mercredi 16 juillet 2014

Les risques technologiques liés à la fracturation du shale d’Utica




Mémoire présenté au BAPE - DM99.pdf
Les enjeux liés à l'exploration et l'exploitation du gaz de schiste dans le shale d'Utica des basses-terres du Saint-Laurent


 Les risques technologiques liés à la fracturation du shale d’Utica

Marc Durand,
doct-ing en géologie appliquée et géotechnique

Résumé

L’exploitation envisagée du gaz contenu dans la roche mère des basses-terres du St-Laurent (shale d’Utica) a fait l’objet de beaucoup d’études qui en examinent bien des aspects divers, mais qui ont toutes un oubli de taille ; elles omettent d’examiner un « bug» fondamental de la technique et sans cette technique, l’exploitation serait impossible. Cette question peut être résumée en trois points :

1- L'industrie des hydrocarbures de roche-mère (gaz et pétrole de "schiste" dans le langage courant) n'existe par le seul fait d'une opportunité découlant de l'absence complète de règles adaptées à l'émergence d'une nouvelle technologie. Les règles existantes ont été conçues pour des gisements conventionnels; elles sont déjà jugées très laxistes quant à la gratuité d'accès à l'eau, à l'atmosphère pour les rejets polluants, qui n'ont pas ainsi à être comptabilisés dans les plans d'affaires. Ce qui s'ajoute dans le cas des gisements non conventionnels est la notion d'écrémage: on ne prélève que la portion rentable, soit 10 à 20% dans le cas du gaz de schiste, 1 à 2 % dans le cas du pétrole disséminé dans les shales. Les nouvelles (et encore inconnues) conséquences environnementales de cet écrémage ne sont pas comptabilisées d'aucune façon par les autorités, qui se réfèrent pour l’essentiel au bilan comptable calqué sur celui présenté par les promoteurs.



2- La fracturation met en branle un processus dont la durée est d'ordre géologique: le débit aux puits de gaz est très élevé la première année ; mais il diminue très rapidement par la suite. La coupure qui marque la fin de la rentabilité dans ces courbes de production se situe à un niveau qui laisse encore en place dans le shale modifié par ces nouvelles fractures, plus de 80% du gaz (et plus de 98% dans le cas du pétrole, que nous ne traiterons pas dans ce texte). Les puits sont bouchés et l'industrie lègue le tout à l'État en fin d'opération après avoir satisfait à quelques règles liées à la fermeture définitive des puits.

Le processus géologique de la migration du méthane quant à lui se poursuit pendant un temps incommensurablement plus long que la durée de vie technologique de ces puits bouchés.

3- Les États ont des règles à peu près similaires pour gérer cette transition, des règles laxistes établies à une autre époque: le plan d'affaire des exploitants s'arrête là où arrive la fin du permis d'exploitation. Cette "rentabilité" pour les exploitants amène bien sûr des redevances aux gouvernements; tous semblent donc y trouver leur compte. Le plan de travail de l'ÉES a suivi fidèlement le modèle en vigueur; les questionnements soulevés quant à la durée de vie des puits n'en font pas partie. Les puits sont bouchés puis abandonnés – remis à l’État en fin de vie utile; qu'arrivera-t-il ensuite?

En tant qu'ingénieur, je ne pose que cette seule question très terre-à-terre où deux éléments créent un bug insoluble: d'un côté un shale totalement modifié par la fracturation nouvelle, écrémé de la petite portion des hydrocarbures qui se seront écoulés en quelques années, mais où beaucoup de méthane va néanmoins continuer à migrer vers ces fractures. C’est ce même processus qui a mis 100 000 ans ou 10 millions d'années dans la nature à créer les gisements conventionnels. De l’autre côté des puits bouchés en fin de vie commerciale; des puits construits et optimisés pour une fonction première : sortir du gaz pendant une certaine période rentable, puis ensuite transformés sommairement pour la fonction radicalement inverse : empêcher le gaz qui reste dans le massif de shale fracturé de sortir de ces conduits forés au travers de couches antérieurement imperméables.

La première fonction dure quelques années : l’ÉES en a étudié avec grands détails, tous les besoins et tous les aspects. La seconde fonction devra durer aussi longtemps que le processus géologique enclenché : des durées géologiques où tous les matériaux et les ouvrages auront le temps de se détériorer en totalité. L’industrie n’a jamais voulu considérer cette question : légalement les exploitants ne sont plus concerné après avoir satisfait aux règles en vigueur, celles reliées à la fermeture des puits. Personne à l’ÉES n’a vu la nécessité de remettre en cause le « pattern classique », personne ne s’est demandé si on pouvait le transposer face au contexte distinct des gisements de roche mère, sans le remettre en question.


Table des matières

I-   L’objet des études de l’Évaluation Environnementale Stratégique sur le gaz de schiste
II-  Les risques technologiques de l’exploitation des hydrocarbures de roche mère
III- L’impact géomécanique et hydrogéologique de la fracturation
IV- Comment utiliser les données des puits conventionnels pour le cas présent ?
V-  Pourquoi la durée de vie technologique importe : le re-pressurisation des puits
VI- Commentaires sur le traitement à l’ÉES de la question des risques technologiques…
           et réponse à quelques énoncés non fondés lors de présentations au BAPE par le MDDEFP
- Conclusion
- Propositions d’une solution de sortie : La règlementation à revoir
- Références

ANNEXE – 1 -  Commentaires par courriel le 5/11/2013 aux auteurs des études GES1-1&EC2-3

ANNEXE – 2 -  Liste de quelques questionnements reliés aux puits après abandon

ANNEXE – 3 -  L’EXPÉRIMENTATION  - La durée de vie des structures

ANNEXE – 4 -  Deux courriels adressés en avril 2014 à l’attention du président de la commission
monsieur Denis Bergeron, relativement aux citations erronées de l’expert du MDDEFP




I - L’objet des études de l’Évaluation Environnementale Stratégique sur le gaz de schiste

Peu après sa création, L’ÉES a présenté en octobre 2011 une proposition préliminaire d’un plan de travail : Plan de réalisation version préliminaire. Suivra en avril 2012 la version finale. J’ai soumis à l’ÉES des commentaires sur les lacunes des études proposées (Évaluation Environnementale Stratégique - Analyse du plan d'action de l'ÉES) et  (Avril 2012 - L'ÉES publie la version finale de son plan de réalisation en insistant à chaque occasion sur l’absence de prise en compte de ce qui surviendra en toute logique, dans les décennies qui suivront le retour des puits dans le domaine public (étape post fermeture). 
La gestion des fuites, les travaux correctifs à faire dans la longue période où ces puits vont commencer à se détériorer mérite d’être examinée avec grand soin. J’ai indiqué dans mon texte de février 2011 (réf. fig.1) que l’analyse de la rentabilité, telle que l’industrie la propose, se limite aux seules deux étapes: Exploration et Exploitation, la portion en jaune sur la figure ci-dessous:



Fig. 1  La question de la rentabilité – non rentabilité  pour la société dans son ensemble.
La rentabilité pour la société dans son ensemble, dont l’État du Québec est le mandataire, ne peut être analysée sans tenir compte des coûts durant l’étape Abandon, laquelle survient après la fermeture (indiqué F sur la figure 1). Pour prévoir ces coûts il faut une donnée qu’il est possible d’estimer sommairement à cette étape-ci afin de l’intégrer dans l’analyse : la durée de vie technologique des puits.
L’ÉES a initialement défini un cadre pour ses études qui se base sur la description d’un projet-type.  Le projet-type énumère et décrit les étapes que l’industrie réalise successivement. Se limiter aux étapes associées aux activités de l’industrie, c’est cependant se calquer sur une vision très étroite de la réalité : celle par laquelle l’industrie se définit elle-même. Cette description limitative se répercute ensuite dans toutes les autres études;  par exemple l’étude R2-1 a pour titre : Analyse des risques technologiques associés aux activités d’un projet type de gaz de schiste. Si on peut reconnaitre volontiers que toute industrie, gaz de schiste inclus, comporte des risques associés à ses activités, pour les travailleurs sur place notamment, ce n’est pas là que se situent exclusivement les plus grands risques dans le cas de l’industrie des gaz de schiste.

Comment pourrait-on dire, en ce qui concerne les viaducs par exemple, que les risques se situeraient uniquement pendant l’activité de l’industrie, i.e. lors de la construction des viaducs? Une fois en place, tout ouvrage construit par l’homme a une durée de vie technologique. Sans inspection, sans entretien, les puits abandonnés une fois leur fermeture complétée seront soumis encore plus rapidement qu’un viaduc à une dégradation progressive. Les quatre cinquième du méthane que contenait le shale avant sa fracturation vont remettre en pression les puits quelques années seulement après leur fermeture.

J’ai souligné aux auteurs de l’Étude M-2 du CIRAIG le fait qu’ils limitaient leur analyse aux seuls deux premiers éléments de la figure 1 : Exploration & Exploitation. Ils omettaient ainsi pour la suite des autres études, toute l’analyse des risques technologiques ainsi que celle des coûts associés à l’étape qui suit la fermeture des puits. Les échanges avec les auteurs du rapport DOCUMENT SYNTHÈSE - PROJET TYPE CONCERNANT LES ACTIVITÉS LIÉES AU GAZ DE SCHISTE AU QUÉBEC ont été très constructifs. « vous apportez un excellent point, qui, nous l'espérons, pourra être considéré, suite à la parution de nouvelles informations, dans les études futures de l'évaluation environnementale stratégique » (courriels avec Pierre-Olivier Roy, CIRAIG – voir l’Annexe 1).  Cependant le rapport final de l’ÉES ne teint aucunement compte de cette limitation; le comité n’a pas non plus accordé d’attention aux remarques en ce sens formulées dès l’élaboration de leur plan de réalisation en 2011.

II - Les risques technologiques de l’exploitation des hydrocarbures de roche mère

Les risques technologiques de cette industrie ne se limitent pas aux seuls évènements qui pourraient survenir en relation avec les opérations des exploitants. Ces risques là, l’industrie les gère avec ses règles internes, qui sont là pour optimiser le bon compromis entre la sécurité des travailleurs, l’environnement immédiat et les coûts d’opération. Dans le tableau ci-dessous, c’est la case 1) qui les résume.
Les risques technologiques devraient plutôt se définir comme tous les risques qui peuvent survenir suite à une défaillance des ouvrages construits, et cela pendant leur construction, pendant leur opération ainsi qu’après la fin des opérations commerciales de ces installations. Le tableau 1 énumère sommairement l’ensemble des risques. Les plus importants dans le cas de l’exploitation du gaz de schiste sont ceux de la dernière case  (3) abandon post fermeture.

Tableau 1 :   Comparaison des risques technologiques des deux types d’exploitation


Je prendrai ici le très simple exemple des réservoirs souterrains des stations services : il y a eu certes des risques (gérables) liés à la construction et à l’opération de ces stations services, mais on sait bien mieux maintenant évaluer que le risque le plus coûteux est celui des réservoirs souterrains abandonnés et parfois oubliés. Même invisibles depuis la surface, ces vieux réservoirs corrodés, ceux qui ont été abandonnés sans avoir été correctement vidangés, ou ceux qui ont eu des corrosions et des fuites pendant les années de leur opération, créent des problèmes extrêmement coûteux à gérer. Les prêteurs hypothécaires bien au fait des coûts de traitement incluent maintenant dans leur pratique courante des vérifications de l’état de la contamination des sols avant d’autoriser des transactions sur ces terrains suspects. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’il en soit de même avec les terres où se sont implantés des puits de gaz de schiste.
Contrairement à d’autres ouvrages créés par l’homme, un puits foré ne peut pas être démantelé. C’est encore plus vrai si ce puits est du type 3. Le puits et le grand volume de roc modifié par la fracturation, ne peut pas être « démantelé ». C’est impossible d’enlever la présence du puits et de remettre le massif rocheux à l’état antérieur. La restauration d’un site ne se fait qu’en surface de façon cosmétique; on coupe le premier mètre, mais ce n’est là qu’une infime portion du puits.

III - L’impact géomécanique et hydrogéologique de la fracturation

La très grande majorité des études s’attachent à la fracturation hydraulique. Ce qui sera décrit dans le présent texte s’applique autant à la fracturation hydraulique qu’à toute autre technique de fracturation. L’industrie a développé et développera sans doute des techniques alternatives, mais un fait demeurera toujours incontournable : la roche mère (shale) a une perméabilité naturelle extrêmement faible et cette perméabilité doit absolument être augmentée de plusieurs ordres des grandeur (5 à 6 ordres de grandeur: i.e. la perméabilité après fracturation est augmentée dans le massif d’un facteur entre 100 000 et 1 000 000) pour permettre d’en extraire des hydrocarbures.
La fracturation ne crée des nouveaux vides communicants que très imparfaitement dans le shale; certains volumes ont une perméabilité extrême là même où les fractures existent. Elles sont maintenues ouvertes par les grains de sable (« proppant » fig. 2). Ailleurs dans la masse, la perméabilité d’origine maintient toujours les molécules d’hydrocarbures emprisonnées dans la fine matrice de la roche.

             
Fig. 2  Mécanisme de migration du gaz dans le shale au voisinage de nouvelles fractures ; vue métrique du shale à la fin de l’exploitation commerciale. N.B. Une version animée de ce diagramme avec commentaires est à ce lien : http://youtu.be/FeJvh7T3-pY   et à la minute 6:19 de celui-ci : http://youtu.be/rgupsa48DbM    

Dans la masse du roc, mais tout près des nouvelles fractures, le gaz présent migre dès les premiers instants vers les zones ainsi ouvertes artificiellement. Cette « dégazéification » du shale se fait de proche en proche, mais le processus de libération du méthane met des jours, mois, années, siècles ou millénaires en fonction de la distance (mm, cm, dm ou m) qui sépare la molécule de méthane de la fracture la plus rapprochée (illustré fig. 2). La relation de diminution du débit dans ce type de modélisation donne une décroissance de type hyperbolique; le débit zéro surviendra … à un temps infini.
Il y a actuellement un nombre limité de courbes de déclin avec suffisamment de durée pour conclure à quel type mathématique de déclin on a affaire (illustré fig.3b). Ces courbes ne montrent pas d’indication que les fractures se referment, car cela mènerait à moyen terme à un débit mesuré sous les valeurs des courbes théoriques. C’est plutôt l’inverse que montrent les données réelles (fig. 4); on obtient dans la réalité des débits qui sont au-dessus de la simple décroissance hyperbolique (droite bleu foncé de la fig. 3b). En bref, cela signifie que bien que commercialement devenus inintéressants, ces débits faibles sont persistants dans le temps, malgré le vieillissement de la fracturation.


 
Fig. 3  Courbes de déclin du débit des puits de gaz de schiste  Haynesville, (réf. Aeberman, 2010)


Fig. 4  Courbes de déclin de production dans le shale Marcellus (réf. Johnson, 2011)

La baisse rapide de la production des puits est encore assez mal prise en compte dans la frénésie qui fait partie du développement actuel de l’industrie. Les excellents résultats en valeur de débits des nouveaux puits ont favorisé le financement aux USA d’un développement accéléré de la production. Le déclin des puits où la fracturation fournit le gaz (comme le pétrole) se situe entre les 2/3 et 4/5 la première année.  C’est très diffèrent des gisements conventionnels où après 10 ans et plus, les puits débitent encore à 80% de leur production initiale. Les hauts débits de la première année ont leurrés bien des investisseurs. Ils pourront être déçus des résultats subséquents.

IV - Comment utiliser les données des puits conventionnels pour le cas présent ?

Il n’y a pas encore vraiment des données sur l’évolution après fermeture et abandon des puits de gaz de schiste, mais il y en a pour des puits forés dans des gisements classiques. Forer sans la fracturation dans des gisements naturellement perméables permet d’extraire un fort pourcentage du gaz présent. Vider le gisement est possible et l’exploiter ne modifie pas fondamentalement le milieu naturel. La figure 5 a et b, compare trois puits : un puits ordinaire (1) qui ne trouve pas de gaz commercialement exploitable et qu’on qualifie de puits « sec » ne pose donc pas trop de risques une fois bouché. Non exploité ne veut pas dire aucune émission de gaz, car le méthane peut exister dans bien des formations géologiques en petites quantités. Mais le volume de massif rocheux affecté (i.e. micro fissuré par les opérations de forage), le volume modifié reste limité, tout comme le risque de générer des fuites après l’abandon du puits.

C’est un peu la même chose dans un puits qui atteint et qui vide un gisement conventionnel de gaz (cas 2, fig. 5): entre avant  et  après le milieu est relativement peu changé, du moins le volume affecté reste de l’ordre de 1000 m3 de roc.

Par contre dans le cas (3), avant le shale était quasi-imperméable, alors qu’après il y a 50 Mm3  à 150 Mm3 de roc transformé. Dans ce volume l’exploitation terminée laissera plus de 80% du gaz évoluer dans ce shale nouvellement fracturé. Beaucoup de gaz restant, un très grand volume modifié et un processus de migration d’hydrocarbures amorcé par la fracturation artificielle; c’est là que se situe le potentiel de génération de fuites. Il est considérable dans le cas (3) des puits implantés pour exploiter des hydrocarbures de roche mère. Ce n’est pas du tout comparable comme potentiel à celui des puits d’un gisement classique (2). Malgré tout comme les seules données pour le comportement des puits bouchés se rapportent à ceux des gisements classiques, nous devons nous en contenter pour l’instant et tenir compte de ce qui y a été observé dans des cas de puits de type (2).


Fig. 5  Comparaison de l’ampleur du potentiel de génération de fuites de méthane entre trois contextes distincts: a) deux cas de puits sans fracturation  b) cas de puits avec fracturation pour gaz de schiste.

Les causes des fuites initiales ont été étudiées et analysées pour et par l’industrie, car cela affecte le rendement de leurs installations; plus rarement s’est-on attaché à regarder le vieillissement de ces structures, une fois qu’on s’en est départies. La figure 6 est tirée d’une étude Schlumberger sur 15 000 puits dans des gisements conventionnels (Brufatto, 2003). On constate que la dégradation des structures est rapide : 5% des puits d’âge zéro ont des fuites, cela grimpe à 50% des puits qui ont 15 ans d’âge. On obtiendrait des distributions statistiques semblables si on analysait des viaducs par exemple; le vieillissement des structures d’acier et de béton (ou coulis de ciment – cas des puits) est incontournable. La durée de vie technologique moyenne, celle où on a 50% de probabilité de trouver un état de dégradation rendue au point où l’ouvrage ne peut plus soutenir les charges prévues, représente toujours quelques décennies, rarement plus.


Fig. 6  Étude Schlumberger montrant l’effet du vieillissement sur le potentiel de fuites incontrôlées.

La question à se poser est toute simple : pourquoi penser que les puits seraient-ils éternels? Ne doit-on pas s’attendre à ce que 100% des puits finissent un jour par être dégradés? Si ces puits sont dans les cas 1 et 2 de la figure 5 on s’en inquiètera plus ou moins. Mais si ces puits sont dans le cas 3, si on a affaire à des puits bouchés devant contenir pour des siècles le méthane encore présent et mobile dans des gisements de roche mère, ne devrait-on pas se poser la question de leur durée de vie technologique? Le méthane mentionné ici, n’est pas le seul fluide mobilisable; il y a bien d’autres hydrocarbures, des saumures, etc. L’ÉES ne fait pas cette analyse; elle est hors du cadre fixé au départ. L’ÉES et beaucoup d’études passent à côté de la prise en considération d’un risque technologique spécifique aux cas de l’exploitation par fracturation des gisements d’hydrocarbures de roche mère, un risque nouveau d’importance cruciale et de durée illimitée.


V- Pourquoi la durée de vie technologique importe : le re-pressurisation des puits

La forte proportion de gaz qui n’aura pas encore complété sa migration vers les fractures artificielles dans le shale va constituer la cause de la remise en pression des puits dans le temps qui suivra leur fermeture. La courbe de production se poursuivrait après la production commerciale en suivant une décroissance indiquée par la ligne en traits tiretés H de la figure 7. Mais comme on fermera le puits en fin de production commerciale, le débit indiqué par la courbe H  sera confiné par la présence de l’obturation et du scellement du puits. C’est le couvercle mis sur la marmite. Au moment de la fermeture, le débit et la pression sont au plus bas, car on extrayait tout le gaz possible juste avant. Quand on scelle la marmite la pression est minimale, mais elle remontera inexorablement.


Fig. 7  Remise en pression du gaz dans les puits bouchés et abandonnés

Ce ne sont pas les règlements (Canada 2014, Québec 2009) relatifs à la fermeture des puits qui changent cette situation : ils stipulent à peu près tous ceci : « le puits doit être laissé dans un état qui empêche l'écoulement des liquides ou des gaz hors du puits ». Une règle peu applicable et peu appliquée, car la délivrance du permis de fermeture se fait au moment de la fermeture justement. L’inspection complète (si elle est vraiment complète?) ne s’attache qu’au moment actuel de l’inspection, pas à ce que la structure connaitra comme évolution cinq ans, quinze ans plus tard.
Comme personne n’a étudié vraiment cette question, on a pas de données expérimentales pour chiffrer avec plus de détails la montée de la pression dans les puits scellés. Ce sont les milieux associés à l’industrie qui orientent les recherche; il n’y a aucun incitatif à analyser ce dont les exploitants sont plus légalement responsables. Mais ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de réponses qu’il ne faut pas poser les questions.

Il faut ajouter que les fractures et les failles peuvent être aussi des chemins pour des fuites. Elles peuvent se situer dans l’emprise de la portion horizontale des puits, mais loin de la tête du puits en surface. Le rapport du Conseil des académies canadiennes (CAC, 2014) le rappelle à juste titre et recommande que l’inspection des fuites éventuelles ne soit pas limitée aux plateformes des puits, mais couvre toute la zone potentiellement affectée. Ce rapport précise en outre que le suivi d’inspection « will be needed over the anticipated decades-long development periods and over sufficient time scales following well closure ». Cette conclusion est tout à fait en accord avec celle que j’ai formulée dans mon mémoire à la CEÉQ (Durand 2013). Il n’y a rien de cela par contre dans le cadre limité du projet-type qui a servi de canevas à toute la démarche de recherche et d’analyse économique de l’Évaluation Environnementale Stratégique sur le gaz de schiste.

Les composantes du puits, c’est-à-dire les tubages d’acier, le coulis de scellement vont se dégrader dans le temps et perdre progressivement de leurs capacités techniques comme illustré par la ligne rouge de la figure 8. En même temps, la remise en pression du gaz dans les puits va augmenter en fonction du temps (courbe verte, fig.8). Tout ingénieur, même un débutant qui aurait le minimum d’expertise en comportement des ouvrages et en résistance des matériaux, peut prévoir qu’il y aura là fatalement un point de rupture. Il se traduira par la disparition, soit progressive, soit brusque de la capacité des obturations d’empêcher les fluides de fuir par les puits dégradés.

 
Fig. 8  L’effet du vieillissement sur la capacité technique simultané avec la repressurisation des puits.

Bien sûr il y a des techniques pour réparer les fuites. Les travaux correctifs requis, par exemple la réouverture de puits pour refaire un colmatage pose le problème de la durée de vie technologique de ces réparations elles-mêmes. En effet, si le bouchon initial de béton des puits se retrouve inopérant après 20 ans d’abandon par exemple, l’installation d’un nouveau bouchon est possible, mais ce nouveau coulis se dégradera à son tour sur une durée de temps du même ordre. « This raises the possibility of needing to monitor wells in perpetuity because, even after leaky older wells are repaired, deterioration of the cement repair itself may occur » (CAC 2014,p.193). Ainsi de suite de 20 ans en 20 ans il y aura à refaire des travaux; c’est ce qui est schématisé par les réparations de réparations () sur la figure 1. Viendra assez rapidement, après quelques cycles, un état de détérioration où toute réparation de réparation-de-réparation-etc. sera devenue impossible. 


Ce sera à chaque occasion une opération complexe et a priori très coûteuse. L’intervention sur un puits bouché et abandonné depuis des années constitue une opération très délicate, car l’état des tubages, coulis et bouchons de béton à demi détériorés, compliqué par la présence significative de gaz inflammable, rendra complexe toutes les opérations de réouverture de puits. Dans le cas de la fuite de pétrole et gaz au puits Deep Water Horizon en avril 2010, la multinationale BP a tâtonné et tenté trois solutions inefficaces avant de se résoudre à colmater la fuite en forant à très grand frais deux forages obliques pour aller boucher par injection la zone profonde à l’origine de la fuite. On a dû faire également deux forages obliques pour finalement colmater en 2003 un puits qui fuyait depuis 1916 du gaz et de la saumure (Histoire d'un puits abandonné). Et en fin d’opération, on se retrouve avec trois puits à surveiller, au lieu d’un seul, pour les prochains cycles de vieillissement des structures!

Les travaux de colmatage de fuite dans ce type de cas ont impliqué jusqu’à maintenant des montants bien supérieurs au coût de construction initial du puits. La ligne rouge sur la figure 1 qui porte des symboles  —?—?—  donne une idée de l’évolution des coûts de gestion de l’ensemble des puits d’un gisement d’hydrocarbures de roche-mère après l’abandon. Ces coûts doivent être pris en compte car à l’abandon, il reste encore quatre fois plus de gaz dans la roche-mère que tout le volume commercialement exploité. L’ÉES n’a pas abordé cette analyse car elle ne se situe pas dans les étapes définies dans le projet-type, laquelle ne liste que celles où l’industrie est présente.

Il est assez paradoxal que les études et le rapport final de l’ÉES ne se soient préoccupés que des étapes qui intéressent l’industrie et pas celle qui surviendra après et qui sera aux frais de la collectivité; celle où les exploitants ne sont plus là, celle où les puits et massifs rocheux fracturés sont toujours présents, mais redevenus la propriété de l’État. Celle où on aura des frais de gestion de ces risques, durant une période de temps que le rapport CAC 2014 nomme « in perpetuity ».

La perpétuité c’est bien long; j’ai toujours indiqué dans mes analyses que la migration du méthane hors de la masse du shale (montré sur la figure 2) se déroule sur des siècles et millénaires, mais en fait la migration du gaz d’une roche-mère vers un gisement conventionnel s’est produit dans la nature sur une échelle de temps qui se mesure en millions et en dizaines de millions d’années. C’est le même gaz dans le même shale qui doit ici se rendre à la fracture la plus proche; la diminution du débit est hyperbolique (fig.7). Les fuites de méthane thermogénique par des fractures naturelles, donc très anciennes, sont rares mais il y en a. Les débits de fuite dans ces occurrences géologiques naturelles sont toujours très faibles, car ils se situent sur une partie de l’hyperbole (fig.7) loin dans le temps après la création de cette fracture ancienne.

La dégradation à moyen et long termes des puits entraine toute une série de questionnements sans réponses mais qu’il faut néanmoins formuler. Nous avons placés en Annexe 2 les questions les plus significatives. Comme il n’y a pas de réponse à ces questions et que de plus l’ÉES a choisi de ne pas les examiner, nous proposons comme voie de solution pour ce point que les baux des exploitants soient d’une durée de 99 ans. Les coûts indéterminés des quatre ou cinq premiers travaux correctifs éventuels (si le puits dure ~20 ans) seront ainsi sous la responsabilité entière des exploitants. Le détail de cette recommandation est exposé en fin de texte dans un paragraphe spécifique, après la conclusion.


Fig. 9  L’ancienneté du démarrage de l’exploitation des gisements de gaz de schiste selon RossSmith.

Le déploiement effectif de l’industrie des hydrocarbures de roche mère est très récent (figure 9); à l’exception du shale de Barnett qui débute en 2003, tous les autres ont moins de dix ans (2006 à 2008). Des données réelles sur le comportement après l’abandon dans le cas des shale fracturés sont donc à venir. Cet état de fait se traduit par ce constat : une technologie appliquée à grande échelle dans un contexte inédit est conjuguée à l’absence d’études scientifiques et de publications sur des problèmes théoriquement prévisibles; c’est ce que j’ai appelé par dérision de l’expérimentation à grande échelle; c’est analysé dans ce document : L’expérimentation – la durée de vie des structures, (voir Annexe 3).

Il y vraiment très peu de références scientifiques qu’on peut citer pour ce sujet; les recherches sur la durée de vie des puits se comptent par dizaine de milliers $$ (ci-contre), mais presque toutes ne traitent que de la durée de vie payante celle liée à l’exploitation commerciale des puits. Les trois exceptions qu’on trouve renvoient à mes propres textes! Mais néanmoins la communauté scientifique a traité de ces questions géotechniques sous la forme de deux débats scientifiques : le premier a eu lieu à Sherbrooke au Québec et m’opposait à deux experts délégués par l’industrie : Michael Binnion (pdg de Questerre Inc et actuel président de l’APGQ) ainsi que M. Lévesque, pdg de SeisMotion et fondateur de l’AFSPG, le 12 juin 2012. Le débat est disponible en ligne à ce lien :

Pour le deuxième débat, on m’a invité en France comme expert à débattre avec un expert de l’Institut Français du Pétrole, le géologue Charles Lamiraux. La présentation intégrale du débat est disponible à ce lien: Le Grand Débat DURAND - LAMIRAUX du 25 octobre 2013

Aucun des trois experts présents lors de ces deux débats n’a pu répliquer ou répondre aux questionnements dont j’ai fait ici une présentation simplifiée. Bien qu’ignorés par l’ÉES, cette question a néanmoins été retenue par L’OPECST, Office Parlementaire d'Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques, (voir p. 80 dans son rapport) qui en octobre 2013 m’a accordé plus d’une heure pour s’informer de cet aspect de la problématique.

Il est certain que le sujet est très récent et qu’il y aura certainement des nouvelles études qui en traiteront. Je tiens à citer le très récent document du Conseil des académies canadiennes (CAC, 2014) qui a tenu, de façon sommaire certes, à mentionner l’importance du comportement des puits à long terme parmi les grandes inconnues qui l’incite à recommander la plus grande prudence.


VI- Commentaires sur le traitement à l’ÉES de la question des risques technologiques
 … et réponse à quelques énoncés non fondés lors de présentations au BAPE par le MDDEFP

J’ai lu tous les rapports de l’ÉES sans exception. J’ai aussi et surtout parcouru les publications techniques, les rapports gouvernementaux d’ailleurs (USA et Europe). J’étudie ces questions depuis 2010 et mes questionnements n’ont pas plu à certains promoteurs inconditionnels de l’industrie. J’ai fait état des recherches et des conditions de cette recherche dans un texte que je joins en annexe 4. Je n’ai aucun intérêt personnel dans le dossier, je n’habite pas une municipalité touchée par la question. 
J’ai diffusé une analyse critique du rapport final de l'ÉES et de certaines des études qui l'accompagne:   http://youtu.be/FHo8lku0AmE  pour illustrer plus en détails comment et pourquoi l’ÉES a contourné une analyse réelle des risques technologiques.

J’ai entendu lors de présentations aux séances d’informations du BAPE le 10 avril PM le président qui apporte cette précision en réponse à une question sur le sujet : « Je vais vous répondre, Monsieur Chartier. Je vous inviterais à relire le mandat. Je vous rappellerai que la Commission n’a pas de discrétion quant à l’interprétation de son mandat, et le mandat précise très bien que notre travail se base sur les études qui ont été réalisées dans le cadre de l’Évaluation environnementale stratégique » (minute 1255 Séance tenue le 10 avril PM). Mes questionnements se situent manifestement en dehors du champ d’étude que s’était fixé l’ÉES. Est-ce que la présente commission du BAPE est vraiment limitée par le cadre strict de l’optique antérieure que s’était donnée l’ÉES en 2011? J’ose espérer que la commission ne se limitera obligatoirement aux définitions du projet-type, sur le modèle de travail de l’ÉES.

J’ai aussi entendu lors de cette même séance du 10 avril PM qu’une personne ressource pour la commission, venant du MDDEFP me dénigrait de façon injustifiée. Je me dois donc de joindre à ce présent document des réponses à des propos mensongers (Annexe 4), et pour fournir quelques données quant à mon expertise dans ce domaine géotechnique où j’exerce depuis 1968. 

Conclusion

Le débat scientifique autour de la question du gaz de schiste est le parent pauvre parmi tous les autres aspects de ce dossier. Comme Perrette et son pot au lait, on a déjà étudié entre autres le partage de la rente, l’impact visuel, la redevance sur l’utilisation de l’eau, etc. Ce qui se passe dans le shale, quand la fracturation amorce le processus de migration des hydrocarbures, ce qui se passe en termes d’effets mécaniques et chimiques (corrosion) sur les parties des puits, bouchons de scellement surtout, en fin de vie commerciale, n’a pratiquement pas été étudié. La rentabilité réelle sur une durée qui dépasse celle de l’activité même de l’industrie sur le terrain, n’a pas non plus été étudiée.

L’implantation de milliers de puits pour rejoindre et fracturer l’ensemble du volume d’un gisement d’hydrocarbure de roche mère, c’est implanter des milliers d’ouvrages qu’il est impossible de démanteler (sauf la tête de puits). La fracturation du shale est une modification irréversible, permanente du substratum. La durée de vie technologique des puits bouchés en fin de production laisse en plan leur gestion par la collectivité, leur réparation, puis réparation de réparation, « in perpetuity » selon les termes de l’étude CAC 2014.

L’analyse comparative des données disponibles celles des gisements conventionnels versus celles des gisements de roche mère mène à une évidence : les risques technologiques dans les nouvelles formes d’exploitation du gaz vont être beaucoup plus intenses et beaucoup plus étendus dans le temps comme dans l’espace. L’étude la moindrement sommaire des coûts et des impacts des fuites prévisibles, pendant et longtemps après l’exploitation des hydrocarbures de roche mère, pourrait démontrer à coup sûr la non rentabilité de l’exploitation de l’Utica.

Le sujet est très nouveau, les données scientifiques et les publications sur les puits abandonnées sont rares même pour les puits conventionnels et sont encore à venir pour les batteries de puits dans les shale fracturés. Ma conclusion personnelle à toute cette recherche est qu’il y a de grandes zones d’ombre dans l’analyse des risques technologiques, mais que jusqu’à maintenant on s’est limité à examiner seulement les secteurs éclairés,  ceux où l’industrie pointe la lampe…

Proposition d’une solution de sortie  - La règlementation à revoir

Que faire consécutivement aux constats dégagés dans cette analyse ? 
- Reconnaître ces constats et ne plus faire semblant qu’ils n’existent pas. Analyser les risques et les coûts dans leur entièreté, pas uniquement dans l’optique du projet-type limité aux activités de l’industrie. 

- Revoir la règlementation sur les puits de façon radicale, en éliminant par exemple le retour des puits au domaine public. Si les risques à moyen et long termes après l’abandon des puits sont nuls comme le laisse entendre les promoteurs, laissons leur en la pleine responsabilité. Des permis d’exploitation avec une règle rendant l’exploitant totalement responsable de son puits pour 99 ans par exemple. Pas de fermeture en fin d’exploitation commerciale, mais une période de 99 ans à compléter pour l’ausculter, vérifier que le débit de gaz est toujours zéro (cela ne sera pas le cas évidemment… ), réparer ou remplacer les bouchons, tubage, valves pour s’assurer tout ce temps que « le puits doit être laissé dans un état qui empêche l'écoulement des liquides ou des gaz hors du puits ». 

Étant toujours sur place, lié à son puits, solidairement sans doute avec le propriétaire du terrain qui lui aura vendu le droit de s’y installer, il sera plus simple en cas de fuites détectées par des voisins de se retourner vers les responsables de ces fuites.

Que se passera-t-il à la fin du bail de 99 ans? Il serait prévu une évaluation en bonne de la présence de fuite (gaz, saumure, etc.) et un renouvèlement automatique pour un autre 99 ans dans le cas où le processus de migration de gaz hors du shale se manifesterait par des fuites, dans le puits ou dans toute l’emprise du terrain qui surmonte la zone où s’étend la fracturation.

Un exploitant ne peut-il pas « disparaitre » comme entité pendant cette période de 99 ans? Certainement, mais le terrain et son propriétaire lui demeurent toujours sur place. La vente notariée de tout terrain où se situe un puits, ou se situant dans l’emprise d’un shale fracturé, devra mentionner cette servitude. Les propriétaires de terrains qui signent un accord d’implantation de puits sur leur terrain devront être bien conscients de la servitude qu’ils accordent ainsi contre un avantage financier ponctuel. La loi devrait prévoir, comme c’est le cas aux USA que tout propriétaire de terrain voisin se situant au-dessus de l’emprise d’une zone soumise à la fracturation devra être avisé, donner son accord, contre compensation financière sûrement, car cela affectera aussi sa valeur foncière.
Je crois pouvoir prédire que l’industrie poussera des hauts cris si le Québec devient en Amérique du Nord le premier à imposer ce type de règlementation. Mais ces hauts cris seraient admettre par le fait même que ces risques et que ces coûts existent.

Cette solution permet de contourner une interdiction pure et simple de l’exploitation des hydrocarbures de roche mère. La révocation de permis est plus risquée, car elle peut mener à des réclamations, comme la poursuite en cours de 250M$ Lone Pine Resources Inc, pour la révocation d’une toute petite partie des permis dans l’Utica, ceux qui se retrouvaient sous l’eau du Lac St-Pierre (loi#18  du 12 mai 2011). 
Modifier des règles de fermetures, ce serait peut-être une avenue plus simple. Les industriels en s’y objectant reconnaîtraient de facto que les risques sont réels et que cela affecteraient leur plan d’affaire. Comme on dit en langage courant, ils iraient peut-être alors vers des cieux plus accommodants.

Références

Aeberman, 2010. Shale Gas-Abundance or Mirage? Why The Marcellus Shale Will Disappoint Expectations  The Oil Drum

Brufatto et al 2003.  From Mud to Cement—Building GasWells, Oilfield Review Sept 2003, pp 62-76. (http://www.slb.com/~/media/Files/resources/oilfield_review/ors03/aut03/p62_76.ashx

Canada 2014. Règlement sur le forage et l’exploitation des puits de pétrole et de gaz au Canada  http://lois-laws.justice.gc.ca/fra/reglements/C.R.C.,_ch._1517/TexteComplet.html 

Conseil des académies canadiennes (CAC) 2014.  (Incidences environnementales liées à l’extraction du gaz de schiste au Canada) , 266p.

Durand, 2012.  Les dangers potentiels de l’Exploitation des Gaz et Huiles de schiste - Analyse des aspects géologiques et géotechniques. Rapport final du Colloque du Conseil régional Île-de-France, 7 février 2012, Paris, pp.173-185.


Johnson D W. 2011.  Marcellus Shale Gas, présentation Enerplus Corp. (http://www.enerplus.com/files/pdf/presentations/MarcellusShaleGasFINAL.pdf)

OCPEST 2013 Les techniques alternatives à la fracturation hydraulique pour l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels" par J-C. Lenoir, sénateur, et C. Bataille député. Rapport final, 240 p. (http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/opecst/Rapport_final_gaz_schiste.pdf)

Québec 2009. Règlement sur le pétrole, le gaz naturel et les réservoirs souterrains, article 61, 8e  http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=3&file=/M_13_1/M13_1R1.HTM 

ANNEXE - 1

Commentaires par courriel envoyé le 5 novembre 2013 aux trois auteurs des études GES1-1&EC2-3  Pierre-Olivier Roy, Geneviève Martineau et Réjean Samson  du  CIRAIG, AOÛT 2013
ANALYSE DU CYCLE DE VIE ET BILAN DES GAZ À EFFET DE SERRE PROSPECTIFS DU GAZ DE SCHISTE AU QUÉBEC

Madame et messieurs,

J'ai lu avec beaucoup d'intérêt l'étude que vous avez produite en août dernier pour l'Évaluation Environnementale Stratégique Gaz de Schiste.
Le sujet traité m'interpelle particulièrement car c'est également un des objets de mes propres analyses dans ce dossier. Je crois utile de vous faire part de mes commentaires à titre d'ingénieur géologue. Vous me pardonnerez d'insister plutôt dans ce courriel sur un point crucial qui constitue une lacune dans votre rapport. Je pourrais également faire un long état des louanges que je pourrais adresser à votre document. Mais la lacune est trop répandue, dans votre rapport comme hélas dans beaucoup d'autres. Je crois donc important de vous présenter mon point de vue sur cette omission.
Votre étude traite de ce qui survient après toutes les autres étapes sous la rubrique "Fermeture du puits" On constate que pour cette étape votre rapport n'analyse que les opérations reliées à la fermeture du puits et remise en état du site, donc en réalité tout ce qui peut survenir après dans un puits fermé est exclu de votre analyse. Les opérations usuelles reliées à la fermeture sont relativement limitées dans le temps. L'industrie n'a depuis toujours été peu intéressée et impliqué dans la gestion des puits après abandon (i.e. transfert à la collectivité du site et des installations enfouies).
Toute votre analyse de la portée environnementale s'arrête là où s'arrête la responsabilité légale des exploitants, aux étapes :
   Exploration -   Exploitation-production -    Distribution  -  Fermeture
Or même si c'est la norme dans cette industrie extractive d'arrêter les analyses là où s'arrêtent les responsabilités légales, il en va tout autrement dans la réalité des choses. Les puits abandonnés et bouchés ne disparaissent pas après les travaux de fermeture. Les fuites de méthane dans un gisement écrémé à seulement 20% du gaz présent dans la roche mère, se feront à partir du 80% du gaz qui reste après la fin de la production commerciale. Plutôt que de vous relater dans un long texte l'ensemble de mes questionnements, je vous invite à visionner cette présentation de vingt minutes:

Deux documents publiés en 2012 et 2013 vous intéresseront sans doute aussi: 
 Les hypothétiques gisements d’hydrocarbures non conventionnels au Québecmémoire déposé à la Commission sur les enjeux énergétiques   août 2013 ;
 Les dangers potentiels de l’Exploitation des Gaz et Huiles de schiste - Analyse des aspects géologiques et géotechniques Tiré à part des pages 173-185 du rapport final du Colloque du Conseil régional Île-de-France, 7 février 2012, Paris.

Vous n'êtes pas les seuls à avoir omis de votre cette étape de l'abandon des puits; presque toute la démarche de l'ÉES a été orientée dès le départ dans cette direction. Aborder le moyen et le long terme, ou même simplement l'évoquer comme mise en garde prudente dans la limite de la portée des études, ne fait pas partie du cadre de la Commission ÉES et je l'ai déploré fortement.

Avec mes salutations cordiales

Marc Durand, doct-ing en géologie appliquée et géotechnique
Professeur retraité, dépt. sciences de la Terre et de l'atmosphère, UQAM 
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réponse par courriel de Pierre-Olivier Roy, CIRAIG,     le 6 novembre 2013,  (extraits)
Objet : Rép : rapport GES1-1&EC2-3   août 2013
… pour en venir à l'excellent point que vous amenez,  nous avions (lors de la réalisation de ce projet) effectivement discuté de ce point à l'interne. Au final, à tort ou à raison, nous avons sciemment décidé de ne pas nous attarder sur cette problématique.  Toutefois, nous avons laissé ce passage dans les limitations qui, nous croyons, rejoint votre point de vue (voir page 56, section 3.5): 

"La problématique de la migration du gaz naturel des profondeurs vers la surface par les fissures du roc et résultant en une émission de gaz naturel à l’atmosphère. Il a également été considéré dans la présente étude qu’aucune fuite de gaz ne surviendrait après la fermeture définitive des puits. Sur une longue période de temps (centaines d’années), il est cependant plausible que les bouchons de ciment installés sur les puits ne soient plus étanches et laissent passer le gaz."

La première barrière afin d'évaluer cette problématique est bien entendu le manque de donnée sur la question; deux des trois sources que vous nous avez fourni (merci d'ailleurs) ont été rendu public après la remise du rapport au MDDEFP. Le sujet des gaz de schiste est très chaud et les études mettant en lumière de nouvelles informations sortent à un rythme endiablé; faisant en sorte que notre rapport sera caduc très rapidement (en nous en sommes conscient). En ce remettant au moment de la réalisation de l'étude, où l'article de O'Sullivan et Paltsev du MIT (2012) venait tout juste de sortir,  il était clair que l'industrie était incapable d'évaluer la taux production d'un puits et le temps de production (et donc la quantité de gaz libéré du schiste et qui resterait dans le puits après sa fermeture). Nous étions donc très mal à l'aise, à tort ou à raison, de fournir une valeur, qui ne proviendrait pas d'une base scientifique, de gaz naturel restante dans un puits et d'émettre une hypothèse sur la quantité qui pourrait potentiellement être libéré un jour (les sites d'exploitation du gaz naturel conventionnel sont aux prises avec le même problème) soit par la migration du gaz naturel via les failles naturelles du sol ou suite à la dégradation des bouchons de ciment. 

Au final, vous apportez un excellent point, qui, nous l'espérons, pourra être considéré, suite à la parution de nouvelles informations, dans les études futures de l'évaluation environnementale stratégique.


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ANNEXE – 2

Liste de quelques questionnements reliés aux puits après abandon:

1- Qu’y a-t-il dans la technologie des puits (acier?, coulis de ciment?) qui pourrait faire qu’ils soient éventuellement éternels? ou plutôt devoir durer aussi longtemps que le processus géologique de migration du méthane (et autres composants fluides)?

2- Quand s’arrête le processus de migration des fluides, méthane en particulier?

3- Quels documents ou études scientifiques peut-on citer pour confirmer cette valeur?

4- Quels seraient les coûts de réouverture-réparation d’un puits, inspection par instrumentation du tubage pour arriver à réparer et contrôler une fuite majeure?

5- D’où viendront les équipes spécialisées pour ce type de travaux et qui en sera le maître-d’œuvre?

6- Si les puits dont l’exploitation est terminée retombent dans le domaine public, de quel ministère relèvera le suivi?

7- Quel type d’inspection et à quelle périodicité sera-t-il mis en œuvre par ce ministère?

8- Quel sera le budget approximatif du service concerné par la gestion des puits?

9- Est-ce que les puits du domaine public seront inscrits au passif du gouvernement? Si oui, à combien évalue-t-on le passif d’un puits de gaz de schiste?

10- Est-ce que cette valeur négative sera compensée par un paiement équivalent exigé de l’exploitant avant d’autoriser le transfert à l’État de la propriété de l’ouvrage?

11- Dans une future loi des hydrocarbures, quelles dispositions particulières devraient régir les ententes entre les entreprises industrielles qui installent leur puits et les propriétaires de terrain qui les accueillent?

12- Dans cette même loi, quelles dispositions particulières viseraient les propriétaires voisins sous lesquels passent les portions horizontales des forages ainsi que l’extension des fractures qui sont créées?

13- Comment l’extension de la fracturation sera-t-elle mesurée?

14- Quelles mesures de suivi seront prévues dans les aquifères?

15- Quelles mesures de suivi seront prévues dans les cours d’eau alimentés par les nappes?

16- Quelles mesures de suivi seront prévues dans l’air des terrains au-dessus des zones fracturées?

17- Quelles sont les études scientifiques qui traiteraient de l’effet des composés du fluide de fracturation (le cocktail chimique pour les « slickwaters) sur la corrosion accélérée des aciers et coulis des puits?

18- Quelles sont  les études scientifiques qui traiteraient de l’effet des cycles de grande pression pendant la fracturation sur la résistance des aciers et celle des coulis des puits?

19- Quelles sont  les études scientifiques qui traiteraient de l’effet des réparations (opérations dites « squeeze » faites pour colmater les fuites sur les puits neufs (ex Talisman Leclercville No1), l’effet des perforations notamment, sur la corrosion accélérée des aciers et coulis des puits, au voisinage et résultant de ces perforations?

20- Pourquoi l’exploitant privé d’un bien public (les gisements d’hydrocarbures du substratum) n’est-il tenu qu’à déposer un rapport portant sur les travaux de forage, sans norme quant au contenu de ce rapport?

21- Pourquoi les erreurs flagrantes dans le contenu de ces rapports ne font l’objet d’aucun commentaire, remarque ou correctif une fois acceptés par le ministère (MRN)?

22- Pourquoi les compagnies bénéficient-elles d’un délai de 2 + 1 an pour déposer ces rapports de forage, alors que les effets sur le voisinage peut-être bien plus courts?

23- Pourquoi le dépôt des rapports des travaux de complétion des puits (fracturation hydraulique, monitoring, travaux de colmatage, etc.) est-il facultatif,   i.e. non obligatoire et laissé au bon vouloir des exploitants (en pratique donc, jamais déposés)? Ce sont pourtant les travaux les plus cruciaux!

Au Québec entre 2006 et 2010 sur les 29 puits forés, il y en a eu 18 qui ont été complétés jusqu’à l’étape de la fracturation. Ces fracturations du shale d’Utica ont donc modifié une propriété publique située sous des terrains privés. Le substratum est possédé par l’État et en fin de bail minier, il retourne en totalité dans le domaine public. Ces transformations par un exploitant privé disposant d’un bail, changent les risques pour la contamination de l’eau potable. Les questions 24 à 30 portent sur ces 18 cas de transformations d’un milieu naturel public.
24- Pourquoi n’y a-t-il aucun rapport, aucune analyse disponible publiquement des opérations de fracturation sur ces 18 puits?

25- Quelle a été la distance entre le haut de la fracturation et la limite inférieure de la nappe phréatique pour chacune de ces fracturations?

26- Quelle est l’extension latérale de ces 18 zones fracturées?

27- Comment le gouvernement s’assure-t-il de la validité et de la neutralité scientifique des valeurs concernées par les questions 25 et 26?

28- Le gouvernement dispose-t-il de cartes délimitant précisément en plan les étendues des zones fracturées, ou encore des relevés de monitoring microsismique faits pendant les opérations de fracturation?

29- Dans ces zones, de quelle données géologiques dispose-t-on? Avons nous par exemple des données précises et indépendantes sur la présence de fractures naturelles et de failles dans l’emprise des zones soumises à la fracturation?

30- Quel suivi le gouvernement exerce-t-il sur les migrations possibles de fluides (gaz méthane notamment) vers le bas des nappes en dehors des sites immédiats des têtes de puits, dans ces zones de shale ayant subi la fracturation?


ANNEXE – 3

L’EXPÉRIMENTATION - La durée de vie des structures - 

liern: Gaz de schiste 102 - l'Expérimentation expliqué en vidéo de 6 minutes:  http://youtu.be/_z2_j3Ap7wY

-   L’EXPÉRIMENTATION  - La durée de vie des structures

Une problématique très importante, mais méconnue de l’exploitation des shales gaziers, se rapporte à ce qu’il adviendra des puits après l’exploitation. Cette question doit être analysée très soigneusement, car il y a un élément essentiel qui  prend une importance considérable dans cette industrie nouvelle : le fait que la fracturation met en branle la mobilisation du méthane dans tout le volume de l’unité géologique. En même temps, on ne va extraire qu’une faible proportion de ce gaz. L’extraction ne se fait que pendant quelques années, mais la migration du gaz amorcée par la fracturation se poursuit pendant un temps au moins mille fois plus long. Le débit est très élevé initialement, mais il décroit sous un seuil où ce n’est plus jugé rentable de poursuivre l’extraction.

Dans un gisement de gaz classique, c’est-à-dire un gisement où le méthane s’est accumulé dans un réseau de fractures naturelles, on arrive à extraire 95% du gaz1. C’est parce que le roc qui forme ce réservoir naturel est très perméable et que pendant des temps géologiques, i.e. des millions d’années, le gaz a pu migrer vers cette zone.  Comme le gaz est déjà arrivé depuis longtemps dans la zone naturellement très perméable, on arrive donc assez facilement à l’extraire en quasi-totalité.

Ce n’est absolument pas ce qui arrive dans le cas où on tente d’extraire le gaz encore dispersé et toujours emprisonné dans un roc extrêmement peu perméable. On peut certes créer des fractures dans le shale par fracturation hydraulique, ou par une autre technique de fracturation. Le résultat est le même :  chacune des nouvelles fractures constitue une petite zone de grande perméabilité dans le shale. Le méthane et les autres fluides présents vont migrer vers ces fractures. Ce qui a pris des temps géologiques dans les gisements classiques, va se reproduire exactement de la même façon.  Comme toutes les nouvelles fractures sont créées pour ainsi dire ensembles, à ce nouveau temps zéro, on obtient un débit intéressant au départ. Mais il s’estompe très vite. Plus des trois quarts du méthane (80% selon l’Office National de l’Énergie)1 demeurent en place à la fin de l’exploitation; ce gaz ne se libèrera qu’après la fin de l’exploitation, donc quand les puits seront abandonnés. C’est très différent et cela pose la question essentielle : ce qu’il adviendra des puits après l’exploitation face à cette énorme quantité de méthane qui cherchera à trouver un chemin vers la surface. On crée avec la fracturation du shale et avec une technique d’extraction qui a un si piètre rendement de 20%, un énorme problème, totalement nouveau, pour lequel on a actuellement aucune réponse. Comment se comporteront les puits, c’est beaucoup plus précisément en fait, se demander comment se comporteront les éléments mis en place dans la courte étape de la fermeture et l’abandon des puits. Pour obturer un puits, l’industrie, en se conformant aux pratiques en vigueur, dépense entre 0,1 et 0,3% du coût du puits; c’est très peu et la durée de vie de ces obturations est à peu près inconnue, comme celle du reste de la structure des puits d’ailleurs.

Une expérimentation théorique: enterrer 20 000 bonbonnes de propane dans un grand champ. Disons qu’au départ chacun de ces contenants contient 80% de remplissage. On sait que ces bonbonnes ont une durée de vie qui n’est pas éternelle; on recommande d’ailleurs de ne jamais remplir une bonbonne datant de plus de dix ans.

Dans le champ, chaque année on en examine un échantillon et on porte en graphique le nombre de celles qui ont cédé.  On pourrait noter au moins deux critères: celles qui fuient manifestement un peu et celles qui sont totalement corrodées, fissurées, ou même qui ont explosé (un petit nombre sans doute des ruptures possibles). Prenons le cas des ruptures complètes mises en graphique ci-dessous:



Figure 1 - Distribution normale en forme de cloche des ruptures qui surviennent en fin de vie technique d’une structure, ou d’un ouvrage de génie civil.

On obtient une distribution classique en forme de cloche. La durée de vie moyenne des bonbonnes se situe dans la figure à 14 ans, au moment où se présentent le plus grand nombre de cas.  Mais on constate que sur les 20 000, il y en a quand même des ruptures dès la 2e année. À l’autre extrémité, certaines en petit nombre durent plus de 25 ans. Deux constatations à souligner:

- La durée de vie de 14 ans est une valeur qui exprime une probabilité statistique; la rupture dans un cas unique peut être plus faible ou plus élevée, mais la probabilité la plus forte se situe entre 10 et 18 ans.
- 100% des bonbonnes finissent un jour par céder si on laisse au temps, le temps de faire son oeuvre. Ça, c’est le plus inquiétant !

Dans la vraie vie si quelqu’un fait cette expérimentation, la sécurité civile va probablement intervenir, après les premières explosions. Les autorités vont clôturer le champ, mettre de interdictions d’accès, faire une étude d’intervention, puis finalement confier les travaux de “déminage” à une firme spécialisée, laquelle devra prendre de coûteuses précautions pour extraire une à une les bouteilles corrodées et très dangereuses à manipuler.  Entre temps, le dangereux fou est disparu aux Bahamas, la facture très élevée de ce gâchis va être payée par la collectivité.

Vous croyez que cette histoire d’expérimentation est tordue et farfelue?  Elle est sans doute tordue, mais bien moins en tout cas que celle que veulent entreprendre les compagnies gazières avec l’appui du gouvernement du Québec, dans 10 000 Km2  de la plaine du St-Laurent.

Sans connaître la durée de vie des puits, sans aucune évaluation des conséquences à long terme de leur rupture inéluctable, on prévoit installer 20 000 puits de gaz de schiste.  Il n’y a pas que les puits, il y a aussi 20 000 fois un très gros bloc de roc fracturé (représentés en vert dans la figure 2); entre 50 et 100 millions de m3 de shale modifié de façon irréversible pour chacun des 20 000 forages.


Figure 2  - Par grappes de 6 puits ou plus, on envisage d’extraire le gaz de toute la couche de shale d’Utica; avec entre 1 et 3 puits/ Km2 , on modifie totalement sa perméabilité.

De plus dans le cas des puits, ce n’est pas un seul champ qui est le lieu de l’expérimentation, mais bien une très grande partie de la plaine du St-Laurent, entre Montréal et Québec, dans le secteur patrimonial comptant les très beaux villages et paysages aménagés par les générations précédentes. Les tours de forage, les torchères, les compresseurs et les camions vont maintenant s’inscrire dans ce paysage.

Ce que va produire cette transformation radicale, on en a une petite idée pour ce qui se passe en surface : pollution des nappes par l’activité de l’industrie, lourde pression sur les infrastructures agricoles et villageoises, baisse radicale de la qualité de vie et de la valeur des terres au voisinage des structures industrielles, etc.

Mais plus en profondeur, on en sait très peu de chose. C’est la raison pour laquelle je désigne toute cette opération par l’expression l’EXPÉRIMENTATION, le titre de ce texte. J’affirme de plus que c’est une expérimentation déraisonnable, pire que celle du fou qui a enterré 20 000 bonbonnes de propane dans un champ. Ce n’est pas une petite quantité de combustible (4,5m3 en volume de gaz pour un réservoir de propane), mais bien 10 000 000 fois plus à chaque emplacement. La seule différence positive est que le méthane du roc va se dégager lentement et progressivement, alors que dans l’exemple des bonbonnes, il est libre dès le départ. Par contre, il aura été possible d’enlever les bonbonnes de propane du champ, mais il ne sera jamais possible d’enlever un forage du roc, encore moins les millions de fractures injectées de sable. C'est une opération irréversible et ses effets sont là à jamais.

Prenons une échelle de temps de l’ordre de la durée de vie des puits une fois qu’ils seront abandonnés. Ce qui est connu scientifiquement, c’est que le méthane qui reste encore dans le massif de shale, environ 80%, va continuer le processus géologique amorcé lors de la fracturation. À la fin de l’exploitation d’un puits, 20% seulement du gaz est libéré et extrait; il n’est plus rentable de continuer d’exploiter un puits après quelques années, car le débit est jugé devenu trop lent. Un puits fermé définitivement retombe dans le domaine public. C’est là que l’expérimentation commence, car on entre dans un domaine totalement inconnu. Les données de départ de l’expérience sont  assez claires cependant pour tenter de prédire ce qui se passera selon la plus grande probabilité:

1- Le shale contient encore 80% de son gaz, qui continue à vitesse lente à se libérer selon une courbe de diminution exponentielle. Des courbes de décroissance sont publiées pour les shales en cours d’exploitation aux USA.

2- Les puits fermés et abandonnées sont bouchés, en profondeur par du béton et en surface par une plaque d’acier. Entre le tubage et le roc foré, c’est du coulis poreux, celui mis en place lors de la construction du puits, qui sert toujours de bouchon. Même dans les puits neufs, ce coulis à l’extérieur du tubage a souvent montré des défauts laissant passer des fuites de gaz dans de nombreux cas. Pour traiter ces défauts, l’exploitant a dû perforer l’acier du tubage en plusieurs endroits en profondeur. Tous ces défauts vont être les parties de l’ouvrage qui vont se dégrader en premier. Les causes de la dégradation des puits et des fuites et ruptures qui en résultent sont bien connues3 dans le cas des puits classiques, i.e. ceux qui ne sont que des forages verticaux. Ces mêmes causes vont agir dans les nouveaux puits, mais avec plus d’ampleur.

3- Dans le cas plus critique des puits de gaz de schiste, il faut ajouter l’effet non évalué de la  fracturation horizontale jusqu’à 1000m (et plus ?) en extension du puits vertical. Quel est l’impact de l’environnement de shale ayant subi la fracturation hydraulique sur la durée de vie de l’acier et du coulis, les deux éléments structurels principaux des puits. Le shale auparavant étanche, est rendu un million de fois plus perméable par l’opération de fracturation; il libère certes du gaz, mais aussi beaucoup d’éléments emprisonnés dans le roc; radium, éléments minéraux en très haute concentration (salinité locale dans les eaux de ces massifs lorsque détectée : huit à dix fois celle de l’eau de mer). Tous ces éléments s’ajoutent à ceux du cocktail chimique du fluide de fracturation, dont le plus gros volume reste dans le roc fracturé.

4- Dans le cas plus critique des puits de gaz de schiste, il y a eu aussi des cycles de forte pression pendant la fracturation, et d’autres pendant l’exploitation.  L’impact sur la durée de vie des aciers et des coulis est certainement de réduire encore un peu plus leur durée de vie technique.

Avec ces quatre éléments, on peut déjà raisonnablement conclure que le facteur  1 va permettre la remise en pression des puits bouchés. La pression et la quantité de gaz faisant pression sur le bouchon vont aller en augmentant avec les années4. Les facteurs 2, 3 et 4 qui se rapportent aux puits indiquent qu’ils vont se dégrader lentement, mais sûrement. Quelle est la durée de vie technique moyenne des puits dans cet environnement souterrain, qui n’a pas encore d’équivalent étudié dans le monde? C’est la donne inconnue de cette équation. On ne peut donc pas prédire le devenir de chaque puits dans le temps, en termes de date pour l’apparition de fuites majeures. C’est là que l’expérimentation en vraie grandeur débutera. 


Figure 3  - Les participants volontaires et involontaires de l’EXPÉRIMENTATION.

Je dis que cette expérimentation ne doit pas se faire, et en tant qu’ingénieur, je ne signerais absolument pas les plans de l’ouvrage représenté à la figure 2; surtout si ce type de structure est destiné à être implanté en 20 000 exemplaires dans un territoire habité (figure 2).  Il y a actuellement dix-huit puits avec la fracturation; c’est déjà dix-huit de trop. Il n’y a aucune solution technique pour revenir en arrière. Qu’on le veuille ou pas, nous allons entrer dans l’expérimentation avec ces 18 structures, car elles sont là pour l’éternité, mais il est impératif de ne pas ajouter d’autres fracturation.

Il faut aussi éviter à tout prix d’entrer dans le plan d’affaire concocté par l’industrie avec l’accord du gouvernement, et modifier ce qui est présenté à la figure 3;  la modification la plus importante est de ne pas autoriser la mise en application de la norme actuelle menant à la fermeture des puits, qui implique un transfert de propriété  (compagnies -> collectivité). Ceux qui ont construit les 18 puits doivent être y être liés pour la durée de l’expérimentation, c’est à dire minimalement pour  99 ans, renouvelable tant et aussi longtemps que le méthane poursuivra le processus géologique de migration (ça peut être très long !). Je sais bien que très peu de firme subsistent au travers des siècles, mais imposer cette règle va régler le cas du gaz de schiste : aucune compagnie de va se lancer dans d’autre fracturation avec ça.

J’ai présenté l’exemple des bonbonnes, parce qu’il permettait de comprendre la question de durée de vie technique. Cela s’applique aussi à des puits, à la structure du puits, comme à la structure d’obturation ajoutée en fin d’exploitation. Ça tient combien de temps ce « bricolage », c’est la question qu’il faut se poser. Le terme « bricolage » pourra sembler exagéré pour plusieurs experts ici, car ces méthodes sont celles qui sont appliquées, réglementées et qui constituent actuellement la règle de l’art. Cependant en tant qu’ingénieur, je crois qu’appliquer aux nouveaux puits des procédures établies pour des forages classiques, cela devient bien un bricolage, car c’est tout à fait inadapté.

Au départ, on a un ouvrage conçu et optimisé pour extraire du gaz (figure 4A) – le puits d’extraction avec fracturation sur 1000 mètres à l’horizontale – on tente ensuite en fin de vie utile une transformation en une structure destinée à la fonction diamétralement opposée, c’est-à-dire retenir tout le méthane qui reste – le même puits et la fracturation de 50x109 m3 + un bouchon de béton + une plaque d’acier soudée + quelques autres ajouts (figure 4B).  Cette procédure est actuellement la norme, pour laquelle les compagnies dépensent habituellement moins de 1% du coût total de l’ouvrage. Aucune règle ne les oblige à plus; aucune compagnie ne peut à la fois être plus vertueuse que ses concurrentes et rester en affaire bien longtemps. Les règles de fermeture des puits horizontaux avec fracturation intensive du shale gazier sont totalement à repenser et reformuler.


Figure 4A : Puits d’exploitation en fin d’opération   -   B : structure convertie en puits d’obturation sur un réservoir de 50 000 000 m3 de méthane, encore présent.

En fonction des lois au Québec, les plans de forage et d’obturation des puits échappent à la loi des Ingénieurs. Donc ces ouvrages, avec les règles actuelles, peuvent être implantés sans qu’un ingénieur en approuve les plans. Je ne connais pas d’ingénieur qui accepterait d’engager sa responsabilité professionnelle pour garantir, à l’étape de l’abandon, l’étanchéité dans une durée infinie, d’un réservoir souterrain de 50 000 000 m3 de méthane avec les plans de forage actuels, des ouvrages qui de plus seront sans entretien, sans inspection, et masqués sous un site oblitéré en surface. On compare sur la figure 4  les millions dépensés dans la structure d’extraction, qui a une vie utile qui se compte en années - versus moins de 1% de ce budget pour une structure ajoutée qui modifie la première de façon sommaire tout en visant à modifier sa fonction de façon totale ; cette combinaison devra durer des siècles.

Mais cela se fait ailleurs, peut-on m’objecter. Même si ailleurs un fou décidait d’entreprendre l’expérimentation des bonbonnes, ça ne la rendrait pas plus raisonnable de la répéter ici. Nulle part dans le monde, on est rendu à l’étape « de l’après » dans le cas de l’industrie des shales gaziers. Aux USA on a lancé cette industrie il y a moins de dix ans; on n’est pas dans la période où l’expérimentation débutera réellement. Déjà cependant dans la période actuelle d’exploitation là-bas, on observe une forte augmentation de problèmes de sécurité liés à des puits en activité; ce sera pire quand ils entreront dans l’abandon. Plusieurs états aux USA sont en train de réexaminer ce dossier. Chacune des nouvelles études, apporte un éclairage nouveau sur cette industrie lancée dans la précipitation là-bas aussi.  Chaque contexte géologique est différent certes, mais lancer ici l’expérimentation en zone habitée, compte tenu de ce qui est probable comme résultats, est tout à fait irréfléchi. 

Marc Durand, doct-ing en géologie appliquée
Professeur retraité, dépt. Sciences de la terre, UQAM

Références citées;

1- Office National de l’Énergie, Nov. 2009, L’ABC du gaz de schistes au Canada, 23 p.

2- 2010.  AEberman,  Shale Gas—Abundance or Mirage? Why The Marcellus Shale Will Disappoint Expectations , http://www.theoildrum.com/node/7075

3- Maurice B. Dusseault, 2000, Why Oilwells Leak: Cement Behavior and Long-Term Consequences, SPE, Porous Media Research Institute, University of Waterloo, Waterloo, Ontario; Malcolm N. Gray, Atomic Energy of Canada Limited, Mississauga, Ontario; and Pawel A. Nawrocki, CANMET, Sudbury, Ontario, SPE International Oil and Gas Conference and Exhibition in China held in Beijing, China, 7–10 November 2000

4- Durand M, 2011,  Exploitation de puits gaziers classiques VS exploitation par forages à grande extension horizontale et fracturation hydraulique, Exploitation de puits gaziers classiques vs exploitation par forages à grande extension horizontale

5- Kent Caudle, 2011, Mitigating Corrosion in the Oil and Gas Industry. Well Servicing Magazine, January/February 2011.
ANNEXE – 4

Le temps imparti assez limité pour une présentation au BAPE doit être utilisé à bon escient. Je ferai dans le quinze minutes qui me sera accordé une synthèse de la partie centrale de mon mémoire (ppp. 1 à 17). Il y a cependant un autre point que je ne peux passer sous silence, car il y a eu devant cette commission une tentative pour discréditer à l’avance mon expertise et je me dois d’y répondre. Je fais donc ci-dessous, une réponse à des propos qu’a tenu monsieur Lamontagne, l’expert que le MDDEFP a délégué au BAPE pour ces questions.

Depuis trois ans, j'ai passé quelques milliers d'heures à faire une analyse des aspects géologiques et géotechniques du dossier de l'exploration et de l'exploitation éventuelle du gaz présent dans le shale de l'Utica. Lors des vingt-cinq ans comme professeur-chercheur au département des Sciences de la terre (UQAM), les paramètres géologiques, hydrogéologiques, géotechniques (d'ingénierie) des formations de l'Ordovicien dans les Basses-Terres ont été mon principal sujet de recherche (voir CV joint ci-dessous). C'est donc tout naturellement que je me suis intéressé au dossier Utica, dès 2010. J'ai publié plusieurs documents et mémoires, tout en continuant à titre bénévole une activité de vulgarisation scientifique sur les conditions géologiques et géotechniques du gaz de schiste. Ces documents sont disponibles en ligne  Articles importants à lire sur ce site - des explications scientifiques et techniques par un expert indépendant sur les cinq sites suivants dédiés à ce dossier:

Deux organismes m'ont de plus invité comme expert pour une confrontation dans deux débats scientifiques: le 12 juin 2012 à Sherbrooke (face à Michael Binnion et M. Lévesque, respectivement présidents de l'APGQ et AFSPG) et plus récemment en France le 25 octobre 2013 (confronté à un expert de l'Institut Français du Pétrole). J'ai fait également des présentations lors de colloques (École Polytechnique 12 octobre 2012 - Nature Québec 30 nov.2013, etc.) et lors d'une vingtaine de conférences.

Mes articles les plus significatifs (ceux publiés dans des actes de colloque évalués par des pairs) ont été envoyés en novembre 1012 à M. Robert Joly qui présidait la commission ÉES; il en a accusé réception le mois suivant par courriel. J'ai donc été fort étonné de voir que le 10 avril 2014 (DT12, p. 33 #1290) un fonctionnaire du MDDEFP, M. Lamontagne a tenu à mon sujet les propos suivants:

 1) Il a dit que je n'ai pas communiqué mes documents à l'ÉES, c'est FAUX. Certains sont dans la liste des documents consultés dans le cadre des travaux du Comité de l’évaluation environnementale stratégique sur le gaz de schiste

 2)  Monsieur Lamontagne me dénigre en disant "ce n'est pas de la science" sans apporter cependant de réponse aux questionnements et argumentation scientifique que je soulève dans mes documents.

Ces propos viennent d'un expert qui s’est présenté aux journées du BAPE prévues pour informer le public; je crois plutôt que ce fut un cas de désinformation assez flagrant. Je ne veux pas monter en épingle une question de personne, la mienne dans le cas présent. Je ne veux pas non plus en juin lors de mon 15 minutes de présentation en perdre 5 ou 10 à rectifier ce genre de propos qui visent la personne plutôt que l'argumentaire scientifique qu'elle propose.

Comme il y a eu lors de ces journées d'autres personnes qui ont pu rapporter plus ou moins correctement mes analyses dans le dossier du gaz de schiste, je crois utile d’informer directement le BAPE et je crois nécessaire de présenter aussi un aperçu de mon CV et de mon activité dans le dossier du gaz de schiste.

Marc Durand, doct-ing en géologie appliquée et géotechnique

Professeur retraité, département des Sciences de la terre et de l'atmosphère, UQAM

- Notes biographiques -  Bref CV de Marc Durand, doct-ing.

Formation:  Marc Durand a une formation d'ingénieur-géologue (B.Sc.A  et  Ing.) obtenue à Polytechnique en 1968. Il est membre de l'Ordre des Ingénieurs du Québec (OIQ) depuis 1968. Il a poursuivi par la suite ses études au niveau maîtrise à cette même institution (M.Sc.A 1969). De 1969 à 1972, il a étudié à l'École Nationale Supérieure de Géologie Appliquée (ENSG) en France pour y obtenir un diplôme d'ingénieur de la Section Spéciale de Géotechnique, tout en complétant une recherche et une thèse sur la géomécanique de shales, marnes et argiles du Trias; cette thèse a mené à l'obtention du diplôme de Doctorat-Ingénieur de l'ENSG.  De retour à Montréal fin 1972, il a poursuivi comme chercheur post-doctoral CRSNG à l'École Polytechnique de Montréal jusqu'en 1974.

Domaine d'expertise:  M. Durand a acquis une expertise depuis le diplôme Ing. de Polytechnique, essentiellement en géologie de l’ingénieur, géotechnique, géologie de l'environnement et en hydrogéologie. La recherche post-doctorale a porté sur les formations rocheuses de la plaine du St-Laurent, dans une étude des paramètres géotechniques des formations Ordoviciennes de la grande région de Montréal. Il a poursuivi ensuite une activité de recherche englobant tous les grands travaux d’infrastructures dans l’Île de Montréal et sur la rive sud (métro, tunnels collecteurs et émissaires, infrastructures du parc Olympique, etc.). Professeur-chercheur en géologie appliquée à l’UQAM pendant 25 ans, il a fait pendant toute sa carrière l’étude des questions géologiques en rapport avec les aménagements et les travaux d’ingénierie.

Carrière universitaire et autre:  M. Durand a été professeur-chercheur de 1974 à 1999 au département des Sciences de la Terre,  à l'Université du Québec à Montréal.  Il a contribué ainsi à former une partie non négligeable des géologues diplômés au Québec. Malgré cela, il évite de se désigner par le terme "géologue", car techniquement cette appellation est réservée au Québec pour les membres de l'Ordre des Géologues du Québec (OGQ), un organisme créé après sa prise de retraite.  La formation en ingénierie est plus longue et plus complète qu'un bacc en sciences pures. Les géologues formés à l'UQAM ne peuvent donc être admis à l'OIQ. C'est de ce besoin d'encadrer la pratique de la géologie qu'est née la création en 2001 de l'OGQ, dont il a appuyé la création dans les années de gestation de ce projet. Ayant un bacc, une maîtrise, un doctorat et un post-doctorat en géologie appliquée, ayant dirigé de plus pendant dix ans les programmes de Maîtrise et Ph.D en géologie, il a donc passé à l'occasion pour un "géologue" et encore fréquemment certains médias le désignent ainsi, mais c'est en tant qu'ingénieur-géologue, expert dans les questions géotechniques touchant le shale d'Utica et les autres composants de la géologie Ordovicienne de la plaine du St-Laurent, son domaine d'expertise et de recherche, que Marc Durand poursuit intense activité de recherche dans le dossier des shales gazéifères et des gisements non-conventionnels de pétrole dans les roches mères. Il est à ce titre un des rares experts indépendants dans le dossier des shales et hydrocarbures de roche-mère. Il a été invité à exposer ses recherches auprès du comité OPECST (1) de l'Assemblée Nationale à Paris en octobre 2013. À titre d'expert également en février 2012, il a été invité avec Normand Mousseau et deux chercheurs du MIT (Boston) à faire une présentation au Colloque (2) du Conseil scientifique de la région Île-de-France (Organisme regroupant les universités et centres de recherche de la région de Paris). Certains documents du professeur Durand ont été traduits en anglais et en polonais. Il a été collaborateur pour deux volumes récents traitant du gaz de schiste, un en France (3), l'autre au Québec (4).

Références:

1- L'OPECST, le comité scientifique de l'Assemblée Nationale à Paris


Monsieur Lamontagne, que le MDDEFP a délégué au BAPE comme expert, m’a aussi impliqué dans une réponse faite au commissaire. J’ai également apporté un rectificatif détaillé à ces propos, dans un texte publié sur la Toile, car la question du commissaire portait sur le problème le plus fondamental dans la question de l’exploitation du gaz de schiste:      Le rôle de la pression hydrostatique pour maintenir le méthane dans le shale

Lors des présentations du BAPE le 10 avril 2014*, il y a eu une question bien pertinente sur la possibilité qu’il y ait des fuites de gaz dans les puits après leur fermeture : le commissaire demande à l’expert du MDDEFP « quelle quantité sort lorsqu’on ferme le puits et qu’on a fini d’extraire les pressions qui sont intéressantes à exploiter? »

L’expert répond : «Ce n’est pas une préoccupation ailleurs, parce que c’est une mauvaise interprétation de la science. Si on remplit le puits d’eau, la colonne d’eau va générer plus de pression que la roche en bas qui veut libérer du gaz naturel. O.K.? Le mille mètres (1 000 m) d’eau dans la colonne d’eau va pousser plus fort contre la roche que le gaz dans la roche va pousser pour sortir dans le puits. Le raisonnement de monsieur Durand est faux. » (DT12, p. 33 #1310)

C’est assez catégorique comme explication et en plus, on «fusille d’avance» tout ceux qui penseraient autrement. Quel est donc le rôle exact de la pression hydrostatique par rapport au méthane qui fuit. Lors de ses longs témoignages, cet expert a donné des chiffres pour des fuites mesurées dans certains puits de la Montérégie qui sont actuellement sous la supervision de son ministère. À noter que tous ces puits sont fermés actuellement; il y a donc dans ces puits une colonne d’eau qui génère une pression hydrostatique. Cela s’applique dans ces puits comme dans celui de la figure ci-dessous. Comment alors expliquer des fuites si la colonne d’eau pousse plus fort ?



Figure 1  Schéma de fuite de gaz dans l’espace annulaire d’un puits.
Des données de la figure sont tirées du document DB12 du BAPE **

La profondeur sous la nappe h multiplié par le poids volumique (ɣ :  poids/unité de volume, i.e. pour l’eau douce on prends 1 tonne/m3) donne la valeur de la pression hydrostatique : P = ɣ.h

À la profondeur de 1000 m par exemple, que ce soit au fond d’un lac ou bien au fond d’un puits dans l’eau qui est dans l’espace poreux entre le tubage et le roc, on aura dans les deux cas 100 bars de pression. On devrait préciser ‘environ’ 100 bars, car nous simplifions ici un calcul plus complexe qui devrait tenir aussi compte de la densité réelle de l’eau (plus que 1,0 si elle est saline et aussi sous pression, etc.). Une bulle de méthane qui se crée dans la vase argileuse au fond d’un lac a exactement la même pression que celle de l’eau au fond de ce lac. La poussée de l’eau n’empêche absolument pas la bulle de remonter vers le haut.

La figure 1 montre dans la zone sous la loupe trois bulles de méthane : 1 est emprisonnée dans la porosité du shale dissoute dans le fluide local,  2 est en bordure d’une fracture et s’apprête à remonter le long du tubage, 3 est une bulle arrivée dans l’eau du puits. Toutes ces bulles de fluides sont comprimées par la pression ambiante. Le méthane peut remonter le long de conduits poreux remplis d’eau en raison d’un paramètre : son poids volumique, ou sa densité plus faible que celle de l’eau. La pression de l’eau n’a aucun effet sur ce phénomène à l’origine des fuites.

Le méthane est même moins dense que l’air, (figure 2), donc il remonte vers le haut dans l’eau, et même dans l’air, pour une seule raison : le contraste de densité. La pression de l’eau n’est pas la cause. Archimède a tranché cette question scientifique il y a plus de 2000 ans.




Figure 2  Combien pèse un mètre cube de méthane?  de CO2?  d’air? À la pression normale ici; cela varie avec la pression comme pour tous les fluides. Pour l’eau pure (non représenté) c’est 1000 Kg/m3 (à la température 4°C et à la pression normale).

Si on comprend bien que la bulle No 3 va remonter et que la 2 va la suivre également, qu’en est-t-il de la bulle 1 encore prise dans le shale. Elle est comprimée par une pression encore plus élevée que la pression hydrostatique de l’eau; elle avoir comme pression interne la valeur que lui donne le poids du roc qui surmonte toute cette couche de roc. C’est ce qu’on nomme la pression lithostatique. Cette pression est approximativement égale au poids des roches surincombantes dont la densité est environ 2,8 fois celle de l’eau. À 1000 m de profondeur, la pression peut donc être estimée a priori à 280 bars. Les pressions et contraintes (forces/unité de surface) dans le roc sont plus complexes à évaluer, car on a alors un milieu solide. Nous n’entrerons pas ici dans les neuf composantes des tenseurs de contraintes et des modules de déformations associés. Préoccupons nous seulement de la bulle No 1 ; la pression du fluide dans les pores confinés du shale  peut être n’importe quoi entre la valeur lithostatique et la valeur hydrostatique (entre 100 et 280 bars dans notre exemple).

Une chose est certaine, cette bulle No 1 a une pression plus grande que 100 bars et il y a un gradient de pression positif entre sa position et la sortie. Le fluide 1 va suivre le chemin des deux précédentes, et ainsi de suite de proche en proche, le shale libère le méthane sous haute pression dans sa matrice. Le processus est le même, tant pendant la production commerciale que lorsque le puits est fermé et abandonné; tant qu’il reste du gaz en pression dans la matrice du shale, ce gaz va chercher à migrer. Cela se fait en grands volumes pendant les premières années commercialement intéressantes en terme de débit. La pression de l’eau ne pourra jamais pousser plus fort que la pression du gaz de shale.

Cette évidence existe déjà dans la nature. Par exemple, si une faille ou fracture perméable existe dans le roc (une est montrée à gauche sur le figure 1), le méthane peut suivre cette voie naturelle et remonter jusqu’en surface. Vu le grand âge de cette discontinuité, le débit de méthane se situe à de très faible valeurs sur une queue courbe de débit en décroissance exponentielle depuis des siècles; mais la fuite naturelle existe et on retrouve à l’occasion des indices de méthane thermogénique ayant remonté jusque dans le bas d’une nappe phréatique. Si la voie de communication existe, l’eau la remplit, mais le méthane remonte; encore là aussi c’est seulement l’effet des contrastes de densité qui jouent, car à toute profondeur pendant la remontée, les pressions s’équilibrent. L’eau qui pousse plus fort sur le gaz, pour l’empêcher de sortir vers la fracture, c’est une théorie fumeuse, indigne d’un témoignage devant le BAPE.


N.B. Ce texte est le douzième d’une série de réponses données à des questions techniques:
Réponses à neuf questions techniques
1) La pertinence de la solution Gaz de Schiste  VS Charbon.
2) La pollution des nappes de surface.
3) Les liens entre fracturation hydraulique et contaminations des nappes.
4) Les fuites de méthane.
5) La pression dans les puits au moment de l'abandon.
6) Le contrôle de la fracturation hydraulique.
7) La réalité sur l'épaisseur de couverture pour protéger les nappes.
8) L'extension réelle de la fracturation hydraulique.
9) Les séïsmes induits par la fracturation hydraulique.
10 - Fuites de méthane dans les puits gaziers 
11 - Est-ce que les failles sont vraiment des "autoroutes" pour la circulation d'eau souterraine? Ou sont-elles recimentées et donc imperméables comme le soutiennent des experts de l'industrie?


N.B. Ce mémoire est disponible à deux autres sources sur l'Internet: 

- sur mon profil ResearchGate où il aura bientôt été consulté près de d'un millier de fois sur ce site:

- Sur le site du gouvernement (BAPE: je n'ai pas ici le nombre de consultations): DM99.pdf

vendredi 10 janvier 2014

Analyse critique du manifeste pro pétrole de Landry et al. Janvier 2014

Le texte Manifeste pour tirer profit collectivement de notre pétrole A. Bisson, B. Landry et al, janvier 2014,  propose quelques prémisses de nature économique, certaines vérifiables (dette du Québec, vieillissement de la population, etc.) d'autres absolument non vérifiées et hautement spéculatives ("des milliards de barils seraient disponibles à l'Île d'Anticosti") pour lancer un appel en faveur de l'exploration/exploitation du pétrole au Québec.

Ce n'est pas là une analyse bien rigoureuse, car on y retrouve essentiellement le sophisme assez simpliste: 
1) le Québec a besoin d'argent  - (OK rien à redire à ça )
2) le pétrole génère de l'argent - (dans des gisements rentables, mais pas automatiquement n'importe où...)
3) le Québec dispose de pétrole - (un peu vite en affaire ici ! )
4) ce pétrole va créer des retombées économiques majeures pour le Québec - (faux)

À l'appui de cette "démonstration", le manifeste a comme sources six références: 1 et 2 traitent de la dette provinciale, 3 un texte sur le vieillissement de la population une spécificité québécoise (ailleurs, on ne vieillit pas ?), 4 et 5 deux références sur le déficit commercial;  finalement 6 un texte sur l'industrie pétrolière de l'Ohio, produit par deux auteurs fortement liés à cette industrie que le manifeste cite improprement comme "les autorités" de l'État: " en Ohio, pour une formation géologique similaire à celle de l’Île d’Anticosti, les shales d’Utica, les autorités ont estimé …". Or ce texte de 2011 est écrit par:
- Ohio Oil and Gas Energy Education Program. OOGEEP is voluntarily funded by Ohio’s crude oil and natural gas industry through a voluntary assessment on the production of all crude oil and natural gas produced in Ohio. OOGEEP is not a state agency    (http://oogeep.org)
- et un bureau privé de marketing: Kleinhenz & Associates, Ltd. Wealth Management
On ne peut, à partir de cette source, confirmer l’existence de milliards de barils à Anticosti. On ne peut pas seulement parler de barils disponibles comme le font les auteurs du manifeste, sans aucune analyse des coûts. À la colonne des revenus, il faut ajouter la colonne des dépenses. Or à Anticosti, les coûts estimés dépassent de loin les revenus potentiels. Il y a peut-être 40 milliards de barils en place, mais comme au Dakota, c’est environ 1,2 % qui est peut-être récupérable par les puits. On récolterait donc à 100 $/baril un peu moins de 50$ milliards, en supposant bien sûr que la totalité de l’île serait exploitée. Cela demanderait au minimum 12 000 puits d’extraction qui ont un coût unitaire de 10$ millions chacun, ce qui donne des dépenses de 120 milliards de dollars. Personne ne va suivre les promoteurs avec ces estimations largement déficitaires. Personne n’investira 120$ milliards pour espérer récupérer 50$ milliards de production (Les hypothétiques gisements d'hydrocarbures non conventionnels au Québec).

Le manifeste recommande que l'exploration/exploitation se fasse sur de hauts standards de protection de l’environnement. Il n'est même pas nécessaire d'en demander autant pour exclure la quasi totalité de l'Île d'Anticosti, car la structure géologique du gisement Macasty ne permet pas d'y fracturer le shale en appliquant simplement les standards les plus ordinaires, notamment la norme de 1000m entre le bas des nappes et le haut de l'extension de la fracturation hydraulique que l'industrie se vante de respecter aux USA. Bien loin d'envisager des hauts standards, le MDDEFP tente plutôt d'abaisser cette obligation à moins de 400m dans une règle sur mesure pour contourner à Anticosti cet obstacle géologique. Les auteurs du manifeste n'ont apparemment aucune idée de ce qu'impliquent leur phrase. Ajouter dans leur texte "hauts standards de protection de l’environnement" est certainement placé là juste pour faire joli.

Supposons l'existence (ce qui n'est pas le cas) d'immenses réserves de pétrole en Gaspésie; l'analyse rationnelle d'exploiter ou pas n'aurait rien à voir avec les prémisses invoquées dans le manifeste. Supposons a contrario que le Québec serait riche, sans dette, sans vieillissement de la population, etc, on prendrait aussi assurément la décision d'exploiter cette ressource indépendamment de toutes les raisons invoquées dans le manifeste; mon petit neveu ado me dirait juste ça n'a pas rap!  Et il aurait raison.  On pourrait aussi aligner les mêmes prémisses pour invoquer la nécessité d'exploiter n'importe quelle autre ressource (ex. la forêt boréale) qui n'aurait aussi  pas rap  avec les prémisses; … et y accoler le même type de conclusion.

À la fin du manifeste les auteurs écrivent: "Nous lançons un appel à l’ensemble des parties prenantes de la société pour qu’elles fournissent des informations vérifiées et qu’elles évitent d’entretenir ou de nourrir des craintes non justifiées uniquement pour contribuer à la défense de leur cause".  Fort bien ! Mais hélas faudra attendre encore un peu, car ce n'est certes pas leur document actuel qui apporte des informations vérifiées
J'ajoute donc mon propre appel: "  à l’ensemble des parties prenantes de la société pour qu’elles fournissent des informations vérifiées et qu’elles évitent d’entretenir ou de nourrir des illusions économiques, basées sur des chiffres farfelus fournis essentiellement par des promoteurs, pour contribuer à la défense d'intérêts financiers immédiats au détriment des générations qui suivront."

N.B. Ce texte a été soumis au Journal Le Devoir qui l'a retenu pour le publier dans la section Actualités Économiques de son édition du 10 janvier 2014. Comme le journal n'affiche pas les liens hypertextes, nous avons placé sur notre page cette version complète avec ces liens actifs (soulignés en bleu) vers les documents cités.

mercredi 4 septembre 2013

Les hypothétiques gisements d’hydrocarbures non conventionnels au Québec - risques et enjeux

Le texte ci-dessous est un document qui apparait sur le site de la Commission sur les enjeux énergétiques. Certains hyperliens dans la liste des références citées ne semblent pas y être fonctionnels; nous reproduisons ici le document déposé le 22-08-2013, en remettant actifs les liens dans la liste des références.
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Marc Durand, doct-ing. en génie géologique, août 2013

Les hypothétiques gisements d’hydrocarbures non conventionnels au Québec - risques et enjeux

Nous analyserons de façon générale la problématique des gisements d’hydrocarbures de roche-mère dans la première partie de ce mémoire. Dans la 2e partie du document, nous présenterons une analyse spécifique du cas du pétrole dans le shale Macasty à Anticosti. Le document de consultation[1] ne traite pas de la question du gaz de schiste du Québec, mais mentionne p. 71 pour ce type d’hydrocarbure  l’impact environnemental des sources non traditionnelles. Pour le pétrole, le gisement d’hydrocarbure Macasty de roche mère d’Anticosti est nommément mentionné; il est inclus dans cette citation « Ces estimations représentent des centaines de milliards de dollars en valeur potentielle et, selon le régime de redevances et la structure de propriété des sociétés d’exploration et d’exploitation, cela pourrait représenter des dizaines de milliards de dollars de revenus pour les Québécois » p.75 réf.[1]. Nous traitons donc ici des gisements de roche-mère, tant de gaz (méthane en grande partie) que de pétrole ; dans le dernier cas, on oublie très souvent que le gaz est également présent dans les gisements de pétrole comme dans le gisement Macasty à Anticosti et qu’il constitue de ce fait un problème majeur.


Partie1 - Les "nouvelles" énergies fossiles: un pont pour la transition énergétique?

Les hydrocarbures de roche-mère (pétrole diffus, gaz de schiste) constituent la nouvelle cible de l'industrie pétrolière. Dans la problématique de la consommation d'énergies fossiles et du réchauffement climatique, on nous présente souvent ces énergies comme un "pont" pour une nécessaire transition vers des énergies plus vertes. Le gaz de schiste, dit-on, serait la ressource dans une étape de transition entre nos énergies de combustibles fossiles classiques,  et les énergies renouvelables que l'humanité devra impérativement développer.



Jamais mensonge n'aura été plus gros! Tant de la part de l'industrie que des politiciens qui continuent de véhiculer cette image des plus fausses. Au Québec par exemple pour nommer une commission du BAPE, le gouvernement en lui donnant son mandat l'a intitulé "Développement durable de l'industrie des gaz de schiste au Québec" ; exploiter un combustible fossile, donc non renouvelable, est au départ l'antithèse du développement durable. Les gouvernements ont peut-être beaucoup plus d'experts dont la tâche est de soigner l’image, que d'experts scientifiques.

Qu'en est-il du pont ? La consommation effrénée des combustibles fossiles a amené la planète à dépasser 400ppm de COdans son atmosphère. Toute poursuite de cette hausse entrainera des impacts absolument catastrophiques, y compris des impacts économiques dommageables, reliés entre autres à la hausse du niveau de la mer ; elle pourrait devenir significative d'ici la fin du siècle. L'humanité doit faire un virage complet et urgent dans ses choix énergétiques. Ceci est admis par toutes les parties, sauf quelques irréductibles négationnistes dans la frange la plus à droite chez les républicains américains et parmi une certaine frange conservatrice au Canada. En attendant d'arriver de l'autre côté de cette transition, l'industrie pétrolière voit certaines ressources domestiques de gaz et de pétrole conventionnel se tarir ; elle se lance dans l'exploitation de gisements de plus en plus marginaux. Il y a trois paramètres nouveaux qui entrent alors dans l'équation:

1) Pour exploiter du gaz et du pétrole, il faut aussi en dépenser une certaine quantité, celle qu'utilisent les foreuses, les véhicules de transport, les usines de raffinage, etc.; la proportion pétrole requis pour produire/pétrole produit est relativement faible dans les gisements conventionnels. Cette proportion augmente considérablement dans le cas où il faut fracturer des formations géologiques entières pour en extraire du gaz ou du pétrole, parce qu’ils sont là finement disséminés dans la roche-mère. Il faut maintenant dépenser le sixième ou même le quart de l'énergie qu'on va produire. Exploiter ces hydrocarbures disséminés pollue déjà beaucoup au site d'extraction, avant même que le gaz ou le pétrole soit utilisable.

2) À cela s'ajoute le fait que ce sont des étendues de plusieurs milliers de Kmqu'il faut perturber pour exploiter, car la ressource est diffuse et finement disséminée dans toute l’étendue d'une couche géologique. Ce ne sont plus des gisements localisés qui sont exploités, mais des régions entières qui en subissent les impacts.

3) Finalement le troisième élément nouveau à prendre en compte n'est pas le moindre: l'efficacité de l'extraction. Dans les gisements de pétrole et de gaz conventionnels, les hydrocarbures sont trouvés dans des concentrations naturelles, des pièges en quelque sorte localisés dans des zones ou des strates poreuses et perméables. Le pompage est facilité par cette condition naturelle du gisement; l'efficacité de l'extraction est élevée, car le pétrole et le gaz circulent facilement. Le taux de récupération est aussi très élevé: 50 à 95%. En fin d'extraction, les conditions souterraines (hydrogéologiques notamment) du site sont sensiblement celles qu'elles étaient avant l'implantation des forages; la seule différence notable est qu'il y a dans la strate moins de pétrole et de gaz après qu'avant. Dans le cas d'hydrocarbures de roche-mère, l'exploitation n'est possible qu'en apportant une modification extrême de la strate; l'imperméabilité qui emprisonnait les hydrocarbures depuis des centaines de millions d'années doit être radicalement modifiée. La fracturation artificielle change de façon irréversible la perméabilité de la roche. Le pétrole et le gaz commencent alors à s'écouler par ces nouvelles fractures ouvertes. Cet écoulement est rapide initialement, mais il diminue rapidement et de façon significative. Après quelques années, il ne fournit plus un débit rentable.

Les gisements conventionnels que la nature a créés se sont formés par le même phénomène d’une lente migration de gaz et de pétrole au cours de siècles, plutôt de milliers, voire de millions d'années. Créer des fractures nouvelles dans une strate de roche-mère en un instant donné amorce ce même processus, mais ne le change pas fondamentalement ; il n'est pas possible de l'accélérer. L'efficacité de l'extraction se limite à une petite portion de ce que contient la roche-mère. Le taux d'extraction mesuré dans l'industrie du gaz de schiste est de 10 à 20 % du méthane en place. Pour le pétrole dans le shale, c'est un taux dix fois moindre: 1 à 2% du pétrole en place est récupéré pendant les quelques années où le débit est satisfaisant. Que se passe-t-il ensuite?  Le gaz (80%) et le pétrole (98%) qui restent continuent lentement à migrer dans ce shale transformé par la fracturation. Il n’y a aucune possibilité en fin d’exploitation d’arrêter ce processus ; on ne peut que boucher le conduit des puits, mais on ne peut intervenir sur le grand volume (entre 50 et 150millions de m3/puits) du roc rendu très perméable et fracturé. 

Il y a donc là, entre l’avant et l’après exploitation une différence radicale qui n'existait pas dans le cas des gisements conventionnels. L'extraction partielle d'une nouvelle source étendue de combustible fossile ne sera pas sans conséquence: l'écrémage de ces hydrocarbures laissera en place des quantités énormes de méthane dans des strates radicalement transformées. Ce gaz pourra trouver des voies de circulation vers les nappes phréatiques, mais également vers l'atmosphère, par les fractures et après un certain temps par les conduits mêmes des puits abandonnés. Ce n'est pas le scellement des puits en fin de production qui va changer la donne; ces scellements ont des durées de vie bien moindre que ce qui serait requis [2]. Ouvrir toutes ces nouvelles sources d'émission de méthane, un gaz à effet de serre autrement plus nocif que le CO2, va contribuer au réchauffement climatique avec une ampleur significativement plus élevée que la combustion des combustibles fossiles conventionnels. On sait maintenant que les fuites existent déjà dès les premières années, celles où les opérateurs contrôlent les puits ; d’après les premiers estimés les fuites représentent jusqu’à 9% de la production [3]. Ces fuites vont continuer bien longtemps après que la production aura cessé.

Ces trois conditions modifient considérablement la perspective dans laquelle il convient d’aborder la poursuite de l'exploitation des énergies fossiles contenues dans les sources non conventionnelles. L’exploitation des hydrocarbures roche-mère ne constitue aucunement un « pont » ou une transition, mais un énorme bond en arrière:

      Échelle de pollution: le pire à gauche,  le plus vert à droite: 


Passer de (2) à (1) pour aller vers (3) est une aberration, certainement pas un "pont". Faut-il exploiter jusqu'à les dernières gouttes de pétrole sur terre, simplement parce que des exploitants pourront y trouver une rentabilité à court terme? "La civilisation a évolué par des étapes significatives souvent en fonction des ressources et des techniques, mais quand l'humanité a quitté l'âge de pierre, ce n'était pas par manque de pierre" [1].

 [1] Une reformulation d’une citation attribuée au ministre saoudien du pétrole lors du premier choc pétrolier.


Partie 2 – Les gisements hydrocarbures non conventionnels au Québec

Le gaz de schiste dans l’Utica et le pétrole diffus dans le shale Macasty à Anticosti ont cette particularité commune : contenir des hydrocarbures diffus dans toute leur masse. La fine porosité et la très faible perméabilité de ce shale (Macasty et Utica sont deux entités stratigraphiques équivalentes dans le temps géologique) emprisonnent de façon efficace les hydrocarbures depuis 450 millions d’années. En mesurant l’épaisseur et la superficie du shale, ainsi qu’en estimant le pourcentage de matière organique transformée en hydrocarbure dans la roche, on est arrivé à estimer qu’il y aurait un peu plus de 40 milliards de barils (= 7 milliards m3) de pétrole à Anticosti.

Il est tout à fait irresponsable de multiplier les quantités d’hydrocarbures en place par la valeur actuelle d’un baril de pétrole ($100 x 40 milliards !) comme on a jusqu’à maintenant eu tendance à le faire dans bien des milieux. Une faible portion de ces hydrocarbures serait éventuellement récupérable par fracturation hydraulique : 1 à 2% dans le cas du pétrole dans le shale, c’est-à-dire dix fois moins que le taux de récupération (10 à 20%) dans le cas du gaz de schiste.

Malgré ce faible taux de récupération, le pétrole de roche-mère est actuellement en production au Dakota Nord et il y crée un « boom » économique. Certains rêvent de reproduire ce boom de production au Québec dans un gisement du même type à Anticosti. Mais il faut bien réaliser que c’est en raison de législations permissives et au détriment de l’environnement que les coûts d’extraction et de transport rendent possible cette production dans certains États américains.

Le document de présentation de la CEÉQ [1] reprend pour le pétrole du Macasty des estimés très optimistes (ex. : taux de récupérationde 2 à 5%) qui sont en fait ceux qui sont avancés par les promoteurs privés. L’étude commandée par Pétrolia [4] de laquelle on a tiré l’estimé des volumes de pétrole en place mentionne pourtant, en introduction comme en conclusion, qu’on n’a pas observé de pétrole liquide dans aucun des 20 forages analysés :
« No moveable oil has yet been discovered within the Macasty Formation on the island » p.2, réf. [4]
« no oil or gas has yet been recovered from the Macasty shale through testing » p.8, réf. [4].

Le gisement pétrolier dans le shale Bakken au Dakota est souvent cité comme exemple. Il possède une différence fondamentale avec le Macasty : c’est un gisement qui était exploité de façon conventionnelle avant l’introduction de la fracturation hydraulique en 2008. C’était déjà un champ de production de pétrole marginalement productif ; on avait donc là des preuves bien concrètes de la présence de beaucoup de «moveable oil». 

Depuis 2008, on a déjà foré plus de 9000 puits dans le Bakken et ce nombre pourrait atteindre à terme 50 000 puits. C’est un gisement plus étendu que celui d’Anticosti et le volume en place de pétrole est estimé à dix fois la valeur du Macasty. Nous avons là bien plus de données que celles fournies par l’analyse de 20 puits dans la référence citée [4]. Le taux de récupération dans le Bakken est 1,2% comme l’indique le tableau ci-dessous tiré de la référence [5]. 


Tableau 1. Paramètres des principaux gisements de pétrole de roche-mère aux USA, Sandrea 2012, réf. [5].

À l’exception du gisement Elm Coulée, la majorité des valeurs de taux de récupération sont de cet ordre. Pour le gisement potentiel d’Anticosti dans lequel il n’y a pas encore aucun forage ayant permis de récupérer du pétrole liquide, il est totalement irréaliste de tabler sur un taux de récupération plus du triple («… 2 à 5 % seraient récupérables avec les techniques actuelles» [1] p.74) de celui qui est calculé dans le Bakken.

En fonction des caractéristiques géologiques du gisement du shale Macasty, des données fragmentaires qu’on peut comparer à celles des autres gisements de pétrole de roche-mère aux USA, la valeur réaliste et prudente d’un taux de récupération à prendre en compte à cette étape de l’analyse serait plutôt 1%. C’est cette valeur que nous utiliserons dans la suite du texte.

Un grand laxisme dans la réglementation locale du Dakota permet le brulage à la torchère du gaz associé au pétrole dans le gisement Bakken. Près du tiers du gaz extrait est brulé sur place; c’est une quantité qui représente 260,000 millions de pi.cu/jour [6]. Cette situation résulte du manque de capacité des gazoducs en place, du faible prix du gaz et des distances de transport vers des débouchés potentiels. Seul le pétrole intéresse les exploitants.

Qu’en serait-il à Anticosti où il n’y aurait bien moins de possibilités économiques envisageables pour transporter et commercialiser le gaz? La réglementation actuelle au Québec à propos du torchage n’est guère reluisante, même en la comparant à celle du Dakota :
   « Aucune redevance n'est exigible sur le pétrole, le gaz naturel ou la saumure utilisés sur place par le locataire à des fins de forage ou de production ou sur le gaz naturel brûlé à l'air libre.» [7]
On constate que le torchage sur place bénéficie par la loi du Québec d’un avantage économique pour le producteur de pétrole : on peut le bruler gratuitement.

Les estimés des quantités de gaz associé au pétrole dans le shale Macasty n’ont pas beaucoup retenu d’attention, car le gaz présente peu d’intérêt économique dans ce contexte insulaire. Les estimés relatifs au gaz n’ont pas été faits par les promoteurs, mais cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas en faire. 


Figure 1. Gisements de roche-mère VS gisements conventionnels (modifié de la réf. [8]).

Le gaz et le pétrole qui se séparent dans les gisements conventionnels, sont à l’origine intimement associés et présents dans la roche-mère (figure 1). Il n’est pas possible en exploitant les gisements non-conventionnels de n’extraire que le pétrole, sans le gaz. En fait la fracturation va libérer bien plus facilement le méthane que le pétrole,  dans un gisement comme le Macasty.


Tableau 2. Rapport Gaz/Pétrole dans le shaleMacasty   réf. [9].



Tableau 3. Rapport Gaz/Pétrole dans le shale Bakken   réf. [10].

Des données certes fragmentaires (tableaux 2 et 3 ci-dessus) montrent que le rapport gaz/pétrole pour le Macasty (40,9/27,8 = 1,47) est plus du triple que celui mesuré dans le Bakken (16,6/42,7 = 0,39). Nous avons présenté dans la conférence [8] les estimés pour la quantité de gaz dans le gisement Bakken; le volume de méthane (52 Gm3) [note 1] est le double de celui du pétrole (25 Gm3). Les volumes de gaz sont présentés aux conditions standards ; dans la roche-mère le méthane occupe un volume bien moindre car il est fortement comprimé. Il est raisonnable d’estimer à cette étape-ci le volume de méthane dans le Macasty à une valeur entre trois à huit fois celle du pétrole en place, qui lui est évalué à 6 Gm3.

Dans la fracturation de la roche-mère pour libérer les hydrocarbures emprisonnés, le gaz se libérera bien plus rapidement que le pétrole et en plus grande proportion de ce qui est en place (~1% du pétrole en place - vs - 10 à 20% du méthane en place). Pendant et surtout après l’exploitation des puits, le méthane résiduel continuera sa migration vers les nappes et l’atmosphère [11 & 12].

Il y a de plus pour Anticosti une question technologique et environnementale qui pose un problème majeur : le shale Macasty se situe de 350 m à 1100 m pour les quatre cinquièmes de l’île ; cette portion devrait être à priori exclue des estimés et de l’exploration-exploitation. Dans toute cette zone, cette trop faible profondeur ne respecte pas les normes tacites que l’industrie a elle-même proclamées [13]. Dans la section 11.4.1 concernant le pétrole du document de consultation [1], le gouvernement annonce de bien belles intentions, mais il propose [14] en même temps une réglementation pour la protection des nappes qui contredit de façon flagrante tous ces principes. On y définit des conditions pour des forages d’exploration des conditions à respecter pour des demandes futures de permis de fracturation ; une normede 400 m taillée sur mesure pour lever l’exclusion virtuelle qui affecte les quatre cinquièmes de l’île d’Anticosti.

Permettre la fracturation dans une tranche de 400 m de roc qui se situe entre la section horizontale d’un puits et le bas d’une nappe, c’est permettre en fait de conserver zéro mètre de marge de sécurité quant cette fracturation s’étends sur 400 m ! Les données de l’industrie montrent que des fracturations peuvent s’étendre vers le haut jusqu’à plus de 500 m [15]. Le chapitre V du règlement [14] doit être enlevé et toutes les questions relatives à l’exploitation des hydrocarbures de roche-mère doivent être analysées dans leur ensemble. La fracturation et la libération du méthane qui en découlent affectent les nappes phréatiques mais pas seulement les nappes, l’atmosphère également, le bilan des gaz à effet de serre, etc. Il est prématuré de fournir maintenant à l’industrie des normes et des directives laxistes, qui ont l’apparence d’avoir été conçues avant tout pour une question de faible profondeur du shale à Anticosti. 

La rentabilité d’une industrie de pétrole de roche-mère à Anticosti semble en elle-même bien douteuse [note 2] ; 1% comme taux de récupération de 46 Gbarils en place, c’est 460 millions de barils récupérables, pour toute l’île. Or seulement un cinquième du gisement se situe à une profondeur suffisante, ce qui laisse~100 millions de barils récupérables, sur environ 1500km2. Il faudra construire 3000 puits pour cette seule partie du gisement. Il est réaliste d’estimer à $10millions/puits le coût de cette exploitation partielle. C’est donc $30 milliards de travaux à faire en construction de puits pour cette seule portion sud de l’île. La valeur marchande de 100 millions de barils à $100/baril rapporterait $10 milliard brut, mais il y aurait $30 milliards de dépenses!  Même en rognant sur les coûts des puits et sur leur nombre, il est difficile de voir où se situeraient la contribution d’Anticosti dans l’énoncé suivant : «Ces estimations représentent des centaines de milliards de dollars en valeur potentielle et, selon le régime de redevances et la structure de propriété des sociétés d’exploration et d’exploitation, cela pourrait représenter des dizaines de milliards de dollars de revenus pour les Québécois». Pour être rigoureux, il faut préciser que cette citation se rapporte à cinq gisements chiffrant des réserves potentielles de valeurs non comparables, mais la valeur mentionnée pour le gisement d’Anticosti est la plus élevée dans le lot (réf. [1],  p. 75) ; elle est totalement irréaliste.

Nous avons ci-dessus une analyse très sommaire des coûts, nous le reconnaissons, mais elle vaut autant que bien d’autres tout aussi simplistes. Il faudrait tenir compte des coûts environnementaux et pas seulement des coûts des travaux d’exploitation.

Nous reprenons ici comme conclusion la dernière figure de la conférence présentée le 30 janvier 2013 [8].


[1Gm3  indique : milliards de mètres cubes.
[2] La rentabilité à l’étape de l’exploration pour un détenteur de permis est bien distincte de la rentabilité d’exploitation proprement dite. Les dépenses à l’étape d’exploration sont fortement subventionnées et celles-ci contribuent beaucoup à la valorisation des actifs.

Références :

[1] CEÉQ 2013.  De la réduction des gaz à effet de serre à l'indépendance énergétique du Québec - Document de consultation, 84 p.

[2] Brufatto et al 2003.  From Mud to Cement—Building GasWells, Oilfield Review, Sept 2003, pp 62-76.

[3] Cooperative Institute for Research in Environmental Science 2013. « CIRES and NOAA scientists observe significant methane leaks in a Utah natural gas field »  CIRES News Release 5 août 2013.


[5]  Sandrea, 2012.  Evaluating production potential of mature US oil, gas shale plays. Oil & Gas Journal, déc. 2012.

[6]  Scheyder 2013.Bakken Shale Flaring Burns Nearly One-Third Of Natural Gas Drilled, New Study Finds. Huffington Post  Huffington Post 29 juillet 2013

[7] Québec 2013. Loi sur les mines, chapitre M-13.1  (voir l’article 204)

[8] Durand 2013. Les risques et enjeux de l’exploitation du pétrole de roche-mère d’Anticosti. Conférence présentée à la Salle des Boiseries de l'Université du Québec À Montréal le 30 janvier 2013.


[10] Wind River 2012. Core data release. lien.


[12] Durand 2012. Les dangers potentiels de l’Exploitation des Gaz et Huiles de schiste - Analyse des aspects géologiques et géotechniques. Rapport final du Colloque du Conseil régional Île-de-France, 7 février2012, Paris Colloque du Conseil régional Île-de-France, pp 173-185.

[13] Fisher 2010, . Data Confirm Safety Of Well Fracturing,   The American Oil and gas Reporter, July 2010.

[14] GAZETTE OFFICIELLE DU QUÉBEC, 29 mai 2013. Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection. texte du règlement déposé le 29 mai 2013.

[15] Durand 2013.D'ou vient la norme de 400 m du règlement présenté en urgence avant le démarrage des forages 2013 à Anticosti texte  et aussi expliquée dans une présentation vidéo.

samedi 1 décembre 2012

Fuites de méthane dans les puits gaziers

En cette dernière semaine de novembre 2012, la question des fuites revient dans l'actualité: TVA_Nouvelles Trois-Rivières 


Le puits Talisman LaVisitation No1 foré en 2008 a rencontré de nombreuses difficultés qui sont relatées dans le rapport déposé au MRNF.
Des zones de faille ont notamment été recoupées par le forage; le rapport Molgat en mentionne aux profondeurs 1185m et 2235m, mais comme plusieurs carottages initialement prévus ont du être abandonnées en raison de problèmes techniques (déviation, frottement excessif sur les parois, etc), il est fort probable qu'on ne les a pas toutes identifiées.

Parmi la vingtaine de visites d'inspection (voir Note 1 plus bas) des puits de gaz de schiste, une seule visite concerne le puits de LaVisitation. Cette inspection faite en novembre 2010 signale des fuites, tant à l'intérieur, qu'à l'extérieur du tubage principal: 
Inspection faite le 11 nov 2010; son rapport signé le 4 février 2011. Talisman indiquait pour cette fuite 49 m3/jour en 2010. Qu'en est le débit aujourd'hui?

Qu'en est-il exactement lorsqu'on parle de fuites. Les inspections ont été très sommaires, incomplètes (des puits n'ont jamais été visités, des fuites connues ne se retrouvent pas dans les rapports). Les informations fournies par les compagnies dans les rapports qu'elles doivent obligatoirement déposer au MRN ont des contenus très variables; il n'y avait aucune obligation de contenu pour ces rapports. Les compagnies étaient libres d'y inclure ce qu'elles jugeait bon. Qu'est-ce qu'une fuite pour une compagnie: en bas de 300 mètres cubes par jour, l'industrie se préoccupe très peu des fuites. Elle qualifie plutôt cela d'émanations normales. Pourquoi cette valeur 300 m3 ? Cela correspond grosso modo à 10 000 pi cu.  Perdre 10 000 pi cu ou moins par jour au prix du gaz à 3$/1000 pi cu, c'est en effet à leurs yeux une fuite négligeable ($).

Le méthane qui fuit dans l'atmosphère est un gaz plus léger que l'air; par contre on reconnait maintenant que comparé au CO2 il n'est pas que 22 fois plus nocif, car il a plutôt 28 fois (horizon 100 ans) et même 84 fois (horizon 20 ans) l'effet du CO2 comme gaz à effet de serre, comme l'a révisé récemment l'organisme GIEC rapport 2013 (voir aussi: Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC).

Dans la compilation des gaz à effet de serre, les procédés industriels, les émission des véhicules, etc, sont comptabilisés. Par contre tout ce qui touche à l'extraction, tant que le méthane n'est pas entré dans le réseau commercial de distribution, échappe à cette compilation; un privilère historique dont l'industrie pétrole et gaz bénificie et donc de facto une exemption relative aux émissions de gaz à effet de serre et à la taxe carbonne qu'on veut instaurer. C'est ainsi qu'un seul puits qui "perdrait" par exemple 300 m3/jour de méthane annule à lui seul le bénifice environnemental obtenu par les efforts de bonne conscience de plusieurs centaines d'acheteurs de voitures hybrides ou électriques (voir Note 2 au bas). Tant que le privilège historique demeure, tant qu'il n'y a pas de taxe méthane pour mettre un vrai coût sur ces fuites, elles vont demeurer des détails négligeables aux yeux de l'industrie. Le seul coût hypothétique est celui des avis d'infractions, lesquels sont émis de façon très sporadique, avec des menaces d'amendes à payer, mais qui n'ont que rarement été réellement appliquées, selon les rapports du vérificateur du Québec.

Le puits Talisman LaVisitation illustre bien cet état de faits: à la minute 0:33 du reportage (http://youtu.be/IaQG2S66VQs) on peut entendre un petit bijou d'anthologie de Talisman Energy pour décrire ce que la compagnie voit dans la fuite dans ce puits : "Ce n'est pas du gaz de production, donc c'est du gaz qui s'est logé dans la structure interne du puits, donc c'est du gaz qui est ventilé de manière sécuritaire dans l'atmosphère! Il dit explicitement que le méthane de cette fuite qu'on va tenter de colmater est du gaz qui a fui à l'EXTÉRIEUR du tubage de production, là justement où il ne devrait jamais y en avoir !   Ventiler ce gaz dans l'atmosphère est, dans la vision Talisman Energy, une bonne solution sécuritaire ! La fuite rapportée depuis 2010 est certainement là depuis la création du forage (2008); donc voilà plus de 4 ans qu'on ventile... Pas besoin de se presser, le MDDEP en 2010 n'a même pas émis d'avis après avoir constaté la fuite hors du tubage...

Note 1: À partir de la fin 2010 sous la pression du public, deux ministères ont commencé à inspecter les fuites sur les sites de forage. Vous pouvez voir une compilation des rapports d'inspection : compilation Inspection des puits MRN et compilation MDDEFP 2011*. L'information livrée par les ministères est de qualité déplorable, les photos illisibles, mais on y trouve malgré tout des perles, comme celle-ci:

... deux dernières lignes: "Fuite de gaz à l'extérieur du coffrage de surface, probablement du biogaz du marécage sous-jacent."
signé Jean-Yves Laliberté, ing.  alors responsable au MRNF de la direction hydrocarbure & gaz de schiste,  passé ensuite fin 2012  chez Pétrolia …Il a écrit ça en 2010, à la belle époque où c'était le mot d'ordre officiel du côté des cies gazières d'attribuer toutes les fuites de méthane à des marécages enfouis, qui comme par un malencontreux hasard se situaient toujours à l'emplacement des puits qui fuyaient (sic)! Manifestement donc cette théorie fumeuse avait aussi court à la direction du MRN. Talisman Energy ne prenait quand même pas de chances, car comme le note ci-dessus l'inspecteur du gouvernement, on lui a formellement servi une "interdiction de prendre des photos de la flamme".

Note 2: 300 m3/jour annule le bénéfice environmental d'environ 500 voitures électriques.
A titre de rappel, j'ai mis en ligne en 2011 un texte et un lien pour un reportage à Radio-Canada sur les fuites Découverte 17 septembre 2011. Dans le reportage de Découverte à la minute 2:40, on entend Mme Molgat y déclarer que les fuites de 190 m3/jour (= pollution de 300 voitures) au puits de  Leclercville No1a HZ  "Un débit comme ça, c'est considéré peu, c'est pas des débits significatifs, certainement des débits qui sont trop petits pour être mesurés, trop petits pour être mesurables ... c'est dans les meilleures pratiques de l'industrie de travailler comme ça..." Marianne Molgat.
190 m3/j = 190 000 litres/j = 132 litres/minute = 2,2 litres/seconde.  Pas mesurable, pas observable ?  Vraiment ?  Ce serait pas plutôt juste pas important pour l'industrie, car ça fait juste $30 de gaz perdu, selon les meilleures pratiques (commerciales) de l'industrie.

Note 2014: je suis désolé de constater que le rapports qui était accessible à ce lien WEB a été enlevé. Si quelqu'un en retrouve la trace, SVP veuillez m'en aviser. Par contre j'ai ces rapports transmis pour analyse par Martine Ouellet en 2011 (alors dans l'opposition).