Le
MDDELCC a mis en ligne fin octobre 2015 un bloc de 42 études, ainsi qu'un
document de synthèse sur son site WEB.
Il y a 64 études listées sur ce site pour les ÉES-Hydrocarbures et
ÉES-Anticosti, deux sont indiquées ANNULÉE, celle sur les mesures de suivi lié
au transport de matières dangereuses, (GECN01), ainsi
qu'une sur les scénarios de production autre qu'Anticosti (GTRA02). Il
en reste donc 62, touchant les six chantiers:
1)
Aspects techniques 2) Économie 3) Environnement 4) Société 5)
Transport 6) Transversal
Je
m'intéresse plus particulièrement ici au cas d'Anticosti (28 des 62 études) et
aux réponses qu'on pourrait trouver dans les rapports de l'ÉES maintenant
publiés (15 pour Anticosti). Je le fais en fonction des questionnements
et des obstacles que j'ai soulevés pour cet hypothétique
gisement.
a)
La non rentabilité du gisement. C'est un point majeur et c'est
dans le chantier Économie de l'ÉES Anticosti qu'on trouve ce sujet
abordé. L'ÉES avait prévu là deux études: AECNo1 pour l'élaboration de
scénarios et AECNo2 pour l'analyse de la rentabilité. Comme on peut le
constater sur la figure 1 ci-dessous, ces deux études ont été fusionnées dans un seul rapport:
Figure 1. Un extrait des études, celles qui correspondent à Chantier Économie & ÉES Anticosti.
Ces
deux études sont au centre de la décision de poursuivre avec l'investissement
de fonds publics dans l'hypothétique gisement d'hydrocarbures d'Anticosti. Ces
deux recherches ont toutes deux été confiées aux fonctionnaires du
gouvernement; aux mêmes fonctionnaires qui déjà en février 2014, ont
"embarqué" le gouvernement dans l'injection de 115 M$ de fonds
publics dans une campagne d'exploration. Ces promoteurs du pétrole d'Anticosti
semblent avoir répondu prestement aux attentes du lobby pétrolier dans cette
décision précipitée qui visait à financer une campagne de 15 à 18 forages devant être
complétée à l'été 2014. Pétrolia qui agit en maître-d'oeuvre pour Hydrocarbures
Anticosti S.E.C. n'a pu en terminer que cinq cet été là; la campagne a été
prolongée d'un 2e été en 2015. Sept autres forages ont ainsi été ajoutés en
2015 pour un total de douze, loin de l'objectif initial de 15 à 18 forages.
Bizarrement le site où est décrit l'ÉES propre à Anticosti présente ses travaux comme
étant cette campagne de forages. L'ÉES est-ce une campagne d'exploration de
gisement par forage, ou bien est-ce une Évaluation Environnementale?
Que
lit-on dans le rapport qui fusionne les deux études et qui émane des mêmes
auteurs (anonymes en fait, car le texte est signé Finances
Québec - auteurs et leurs champs de
compétence non identifiés ; seul l'accompagnement de Pierre-Olivier Pineau des HEC
est cité nommément) ? Y avait-t-il un expert compétent en évaluation géologique des gisements pétroliers parmi ces auteurs au ministère des finances ? On peut en douter; en tout les cas ce n'est certainement pas Pierre-Olivier Pineau qui possède un PhD en administration et une maîtrise en philosophie, ce qui en soi ne donne aucune expertise en géologie économique.
Tout d'abord en introduction on peut lire ceci: "les
travaux faisant l’objet du présent rapport ont été réalisés sur la base d’hypothèses qui reposent essentiellement sur
ce qui est observé pour l’exploitation de formations géologiques considérées
comme analogues à la formation de Macasty de l’île d’Anticosti, soit celles de
l’Utica et de Point Pleasant en Ohio, où la
production de gaz naturel est prépondérante à celle de pétrole".
Figure 2. Les shales Point Pleasant (en Ohio), Utica et Macasty (à Anticosti).
Outre le fait qu'il y a 1600 Km de distance entre ces
deux entités géologiques (figure 2), il apparait incongru de baser tout un
calcul de rentabilité, de faire des projections économiques sur 75 ans,
etc. quand au départ on importe des paramètres qui ne sont pas ceux du
gisement en question. L'analyse de Finances Québec est boîteuse dès son
point de départ et contraire à toutes les normes d'évaluation de gisement. Elle souffre de plus d'approximations et des sous-estimations
des coûts d'extraction du pétrole et du gaz, ainsi que des surestimations de la
production. Nous allons donner dans ce billet quelques exemples parmi d'autres
qui se retrouvent dans le scénario retenu, un scénario dit "Optimisé".
C'est présenté comme une variante des deux scénarios
MOINS et PLUS présentés en mai 2015; du premier, le nouveau
scénario retient le nombre et la densité de puits du premier; du second,
il retient l'étalement de l'exploitation sur 75 ans. Il suppose aussi
l'existence de zones plus productives, mais cette hypothèse ne repose
sur rien du tout dans ce rapport, outre le fait qu'on aît rencontré
quelques "sweet spots" dans l'Utica de l'Ohio. C'est tout à
fait incongru* d'inclure cette donnée externe et de l'appliquer à toute
la superficie de 1662Km2 (la superficie retenue dans ce scénario "Optimisé").
Nous avons analysé les deux scénarios présentés en mai
dernier: dans les deux cas l'extraction du pétrole se révélait fortement
déficitaire dans toutes les hypothèses (prix du baril à
100$, 150$, 200$, taux de récupération 1,2 et 1,8%). Les auteurs des scénarios
ont eu tout le loisir de constater cela eux aussi. Ils ont donc travaillé ces
derniers mois à "optimiser" les paramètres de l'exploitation
envisagée. Tout ceux qui ont travaillé sur ordinateur avec une modélisation
savent combien il est facile et tentant de modifier les paramètres
d'input, et comment on peut tester diverses valeurs pour arriver à un
résultat désiré. Manifestement ici pour arriver à ce 3e scénario dit "optimisé",
ils ont introduit dans la machine des données très surprenantes:
taux de récupération inédit (5,9%), un volume tout à fait extraordinaire
de gaz en place, mais ne reposant sur aucune évaluation, etc. La liste des
optimisations serait très longue à exposer de façon exhaustive; nous n'allons
ici traiter que de quelques exemples de paramètres d'input
"optimisés".
1) Le coût des forages est établi à 8,8M$ ce qui n'est pas
réaliste dans le contexte d'Anticosti et de l'étalement sur 50 ans (un petit
nombre de puits/an) des travaux. On ne peut comparer les coûts à Anticosti à
ceux obtenus aux USA dans des marchés en surchauffe de concurrence, à proximité
des fournisseurs industriels et des services spécialisés. Il est plus
réaliste de fixer à 11 ou 12M$ le coût d'un puits, car le scénario retenu étale
la production sur 75 ans avec seulement 87 puits/an au maximum de l'activité.
Figure 3 Le coût des puits reste fixe dans la modélisation alors que les prix du pétrole et du gaz sont majorés au fil du temps (AECNo1-No2 p. 85); par un facteur de 5 dans le cas du gaz actuellement environ à 2$ (ajout en rouge à gauche). N.B. On ne peut même pas situer sur la figure de droite le prix actuel du baril, car les auteurs de cette figure n'y ont pas mis la zone 0$-50$ et ce prix est donc bien en-dessous de la valeur 50$.
La modélisation ajuste plusieurs paramètres à une inflation
annuelle, les revenus, le prix du gaz, etc. (fig. 3), mais paradoxalement elle
garde fixe ce coût de 8,8M$/puits pour toute la durée de l'exploitation (de
2020 à 2095), sois-disant que "des progrès technologiques observés
dans cette industrie" vont garder les prix des puits à un niveau constant ou même les
réduire (AECNo1-No2, p. 65). Cette vision "optimiste" reprend mot à mot celle des
promoteurs de l'industrie. Le modèle ignore totalement la notion d'EROEI qui
s'applique de façon significative dans les gisements marginaux du type de celui
d'Anticosti.
Ce coût très bas attribué aux forages explique à lui seul en
très grande partie le bilan positif total sur 75 ans que fait l'étude; le
projet est très déficitaire les premières décennies en raison des énormes
coûts d'infrastructures, pour le gaz notamment. Mais dans le modèle l'écart se
creuse de façon considérable ensuite entre les coûts de forage, fracturation
etc. fixes et les prix qu'il postule très élevés pour le gaz et le pétrole. Le
revenu des dernières décennies réparti uniformément sur les 75 ans d'opération ramène
le calcul à un bilan positif. Le rendement anticipé ne surviendra que dans une
ou deux générations, après 2050. Le taux de rendement interne de 10% et
la probabilité de rentabilité qu'ils estiment à 80-86% dans la
conclusion (AECNo1-No2, p.41), c'est tout à
fait irréaliste avec les intrants et hypothèses retenues pour une modélisation
étalée sur 75 ans.
Le scénario précise "l’emprise
souterraine d’une plateforme de 10 puits est de 4 km2", ce qui
donne 2,5 puits/km2; on prévoit couvrir ainsi seulement 23% (=1 662
km2) du gisement avec 4155 puits. C'est comparable à ce
qui a déjà été analysé dans les scénarios précédents.
2)
Durée commerciale des puits: "les puits produisent pendant 25 ans".
C'est peu réaliste car dans les puits en production entre 60 et 80% de la
production sort durant l'an un, et après cinq ans, dix au maximum, le débit
n'est plus commercialement intéressant.
b)
La question du gaz associé. Au gouvernement cet été
on a modifié d'un trait de plume la nature du gisement potentiel; on cherche à
partir de maintenant dans le shale Macasty un gisement d'hydrocarbures à 22,5%
pétrole et 77,5% gaz. Les infrastructures initiales requise pour extraire et
commercialiser les deux formes de combustible sont autrement plus coûteuses et
plus complexes que dans un simple gisement de pétrole. Ce changement récent est
intégré dans le scénario Optimisé. Cet élément important dans la suite
des calculs est expliquée ainsi: "Le scénario « Optimisé »
intègre les informations les plus récentes, notamment à l’égard des productions
estimées à partir des formations d’Utica et de Point Pleasant".
On
explique en toute franchise ici que ce changement n'est pas une découverte avec
les données d'Anticosti (les anciennes ou même les plus récentes de la campagne
actuelle d'exploration), mais bien après avoir été récemment informés qu'en
Ohio le gisement produirait un gaz abondant en simultané avec le pétrole. Le
ratio gaz/pétrole chiffré avec la précision au demi pour-cent (22,5% pétrole et
77,5% gaz) dans ce nouveau scénario, ne provient pas non plus de données
d'Anticosti; ça fait partie des intrants intégrés dans le calcul avec des
valeurs d'un autre gisement.
Le
document évalue deux options pour traiter la gaz:
a) Option navire-usine: coût initial (avant début de production); 3,86 milliards U$ - coût final: 7,13 milliards U$
b) Option gazoduc: coût initial (avant " " ); 5,22 milliards U$ - coût final: 9,64 milliards U$
En
dollars canadiens, on parle donc de frais d'infrastructures pour le gaz
seulement, entre 10 et 15 milliards de dollars; cela n'inclus pas le coût
des puits et de la fracturation, etc. Plus de la moitié de cette somme doit
être dépensée avant même de commencer la production; le rapport situe en 2020
son démarrage.
Il
n'y a jamais eu d'évaluation scientifique des volumes de gaz en place dans le
shale Macasty, pour la bonne raison que les travaux d'exploration étaient avant
2005 orientés vers la recherche de gisements conventionnels de pétrole, puis de
2005 à 2015 vers l'investigation du shale pour évaluer le pétrole disséminé
dans toute la masse (pétrole non-conventionnel à extraire en fracturant le roc).
Penser à aller à Anticosti pour du gaz de schiste n'a jamais été une option
sérieuse. Malgré les fluctuations du prix du 1000 pi3 de gaz, malgré les
variations des coût des puits, etc., une variable est inamovible: tout ce gaz
n'arrivera jamais à être concurrentiel avec celui produit sur le territoire
américain qui lui n'a aucun des inconvénients spécifiques à Anticosti. C'est
une île isolée où tout les travaux sont plus coûteux en raison de l'absence
d'infrastructures déjà en place; c'est loin des réseaux de gazoduc existants;
le gaz ne se transporte pas comme le pétrole: il faut un port méthanier,
navire-usine ou un gazoduc sous-marin, des solutions coûteuses qu'il faudrait
mettre en place dès le début de la production. On a donc jusqu'à maintenant
étudié le shale Macasty essentiellement pour son potentiel en pétrole de shale.
L'étude Sproule 2011 fait
état des données recueillies avant 2011 (une vingtaine de forages, des relevés
géophysiques, des échantillons analysés en laboratoire, etc.) pour établir des
estimés de pétrole en place dans les permis maintenant détenus par
Hydrocarbures Anticosti; l'estimé probable a été établi à 33,9 Gbarils. Sproule
ne se prononçait pas sur le taux de récupération, l'exploitabilité, etc.
En avril 2015, huit nouveaux forages ont permis de réviser l'estimé
en le fixant à 30,7 Gbarils (une
baisse de 10%). Junex pour la partie sud de l'île a fait en 2011 une
étude comparable qui indiquait 12,2 Gbarils. Junex n'a pas
participé aux nouvelles explorations, donc il n'y a pas de données révisées
pour sa portion de l'île. Au total, on a donc un estimé de 30,7 +12,2
Gbarils -> 42,9 qu'on arrondit couramment à 43 milliards de barils de pétrole (bep) estimé en place.
Il
n'existe aucune évaluation spécifique pour le gaz en place. Les évaluations
Sproule comme celle de Junex postulent une transformation de la matière
organique en pétrole liquide, mais expriment leurs évaluations en bep barils équivalents pétrole, avec une note indiquant que les données utilisées ne permettent pas d'identifier précisément la nature des hydrocarbures ainsi évalués. Comme la campagne 2014-2015 de douze forages est
maintenant complétée et que l'option GAZ arrive un peu comme un cheveu dans la
soupe dans un scénario optimisé, conçu après le lancement de cette
campagne de forages, il ne sera pas possible non plus d'arriver à une
évaluation crédible et scientifique du gaz en place, d'ici la prise de décision
par le gouvernement des suites à donner à ce dossier. Si au départ on avait
choisi d'arriver à une évaluation du gaz en place, il y aurait eu une campagne
d'échantillonnage et des relevés spécifiques pour l'évaluation du gaz. Les
données partielles recueillies cet été ne suffiront pas à étayer un estimé
crédible du gaz en place. Le rapport des deux études du chantier Économie
qu'on commente ici a d'ailleurs choisi de prendre des valeurs hypothétiques
basées sur celles obtenues en Ohio, plutôt que de traiter des données des
travaux de forages faits en 2014 et 2015. C'est sidérant comme démarche.
À
la page 17 on donne quand même une valeur "la production
totale (11683Gpi3) de gaz naturel et celle de
pétrole sur la superficie exploitée correspondent respectivement à 4,7% et à
1,4% des hydrocarbures initialement en place estimés pour les permis".
Si 11683 Gpi3 est 4,7% du gaz en place, l'ÉES chiffre donc à 248000 Gpi3
le volume initial en place; c'est plus de gaz en place que ce qui a été estimé pour leshale d'Utica, (100 à 300 Tcf) dans les
Basses-Terres, une formation géologique pourtant bien plus étendue. Une
remarque additionnelle ici pour le pétrole: 1,4 % du total du pétrole en place,
ce n'est pas le taux de récupération, car on prend le pétrole récupéré sur 23%
du territoire des permis et on divise par le pétrole en place sur 100% des
permis. En appliquant le calcul du pétrole en place dans seulement ce 23% de
l'étendue du gisement, on obtient un taux de récupération de 5,9%**. Le taux de
4,7% indiqué pour le gaz contient la même ambigüité: les auteurs divisent ce
qui serait récupéré sur 23% du gisement par tout le volume de gaz estimé dans
100% du gisement; pour le gaz, le taux de récupération que l'ÉES postule est
donc (4,7%/0,23 =>) 20,4%. Le scénario optimisé choisit
manifestement des hypothèses extrêmement optimistes, des valeurs qui permettent
de passer au dessus du seuil de rentabilité.
c)
La question de la trop faible profondeur pour faire de la fracturation
hydraulique. Le document de l'ÉES ne traite pas de ce point.
Il constitue pourtant un obstacle majeur à l'utilisation de la fracturation
hydrauliques dans 96,5% des permis où
le gouvernement a une participation. Par contre ils indiquent que dans la
modélisation "aucun puits ne serait mis en place à
moins de 600 mètres de part et d’autre de la faille".
Le document précise que cela s'applique à la position projetée en surface de la
faille Jupiter. Comme en profondeur les extensions horizontales des forages ont
1600m, il n'est pas précisé dans le rapport comment on évitera ainsi d'empêcher
la fracturation hydraulique de rejoindre les failles.
La
localisation des failles est souvent imprécise et change selon l'interprétation
des données que peut faire chaque géologue. Utiliser la position d'une faille
sur la carte est loin de garantir qu'on ne va pas avoir de la fracturation
directement dans des zones de failles. Voici un exemple concret qui ne vient
pas de l'Ohio, mais bien du Québec:
Bien que situé à plusieurs km de toute faille (fig. 4 ci-contre), ce puits a recoupé au moins sept failles bien réelles (fig. 5). Toutes les failles géologiques se présentent dans la réalité comme des zones qui peuvent comporter plusieurs "répliques". Le grand décalage stratigraphique se décompose alors dans le roc dans une multitude de décalages individuels. La figure 5 est typique de ce qui se passe dans la réalité. Les failles sont souvent des zones qui s'étendent sur plusieurs centaines de mètres et qui s'écartent ainsi de la position indiquée sur une carte géologique. Les cartes géologiques tracent avec un seul trait par simplification ce qui en réalité est beaucoup plus complexe.
La faille Jupiter n'est pas la seule faille connue à Anticosti; la carte 3-2 page 21 du
rapport ATRA01 en montre 26 autres, ainsi que 4 gros dykes (intrusifs dans des zones de fractures). L'extension réelle de ces autres failles est encore très mal définie. Leur nombre et leur position approximative ayant été obtenus, non pas par observation directe, mais par interprétation de relevés géophysiques.
Figure 4 Carte de localisation du puits A276 (Leclercville No1a HZ)
par rapport à la position connue de la faille Yamaska et de la
ligne Logan (à plusieurs km de distance dans chaque cas).
Figure 5 Vue en coupe de la partie horizontale du puits fracturé Leclercville No1a HZ.; sept failles recoupées.
La
fracturation naturelle est omniprésente dans toutes les roches de couvertures
au dessus du shale qu'on projette de fracturer. La présence de failles ajoute
évidemment des voies très propices pour la migration des contaminants. C'est la
raison pour laquelle l'absence d'une épaisseur minimale de 1000m entre le bas
des nappes et le haut de la fracturation constitue un paramètre si essentiel.
Les scénarios en font abstraction totalement.
Notes
sur l'étude ATRA01. Son chapitre 4 utilise un scénario avec 6800
puits mais arrive à une production totale de 548 Mbarils, très proche de 584
Mbarils du scénario optimisé; plus de puits, mais moins de pétrole.
C'est en fait le scénario PLUS qui est utilisé dans cette étude pourtant
récente et non pas le scénario optimisé du rapport AECNo1-No2.
On peut penser que la couverture du terrain dans le scénario optimisé
est celle des 4155 puits du scénario MOINS. Il n'y a cependant aucune
carte de localisation pour ce scénario.
Le
rapport ATRA01 a l'avantage de fournir des cartes donnant la localisation des
plateformes, donc des puits; ils sont montrés en bleu sur la figure 6
ci-dessous.
Figure 6 Deux cartes du rapport ATRA01 superposées sur le territoire montrant les permis et la zone où le shale donne une marge inférieure à 1000m entre la bas des nappes et le haut de la fracturation. Illustré: deux décennies de développement.
On
notera que presque tout le développement envisagé dans les scénarios implique
des puits qui ne respectent pas la marge
sécuritaire de 1000m (zone en marron fig. 6). Il n'y a
aucune analyse pour justifier cela dans aucun des rapports. La profondeur est
de moins de 650m dans la partie N-O des premiers forages, donc elle est à moins
de 450m sous le bas de la nappe. Ailleurs dans l'Île, la zone ciblée se colle
sur la portion sud des permis d'Hydrocarbures Anticosti.
Dans
un communiqué récent, JUNEX se félicite de voir des scénarios qui englobent
ses permis dans la partie sud. Sans avoir déboursé un sous dans le programme
d'exploration en cours, les travaux valorisent ses actifs et les scénarios
couvrent une portion plus élevée de ses permis que les propres permis de
l'organisme qui défraie ces travaux d'exploration. C'est la même chose
pour le petit détenteur d'un seul permis Transamerica Energy Inc. qui voit la
totalité de sa superficie incluse dans chacun des trois scénarios (voir au bas
de la fig. 6).
Au
final. Que conclure de ce rapport AECNo1-No2 qui
ne traite que des aspects financiers et qui n'inclus évidemment aucun coût des
externalités? Nous constatons que cette étude a été très optimisée avec
le choix d'un taux de récupération très élevé 5,9% appliqué à toute la zone,
pour arriver à démontrer une rentabilité "brute" i.e. sans autres
considérations que les coûts de production. On peut sur cette même base limité
aux coûts de production arriver aussi à une conclusion (voir le tableau
ci-dessous) contraire à celle des auteurs, qui eux concluent à une rentabilité.
Figure 7 Comparaison des données du scénario optimisé
avec le taux retenu (5,9%) dans l'étude ÉES avec deux autres taux 1,2% &
1,8% pour le pétrole, plus conformes à ce que est la moyenne - gisements de pétrole
de shale réellement en exploitation.
Le
tableau (fig. 7) ci-dessus montre qu'en prenant les mêmes paramètres que ceux
choisis par les auteurs de l'étude ÉES, mais en choisissant des taux de
récupération moyens comparables à ceux de quatre gisements en opération aux USA
(1,2% et 1,8% pour Bakken, Eagle
Ford, Niobrara et Avalon), on obtient alors pour Anticosti de
très gros déficits d'opération. Nous avons rajusté dans ce tableau le coût
unitaire moyen des puits à 11,5M$, ce qui est beaucoup plus réaliste. Cependant,
même avec un coût optimiste de 8M$/puits, les déficits d'opération
demeureraient considérables, comme dans les scénarios PLUS
et MOINS publiés en mai 2015.
Dans
un projet de cette ampleur il est assez courant de voir les études présenter
une analyse économique sur deux ou sur plusieurs scénarios, pour donner une
fourchette de valeurs possibles. On aurait pu penser que les scénarios PLUS et
MOINS présentés sommairement en mai 2015, auraient reçu dans le rapport leur
évaluation économique absente en mai dernier. Il n'en est rien; le rapport
AECNo1-No2 ne complète l'analyse économique que sur un seul scénario. Les deux
autres n'ont pas droit à cette présentation.
Est-ce
que l'ajout du gaz que font les auteurs de l'étude AECNo1-No2 peut combler les
déficits par un apport de revenu en gaz? La réponse la plus probable est NON.
Le rapport AECNo1-No2 postule la présence d'une énorme ressource en
gaz dans le Macasty, mais pas à partir d'un bilan démontré; ils utilisent la
présomption qu'on tirerait des puits un million de pieds cubes pour chaque 50
barils extraits. On fixe aussi à 248000Gpi3 le volume en place dont on
tirerait 11683Gpi3 dans les 4155 puits. Tout cela ne repose sur aucune
donnée et c'est surestimé grossièrement. Il n'y a pas de bilan probant en
rapport avec les ressources en gaz, encore moins d'estimé quant aux volumes
récupérables. Tout comme pour le pétrole récupérable, le volume de gaz récupérable
apparait au premier abord surestimé par un facteur de 3 ou 4. Avec trois ou
quatre fois moins de gaz, son exploitation ne serait pas rentable.
Il
y a de plus une autre erreur fondamentale dans le calcul des ressources du
rapport AECNo1-No2. Ce calcul se fait pour le scénario optimisé comme nous
l'avons présenté, en estimant en premier une quantité de pétrole à partir des
données du rapport Sproule: à partir du 43 milliards de barils en place pour
100% de la surface du gisement, avec une exploitation partielle sur 23% du
territoire et avec un taux faramineux de 5,9%, ils arrivent à 584 millions de
barils de pétrole produit. Or ensuite ils appliquent un ratio 3,4 /
1 (plus précisément 77,5%/22,5% en barils équivalents) pour ajouter une
ressource en gaz encore plus phénoménale. Dans tous les gisements
d'hydrocarbures de shale, que ce soit dans le Macasty à Anticosti, dans l'Utica
en Montérégie, dans le Point Pleasant en Ohio, il y a des hydrocarbures dans la
roche-mère dans un rapport qui dépend des facteurs géologiques qui l'ont
contrôlé pendant l'évolution géologique locale. En termes techniques on peut
passer latéralement de la fenêtre à huile pour le pétrole liquide, à une zone
de maturation thermique qui dépasse ces conditions pour transformer les
hydrocarbures plutôt en gaz. C'est complexe, mais une chose est sûre: on peut
estimer raisonnablement la quantité totale de matière organique initiale,
modéliser ensuite les transformations en pétrole, en gaz ou en mélange des deux
dans une transition graduelle. Les études antérieures ont postulé qu'Anticosti
correspondait plutôt à des conditions géologiques pour une transformation
surtout en hydrocarbures liquides; cela n'exclut pas la présence de gaz
associé, ce qui est couramment rencontré. Si on révise dans la modélisation
l'interprétation géologique du gisement pour simuler maintenant que c'est un
gisement de gaz (77,5%), c'est toujours à partir de la même évaluation en
hydrocarbures en place. Le gaz ne s'ajoute pas; on doit postuler
que la matière organique mesurée initialement comme un estimé de 43 milliards
de barils équivalents dans le Macasty doit maintenant être vue comme ayant
plutôt été transformée majoritairement en gaz. J’ai pas de problème à voir une
simulation gaz et pétrole en diverses proportions en autant que l'estimé
d'hydrocarbures en place reste une donnée fixe pour la somme totale
d’hydrocarbures, gaz plus pétrole. Gaz et pétrole dans une
modélisation correcte sont simulées à partir de la quantité d'hydrocarbures
estimé être encore en place. Calculer le pétrole, puis ensuite multiplier par
un ratio gaz/pétrole pour ajouter un grand volume accessoire
de gaz (11683Gpi3 c'est 2006 millions de barils
équivalent pétrole) constitue une aberration qui équivaut dans ce cas-ci à
doubler*** la quantité d'hydrocarbures en place et à multiplier par quatre
la quantité d'hydrocarbures extraits (584 + 2006 => 2592 millions de bep).
Ce
qui est le plus probable c'est qu'il y aura du gaz qui viendra avec le pétrole
dans les puits, mais il est fort possible qu'il ne soit pas en quantité
suffisante pour rentabiliser les coûts des installations spécifiques à la
production et l'exportation du gaz: réseau de gazoducs de collecte,
liquéfaction/port méthanier, navire-usine ou gazoduc, etc. L'impact de la
présence de gaz, vu l'insularité d'Anticosti, peut fort possiblement aggraver
le déficit d'opération, et non pas le réduire. La question du gaz est l'élément
le plus hautement spéculatif, celui qui repose encore sur le moins de données,
celui aussi qui demanderait un très gros investissement (très à risque) dès le
début du projet, avant 2020 selon le scénario.
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* Incongru et pas très scientifique: une modélisation par définition en science est une méthode pour obtenir des données générales, extrapolées ou interpolées, à partir d'un nombre limité de valeurs concrètes ou de points d'échantillons vérifiés sur le terrain même. Le shale en Ohio, l'Utica en Montérégie et le shale Macasty ont une origine géologique similaire; ces trois unités stratigraphiques ont le même âge géologique et le même type d'environnement les a créé. Ce qui détermine par contre leur potentiel en hydrocarbures, c'est ce que des strates ont subi après: profondeur d'enfouissement géologique, température et pressions subies au cours des 450 millions d'années écoulées depuis leur formation, profondeur actuelle sous la surface, l'épaisseur locale du shale contenant les hydrocarbures, etc. Une foule de paramètres qui font qu'en réalité ces formations sont uniques, toutes distinctes les unes des autres.
La figure 2 montre trois shales cousins et de même âge. Une modélisation n'est valable que si elle se fonde sur des valeurs tirées de l'unité en cause, pas de données à 1600km de là. On n'utiliserait pas non plus les données de l'Utica en Montérégie pour modéliser Anticosti. C'est pourtant le shale du même âge géologique situé, de plus, à mi-chemin. Leurs paramètres sont distincts et spécifiques en chaque zone.
Il est heureux que notre système de santé n'ait pas encore découvert la modélisation que Finance Québec applique aux décisions d'investir à Anticosti. Vous avez deux cousins qui ont le même âge que vous, un habite aux USA (pourquoi pas en Ohio par exemple!), un autre en Montérégie et vous résidez à Port-Menier. On n'utilisera pas le bilan de santé de votre cousin des USA, ou celui de la Montérégie, dans la décision de vous opérer ou non du cancer de la prostate, même si vous êtes cousins et du même âge. Heureusement on vous demandera pour ce type de décision d'aller passer vos propres analyses.
** Les valeurs du scénario optimisé sont les suivantes:
pétrole total produit sur 75 ans : 584 Mbarils
pétrole en place pour tout le territoire des permis: 43000 Mbarils
% du territoire des permis exploité avec les 4155 puits : 23%
pétrole en place dans 23% (exploité avec 4155 puits): 9890 Mbarils (= 23% de 43Gbarils)
pétrole produit/pétrole en place (584/9890) = taux de réc.: 5,9%
Les auteurs du rapport AECNo1-No2 indiquent obtenir l'estimé de pétrole récupérable (584 Mbarils) en transposant à Anticosti les paramètres d'un gisement "comparable" en Ohio, celui formé par le shale Utica et la formation shale et calcaires Point Pleasant. Or les évaluations pour ce gisement indiquent plutôt pour une valeur moitié moindre: 3% (voir la conclusion de Final Report July 1, 2015 et cela dans les sweet spots - tableau ci-contre, tiré du rapport). C'est là une disparité qui mériterait d'être éclaircie.
N.B. Cette évaluation à 3% est celle des promoteurs détenteurs des permis en Ohio, et non pas une mesure réelle sur des puits en production, qui pourra se révéler moindre quand les statistiques seront disponibles.
*** Dans le rapport AECNo1-No2 on lit ceci: "dans le cas du scénario Optimisé, pour l’ensemble des puits, la production pourrait
totaliser 11 683 Gpi3 et 584 millions de barils de pétrole - la production totale de gaz naturel et celle de pétrole sur la superficie exploitée correspondent
respectivement à 4,7 % et à 1,4 % des hydrocarbures initialement en place estimés pour les
permis d’Hydrocarbures Anticosti et de Junex sur l’île d’Anticosti".
À combien de bep (baril équivalent pétrole) en quantité d'hydrocarbures initialement en place pensez-vous que correspond 11683Gpi3 , que le rapport situe à 4,7% du gaz en place dans le gisement? Réponse: à 43 milliards de bep exactement ! On compte deux fois les hydrocarbures en place: première ronde dans le modèle pour dire 584Gbbl de pétrole. Deuxième passage dans le modèle, ce coup-ci pour dire que ces mêmes hydrocarbures sont du gaz ! Qu'une erreur aussi grossière se retrouve dans le rapport du gouvernement illustre la précipitation de ces études. Si cette partie de l'analyse vous semble complexe, je vous propose une analogie plus concrète: analogie pour comprendre
_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ o o O o o _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _
ADDENDUM le 3 décembre 2015. Deux semaines après la fin des consultations publiques, qui constitue la voie offerte aux experts indépendants et au public en général pour s'exprimer devant la Commission, à peine la moitié (tableau ci-dessous) des
études de l'ÉES spécifique à Anticosti sont disponibles:
15 études (dans 14 rapports publiés) VS
13 études
"disponibles sous peu" (= non publiées). Cela dénote un mépris pour entendre des points de vue externes dans ce processus ÉES gardé sous l'étroit contrôle de certains fonctionnaires au gouvernement; ils rédigent eux-mêmes la majorité des rapports d'étude (22 des 28). La consultation s'annonce comme un processus pour la forme dans un contexte d'orientations en apparence déjà privilégiées, qui transparait dans le ton biaisé de bien des études faites par le gouvernement lui-même. Les délais ridiculement courts sont là pour limiter les possibilités de voir des opposants rédiger des contre-mémoires étoffés.
Tableau des études de l'ÉES ANTICOSTI - Rapports (OUI/non) disponibles en date du 23 nov.2015
Rapport
|
CODE
|
Sujet de l'Étude
|
AUTEUR
|
OUI
|
AECN01
|
Scénarios de développement détaillés- Anticosti
|
Gouvernement
|
"
|
AECN02
|
Rentabilité commerciale (rapport inclu dans
AECNO1)
|
Gouvernement
|
OUI
|
AENV01
|
Émissions de gaz à effet de serre
|
Gouvernement
|
OUI
|
AENV02
|
Besoins en eau de l'industrie
|
Gouvernement
|
OUI
|
AENV03
|
Cours d’eau VS besoins en eau
|
Gouvernement
|
non
|
AENV04
|
Caractérisation biophysique
|
Gouvernement
|
non
|
AENV05
|
Zones de contraintes
|
Gouvernement
|
OUI
|
AENV06
|
Bassins versants
|
Gouvernement
|
non
|
AENV07
|
L’impact sonore
|
externe
|
non
|
AENV08
|
Dispersion atmosphérique des
contaminants
|
externe
|
non
|
AENV09
|
Milieux aquatiques particulièrement sensibles
|
Gouvernement
|
non
|
AENV10
|
Macroinvertébrés benthiques
|
Gouvernement
|
non
|
AENV11
|
Risques des rejets d’eaux usées
|
Gouvernement
|
OUI
|
AENV12
|
Contaminants des eaux usées de sondage
|
Gouvernement
|
OUI
|
AENV13
|
Toxicité - déversements d’hydrocarbures
|
Gouvernement
|
non
|
AENV14
|
Critères- qualité d’eau de surface
|
Gouvernement
|
OUI
|
AENV15
|
Mesures d’urgence environnementales
|
Gouvernement
|
non
|
AENV16
|
Communautés biologiques aquatiques- vs
hydrocarbures
|
externe
|
non
|
AENV17
|
Élaboration d’un projet type
|
externe
|
OUI
|
AENV18
|
Habitat du saumon VS déversements accidentels
|
externe
|
OUI
|
AENV19
|
Population de cerfs de virginie VS activités
pétrolières
|
Gouvernement
|
OUI
|
AENV20
|
Portrait faunique de l’île d’Anticosti
|
Gouvernement
|
OUI
|
AENV21
|
Mouvements dans le sol et le roc
|
Gouvernement
|
OUI
|
ASOC01
|
Portrait social et économique de la population
|
Gouvernement
|
OUI
|
ATRA01
|
Infrastructures de transport des hydrocarbures
|
externe
|
non
|
ATRA02
|
Besoins - infrastructures routières
|
Gouvernement
|
non
|
ATVS01
|
Externalités et mesures
d’atténuation/ compensation
|
Gouvernement
|
non
|
ATVS02
|
Analyse avantages-coûts-développement
hydrocarbures
|
Gouvernement
|