Divers médias rapportent les détails de la
gigantesque fuite dans le puits SS-25 dans les monts Santa
Susana qui jouxtent la zone habitée nommée Porter Ranch (fig. 1) d’environ 35000 citadins; c'est une banlieue cotée au nord-ouest de Los Angeles. Il y a eu en mai 2015 dans la même région une fuite grosse de pétrole qui elle originait d'un pipeline. Pour les pipelines, le temps de réaction est parfois bien long, plusieurs heures avant qu'on ferme la valve et 400 000 litres se sont déversés dans l'environnement. Pour une fuite de gaz ou de pétrole qui origine d'un puits qui cède, les travaux de colmatage peuvent souvent cafouiller pendant des mois, car ce n'est pas en surface mais bien souvent à plus de 1000 m de profondeur qu'il faut trouver un moyen d'obturer de conduit.
Figure 1. Localisation du champ de puits de stockage de gaz Aliso Canyon, juste au nord de la localité de Porter Ranch. |
Détection de la fuite : 23 octobre 2015
Début de la fuite: probablement la veille le 22
octobre
Dernière inspection du puits avant la fuite (un an
avant) : 21 octobre 2014
Débit de la fuite au maximum (le 28 novembre
2015): 60000 kg/heure de gaz
Débit moyen: 50000 kg/heure de gaz =>1200 tonnes
par jour (1,8 Mm3/j)
Dans le visible, la fuite est peu apparente, mais en imagerie infra-rouge elle est tès nette. Le panache de la fuite est si important qu'il a été détecté depuis l'espace par la NASA. C'est le seul cas d'un puits individuel mesurable à partit de télédétection spatiale.
Déclaration de l'état d'urgence: 7 janvier 2016; plus de 4500 maisons évacuées.
Déclaration de l'état d'urgence: 7 janvier 2016; plus de 4500 maisons évacuées.
Poursuite déposée le 2 décembre 2015 par certains des 25000
résidents de Porter Ranch.
La cie SoCal tient à jour un compte-rendu des travaux en cours. Il est probable que cette fuite ne soit pas colmatée avant plusieurs semaines encore. On ne commencera le forage du 2e puits d'intervention que le 8 février, cent huit jours après le début de la fuite.
Contexte
géologique et géographique de la région des monts Santa
Susana: on a là un gisement de pétrole exploité entre 1930 et 1971. Une
fois vidé de son pétrole exploitable, cette structure géologique de grès poreux
et perméable a été convertie en réservoir de stockage de gaz par la cie Southern
California Gas Co (SoCalGas). Le gaz injecté est acheté de diverses sources,
certaines d’aussi loin que du Canada. L’injection de stockage se fait par 115
puits distribués sur tout le territoire de l’ancien gisement, environ 13 km2.
Le gaz stocké sert ensuite à alimenter les 21,4 millions de clients dans la
grande région de Los Angeles dont 14 centrales électriques au gaz. La capacité
de stockage à cette installation connue sous le nom "Aliso
Canyon underground storage" est de 85Bcf (= 2,44 milliards de m3 de gaz). C'est le plus grand stockage de gaz dans l'ouest des États-Unis.
Figure 2. La fuite au puits SS-25 au milieu du site de stockage Aliso Canyon; la ville de Porter Ranch juste au bas de la colline |
Figure 3. Vue en coupe du puits SS-25 montrant la fuite de façon schématique. |
La fuite: La fuite actuelle se fait au puits SS-25 (prof. : 2666 m). La fuite origine du tubage de production (diam. : 7 po) fissuré et/ou corrodé. Il y a en plus un tubage de surface de diamètre 11 ¾ po qui va de la surface jusqu’à la profondeur 302 m. Le gaz sort vers l’espace entre les deux tubes d’acier et il s’échappe par le bas du tube de 11 3/4 po pour remonter ensuite jusqu’en surface entre le roc et la surface externe du tubage (fig. 3 ci-dessus). Ce fort jet de gaz a formé deux énormes trous de 8 m de profondeur entre le roc et le tubage externe. Sept tentatives de colmatage de la fuite en surface ont échoué; ces tentatives en surface ont même contribué à aggraver le problème car on estime maintenant que le risque d'explosion a fortement augmenté. Les coûts directs de cette fuite sont estimés pour l’instant à 50M$/mois en travaux, plus 7500$/mois pour chacune des 4500 familles évacuées ; cela ne tient pas compte des poursuites en dommage, etc.
En termes de gaz à effet de serre le CH4 fossile a un pouvoir 87 fois celui du CO2 sur un horizon de 20 ans et 36 fois sur un horizon de 100 ans (valeurs révisées, GIEC 2013 ci-contre). La fuite d'un seul puits à Aliso Canyon a actuellement un effet comparable à 4,5 millions de voitures.
Pression du gaz: La pression de stockage était
couramment 2600 psi (18027 kpa ou encore 180 atm). Selon un document d’une poursuite, cette pression a été augmentée de façon
significative entre mars (2130 psi) et octobre 2015 (2700 psi). En augmentant la
pression, on peut stocker plus de gaz sur le même site. Cette fois-ci, on a
dépassé la capacité des vieux tubages à résister à cette trop forte pression; le tubage s'est rompu quand la pression a atteint le maximum le 22 octobre 2015.
Les tentatives précédentes
de contenir la fuite par l'injection de boues denses, un mélange de bentonite,
de chlorure de potassium et d'eau, ont toutes échouées en raison de cette
pression dans le réservoir. SoCalGas tente maintenant d'abaisser la pression à
la moitié de la valeur en le réalimentant plus le gisement, en livrant un
maximum de gaz à ses clients, en injectant une partie du gaz dans d'autres
réservoirs. C'est un processus qui demande du temps et on pense peut-être arriver
à avoir réduit la pression suffisamment vers mars 2016. Même avec le grand débit de la fuite (1,8 Mm3/jour) du puits SS-25, en supposant qu'il demeurerait fixe, il faudrait plus de trois ans et demi pour vider le volume actuel de gaz; la fuite a le potentiel de durer des années si la tentative actuelle de la colmater d'ici mars échoue.
Figure 4. Les travaux de contrôle de la fuite, Porter Ranch juste au bas de la colline et Los Angeles dans le lointain. |
Et si cela se produisait
au Québec? Si on se fie à ce que le gouvernement annonce comme contenu de la future loi sur les hydrocarbures (Lignes directrices provisoires MDDELCC), il y aurait pour les entreprises une petite
obligation de déclarer les rejets dans l'atmosphère, quand ils
dépassent 10 000 tonnes (oui vous avez bien lu, c'est dix mille tonnes!) "le
requérant qui émet dans l’atmosphère une quantité de gaz à effet de serre (GES)
égale ou supérieure à 10 000 tonnes métriques en équivalent CO2 doit déclarer
ses émissions" Québec juillet 2014, p. 44. Lorsque la quantité atteint ou dépasse 25000 tonnes métriques, l'exploitant doit en plus transmettre au ministre un rapport de vérification de cette déclaration. La fuite en Californie dégageait à son maximum 1200 tonnes par jour ; c'est la plus grosse fuite mesurée à ce jour en Amérique du Nord.
Il n'y a actuellement que deux sites de stockage de gaz
au Québec; en comparaison avec le stockage d'Aliso Canyon, ces deux sites sont petits, aucunement comparables avec celui de la Californie. La pression maximale qu’on peut utiliser dépend de la
profondeur de la couche géologique utilisée.
A
St-Flavien* la pression de stockage varie de 1500 à 3000 psi (10,5 à 20,8 MPa ou
encore ~104 à 208 bar), pour une profondeur moyenne de 1500 m et une capacité de
stockage de 120 Mm3 .
À
Pointe-du-Lac*, elle est limitée à 740 kPa (7,4bar), bien moins que celle du
réseau (7000 kPa ~70 bar) pour une profondeur de 60 à 120 m et une capacité de
stockage de 22,7 Mm3.
Les émissions de méthane dans l’atmosphère sont encore très mal comptabilisées à l’échelle mondiale. Contrairement aux émissions de CO2 qui résultent de la consommation des combustibles fossiles (parc automobile, transport, chauffage, etc.) qu’on peut comptabiliser assez précisément, les émissions produites lors de l’extraction font encore l’objet de secret industriel. Les gros producteurs/pollueurs sont visibles sur la carte mondiale ci-dessous tirée d’une analyse récente publiée dans le National Geographic.
Figure 5. Carte des émissions mondiale de CH4 & CO2 par les torchères; les sites correspondent aux champs d'hydrocarbures exploités. |
Il y a plusieurs cas de
très grandes émissions de gaz consécutives à la rupture d’un puits qui peuvent
survenir en deux catégories de circonstances distinctes:
1) Lors de la construction
du puits ; le cas Deep Water Horizon en
illustre un exemple bien connu de perte de contrôle d’un puits off-shore.
D’autres surviennent sur le continent (ex. en 2008).
Dans certains cas le débit de la fuite est capable d’arracher le tubage et l’expulser hors du puits.
2) Lors du vieillissement
et de la dégradation du puits; le cas d’Aliso Canyon est un cas de ce dernier
type. La nature du roc faillé/fracturé ajoute aux risques de fuites dans le cas de cette partie de la Californie (fig. 6).
Figure 6. Carte tectonique des monts Santa Susana montrant les nombreuses failles actives, dont la faille San-Andreas au coin Nord-Est.
Figure 6. Carte tectonique des monts Santa Susana montrant les nombreuses failles actives, dont la faille San-Andreas au coin Nord-Est.
Pour qu'une fuite majeure puisse se produire dans un puits, deux conditions doivent être présentes : une grande quantité de gaz en forte pression et une rupture dans la structure du puits, par exemple un tubage d’acier corrodé et/ou une forte dégradation du coulis de scellement entre le roc et le tubage.
Dans les puits abandonnés
des gisements classiques épuisés, les puits se dégradent, mais la quantité et
la pression du gaz n’est plus là.
Dans les gisements dont on
commence l’exploitation, les quantités et pressions du gaz sont là, mais les
équipements sont neufs ; seul un cas de perte de contrôle des opérations explique les grands accidents.
Dans le cas de
réutilisation de gisement épuisé comme lieu de stockage de gaz sous pression,
les deux conditions sont présentes : quantité et pression de gaz + puits vieillissants
ne font pas un bon mélange. Cela s’applique au stockage de méthane comme dans
le cas d’Aliso Canyon; cela s’appliquerait aussi au stockage de CO2
dans des sites du même type. Le stockage géologique de CO2 est
présenté par ses promoteurs comme une solution quasi miracle dans le dossier
des gaz à effet de serre. Il faut rappeler deux choses aux promoteurs de cette
solution qui n’en est pas une à long terme :
a) le CO2 est connu pour dégrader agressivement les scellement des puits
a) le CO2 est connu pour dégrader agressivement les scellement des puits
b) le CO2 est plus lourd que
l’air ; si la rupture du puits d’un stockage géologique d’Aliso Canyon
avait été du CO2, cela aurait eu conséquences mortelles par
asphysie, car le gaz lourd aurait suivi la pente vers les habitations. Un cas
d’asphysie massive (1746 morts) est survenu au lac Nyos le 21 août 1986. Comme c'est plutôt du méthane qui constitue la fuite à Aliso Canyon actuellement, ce gaz plus léger que l’air monte et par chance se disperse dans l’atmosphère.
L’abandon des puits dans
le cas des gisements non conventionnels exploités par la fracturation
hydraulique pose un problème comparable à celui du stockage géologique. La quantité
de méthane qui reste dans le shale lors de la fermeture du puits est
considérable (>80% de gaz en place). La remise en pression du puits par ce gaz est une
certitude. Les puits bouchés et abandonnés n’ont pas la capacité à moyen et à long termes de contenir ce gaz. Les fuites après exploitation des gisements non
conventionnels vont se multiplier. J’ai traité cette question dans de nombreux textes.
Il faut rappeler deux évidences en conclusion de ce billet :
1) Les puits d’hydrocarbures sont des constructions temporaires dont le design est optimisé et rentabilisé par l’exploitant pour l’extraction de pétrole ou de gaz. Cela a de tout temps été une technologie déficiente pour toute durée autre que du court terme. Ils sont construits avec les coulis de ciment et les aciers courants et ils ne peuvent durer éternellement. Tous les ouvrages de génie civil ont une durée de vie utile qui se compte le plus souvent en décennies. Penser faire du stockage à long terme, ou penser que le gaz résiduel des gisements non conventionnels va être confiné par ces milliers de puits sommairement obturés, constitue un très dangereux aveuglement volontaire.
2) Lorsque survient une fuite majeure, c'est à chaque fois la pression du gaz qui provoque et amplifie la catastrophe. Le 20 avril 2012 c'est la remontée du gaz le long du tubage qui a provoqué la catastrophe Deep Water Horizon lors des travaux de cimentation fait par Halliburton. Ce n'est que six mois plus tard qu'on réussi à obturer le puits. À Aliso Canyon, le même scénario se répète; comme c'est sur terre et non pas en mer qu'il faut obturer ce puits, on pourrait penser que les opérations iraient plus rondement. Il n'en est rien car à chaque fuite majeure on constate toujours le même scénario d'improvisation et des tentatives infructueuses pour stopper ces fuites.
Malgré les propos rassurants des opérateurs quand ils annoncent la construction de ce type de projet, la réalité démontre qu'en cas de fuite majeure, ils ne sont jamais préparés et il faut plusieurs mois pour arrêter ces fuites. De plus au bout du compte on aura multiplié le risque par trois: on a un puits bouché par un nouveau ciment, plus deux puits d'intervention également bouchés par la même technique; on a donc triplé le nombre de puits sur le site de la fuite. La question qui se pose alors: quelle sera la durée de vie de ces trois puits ?
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Pour voir les forages d'Aliso Canyon en Californie, entrez le No API: 003700776 qui vous donnera la localisation exacte du puits qui fuit.
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1) Les puits d’hydrocarbures sont des constructions temporaires dont le design est optimisé et rentabilisé par l’exploitant pour l’extraction de pétrole ou de gaz. Cela a de tout temps été une technologie déficiente pour toute durée autre que du court terme. Ils sont construits avec les coulis de ciment et les aciers courants et ils ne peuvent durer éternellement. Tous les ouvrages de génie civil ont une durée de vie utile qui se compte le plus souvent en décennies. Penser faire du stockage à long terme, ou penser que le gaz résiduel des gisements non conventionnels va être confiné par ces milliers de puits sommairement obturés, constitue un très dangereux aveuglement volontaire.
2) Lorsque survient une fuite majeure, c'est à chaque fois la pression du gaz qui provoque et amplifie la catastrophe. Le 20 avril 2012 c'est la remontée du gaz le long du tubage qui a provoqué la catastrophe Deep Water Horizon lors des travaux de cimentation fait par Halliburton. Ce n'est que six mois plus tard qu'on réussi à obturer le puits. À Aliso Canyon, le même scénario se répète; comme c'est sur terre et non pas en mer qu'il faut obturer ce puits, on pourrait penser que les opérations iraient plus rondement. Il n'en est rien car à chaque fuite majeure on constate toujours le même scénario d'improvisation et des tentatives infructueuses pour stopper ces fuites.
Malgré les propos rassurants des opérateurs quand ils annoncent la construction de ce type de projet, la réalité démontre qu'en cas de fuite majeure, ils ne sont jamais préparés et il faut plusieurs mois pour arrêter ces fuites. De plus au bout du compte on aura multiplié le risque par trois: on a un puits bouché par un nouveau ciment, plus deux puits d'intervention également bouchés par la même technique; on a donc triplé le nombre de puits sur le site de la fuite. La question qui se pose alors: quelle sera la durée de vie de ces trois puits ?
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* Pour voir la localisation et la description des forages de ces deux sites, allez dans la carte des puits du Québec, et zoomez sur les localités de Pointe-du-Lac et St-Flavien.
Ci-contre l'exemple de la localisation des puits pour le site de St-Flavien. En rouge, les puits récents, en vert les puits datant en moyenne de quarante ans (1950-1999). En cliquant sur un symbole de puits on accède à sa fiche descriptive; dans l'exemple on voit le puits St-Flavien No2 datant de 1975 comme la majorité des puits forés dans ce secteur par la défunte société SOQUIP.
Cette carte a été élaborée à partir des données des puits par Jean-Hugues Roy, LeDevoir
Pour voir les forages d'Aliso Canyon en Californie, entrez le No API: 003700776 qui vous donnera la localisation exacte du puits qui fuit.
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Addendum: le 18 février 2016 la cie SoCalGas annonce ce jour là l'obturation de la fuite qu'ils auront mis quatre mois à réaliser. On estime que 97000 tonnes de méthane plus 7300 tonnes d'éthane ont été relâchés dans l'atmosphère par cette fuite, la plus grande jamais enregistrée aux USA. Ce n'est pas la fin de l'histoire: les enquêtes et poursuites vont durer des mois, voire des années.
Le coût de cette fuite reliée à un seul puits va sans doute atteindre le milliard de dollars canadien.
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