Le texte Manifeste pour tirer profit collectivement de notre pétrole A. Bisson, B. Landry et al, janvier 2014, propose quelques prémisses de nature économique, certaines vérifiables (dette du Québec, vieillissement de la population, etc.) d'autres absolument non vérifiées et hautement spéculatives ("des milliards de barils seraient disponibles à l'Île d'Anticosti") pour lancer un appel en faveur de l'exploration/exploitation du pétrole au Québec.
Ce n'est pas là une analyse bien rigoureuse, car on y retrouve essentiellement le sophisme assez simpliste:
1) le Québec a besoin d'argent - (OK rien à redire à ça )
2) le pétrole génère de l'argent - (dans des gisements rentables, mais pas automatiquement n'importe où...)
3) le Québec dispose de pétrole - (un peu vite en affaire ici ! )
4) ce pétrole va créer des retombées économiques majeures pour le Québec - (faux)
À l'appui de cette "démonstration", le manifeste a comme sources six références: 1 et 2 traitent de la dette provinciale, 3 un texte sur le vieillissement de la population une spécificité québécoise (ailleurs, on ne vieillit pas ?), 4 et 5 deux références sur le déficit commercial; finalement 6 un texte sur l'industrie pétrolière de l'Ohio, produit par deux auteurs fortement liés à cette industrie que le manifeste cite improprement comme "les autorités" de l'État: " en Ohio, pour une formation géologique similaire à celle de l’Île d’Anticosti, les shales d’Utica, les autorités ont estimé …". Or ce texte de 2011 est écrit par:
- Ohio Oil and Gas Energy Education Program. OOGEEP is voluntarily funded by Ohio’s crude oil and natural gas industry through a voluntary assessment on the production of all crude oil and natural gas produced in Ohio. OOGEEP is not a state agency (http://oogeep.org)
- et un bureau privé de marketing: Kleinhenz & Associates, Ltd. Wealth Management
On ne peut, à partir de cette source, confirmer l’existence de milliards de barils à Anticosti. On ne peut pas seulement parler de barils disponibles comme le font les auteurs du manifeste, sans aucune analyse des coûts. À la colonne des revenus, il faut ajouter la colonne des dépenses. Or à Anticosti, les coûts estimés dépassent de loin les revenus potentiels. Il y a peut-être 40 milliards de barils en place, mais comme au Dakota, c’est environ 1,2 % qui est peut-être récupérable par les puits. On récolterait donc à 100 $/baril un peu moins de 50$ milliards, en supposant bien sûr que la totalité de l’île serait exploitée. Cela demanderait au minimum 12 000 puits d’extraction qui ont un coût unitaire de 10$ millions chacun, ce qui donne des dépenses de 120 milliards de dollars. Personne ne va suivre les promoteurs avec ces estimations largement déficitaires. Personne n’investira 120$ milliards pour espérer récupérer 50$ milliards de production (Les hypothétiques gisements d'hydrocarbures non conventionnels au Québec).
Le manifeste recommande que l'exploration/exploitation se fasse sur de hauts standards de protection de l’environnement. Il n'est même pas nécessaire d'en demander autant pour exclure la quasi totalité de l'Île d'Anticosti, car la structure géologique du gisement Macasty ne permet pas d'y fracturer le shale en appliquant simplement les standards les plus ordinaires, notamment la norme de 1000m entre le bas des nappes et le haut de l'extension de la fracturation hydraulique que l'industrie se vante de respecter aux USA. Bien loin d'envisager des hauts standards, le MDDEFP tente plutôt d'abaisser cette obligation à moins de 400m dans une règle sur mesure pour contourner à Anticosti cet obstacle géologique. Les auteurs du manifeste n'ont apparemment aucune idée de ce qu'impliquent leur phrase. Ajouter dans leur texte "hauts standards de protection de l’environnement" est certainement placé là juste pour faire joli.
Supposons l'existence (ce qui n'est pas le cas) d'immenses réserves de pétrole en Gaspésie; l'analyse rationnelle d'exploiter ou pas n'aurait rien à voir avec les prémisses invoquées dans le manifeste. Supposons a contrario que le Québec serait riche, sans dette, sans vieillissement de la population, etc, on prendrait aussi assurément la décision d'exploiter cette ressource indépendamment de toutes les raisons invoquées dans le manifeste; mon petit neveu ado me dirait juste ça n'a pas rap! Et il aurait raison. On pourrait aussi aligner les mêmes prémisses pour invoquer la nécessité d'exploiter n'importe quelle autre ressource (ex. la forêt boréale) qui n'aurait aussi pas rap avec les prémisses; … et y accoler le même type de conclusion.
À la fin du manifeste les auteurs écrivent: "Nous lançons un appel à l’ensemble des parties prenantes de la société pour qu’elles fournissent des informations vérifiées et qu’elles évitent d’entretenir ou de nourrir des craintes non justifiées uniquement pour contribuer à la défense de leur cause". Fort bien ! Mais hélas faudra attendre encore un peu, car ce n'est certes pas leur document actuel qui apporte des informations vérifiées !
J'ajoute donc mon propre appel: " à l’ensemble des parties prenantes de la société pour qu’elles fournissent des informations vérifiées et qu’elles évitent d’entretenir ou de nourrir des illusions économiques, basées sur des chiffres farfelus fournis essentiellement par des promoteurs, pour contribuer à la défense d'intérêts financiers immédiats au détriment des générations qui suivront."
N.B. Ce texte a été soumis au Journal Le Devoir qui l'a retenu pour le publier dans la section Actualités Économiques de son édition du 10 janvier 2014. Comme le journal n'affiche pas les liens hypertextes, nous avons placé sur notre page cette version complète avec ces liens actifs (soulignés en bleu) vers les documents cités.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire
Vos questions et vos commentaires sont bienvenus.