence des puits forés. J’ai écrit de nombreux textes depuis 2010 pour expliquer qu’un puits fracturé ne disparaît jamais une fois foré. Il est impossible de remettre le massif rocheux rendu perméable (shale fracturé) à l’état de très faible perméabilité qu’il avait dans son état antérieur. Même bouchés, ou fermés « définitivement » ces puits se détériorent dans le temps et le méthane (et les autres composés présents) vont trouver des chemins vers la surface. C’est très facile et peu couteux de casser un œuf, mais c’est extrêmement couteux, donc en pratique impossible, de recoller les fragments de coquilles pour le remettre à l’état d’avant. La problématique est comparable avec le shale fracturé.


Dans le texte de l’article, M. Brullemans souligne à juste titre qu’il y a deux types de fuites : a) celles qui sont dans le puits lui-même et qu’on mesure au tube d’évent;  b) celles qui migrent dans les fractures du roc en dehors du puits. Des travaux de fermeture « définitive » d’un puits peuvent pour un temps réduire ou stopper les fuites que le ministère mesure avec l’installation de débitmètres à l’évent, mais il est à toutes fins utiles impossible d’intervenir sur les autres fuites, autour et entre les puits. Leur simple détection et mesure est déjà très problématique. Cela implique que les mesures des fuites quand on se limite à la technique des inspecteurs du gouvernement, sous-estiment grandement le volume réel des fuites. Cette grande sous-estimation a été démontrée par des survols avec détecteurs des vastes champs d’exploitation aux USA.

 

 J’indique fermeture « définitive » avec des guillemets le mot « définitive », car on intervient pour fermer un puits que sur une petite section de son tubage. Le bouchon dans le tube en profondeur, la soudure d’une plaque d’acier sur un tubage scié à un mètre sous la surface du sol, le tout recouvert de terre fait certes disparaître la partie visible de l’ouvrage, mais un puits fracturé c’est >1000 m de long. Une fois bouché, ce n’est plus inspectable, ni entretenu; cela se corrode dans le temps. Ces obturations ne dureront qu’un temps; les fuites reprendront périodiquement après chaque réparation de réparation. Tant qu’il restera du gaz mal contenu dans le grand volume de shale fracturé, il y aura des fuites. La loi 21 règle le cas des puits futurs qui ne seront donc pas forés, mais elle ne règle en rien le cas des puits du passé. Après avoir lancé de façon irresponsable l’octroi de permis de forages il y a quinze ans suite aux évaluations trompeuses des développeurs privés, le gouvernement se fourvoie actuellement avec deux autres erreurs : la plus évidente est d’offrir des compensations financières à ceux qui ont créé ces problèmes. Quand les gouvernements partout dans le monde ont compris que les cigarettiers avaient menti quant aux liens entre leur produit et les cancers du poumon des fumeurs, ils ont poursuivi en dommage les compagnies responsables et leurs dirigeants.


La deuxième erreur est de continuer à croire que les fuites des puits disparaitront avec leur fermeture « définitive ». Au contraire, le cout de gestion des puits va se poursuivre et sans doute croitre dans le temps. J’estime que chaque puits va couter plus cher à la société que son cout initial de construction. Il est impératif d’inscrire au passif de l’État un minimum de $10M /puits, si le gouvernement accepte le transfert du puits à son bilan. Idéalement il faudrait que l’exploitant de chaque puits demeure responsable des couts de gestion pour toujours. Ce n’est évidemment pas le modèle économique réel de cette industrie qui est plutôt : take de money and run away.


Au bas de l'article il y a dans un encart un paragraphe qui évoque la possibilité que le gouvernement accorde une exception à l'obligation de fermeture dans le cas où un de ces puits serait proposé pour y faire du stockage de CO2. Le type de roc où il serait envisageable de faire du stockage de CO2 est tout à fait à l’opposé des caractéristiques du roc où on a ciblé le shale. Il s’agit là d’une manoeuvre dilatoire d’un promoteur bien connu qui a déposé au ministère cette proposition de projet pilote laquelle n'a scientifiquement aucun sens.


Dans ce texte A. Shields indique que le MEIE a refusé d'identifier le promoteur en question par mesure de confidentialité. Depuis quinze ans dans tous les dossiers de forages les fonctionnaires des ministères impliqués ont diligemment maintenu eu en très haute priorité la protection de confidentialité des actions et demandes des intérêts privés qui ont créé ces immenses gâchis. Protéger les intérêts privés au détriment de l'intérêt public demeure leur politique, parfois bien au-delà de ce que le client demande, car Questerre a déjà depuis des mois annoncé ce projet; il est donc risible que le MEIE refuse cette information au journaliste.


Le titre de mon texte contient le mot irresponsables qui à prendre dans tous ses sens, à commencer par le fait que les hauts fonctionnaires qui ont géré le gâchis du dossier gaz de schiste à Québec ont droit le plus souvent à l'anonymat et ne seront jamais tenus responsables de quoi que ce soit.