La
poursuite des travaux d'exploration à Anticosti, notamment la réalisation de
trois forages avec fracturation à l'été 2016, (ou 2017) est conditionnelle à ce que le
gouvernement accepte de donner trois permis de forage, et qu'il accorde
ultérieurement trois autres permis de "complétion"
(fracturation).
La
demande des trois permis de forage doit remplir les conditions des articles du RPEP; ce sont des articles qui ont été dénoncées
pour leur grand laxisme et leur incohérence dans ce règlement. Le premier ministre Philippe Couillard a cependant fait grand cas des trois
études hydrogéologiques qui sont requises dans les demandes de ces trois
permis. C'est donc ce que le billet de ce mois-ci va examiner.
Les
trois emplacements sont tous les trois situés dans la même zone dans un secteur
susceptible de remplir les conditions optimales pour cibler le meilleur
potentiel dans le shale Macasty. C'est une partie de l'Île dans le secteur de
la rivière Jupiter ainsi qu'à l'ouest de celle-ci (petits cercles jaunes dans
la figure ci-dessous):
Figure 1. Carte d'Anticosti montrant les détenteurs
de permis, les forages réalisés entre 2012 et 2015 et les trois forages prévus
en 2016.
On
a retenu ces trois emplacements à la limite sud des permis d'Hydrocarbures
Anticosti, car là le shale est à plus grande profondeur et s'approche un peu
des conditions que l'industrie elle-même fixe comme norme acceptable, soit
de conserver environ 1000 m entre le bas de la nappe et le haut de la
fracturation (ce qui est illustré sur la coupe à gauche dans la figure). La
presque totalité des permis d'Hydrocarbures Anticosti se situe cependant dans
des conditions
de profondeur où cette norme ne peut être respectée. Deux des trois puits sont dans la zone (fig. 1, LaLoutre et Jupiter) où la norme de 1000m ne sera pas respectée. Quels que soit les
résultats que donneraient ces trois puits expérimentaux, ces données ne
seraient représentatives que d'une partie infime du gisement postulé.
Le
premier ministre a précisé à plusieurs reprises que l'obtention de ces permis
de forage sera conditionnelle à ce que préciseront les études
hydrogéologiques en cours. Qu'en est-il de ces études?
Il
s'agit d'une évaluation avant forage des données hydrogéologiques préalables
sur les sites où un promoteur demande un permis pour forer un puits
d'hydrocarbures. Chaque étude est fort limitée dans le temps et dans
l'espace.
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Dans le temps: c'est un inventaire hydrogéologie des données existantes
que le promoteur fait avant le début des travaux. Il transmet ce rapport 30
jours avant le début des travaux pour un "sondage stratigraphique"
ou lors de sa demande de permis dans le cas d'un forage. Dans le cas
d'Anticosti, il n'y a pratiquement aucune donnée hydrogéologique connue avec le
détail requis pour caractériser les très petits secteurs de chacun des trois
forages prévus. Au bas de cette page en annexe, l'article 38 décrit ce que le
promoteur doit mettre dans son étude. C'est bien le promoteur qui fait
réaliser cette étude; en pratique, il n'y a pas aucun contrôle sur la véracité
ou l'objectivité du contenu de ce rapport hydrogéologique.
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Dans l'espace, l'article 37 du RPEP "un territoire d’un
rayon minimal de 2 kilomètres en dehors des limites du site de forage, ou un
territoire correspondant à la longueur horizontale du puits envisagé".
Concrètement voici les trois territoires (cercles en bleu aux figures 2, 3 et
4) qui sont dans les études hydrogéologiques réalisées pour trois demandes de
permis.
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Figure 2. Le site du forage CanardHZ; orientation de la partie horizontale du forage non précisée. |
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Figure 3. Le site du forage La LoutreHZ; orientation de la partie horizontale du forage non précisée. Le cercle bleu a 2 km de rayon. |
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Figure 4. Le site du forage JupiterHZ; ; orientation de la partie horizontale du forage non précisée. |
On
peut constater qu'il est incongru de désigner comme "étude hydrogéologie" une
description de ce qui se trouve actuellement en surface dans ces trois zones
circulaires. Comme c'est le promoteur du forage qui fournit l'étude, il est peu
probable qu'elle contienne un élément qui orienterait la décision vers un refus
de permis.
La
cartographie des nappes souterraines se fait normalement sur des étendues qui
couvrent une nappe depuis sa zone d'alimentation jusqu'à son exutoire. Dans le
cas de la figure 4, la rivière Jupiter est voisine du forage prévu; elle est
très certainement l'exutoire naturel de la nappe phréatique de toute la région.
Cependant la zone requise par le RPEP pour l'attribution du permis se limite au
cercle de 2km de rayon, ce qui n'inclut pas du tout la rivière.
L'utilité
de ces "études hydrogéologiques" se limite en fait aux possibles
épandages accidentels en surface; on précise un peu où s'écoulerait le
contaminant en cas de déversement pendant les travaux. Le promoteur inclura sans aucun doute dans son
rapport une méthode de mitigation à utiliser le cas échéant.
Cette approche convient peut-être aux
installations industrielles de surface, mais dans le cas des puits, la
contamination a beaucoup de chances de remonter du bas vers le haut, des
couches géologiques profondes vers le bas des nappes. Dans une telle
éventualité, le rôle des discontinuités, des voies de circulation souterraine
par les failles et les fractures devient prépondérant. Des failles connues, il
y en a en abondance dans le secteur des trois puits. D'autres failles encore
inconnues et des milliers de fractures existent en plus de celles montrées sur
la carte ci-dessous (lignes en rouge, fig. 5):
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Figure 5. Les failles cartographiées à Anticosti (réf. rapport ATRA01) et les formations géologiques en plan et en coupe dans le petit encadré; les cercles rouges montrent les séismes de 1985 à 2015. |
La
fracturation hydraulique dans la partie horizontale d'un puits d'hydrocarbures
augmentera la connectivité des fractures créées et des fractures présentes. La
migration des contaminants peut suivre un chemin complexe (B fig. 6) qui ne sera pas linéairement
vertical. La contamination pourra ressortir dans une nappe ou un cours d'eau
bien en dehors du cercle de 2 km de rayon mesuré en surface à partir de la tête
du puits. Le temps de migration pourra être long (années ou décennies) avant
que l'effet se manifeste en surface, mais il sera permanent dans le temps par
la suite.
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Figure 6. Vue en coupe du forage de la fig. 4 montrant l'extension horizontale; cette extension pourra recouper de nombreuses fractures et à l'occasion des répliques des grandes failles (en rouge) de la région. |
La
vision simpliste qui a abouti au MDDELCC à n'inclure dans le RPEP qu'une zone
de 2 km (A fig. 6)
autour de la tête du puits, n'a qu'une utilité limitée aux épandages en surface
qui peuvent survenir, par exemple pendant les travaux de forage. Cette vision ne tient absolument pas compte des migrations souterraines qui peuvent survenir bien après la fin des travaux en surface.
Une
fois les permis obtenus et les trois forages réalisés, l'exploitant aura a
déposer une demande de permis de fracturation** qui examinera essentiellement si
la partie horizontale est à 600 m ou plus de profondeur. Cette condition sera
automatiquement remplie pour les trois forages en cause. Les articles 40 à 46
du RPEP décrivent les autres modalités dans l'attribution de cette 2e série de
permis. Nous avons déjà analysé en détails les
lacunes manifestes de ces articles.
La
mécanique mise en place au gouvernement au cours des dernières années a tout
fait pour faciliter le démarrage de l'industrie pétrolière au Québec, par des
investissements directs de fonds publics, par des décrets pour bloquer les
tentatives d'opposants environnementaux ainsi que par des dispositions
spécifiques et très laxistes dans la réglementation (RPEP). Il sera difficile
de changer la donne sans revoir de fond en combles les règles déjà en place.
Ce
n'est pas avec les trois demandes de permis que le premier ministre Couillard
sera le mieux outillé pour ne pas mettre
sa signature sur le désastre Anticosti; l'attribution des permis de forage
est quasi automatique pour quiconque en a fait la demande. Les règles à suivre
pour obtenir les permis sont bien connues des promoteurs car ils en ont influencé
la mise en place. De plus dans ce cas-ci, le gouvernement lui-même est le
principal actionnaire dans le consortium Hydrocarbures Anticosti qui dépose
ces demandes de permis.
Les trois minis études hydrogéologiques accompagnant
les trois demandes de permis de forage ne présenteront qu'une information très
limitée pour une prise de décision responsable. Il serait peut-être plus utile
pour monsieur Couillard et ceux qui partagent sa nouvelle orientation de voir
le contenu du rapport final de l'ÉES Anticosti. Il tarde cependant à être
publié et il n'a pas pu être présenté à la date annoncée (fin 2015). La dernière
étude "Analyse avantages-coûts (AAC)
d’un éventuel développement des hydrocarbures à Anticosti # ATVS02" qui
est l'étude clef, a elle-même été très retardée.
Elle doit revoir les données du chantier économie de l'ÉES en
incluant les externalités; or une erreur flagrante a faussée complètement le
bilan économique simulé pour le développement pétrolier d'Anticosti. On peut
penser que l'on s'active en ce moment à Québec à finaliser le rapport ATVSO2 sans trop écorcher le ministère des finances qui est l'auteur de l'étude économique qui comporte l'erreur flagrante*. On peut également espérer
qu'on mettra là en lumière des arguments économiques solides pour appuyer une prise de position de monsieur Couillard pour stopper ce projet cul-de-sac. De plus, la très grande majorité des mémoires déposés à l'ÉES Anticosti ont
complètement contredit les prétentions des promoteurs sur la pseudo rentabilité
socio-économique et environnementale du projet d'exploitation non conventionnel
des hydrocarbures du shale Macasty. Il y a là beaucoup de démonstrations
solides de la non pertinence de poursuivre des travaux à Anticosti. Monsieur
Couillard pourra s'en inspirer.
*
Le ministère des finances a compté en double de 43 milliards de barils en place
ce qui lui permettait d'estimer à 203 milliards de dollars la valeur brute du
pétrole + gaz extrait entre 2020 et 2095 à Anticosti. Avec deux fois moins de
pétrole + gaz extrait sans l'erreur qui double, on aurait que 203÷2 (=101,5 milliards)
de dollars comme valeur brute. L'opération simulée qui donnait un profit de 45
milliards de dollars produit
plutôt un gros déficit de plusieurs dizaines de
milliards de dollars. Il est délicat pour monsieur Couillard d'utiliser un argument économique, car il est délicat de désavouer
son propre ministère des finances responsable de cette étude biaisée et bâclée.
** La demande du permis pour procéder à l'étape de la fracturation se nomme "permis de complétion". Le formulaire n'est pas trop complexe à remplir (ci-dessous) et dans le passé, aucun permis n'a jamais été refusé à un promoteur. Remarquez que "fracturation hydraulique" n'est même pas mentionnée dans le formulaire; c'est inclus de façon beaucoup plus discrète dans le terme "stimulation" et cela se résume à une simple ligne. Il n'y a aucune exigence de fournir la liste des p.roduits injectés
N.B. Cette étape a même été cour-cuicuitée lors de l'octroi des autorisations le 15 juin 2016 car le gouvernement accorde directement l'autorisation de la fracturation en même temps que l'octroi des trois permis de forage !
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ANNEXE
Articles du RPEP qui donnent la description de l'étude hydrogéologie exigée
pour l'obtention d'un permis de forage
38. L’étude
hydrogéologique doit notamment fournir les renseignements suivants, au regard
du territoire visé :
2°
son contexte géologique et structural, incluant son profil stratigraphique;
3°
son contexte hydrogéologique, hydrologique et géochimique, en précisant
notamment les aquifères présents et le réseau hydrographique;
4°
la localisation et une description de l’aménagement des prélèvements d'eau
effectués à des fins de consommation humaine ou de transformation alimentaire
ainsi que les résultats d’analyse des échantillons d’eau prélevés aux sites de
ces prélèvements conformément au paragraphe 2 du troisième alinéa de l’article
37, le cas échéant;
5°
la localisation et une description de l’aménagement des puits destinés à
rechercher ou à exploiter du pétrole, du gaz naturel, de la saumure ou un
réservoir souterrain, le cas échéant;
6°
les conditions de confinement et de recharge des aquifères ainsi que leur
vulnérabilité par rapport aux activités projetées en surface sur le site de
forage;
7°
la dynamique d’écoulement des eaux, notamment au regard de la direction
d’écoulement des eaux souterraines et leurs liens avec les eaux de surface;
8° l’évaluation des impacts d’une contamination des
eaux sur les prélèvements d’eau effectués à des fins de consommation humaine ou
de transformation alimentaire de même que sur les écosystèmes aquatiques
associés à un cours d’eau dans l’hypothèse où :
a)
une défaillance du puits provoquerait une migration de fluides vers le
ou les aquifères ou vers la surface;
b)
un déversement accidentel se produirait sur le site de forage;
9°
la démonstration que la localisation retenue pour le site de forage est la
moins susceptible d’affecter des prélèvements d’eau effectués à des fins de
consommation humaine ou de transformation alimentaire et, le cas échéant, la
distance à respecter pour minimiser les risques de contamination des eaux de
tels prélèvements si cette distance est supérieure à celle minimalement exigée
en vertu de l’article 32;
10°
la localisation des puits d’observation aménagés ou à aménager et les motifs
justifiant le choix de leur emplacement et de leur aménagement.