jeudi 6 novembre 2025

La capture et le stockage géologique du CO2

 Pour ce billet, je dois avouer que je suis cette fois-ci devenu un peu paresseux; je n’ai écris moi-même que les parties du texte qui sont en vert. Le reste du texte, vous l’aurez compris, est le résultat d’une discussion que j’ai amorcée avec l’IA. Vous constaterez donc que je me suis mis au goût du jour. J’ai prudemment évalué et édité à l’occasion la partie du texte produit par l’IA.

Le sujet de la capture/stockage du CO₂ (carbon capture and storage -CCS- en anglais) se pointe de plus en plus dans l’actualité. Ce n’est plus simplement une proposition théorique, car déjà les promoteurs du CCS quêtent et obtiennent partout dans le monde des subventions. Ces fonds publics sont très souvent soutirés aux fonds verts, etc.

Les promoteurs du CCS sont en fait des acteurs de l’industrie des hydrocarbures. Ils promettent la main sur le coeur que les futures expansions de leur industrie va se faire en « éliminant » le CO₂ qui sera encore ajouté au bilan mondial. La mise en avant des promesses du CCS visent avant tout à installer pour l’industrie pétrolière une possibilité, non seulement de poursuivre leurs activités extractives, mais également de permettre une expansion durant encore quelques décennies.

Toutes les techniques actuelle de CCS sont bien incapables de faire cela; les seules installations actuelles et les suivantes envisagées ne pourront traiter qu’une infime partie du CO₂ rejetée annuellement dans l’atmosphère. Leurs projets actuels sont tous très loin de la rentabilité, ce qui fait que les promoteurs sont activement à la recherches de fonds publics. Des projets-pilotes sont souvent réalisés en association avec des universités ou des instituts de recherche, ce qui facilite justement l’obtention d’investissements publics. Par citer un exemple local, l’INRS vient d’obtenir 5M$ du fédéral plus $426,500 du Québec pour une étude de CCS dans la région de Bécancour. Comme ancien professeur-chercheur, je n’ai rien contre la recherche évidemment; seulement j’ai de forts doutes sur la pertinence du choix de la région de Bécancour et de la faisabilité éventuelle d'un projet réaliste de CCS. Bref, je n’aurais pas peut-être pas recommandé l’utilisation de fonds publics pour ce projet. Il y a de multiples façons de mieux utiliser ces fonds dans la lutte au réchauffement climatique.

Revenons au stockage du CO₂ dans le substratum profond. Au départ cette idée vient des pétrolières. Injecter d’énormes volumes de gaz dans les strates poreuses des gisements épuisés leur est apparu comme une excellente initiative, « win-win » comme on dit dans ces milieux. D’une part on se débarrasse du gaz CO₂, d’autre part ça remet en pression les poches résiduelles d’hydrocarbures des gisements vieillissants qui peuvent alors être extraites par les puits voisins encore actifs. 

Ces pratiques soulèvent plusieurs questions techniques. Dans ce billet, je ne vais m’attarder sur une seule de ces questions. Elle est identique à celle que j’ai posée il y a une décennie à propos de l’industrie du gaz de schiste: la gestion à moyen et long termes des puits une fois achevés. Voici le libellé de la question que j’ai posée à l’IA: « Étant donné la dégradation probable des puits dans le temps, quelle doit être la durée de monitoring de ces puits qui seront implantés dans le substratum pour y stocker d’importants volumes de CO ? Des décennies? Des siècles? Des millénaires ? »

La surveillance des puits de capture et de stockage de carbone (CCS) doit généralement être maintenue pendant plusieurs décennies, l'objectif étant d'assurer la permanence du stockage pendant des siècles, voire des millénaires.

Voici une ventilation des délais :

Période de surveillance réglementaire (décennies) : Les réglementations, telles que les règles américaines de l'EPA (Environmental Protection Agency) pour les puits de classe VI, exigent généralement une période de surveillance post-injection d'au moins 50 ans, à moins que les régulateurs n'approuvent un calendrier alternatif basé sur des données spécifiques au site. Dans d'autres juridictions comme l'Alberta, la phase initiale de surveillance post-fermeture requise avant le transfert de responsabilité au gouvernement peut être aussi courte que 10 ans, suivie d'une intendance gouvernementale pendant des décennies supplémentaires.

Permanence ciblée (siècles à millénaires) : L'objectif ultime du stockage géologique est le confinement permanent pour atténuer efficacement le changement climatique. Les modèles climatiques et les normes scientifiques soulignent souvent que le CO₂ stocké doit rester séquestré pendant des centaines, voire des milliers d'années (siècles à millénaires) pour atteindre les objectifs climatiques.

Cycle de vie du projet : L'ensemble du cycle de vie du projet, de la sélection du site et de l'injection à la surveillance post-fermeture, peut s'étendre sur de nombreuses décennies, ce qui est un facteur majeur dans la planification du projet et les considérations financières.

La surveillance à long terme est cruciale pour confirmer que le panache de CO₂ se comporte comme prévu par les modèles et qu'il n'existe aucune voie de fuite susceptible de présenter un danger pour les sources souterraines d'eau potable ou l'atmosphère.

La création des sites de CCS est déjà extrêmement coûteuse. À quel pourcentage des coûts initiaux se situeront les coûts de monitoring sur une période de 100 ans?

Les coûts de surveillance (monitoring) à long terme pour les sites de capture et de stockage de carbone (CCS) ne représentent généralement pas une proportion fixe ou majeure des coûts d'investissement initiaux, mais sont plutôt considérés comme une partie gérable des coûts d'exploitation totaux sur la durée de vie du projet. Voici quelques points clés concernant ces coûts :

Faible proportion des coûts d'exploitation : Les programmes de surveillance ne représentent généralement pas une proportion significative des coûts d'exploitation totaux du site.

Les coûts initiaux sont dominants : La majorité des coûts totaux d'un projet CCS proviennent de la phase de capture (la plus chère) et de l'investissement initial dans les infrastructures de transport et d'injection.

Objectif de réduction des coûts de surveillance : Les projets commerciaux ont tendance à mettre en œuvre le minimum d'exigences réglementaires pour la surveillance afin de maîtriser les coûts, par rapport aux projets de recherche qui investissent souvent davantage  (mesure, surveillance et vérification).

Variabilité selon les technologies : Le coût des différentes technologies de surveillance varie. Par exemple, l'InSAR (radar interférométrique à synthèse d'ouverture) a des coûts unitaires plus élevés que la surveillance des eaux souterraines et le GPS, cette dernière étant une méthode plus mature et moins coûteuse.

Mécanismes financiers pour la post-fermeture : Pour couvrir les coûts de surveillance et d'éventuelles mesures correctives après la fermeture du site (pendant les décennies ou siècles requis), il est souvent recommandé aux promoteurs de projets d'établir des mécanismes financiers, tels que des comptes fiduciaires ou des assurances, garantissant que des fonds adéquats sont disponibles. 

Il est difficile de fournir un pourcentage précis pour une période de 100 ans, car les coûts spécifiques dépendent fortement des caractéristiques géologiques du site, des exigences réglementaires locales et des technologies de surveillance choisies. Cependant, l'industrie et les régulateurs s'efforcent de faire en sorte que ces coûts à long terme soient gérables et prévisibles grâce à une planification initiale rigoureuse et des mécanismes financiers appropriés. 

Ce que est chiffré ci-dessus ne se rapporte bien évidemment qu’aux seuls coûts de surveillance, mais qu'en est-il des coûts d'intervention sur les puits lorsque la surveillance détectera des fuites, des détériorations des aciers ?. La technologie des puits a avant tout été développée pour l'extraction des hydrocarbures. Selon une étude de Schlumberger (Brufatto et al 2003. From Mud to Cement—Building GasWells, Oilfield Review Sept 2003, pp 62-76), environ 50% des puits développent des problèmes de perte d'étanchéité après 25 ou 30 ans. Qu'en sera-t-il pour les puits de stockage CCS, qui sont très souvent implantés dans les mêmes strates géologiques (gisements d'hydrocarbures épuisés) ?

La question des coûts d'intervention et de réparation des puits de CCS en cas de fuite est cruciale et représente l'un des principaux défis et risques financiers du secteur. La comparaison avec la statistique de Schlumberger est pertinente, mais il existe des différences fondamentales dans la conception des puits de CCS qui visent à atténuer ces risques.

1. Coûts d'intervention et de réparation

Les coûts d'intervention pour réparer une fuite de puits de CCS peuvent être très élevés et potentiellement imprévisibles :

Absence de données précises publiques : Étant donné le nombre encore limité de projets CCS commerciaux à grande échelle en phase de post-injection prolongée, il existe peu de données publiques sur les coûts réels des interventions de réparation de fuites de CO₂.

Complexité de la remédiation : Les coûts dépendraient de la nature, de l'emplacement et de la gravité de la fuite (par exemple, une simple réparation de cimentation de surface par rapport à une opération complexe en profondeur). Les réparations peuvent impliquer des opérations lourdes similaires à celles de l'industrie pétrolière et gazière (re-cimentation, installation de nouveaux tubages, etc.).

Risques financiers majeurs : Le risque d'intervention imprévue est une préoccupation majeure pour les opérateurs et les régulateurs, car ces coûts peuvent rapidement dépasser les budgets de surveillance annuels. C'est pourquoi la planification financière (fonds fiduciaires, assurances) est essentielle pour couvrir ces éventualités sur le long terme. 


Pertinence de l'étude Schlumberger et différences CCS  La statistique de Brufatto et al. (2003) selon laquelle environ 50 % des puits pétroliers/gaziers développent des problèmes d'étanchéité après 25-30 ans est un fait bien connu de l'industrie et souligne les risques inhérents à l'intégrité des puits. Cependant, l'industrie du CCS se base sur ces leçons pour concevoir des puits spécifiquement adaptés au stockage permanent :

- Matériaux spécialisés : Contrairement aux anciens puits d'hydrocarbures où le ciment standard était conçu pour des opérations à court terme, les puits de CCS utilisent des matériaux de cimentation et d'étanchéité avancés (comme le CorrosaCem™ mentionné précédemment) et des aciers résistants à la corrosion. L'acide carbonique formé par le mélange de CO₂ et d'eau peut dégrader le ciment Portland standard, ce qui nécessite des formulations spécifiques pour une stabilité chimique et mécanique à long terme.

- Conception rigoureuse et réglementation : Les puits de CCS (notamment les puits de classe VI aux États-Unis) sont soumis à des exigences réglementaires beaucoup plus strictes en matière de sélection des matériaux, de protocoles de cimentation et de tests d'intégrité initiaux que la plupart des puits historiques d'extraction d'hydrocarbures.

- Surveillance continue : La surveillance à long terme, absente de la plupart des puits pétroliers abandonnés, permet une détection précoce des problèmes, permettant des interventions avant qu'une fuite ne devienne majeure ou catastrophique.

Puits neufs vs existants : Les projets de CCS privilégient souvent le forage de nouveaux puits d'injection conçus dès le départ pour le stockage plutôt que la conversion de vieux puits "hérités" (legacy wells), dont les matériaux et l'état sont souvent incertains. 


Conclusion  Le risque de fuite et les coûts d'intervention associés sont des préoccupations très réelles. Bien que l'historique des puits d'hydrocarbures mette en évidence un risque significatif de défaillance de l'intégrité, l'industrie du CCS vise à réduire ce risque grâce à des normes de conception, des matériaux et des protocoles de surveillance nettement supérieurs. Le coût d'une intervention majeure reste un facteur de risque important qui doit être géré par une planification financière rigoureuse et des mécanismes de transfert de responsabilité.


J’ai arrêté ici la discussion avec l’IA, car l’intelligence Artificielle puise évidemment ses infos et ses conclusions dans la littérature qui a été publiée ces dernières décennies sur la question de la détérioration des puits à moyen et à long termes. Je retrouve dans son exposé les mêmes énoncés que j’ai déjà lus quand je posait ces mêmes questions par rapport aux puits de gaz de schiste. L’industrie avance alors un bla-bla où se retrouve pêle-mêle du type « On va tirer parti des leçons …», «  On va utiliser des aciers résistant à la corrosion… », « Il va y avoir une réglementation rigoureuse … ».


Dans la réalité, les compagnies font concurrence et celles qui ont des coûts plus élevés disparaissent laissant les puits à l'abandon. Aucune ne sera là des siècles et des millénaires évidemment. J'ai souligné ci-dessus le phrase où l'IA admet que la surveillance est absente dans la plupart des puits. Son dernier paragraphe indique aussi que le risque de défaillance sera significatif. Pour un exposé de ce que tout cela implique, je voie renvoie à mon mémoire sur le gaz de schiste. La figure 6 y montre le diagramme de Schlumberger sur la détérioration des puits dans le temps.


Ma conclusion toute personnelle est qu'en raison des bugs technologiques liés à la détérioration dans le temps des puits, tout le gaz CO₂ qu'on injectera dans des strates géologiques poreuses et perméables y restera peut-être le temps de deux ou trois générations. Mais nous lèguerons ainsi à nos descendants de gros réservoirs qui vont progressivement laisser remonter ce CO₂ dans leur atmosphère. Les seules techniques qui seraient éventuellement acceptables seraient celles où le CO₂ sera minéralisé chimiquement en composé stable (lié au calcium ou magnésium par exemple); c'est possible en théorie et même en pratique en laboratoire, mais cela demande une très grand quantité d'énergie et c'est plus coûteux encore que le CCS.

Le projet de l'INRS semble bien viser la modélisation de réservoirs pour de l'injection conventionnelle; c'est pour cela que je ne crois pas que cela sera bien utile et que cela risque à nouveau d'être une perspective cul-de-sac; et comme le gaz de schiste, un gaspillage de fonds publics.


La biosphère sait très bien comment convertir le CO₂ en composés stables; elle le fait depuis des millions d'années dans les mers (récifs, CaCO3), sur terre (plantes, bois, etc). Laissons lui la chance de réparer ce que l'humanité détruit sans vergogne. Ou mieux, investissons dans des recherches qui viseront à favoriser l'action de ces processus naturels, plutôt que d'investir dans encore plus de trous de forages.


lundi 30 juin 2025

Un rapport du Conseil des droits de l’homme de l'Organisation des Nations Unies

L'ONU vient de publier un très important rapport sur la nécessité absolue de mettre fin à l'exploitation des hydrocarbures : The imperative of defossilizing our economies

La version française de ce rapport est aussi présente sur le site de l'ONU. Elle porte un titre très simple mais absolument limpide: Défossiliser nos économies − un impératif.

J'ai peu de commentaires à ajouter, sinon de vous inciter à lire ce texte d'une grande clairvoyance.

Je souligne également l'article 59: 

59. Les États devraient interdire immédiatement :

  a)  La fracturation hydraulique, les sables bitumineux et le brûlage de gaz à la torche;

  b) La prospection et l’exploitation en mer


  c) La prospection ou l’exploitation dans les aires protégées et les zones riches en biodiversité.

mardi 24 juin 2025

Exploration et production de gaz de schiste en Chine.

La Chine a d'énormes besoins en gaz naturel; la production domestique ne parvient qu'à satisfaire qu'environ la moitié de ces besoins. Le pays est donc un gros importateur de gaz à l'heure actuelle. Le pays tente de s'affranchir de l'importation et c'est donc vers l'extraction de gisements non conventionnels sur son vaste territoire qu'il tente d'accroitre la part de la production domestique. Cette expansion se bute cependant à une question cruciale: les principaux champs potentiels non conventionnels sont dans des zones désertiques où l'eau est une denrée rare. La Chine innove en développant une technique de fracturation sans eau : la fracturation à l'azote liquide.

Voici une vue d’ensemble de l’exploration, de la fracturation et de la production de gaz de schiste en Chine, complété à la fin de ce texte par une analyse sommaire de la technique de fracturation à l'azote liquide et de l'application de cette technique en Chine.

Contexte national & avancées technologiques

  • Production et réserves:
    En 2019, la Chine a extrait ~15
    Gm³ de gaz de schiste (≈8,7% de la production de gaz naturel totale du pays). En 2024, la Chine a produit 246 Gm³ et elle a consommé 425 Gm³. Cette consommation est en augmentation. L’essentiel (94,5%) provient du bassin du Sichuan (Fuling, Weiyuan, Changning).
    Les réserves prouvées nationales atteignaient ~2
    000Gm³ en 2020 .
  • Poussée vers les formations profondes:
    Depuis 2018, percements réussis dans des formations à plus de 4
    000m de profondeur (Qiongzhusi, Wulalik, Dalong...) avec des taux de production journaliers de plusieurs dizaines de milliers de m³.  Cela montre l’entrée en phase de production commerciale dans ces corridors profonds.
  • Techniques & innovations:
    La fracturation hydraulique domine, mais la Chine développe aussi des techniques à l’azote liquide (waterless fracking), particulièrement dans les zones arides (Xinjiang, Mongolie Intérieure), pour réduire la consommation en eau et l’impact environnemental.

Principaux champs de gaz de schiste en production

Champ (opérateur)

Découvert en

Prod. débute en

Production journalière

Réserves prouvées

Profondeurs/des formations

Remarques

Fuling Sinopec

2012

2014

~25Mm³ ≈970Mpi³

900–1000Gm³

formations Siluriennes Longmaxi/Wufeng

Premier champ commercial, >60b=Gm³ cumulés

Anyue (Sinopec)

2014

2014

~11Mm³ ~383Mpi³

~440Gm³

Sichuan – réserves conventionnelles

Second site majeur

Yuanba Sinopec

2011

2015

~9.3Mm³ ~325Mpi³

~160Gm³

Sichuan basin

Réserves plus petites

Weiyuan, Changning, etc. PetroChina

~2009–2010

2012

non détaillé

cumul >300Gm³

Sichuan

Production de ~3Gm³/an en 2017

Formations ultra‑profondes

2018


e.g. Zi‑201 ~26Mpi³

blocs potentiels >1Gm³

>4000m Qiongzhusi / Cambrian

Phase pilote vers production commerciale



Evolution & défis

  • Une croissance impressionnante :
    • Fuling a produit ~6–8Gm³/an depuis 2020 ; cumul >60Gm³.
    • Petits champs comme Anyue et Yuanba ajoutent ~20% à la production nationale.
  • Complexité géologique : les bassins montagneux du Sichuan sont plus difficiles à exploiter qu’en Amérique du Nord .
  • Ressources en eau & R&D : la crise hydrique dans certaines régions pousse vers des fracturations alternatives (azote liquide) .


Synthèse stratégique

  • Capacité actuelle : ~15Gm³/an de gaz de schiste (≈10% de la production totale de gaz GNL), surtout concentrée dans le Sichuan.
  • Axé sur les géants : Fuling reste la locomotive (>1Tm³ de réserves, ~25mm³/j).
  • Expansion future: exploration active des formations profondes (>4000m) et dominées par innovations technologiques.
  • L'environnemental et la logistique : défis d’eau, infrastructures, fracturation, et maîtrise technologique dans des géologies complexes.

La Chine a réussi son entrée dans la production commerciale de gaz de schiste — notamment avec le champ de Fuling. L’effort se déplace maintenant vers des zones plus profondes et plus difficiles, appuyé par des innovations telles que la fracturation à l’azote liquide. La capacité nationale actuelle (~15Gm³/an) pourrait croître à l’horizon 2025–2030, à condition de répondre aux enjeux techniques, environnementaux et logistiques.


Voici l’évolution historique de la production de gaz de schiste en Chine entre 2011 et 2024 (estimation 2025 incluse) : on observe une montée en puissance rapide dès 2014, avec une stabilisation autour de 15milliardsdem³/an depuis 2020:







Pour pouvoir aller plus loin que ce plateau à 15milliardsdem³/an, la Chine veut mettre en production des gisements non conventionnels situés dans des zones où l'eau n'est pas disponible. Pour cela le pays tente de développer une technique où le fluide qui sert à fracturer le shale n'est pas de l'eau, mais de l'azote liquide. 

La fracturation à l’azote liquide repose sur l’injection d’azote sous forme liquide (température ~–196°C) à haute pression dans les formations rocheuses. En se vaporisant, l’azote se dilate violemment (~700x son volume), créant des microfissures sans utiliser d’eau.

Mécanismes

  1. Injection d'’azote liquide : le fluide cryogénique est injecté sous pression dans le puits.
  2. Gel thermique de la matrice : le contraste thermique provoque des chocs thermomécaniques microfissuration.
  3. Vaporisation explosive : l’azote liquide se transforme en gaz pression interne ouverture de fractures.
  4. Transport des proppants (optionnel) : comme pour la fracturation hydraulique, des grains peuvent être injectés pour maintenir les fissures ouvertes.


Application en Chine

  • Zones concernées : Xinjiang, Mongolie intérieure, Ordos — régions semi-arides ou désertiques.
  • Objectif : limiter l’usage d’eau dans les zones sensibles hydrologiquement.
  • Avantages :
    • Zéro consommation d’eau ;
    • Réduction des risques d’endommagement des formations argileuses gonflantes (swelling clays) ;
    • Moins de contamination des aquifères superficiels ;
    • Simplification du traitement des fluides de retour.
  • Inconvénients :
    • Coût énergétique très élevé (production et transport du LN) ;
    • Risques liés à la cryogénie ;
    • Difficulté à maintenir les fissures ouvertes sans additifs spécifiques.


Statut en Chine

  • Phase pilote avancée : plusieurs essais menés depuis 2016–2018.
  • Intégration hybride : certaines exploitations utilisent un mix azote liquide-eau pour optimiser coûts et efficacité.
  • Développements R&D : CNPC et Sinopec collaborent avec l’Académie des Sciences pour améliorer la pénétration de l'azote liquide dans les formations à faible porosité/perméabilité.


Fracturation hydraulique vs  Fracturation à l’azote liquide

Critère

Fracturation hydraulique (HF)

Fracturation à l’azote liquide (LN)

Fluide injecté

Eau + additifs chimiques + proppants

Azote liquide (N) pur ou mélangé à des proppants

Volume de fluide requis

10000 – 25000m³ par puits

2000-5000m³ (LN est plus "sec" et expansif)

Pression typique

40–100 MPa

30–80 MPa (mais effets thermo-mécaniques augmentent la fissuration)

Température d’injection

~20–40°C

–196°C (cryogénique)

Mécanisme dominant

Pression mécanique

Chocs thermiques + expansion gazeuse

Profondeur d’application

Idéal pour 1500 – 3500m

Plus efficace dans formations peu fracturées ou argileuses

Taux de récupération du gaz initial (EUR)

10–30% (fortement dépendant du design)

5–20% (mais en amélioration avec hybridation)

Coût estimé (USD/puits)

3–6millions$ (variable)

4–8millions$ (production, transport LN coûteux)

Risque d’endommagement des roches argileuses

Élevé (gonflement, colmatage)

Très faible

Consommation d’eau

Très élevée (jusqu’à 30millions de litres)

Zéro (ou quasi-nulle)

Traitement des eaux de retour

Nécessaire (fluide de reflux contaminé)

Pratiquement inexistant

Risque de contamination des nappes

Modéré à élevé (si défauts de cimentation)

Très faible (N gazeux non polluant)

Empreinte carbone directe

Faible lors de l’injection, mais traitement eau énergivore

Élevée (liquéfaction + transport du N)

Flexibilité opérationnelle

Très mature, industrialisée

Moins mature, expérimentale

Utilisation en Chine

Généralisée (Sichuan, Ordos)

hybride (Xinjiang, désert de Qaidam)



Analyse comparative fracturation hydraulique vs fracturation à l'azote liquide

Avantages de la fracturation hydraulique

  • Technologie éprouvée, maîtrise industrielle complète.
  • Capacité à produire de grands volumes de gaz à faible coût dans des zones bien caractérisées.
  • Écosystème d’approvisionnement déjà en place (additifs, proppants, traitement des eaux).

Avantages de la fracturation à l'azote liquide

  • Appropriée pour zones arides ou formations argileuses sensibles à l’eau.
  • Risques environnementaux réduits, notamment vis-à-vis des nappes phréatiques.
  • Pas de pollution chimique durable.

Limites de la technique

  • Coût élevé de la liquéfaction de l’azote (~0,06–0,09$/kg). Il en faut évidemment de très grands volumes pour compléter la fracturation à chacun des puits
  • La logistique est très complexe: transport cryogénique, équipements spécialisés, etc.
  • Moins de recul sur la durabilité des fissures induites; on a constaté que sans les proppants entrainés par l'eau dans la fracturation hydraulique, certaines fractures se referment.

Enjeux stratégiques pour la Chine

  • Politique de diversification : la Chine utilise la l’azote liquide comme complément pour zones où l’eau est rare ou précieuse.
  • Technologie en maturation rapide : on tente de mettre au point une intégration de l'azote liquide avec des microproppants ou des gels porteurs pour accroître l’efficacité de la mise en place des particules qui sont nécessaires pour garder les fractures ouvertes.
  • Potentiel environnemental : fort attrait dans les zones sensibles comme en Himalaya oriental, Ordos, Tarim.