vendredi 5 septembre 2014

Fuites des puits d’hydrocarbures après leur fermeture

Note préliminaire: ce texte est le premier d'une série de trois sur les puits abandonnés; il est suivi de deux autres textes: 
- Octobre 2014  Fuites des puits après leur fermeture: analyse des causes
- Novembre 2014: Les fuites des puits de gaz de schiste VS celles des puits conventionnels
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J’ai participé samedi le 30 août 2014 à la visite de deux puits abandonnés de la région de Leclercville, que CMAVI * et l’AQLPA ont organisée afin de mettre en lumière les problème sérieux et insolubles que posent les puits abandonnés. Cette désignation « abandonnés » est couramment employée pour désigner des puits que leurs exploitants ne gèrent plus et qu’ils ont fermés et bouchés. La procédure d’abandon des puits est gérée et règlementée par le gouvernement. Les puits sont « abandonnés » en principe seulement par les exploitants qui les ont construits; nous avons constaté ce samedi 30 août que l’État aussi les abandonne car leur gestion est plus que déficiente.

L’ÉES ** a commandé diverses études qui impliquaient plus ou moins directement cette question des puits abandonnés:
E3-9 Concentrations, sources et mécanismes de migration préférentielle des gaz d’origine naturelle (méthane, hélium, radon) dans les eaux souterraines des Basses-Terres du Saint-Laurent une étude sur la présence de méthane dans les puits de captage d’eau, avec prise d’échantillons sur le terrain, mais aucun puits impliqué n’était voisin ou relié à un puits d’hydrocarbures, car l'étude visait justement à établir les concentrations naturelles avant l'implantation de puits d'hydrocarbures. C'est 130 puits résidentiels, d’observation ou municipaux qu’on a échantillonnés sur un territoire de 14 000Km2, soit un peu moins d’un point de mesure par 100 Km2. Les auteurs précisent que le mandat confié par l’ÉES comporte « deux volets, un premier volet portant sur la géochimie et un second volet portant sur la modélisation des flux gazeux. ». Le second volet centré sur les puits d’hydrocarbures et les fuites c'est l’étude suivante :
E3-10 Modélisation numérique de la migration du méthane dans les Basses-Terres du Saint-Laurent; cette étude de modélisation des fuites faite de façon très peu réaliste, donnant des résultats aberrants incompatibles avec la réalité des fuites connues. Un échantillon des conclusions de leurs "simulations":  "les fuites de méthane vers les aquifers seront 1.97×10-4 m3/an après une période de 250 ans suivant la fermeture du puits"  En clair 0,197 litre par année (ce qui fait 0,007 pi.cu/an, donc 28 ans pour cumuler un pied cube);  nous pouvons inviter les auteurs de cette étude à venir constater aux puits qui sont à moins d’une heure de déplacement depuis l’université Laval et où nous avons mesuré des débits de fuite le 30 août 2014 : un pied cube de fuite ne requiert que deux minutes au puits A190 et moins d’une minute au puits A216, et non pas 28 ans!
Quant à l’effet de la rencontre d’une faille "la fracturation hydraulique ne pourrait pas causer une migration significative de fluides de formation et de méthane vers les aquifères superficiels dans un horizon de 1000 ans". Dans la présentation verbale le 29 janvier 2014 le chercheur principal Ali Nowamooz insistait aussi à chaque occasion sur le fait que ses valeurs étaient bien en dessous de ce qui serait un objet de préoccupation si on exploitait le gaz de schiste de l'Utica. Mais ce qu’on doit retenir de ce rapport est cette phrase «aucun travail de caractérisation des fuites ou d’évaluation de l’état actuel des puits n’a été réalisé sur le terrain dans le cadre de cette étude». Hélas elle ne figure pas dans le rapport synthèse de l’ÉES, qui n’a reprises telles quelles les évaluations tout à fait aberrantes de l’étude E3-10. En ingénierie comme en sciences, on n’utilise qu’avec grande prudence les analyses par modélisation; jamais une modélisation n’est utilisée sans son calibrage avec des données réelles du terrain, une étape cruciale omise dans l’étude E3-10. L'étude E3-10 n'a aucune valeur pour la question des fuites des puits gaziers; le modèle utilisé (DuMux) n'a pas de plus été conçu pour cela.
E3-4  Étude de risques technologiques associés à l’extraction du gaz de schiste; là aussi il s’agit d’une étude bibliographique et théorique, sans aucune donnée du terrain réel, aucunement une analyse des 29 puits de gaz de schiste et encore moins des puits plus anciens abandonnés au Québec.
E3-3 Étude de puits type, représentatif des puits forés au Québec au cours des deux dernières décennies; ici on a une étude sur les puits d’hydrocarbures qui a porté sur 22 des 29 puits récents + 63 puits plus anciens (parmi près de 700 qu’on a foré dans les Basses-Terres). Ce rapport compilant des demandes de permis, des formulaires et des rapports fournis par les opérateurs; aucune visite sur le terrain pour valider ou vérifier une seule des données traitées. L’étude attribuée au MRN par l’ÉES a finalement été écrite par le même chercheur qui a produit E3-10. « L‘objectif de cette étude (selon les mots même de son auteur)  est de procéder à une évaluation des puits qui ne sont plus en opération afin d’établir un diagnostic sur la pérennité des travaux de construction et de fermeture effectués par les entreprises dans la région des Basses-Terres du Saint-Laurent ». Avec des données qui ne permettent absolument pas ce type de conclusion, l’auteur s’aventure dans des commentaires très optimistes quant à l’intégrité générale des puits abandonnés .  «Ainsi, la fermeture d’un puits permet de restaurer l'intégrité naturelle des formations géologiques qui ont été pénétrées lors du forage »; or ces travaux ne concernent que l'obturation de l'intérieur des tubes, au moment de la fermeture. Rien de cela ne touche les défauts présents où ceux qui se développèrent entre le roc et le tubage. Rien non plus ne traite des détériorations à moyen et long terme des tubages et des coulis de scellements.
E3-2a Détermination des problèmes de déversements et de fuites rencontrés au Québec et dans d’autres juridictions par l’industrie du gaz de schiste au cours des dernières années et documentation sur les causes et les conséquences de ces incidents et les mesures prises pour les corriger. Déjà par son titre, comme bien des documents sur le sujet issus de ce ministère, on a ici affaire à une étude qui est des plus sommaire, qui ne donne pratiquement pas les données sur lesquelles elle appuie ses commentaires « jovialistes ».

Aucune de ces études ne fournit des données de terrain relatives aux puits d’hydrocarbures, récents ou plus anciens à part la dernière qui fournit un tableau très sommaire (ci-contre)  des inspections faites au MDDEFP sur certains des 29 puits récents.

Ce document commandé par l’ÉES ne fait qu’un résumé de synthèse des rapports d’inspections du ministère sans rendre ces rapports accessibles. Le MRN a déposé au BAPE ses rapports d’inspection (fortement caviardés, mais quand même disponibles à ce lien : Bilan des inspections au MRN des 29 puits GDS). J’ai fait deux tentatives d’obtenir l’équivalent au MDDELCC sans succès jusqu’à maintenant.
On sait par les médias depuis 2010 que les deux tiers des 29 nouveaux puits de gaz de schiste ont des fuites. Qu’en est-il des puits anciens? Bien qu’elle soit fort pertinente, on ne trouvera pas de réponse à cette question dans les études de l’ÉES, ni fort probablement dans le rapport du BAPE attendu cet automne, car à ma connaissance le rôle du BAPE en cours se limite à relire ce que l’ÉES a déjà fixé comme cadre en ajoutant un volet d’écoute des citoyens, ceux qui ont déposé des mémoires.
Le travail pour analyser sur le terrain les puits abandonnés reste entièrement à faire et c’est pourquoi samedi le 30 août l’AQLPA et le CMAVI* ont organisé la visite de deux puits abandonnés de la région de Leclercville. En raison de leur proximité, nous avons également visité deux puits récents du même secteur. Les deux anciens, comme les deux récents fuient.
Voici les données des débits de fuites sur ces puits :
A190 : 0,5 pi cu/min  ce qui donne 20 m3/jour. Mesuré samedi le 30 août par Serge Fortier (ci-dessous):
Photo M.D. 30/09/2014

A216 : par comparaison de la taille des deux torchères, nous avons estimé que ce deuxième puits avait un débit du double du précédent, soit 40 m3/jour. Notez que la "torchère" ne respecte aucune norme et avait été allumée ce jour là par une personne inconnue. Il est assez paradoxal de voir ce type d'installation quand on sait que le règlement C.M-13.1 dans la loi des Mines dit bien dans son article 61 -8° : "le puits doit être laissé dans un état qui empêche l'écoulement des liquides ou des gaz hors du puits". Qui autorise alors l'installation d'évents sur des puits obturés?
Photo M.D. 30/08/2014
Une moyenne pour deux puits : 30 m3/jour  =>  un peu plus de 10000 m3/année par puits

Pour les deux autres puits à Leclercville (A266 et A276) le rapport d’inspection de novembre 2013 donne respectivement           3,7 m3/j   et  1,5 m3/j. Il s’agit là de deux puits dans lesquels Talisman Inc. a dû faire des travaux de colmatage ("squeezes"), car la fuite avait auparavant un débit mesuré à 190 m3/j.
Photo M.D. 30/09/2014
Sur une seule petite région, Leclercville, on a donc quatre puits et les quatre ont des fuites, les deux récents et les deux abandonnés. C’est là un taux inquiétant en termes de "statistiques", mais guère surprenant pour moi, car c’est ce que je prédis comme évolution à moyen et long terme des puits forés dans des roches contenant des hydrocarbures: une forte proportion ont des fuites même neufs et presque tous auront des fuites à moyen et long termes.
La base de données SIPGEG du MRN (http://sigpeg.mrn.gouv.qc.ca/) présente une liste de 960 puits,  pour la recherche d’hydrocarbures, mais 951 en fait car la liste contient neuf puits non forés; la majorité de ces puits ont été forés dans les Basses-Terres du St-Laurent (carte). Ce sont là les données SIGPEG; des puits anciens on pu être oubliés de cette liste. Néanmoins elle est utile pour aborder la question des fuites des puits abandonnés.

Pour 787 puits on retrouve des indications sur la présence d’hydrocarbures, le plus souvent du gaz, parfois du pétrole et gaz (499), et parfois aussi la mention de « puits sec » (288 cas). On note donc que 63% des puits on rencontré gaz et/ou pétrole et 37% sont rapportés secs. Pour l’ensemble des puits forés (951) on peut donc penser qu’ils y aurait au Québec 63% de ceux là (soit environ 600 puits) qui très probablement sont ou seront producteurs de fuites.
Il faudra de toute urgence valider cette donnée sur le terrain; nous l’avons commencé avec quatre puits. Les deux abandonnés débitent 20 000 m3/année. Parmi ces 951 puits abandonnés, les puits secs (37% des cas) sont a priori non susceptibles de présenter ce problème de fuites.  Par contre dans les seules Basses-Terres du St-Laurent, il est raisonnable d'estimer que plus de 440 puits (64% des 693 puits de cette région) sont sujet à avoir des fuites. Pour l'ensemble du Québec, pour 600 des 951 puits, si leur taux de fuite est de l'ordre de 10 000m3/année aussi, cela représente possiblement 6 Mm3/an.

Nous avons discuté dans ce texte essentiellement des fuites de gaz; il ne faut pas en conclure que c'est le seul fluide qui peut fuir des puits abandonnés. Il y a au moins quatre puits dans la liste qui portent la mention "fuite de pétrole"; ces quatre sont en Gaspésie. Des eaux sursalines des formations profondes peuvent remonter en certains cas par ces mêmes chenaux qu'empruntent les fuite de gaz; au moins deux puits au Québec ont des fuites de saumure. Les causes et mécanismes des fuites seront analysées dans mon billet d'octobre.

* CMAVI, Serge Fortier         et     -    AQLPA, André Bélisle :   Communiqué de presse
** Évaluation Environnementale Stratégique sur le gaz de schiste - analyse des études reliées au risques technologiques


 vidéo captée par l'auteur le 30 août 2014, à la tête du puits A216 



Addendum février 2024
:   Les deux puits mentionnés dans ce texte, le A-190- Ste-Françoise foré en 1978, ainsi que le A-216 Soquip Villeroy No 1, ont été les deux puits sur lesquels le gouvernement a porté son attention pour tenter de colmater leurs fuites de gaz en dépensant $12 millions pour des travaux de fermeture. Mais cela ne s'est pas passé comme le prévoyait le ministère de l'Économie, de l'Innovation et de Énergie: les fuites de gaz sont toujours présentes comme l'indiquent des rapports d'inspection en 2020 et 2021.
J'ai toujours expliqué depuis 2010 que la "fermeture" des puits ne ferait aucunement disparaitre le problème des fuites. Malgré les millions dépensés pour fermer les deux premiers puits d'une liste de 87 puits problématiques, le ministère de l'Économie, de l'Innovation et de Énergie, a dû octroyer le 15 novembre 2023 un nouveau contrat à FIG Services-Conseils pour "la conception  de programmes de travaux de remédiation de puits inactifs et la surveillance des travaux".  Ce mandat d'étude touche une douzaine de puits dont les puits A-190 et A-216. Les coûts de l'exécution des travaux de remédiation, ainsi que de la réhabilitation des lieux, s'ajouteront à la facture finale; ils ne sont pas inclus dans le contrat du 15 novembre 2023.
Ci-dessous la liste de. 87 puits jugés problématiques par le de l'Économie, de l'Innovation et de Énergie. À noter que cette liste ne comporte aucun des puits forés après 1985, et évidemment aucun des 18 puits qui ont été complétés avec la fracturation hydraulique durant la période 2007 et années suivantes. Ce sont pourtant ces derniers puits dont les fuites ont grandement préoccupé le public. Il y aura très certainement un addendum à la liste ci-dessous avec une grosse facture de frais afférents de remédiation


vendredi 15 août 2014

Les dangers potentiels de l’Exploitation des Gaz et Huiles de schiste - Analyse des aspects géologiques et géotechniques

Tiré à part des pages 173-185 du rapport final du Colloque du Conseil régional Île-de-France, 7 février 2012, Paris.
Note de présentation:  Parution publique en juillet 2012 en France des textes du Colloque; reproduction du tiré-à-part de mon texte pour le rendre disponible ici au Québec en raison du questionnement récemment très médiatisé de l'exploitation éventuelle du pétrole de roche-mère dans l'Île d'Anticosti. J'ai rédigé cet avis technique en janvier 2012, à la demande du Conseil Scientifique des neuf universités et centres de recherches de l' Île-de-France, i.e. Paris + la grande région environnante dans l'optique d'une exploitation éventuelle du pétrole et gaz de schiste en France. J'ai été invité également à en faire une présentation lors du Colloque du 12 février 2012 qui réunissait des représentants des Universités, des Ministères impliqués, des représentants de l'industrie + quatre experts d'Amérique du Nord retenus par le Conseil Scientifique. Normand Mousseau de l'U.de M. était l'autre expert invité du Canada; son texte très bien documenté est À LIRE dans le rapport du Conseil Scientifique pp.43-78.

Avis technique de Marc Durand, Doct-Ing-géologue ENSG

Résumé :

L’exploitation des gisements d’hydrocarbures non conventionnels présente de très graves problèmes d’ordre géotechnique. La modification irréversible de la perméabilité de tout le volume d’une formation géologique, on parle ici de dizaines de milliers de Km2 sur des centaines de mètres d’épaisseur, en ayant recours à des dizaines de milliers[1] de forages horizontaux, met en application à grande échelle une technologie nouvelle aux conséquences non mesurées. C’est sans précédent dans l’industrie minérale. Le processus géologique de la migration du méthane vers les nouvelles fractures se poursuivra sur des temps géologiques, des millénaires au minimum. La fraction qui aura migré durant la très courte période du temps d’exploitation commerciale ne représente que 20% du volume de gaz impliqué dans le processus. Les puits obturés en fin d’exploitation n’auront pas une durée de vie technique d’ordre géologique; ils devront avoir dans ce contexte un mode de gestion qui est totalement à revoir et qui ne peut absolument pas être celui des puits abandonnés antérieurement dans le contexte d’exploitation de gisements classiques.


Introduction :

L’exploitation des gisements d’hydrocarbures non conventionnels, parmi lesquels se retrouvent les gaz et huiles de schiste, pose toute une série de nouveaux problèmes qu’il est insuffisant d’aborder avec la seule expertise des meilleures pratiques de l’industrie - ou les règles de l’art que se donnent les intervenants. Dans ce document, nous analyserons plus spécifiquement les questions géologiques et géotechniques de l’exploration et de l’exploitation éventuelle des gaz et huiles de schiste.

Les données réelles conviennent mieux à notre analyse que des éléments simplement appréhendés. Comme la France a choisi en 2011 de se donner un temps de réflexion avant d’autoriser éventuellement le démarrage de cette industrie, notre rapport utilisera pour fins d’analyse des exemples venant d’Amérique du Nord : shales Haynesville et Barnett du Texas, shale Marcellus de Pennsylvanie et shale Utica du Québec. L’exploration et l’exploitation sont déjà en cours dans ces shales gazéifères. Mais même aux USA où cette industrie a démarré véritablement vers 2005, les effets et les conséquences à moyen terme et à long terme ne sont pas encore tous mesurés et mesurables.

Nous utiliserons le terme shale comme synonyme de schiste argileux. Peu importe l’appellation, ces couches d’origine sédimentaire sont celles qui sur les cinq continents renferment, depuis leur origine dans des bassins marins, de la matière organique disséminée. Cette matière organique, transformée par la température et la pression au cours des ages, a donné les huiles et les gaz identifiés comme thermogéniques, par opposition au gaz contemporain (ex. le méthane biogénique des marais). Les shales sont nombreux et répandus : on estime qu’il existe plus de cent formations distinctes de shale sur la Terre. Ces shales n’ont pas tous un potentiel en hydrocarbures exploitables, mais de très nombreux pays en possèdent et seront donc confrontés tôt ou tard à la question de leur mise en exploitation éventuelle.

Nous ferons dans ce rapport une analyse qui a une application universelle aux shales et non pas limitée à une seule formation géologique. Nous avons plus de données concrètes sur les gaz de schiste que sur les huiles de schiste ; cela tient au fait que cette industrie a démarré aux USA avec le besoin de substituer le gaz méthane dans la production d’énergie thermo électrique aux centrales au charbon vieillissantes. Mais l’analyse de la problématique sur les gaz de schiste apporte en même temps beaucoup de lumière sur l’extraction des huiles de schiste, car dans les deux cas, on utilise des techniques comparables dans des contextes géologiques similaires.


La problématique :

Il y a quatre éléments essentiels qui servent de point de départ à l’analyse de la problématique de gisements non conventionnels:

1- Les nouvelles techniques appliquées à l’exploitation non conventionnelle des shales ne peuvent extraire que 20% (réf. 2) des huiles* et gaz de schiste qu’ils contiennent.

2- L’exploitation modifie de façon irréversible la perméabilité de l’ensemble du volume du gisement; sans la fracturation artificielle, l’exploitation du gisement est impossible à réaliser.

3- Le processus géologique amorcé par la fracturation se poursuivra sur des temps géologiques, c’est-à-dire sur une période de temps incommensurablement plus longue que la durée de vie des ouvrages construits pour l’exploitation.

4- Il est impossible de remettre à l’état ante le massif rocheux en fin d’exploitation.

Pourquoi dans l’exploitation des hydrocarbures de shale ne peut-on extraire plus de 20 % du gaz présent et quel est la conséquence de ce fait ?  Pour y répondre de façon claire à partir des connaissances encore limitées que nous avons des impacts à long terme de la technique de fracturation hydraulique dans de longs forages horizontaux, nous allons analyser ici les différences les plus évidentes entre cette dernière méthode versusl’exploitation des gisements classiques.

Dans l'exploitation classique, les gisements sont trouvés dans des structures géologiques particulières : une formation ou une structure géologique présentant une grande porosité résultant de vides intergranulaires et/ou fractures naturelles communicantes, le tout coiffé par une formation étanche qui emprisonne le sommet du réservoir, comme dans le schéma montré à la figure 1. Une fois la structure trouvée après une véritable exploration géologique, les puits atteignant le réservoir peuvent extraire la quasi-totalité (>95%, réf. 2) du gaz du gisement.

En plus de sa pression propre, le gaz est poussé vers le haut par l'eau ; il peut éventuellement y avoir présence d'hydrocarbures liquides entre l'eau et le gaz. Il est important de noter que ces hydrocarbures ont migré très lentement depuis une roche mère, c’est-à-dire une roche sédimentaire qui peut être du shale. Ils se sont accumulés dans le réservoir naturel dans un processus qui a pris des centaines de milliers d'années et plus probablement des millions d'années. Pourquoi?  Parce que les perméabilités des roches mères de type shale ont des valeurs extrêmement faibles (10 exp-12  à 10 exp-14 m/s). Par contre une fois rendus dans la roche perméable, qui constitue le piège géologique, ils sont alors contenus dans une couche géologique dont la perméabilité est plusieurs ordres de grandeur plus élevée (>10 exp-6 m/s).


Figure 1. Schéma d’un gisement de gaz classique. Les hydrocarbures liquides peuvent être présents entre la couche d’eau et de gaz.

Dans la strate où le gaz s'est accumulé (le gisement classique montré en bleu et vert pâle de la figure 1), la porosité est significative (5 à 25%) et la perméabilité est couramment un million de fois plus élevée que dans la roche mère; en exploitant un gisement naturel, le gaz migre facilement vers le puits d'extraction. C'est pourquoi en fin de vie utile, la production du puits tombe presque à zéro. Le réservoir n'est pas vide à 100%, mais presque. À cette étape, les puits sont abandonnés et les sites restaurés, et la propriété retourne à l’État.

C'est extrêmement dangereux de transposer cette image dans le cas des puits pour le gaz de schiste; dans ces cas-là, la fracturation est créée artificiellement juste avant l’extraction et l'équilibre est bien loin d’être atteint en fin d'exploitation. En plus, les étendues ne sont pas limitées à un gisement localisé, mais à toute une couche géologique qui s’en trouve transformée radicalement.

L’extraction se fait en fracturant artificiellement le shale gazéifère lui-même, la migration du gaz se fait sur une distance plus courte que le long transit qui a créé les gisements classiques, mais ce n'est pas un processus instantané. À quelques millimètres du bord d'une fracture, le gaz s'échappe assez vite (fig. 2). Mais plus la distance augmente, plus il faut compter sur des temps géologiques pour que le processus de migration fasse dans ce nouveau shale fracturé ce qu'il a fait dans les migrations vers les réservoirs naturels. Avec une perméabilité de 10 exp-12 cm/s par exemple, même sous un gradient (i) élevé, le temps requis pour parcourir quelques centimètres seulement se compte en siècles et même en millénaires (v = K.i)[2].  C’est ainsi que ça se passe dans les parties du shale resté intact entre les fractures.


Figure 2.  Mécanisme de migration du gaz dans le shale au voisinage de nouvelles fractures ; vue métrique du shale à la fin de l’exploitation (3 à 5 ans ?).

Ces phénomènes à l’échelle millimétrique et métrique se répercutent dans les débits de production des puits, qui ont donc des courbes de décroissance exponentielle ou hyperbolique présentées sur les figures 3, 4 et 5 pour les shales Haynesville, Marcellus et Utica. L’âge des puits en cours d’exploitation se compte en mois ou années dans ces shales et il existe encore un certain flottement quant aux volumes qui seront récupérés ultimement, ce qui est noté « EUR » sur la figure 3 ; cette figure montre cinq hypothèses de projections de production à partir des données obtenues pour 12 mois. Ce qui est certain cependant, c’est que le débit décroît de façon significative ; par exemple il ne vaut plus que 10% de sa valeur initiale après seulement 150 jours dans le puits de St-Edouard (fig. 5). On arrive sous le seuil de rentabilité en quelques années seulement à ce rythme. Les diagrammes des figures 3 et 6 sont en mode semi-logarithmique alors que les diagrammes des figures 4 et 5 sont en mode arithmétique normal. Une relation de décroissance purement exponentielle est visible dans la figure 3 ci-dessous dans la droite bleue.


Figure 3. Courbe de déclin de production dans le shale Haynesville (réf. 3, Aeberman, 2010).


Figure 4. Courbe de déclin de production dans le shale Marcellus (réf. 4, Johnson, 2011).


Figure 5. Courbe de déclin de production dans le shale d’Utica, puits expérimental au Québec.

La figure 6 montre ce qui survient en fin d’exploitation au moment où le débit n'est plus intéressant commercialement ; le puits est fermé, obturé et abandonné à l’État après quelques années de production. La pression est faible à cet instant, mais elle remonte ensuite à un rythme qui est fonction du taux de libération du gaz dans la suite de la courbe (en trait tiretés).


Figure 6. Ce qui se passe en fin d’exploitation d’un puits de gaz.

Comme il n’y a pas de débit zéro dans l’évolution de la courbe de production (plus précisément pas de débit zéro avant un temps égal à l'infini), la remise en pression est inévitable en raison de la présence de 80% de gaz subsistant dans le shale au moment de l’abandon de la production. Ce phénomène sera autrement plus significatif dans les puits horizontaux avec fracturation hydraulique que dans d’autres types de puits.  Il n'y a rien pour arrêter le processus amorcé. Il va se poursuivre sur des siècles et millénaires. Et les puits bouchons[3] n'auront pas cette durée de vie.


Figure 7. La dégradation d’un puits dans le temps ; compilation basée sur 15000 puits classiques.

Il n’y a pas beaucoup de données portant spécifiquement sur les nouveaux puits de gaz de schiste, mais il y en a pour des puits classiques (fig. 7 - figure traduite de la réf. 5). Pour des puits neufs (âge 0) c’est 5% des puits classiques qui manifestent des problèmes de fuites de méthane. Au Québec pour 31 puits forés depuis 2008 pour les gaz de schiste, la proportion de puits avec des fuites a été de 19 sur 31, plus de 60% des puits. La différence confirme ce que plusieurs chercheurs avancent : les problèmes d’ingénierie, notamment dans la cimentation des nouveaux puits avec fracturation et extension horizontale de 1000 m et plus, vont se manifester de façon bien plus fréquente et beaucoup plus préoccupante qu’avec les puits dans les gisements classiques. Mais même avec des puits classiques, cette question de dégradation des puits se pose avec acuité, car comme le montre les données de 15000 puits classiques (fig. 7) dès que l’âge des puits augmente, la proportion de puits à problèmes dépasse rapidement 50%. Les causes des dégradations et des fuites dans le cas des puits classiques ont été bien analysées par divers auteurs dont Maurice B. Dusseault (réf. 6) et Wojtanowicz et al, 2001 (réf. 7). L’analyse spécifique pour les nouveaux types de puits reste entièrement à faire, mais un premier constat est déjà probant : les cycles dynamiques répétés dans la fracturation et le contrôle complexe dans la mise en place des tubages dans des sections courbes et horizontales de ces puits, ajoutés à l’emploi de nouveaux produits chimiques, fragilisent les aciers et les coulis et induisent leur vieillissement accéléré.


Figure 8. Vue en 3D résumant les problèmes géologiques et géotechniques d’un puits en fin de vie utile. figure expliquée en vidéo

Il serait bien étonnant que l'industrie du gaz de schiste ait inventé dans les cinq dernières années des structures qui résisteront des millénaires. Les ingénieurs civils aimeraient bien depuis toujours avoir des techniques pour faire des viaducs et des ponts qui résisteraient plus de cinquante ans, sans inspection et sans entretien comme le seront ces futurs puits une fois  abandonnés (fig. 8). Voici que l'industrie du gaz, avec les mêmes matériaux, acier et ciment, veut convaincre qu'elle détient la recette pour que ces milliers de puits bouchés résistent éternellement aux pressions croissantes. En fait, l’industrie des hydrocarbures n’a pas historiquement eu aucune obligation de prévoir à si long terme. Aucun Etat, aucune province au Canada, aucun pays dans le monde n’a actuellement de réglementation adaptée spécifiquement pour ces nouvelles réalités. La longue histoire d’exploitation des gisements classiques par des puits conventionnels a mis en place des procédures pour des durées de vie qui ont essentiellement été analysées en fonction de la sécurité des ouvrages pendant leur vie utile i.e. la courte étape d’exploitation.

Cela pourra sembler incongru à certains promoteurs pétroliers de se voir poser cette problématique en termes de durée de vie pour des siècles et des millénaires. Mais il n’y a pas que les puits de gaz de schiste qui doivent être envisagés sur ces prémices. Le stockage à très long terme des déchets radioactifs est étudié dans le monde en tenant compte de durées de cet ordre. Dans un secteur d’activité très près des puits de gaz de schiste, la société d’expertise Halliburton indique ceci dans sa documentation « The Post-Closure phase addresses post decommissioning—which has an extremely long time horizon of hundreds, if not thousands, of years. » (réf. 8). Ces puits qu’Halliburton indique devoir suivre des millénaires sont des puits moins risqués a priori que les puits avec extension horizontale et fracturation hydraulique : ce sont des puits verticaux connectant la surface à des stockages de CO2, moins problématiques que le méthane.  Les industries gazières n’ignorent certes pas les risques à long terme. Cependant, elles n’ont jamais été placées dans l’obligation d’en tenir compte, car les règles passées et actuelles ont de tout temps transféré la propriété des puits au domaine public une fois la production terminée. Aucune réglementation nulle part ne les y oblige[4] et cela n’a jamais été inclus dans leurs plans d’affaire.

Nous avons peu parlé dans ce texte des inconvénients les plus immédiats et les plus manifestes de l’exploitation des gaz de schiste en Amérique du Nord : l’utilisation massive de l’eau pour la fracturation, la composition chimique souvent gardée secrète des « slickwater », ce cocktail chimique qui modifie l’eau pour optimiser la fracturation, l’occupation d’un territoire agricole par une industrie lourde, camions-citernes, tours de forage, torchères, compresseurs, gazoducs, etc. La disposition des eaux de reflux qui ne remontent que dans une proportion de 40%, la radioactivité et la très grande salinité des eaux des formations profondes qui trouvent aussi des nouvelles voies de communication vers les nappes de surface, ou qui empruntent des discontinuités géologiques naturelles, comme les fractures et les failles qui sont recoupées inévitablement par ces longs forages horizontaux. Tout cela a abondamment été mis en relief et défraie quotidiennement les journaux aux USA. Les cas de contamination des nappes par le méthane sont les premiers problèmes à se manifester, car le méthane extrêmement mobile est le plus rapide à trouver vers la surface les chemins naturels élargis par la fracturation. Des migrations plus lentes commencent aussi à se manifester : on a retrouvé dans des puits des composés chimiques des fluides de fracturation (réf. 9).

Nous reconnaissons que toutes ces questions sont à court terme de première importance. Si nous en avons peu parlé dans l’analyse ci-dessus, c’est parce que d’autres chercheurs les ont abondamment discutées et certains de ces inconvénients se rattachent spécifiquement à la fracturation hydraulique. D’autres techniques (propane liquéfié, CO2, air comprimé, arc électrique, etc.) pourront éventuellement être employées et la liste des inconvénients qui se manifesteront alors pendant cette étape de fracturation sera différente. Quelle que soit la technique employée pour fracturer artificiellement le shale, le processus géologique que nous avons analysé ne pourra jamais être accéléré. Nous avons présenté une analyse qui demeure pertinente, même dans l’optique des techniques alternatives, qui sont actuellement à l’essai ou qui viendront plus tard.

Nous avons choisi de présenter un examen purement géologique et géotechnique de la question, car une bonne part de ces autres problèmes associés à l’exploitation des gisements non conventionnels de gaz et d’huiles de schiste découlent, et découleront avec encore plus d’acuité, des « bugs » géotechniques de cette industrie lancée avec précipitation, sans les études adéquates qui auraient préalablement été requises. Il y a eu des études préalables, mais elles ont été orientées vers l’optimisation de la production commerciale de la ressource.


Conclusion et recommandations :

Il y a deux différences importantes entre le gaz de shale et les gisements de gaz classique et ces deux différences fournissent à elles seules les raisons fondamentales pour écarter totalement l’idée très peu réfléchie d’exploiter les gaz de schiste par la technique proposée actuellement :

1- La technique de fracturation hydraulique crée artificiellement un réseau de fractures interconnectées vers lequel le gaz se met à migrer. La technique amorce un processus d’écoulement du gaz dans le gisement, comme cela s’est fait dans les gisements classiques en centaines de milliers d’années, mais la technique ne peut aucunement accélérer ce processus géologique. La construction d’un puits et la fracturation sont réalisées en quelques semaines ; l’écoulement s’amorce et se poursuivra sur une échelle de temps géologique (>100 000 ans). La durée du temps avant qu’on ferme les puits quand le débit devient non rentable, ne représente qu’une infime portion de ce temps géologique.

2- Le forage de puits et la fracturation du shale est une opération totalement irréversible sans aucune solution technique pour remettre le massif de shale dans son état d’imperméabilité originale. Ces puits obturés en fin d’exploitation commerciale deviennent des conduits potentiels pour les fuites de gaz. Pour ces structures, comme toute structure faite d’acier et de béton, on doit se poser la question fondamentale de leur durée de vie et de ce qui surviendra quand leur état de dégradation ne leur permettra plus de résister à la pression du gaz. La pression des gaz dans le réservoir va croître de façon lente mais continue d’une part ; la dégradation des puits va aller croissant dans le temps d’autre part. Ces deux phénomènes vont se manifester dans le temps en surface par une montée en nombre et en débit des fuites de méthane. La gestion de ce nouveau type d’ouvrages enfouis va coûter des sommes colossales au trésor public car la technique d’extraction peu efficace (20%) laisse en place une très grande portion du méthane initialement présent dans le gisement.

L’exploitation des gisements conventionnels demeure acceptable partout où elle respecte les conditions environnementales et les règles de l’art. Mais en ce qui a trait aux gisements non conventionnels, la France a eu grandement raison d’interdire la fracturation hydraulique sur son territoire. Les pressions économiques vont certes continuer de tenter de renverser ou contourner cette décision. Nous recommandons que les questionnements que nous soulevons dans notre analyse soient inclus dans la réflexion qui doit se poursuivre. Il serait préférable de ne pas lier l’interdiction ou la réglementation à l’expression fracturation hydraulique. Toute autre technique de fracturation produira les mêmes effets, comme nous les avons analysés dans ce texte.

Ce qui est à revoir en priorité est l’actuelle réglementation en vigueur. Déjà imparfaite pour la gestion à long terme des puits classiques abandonnés, elle devient tout à fait inadéquate pour les gisements non conventionnels. C’est cette désuétude réglementaire qui a permis en Amérique du Nord le démarrage de l’industrie, avec en plus certaines dispenses spécifiques accordées à l’industrie du gaz de schiste face à des réglementations en vigueur. Avec des règles qui élimineraient le transfert de la propriété à l’État en fin de vie utile, avec une obligation d’assumer pour l’exploitant une responsabilité complète et permanente (ex. un bail de 99 ans avec renouvellement automatique de 99 ans en 99 ans en cas de persistance de pression de gaz au fond du puits), cette industrie n’aurait peut-être jamais vu le jour.

Les plans d’affaires de l’industrie ne comptent que deux étapes : exploration suivi d’exploitation. Nous avons publié une analyse de la rentabilité pour toute la société lorsque le long terme est inclus dans les paramètres (réf. 10 -Durand, 2011). L’ajout de la très longue étape où les coûts des conséquences prévisibles de cette exploitation sont pris en charge par l’État change complètement la vision à court terme dans laquelle les autorités se sont laissées confiner en Amérique du Nord.

Références :

1- BAPE, 2011. Bureau d’Audiences Publiques sur l’Environnement, , 323 p.

2-  Office National de l’Énergie, Nov. 2009, L’ABC du gaz de schistes au Canada, 23p.

3- Aeberman, 2010. Shale Gas-Abundance or Mirage? Why The Marcellus Shale Will Disappoint Expectations. The Oil Drum

4- Johnson D W. 2011.    Marcellus Shale Gas, présentation Enerplus Corp.

5- Brufatto et al 2003, From Mud to Cement—Building Gas Wells,  Oilfield Review, Sept 2003, pp 62-76.

6- Dusseault, 2000,  Why oilwells leaks : Cement behavior and long-term consequences SPE International Oil and Gas Conference and Exhibition in China held in Beijing, China, 7–10 November 2000 

7- Wojtanowicz et al, 2001, Diagnosis and remediation of sustained casing pressure Final Report US Dept of Interior, Mineral Management Service, 93p.




Notes dans le texte:

* Dans le cas du pétrole de shale, la portion commercialement récupérable n'est pas de 20% mais plutôt 2 à 4% seulement.

[1] Pour l’exploitation du gisement du shale d’Utica dans la plaine du St-Laurent entre Montréal et Québec on aurait besoin de 20 000 puits pour couvrir les 10 000Km2 du corridor No 2 le plus propice pour une première phase d’exploitation (réf. 1 - Commission BAPE, 2011)

[2] V= K x i c’est la loi de Darcy, qui exprime en unités de vitesse (m/s) les conditions qui régissent l’écoulement souterrain de l’eau dans les formations géologiques. L’analyse de l’écoulement des hydrocarbures dans les formations géologiques utilise des formules plus complexes, mais nous utilisons ici celle de Darcy car elle permet d’aborder de façon simplifiée les notions d’écoulement et de perméabilité. Le paramètre K est également désigné comme la conductivité hydraulique, synonyme de la perméabilité de Darcy.

[3] L’expression puits bouchon est créé ici, car nous n’avons pas trouvé de terme adapté à cette structure d’ingénierie. Ce terme désigne l’ouvrage, initialement conçu commetemporaire pour une fonction d’ingénierie bien précise : extraire du gaz – lequel ouvrage se trouve ensuite en fin d’exploitation transformé sommairement pour une fonctiontotalement inverse : empêcher le gaz de sortir par le puits. De plus cela devient une structure permanente dans la nouvelle fonction et non plus temporaire (fig. 8).

[4] Quelques états et la province de l’Alberta ont mis sur pied il y a peu de temps des programmes pour les puits orphelins ; ces programmes imposent une cotisation de l’industrie des hydrocarbures à un fond destiné à inspecter et obturer certains de ces puits. Mais ces programmes en sont au tout début à l’étape d’inventaire ; ils ne constitueront jamais un moyen suffisant pour gérer les nouveaux puits transférés à la collectivité.

N.B. Ce document existe aussi en   traduction en anglais     ainsi qu'en   polonais.
Une autre source pour le rapport du Conseil de l'Île-de-France:

mercredi 13 août 2014

Déjà des lignes directrices sur l’exploration gazière et pétrolière!

Décidément on s'active au MDDELCC, l'ancien MDDEFP, le ministère qui change de nom à chaque printemps. On avait ajouté Faune (F), Parcs (P), à Environnement(E), puis Développement durable (DD); il faut suivre ce qui est dans l'air du temps: lutte aux changements climatiques (LCC) est la nouvelle "tarte à la crème" . Exit faune et parcs; on pourrait aussi bien se contenter de le désigner comme le ministère du développement, point à la ligne, car même le ministère Énergie et Ressources Naturelles et ministère de l'Économie, de l'Innovation et des Exportations se font doubler de vitesse par le petit groupe de pro-actifs au MDDELCC qui se précipitent pour favoriser avant toute analyse sérieuse le démarrage de l'exploration /exploitation du pétrole et du gaz de schiste.

Avec la publication en juillet 2014 du règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection (RPEP)  où le MDDELCC glissait subrepticement des normes pour la fracturation hydraulique, voici qu'il récidive en août avec la publication des Lignes directrices provisoires sur l’exploration gazière et pétrolière. Provisoires bien évidemment, car on a même pas amorcé le BAPE sur le pétrole et celui sur le gaz de schiste est en cours sans que l'on connaisse ses conclusions qui ne sont attendues qu'à l'automne 2014.
On franchit un pas de plus; ce n'est plus un règlement sur l'eau, mais bien d'exploration/exploitation des hydrocarbures par fracturation dont on annonce les règles. On reprend dans ce texte tout le chapitre FRACTURATION qui est dans le règlement sur l'eau, mais on ajoute beaucoup d'autres choses: une description détaillée des règles administratives pour presque*  toutes les étapes du développement de l'industrie:
- Construction des voies d’accès aux sites de forage
- Drainage du site
- Réservoirs, enceintes et bassins pour recueillir les eaux de fracturation
- Entreposage des produits dangereux, produits pétroliers, matières dangereuses résiduelles, etc.
- Prélèvements d’eau, prétraitement et traitement et rejet sur place, traitement hors site, etc.
- Exigences relatives à la fracturation, essais et suivis requis, procédures en cas de fuite , etc.
- Émissions atmosphériques, torchères, essais de production,
- Émissions sonores, poussières, vibrations, lumière, etc.
- Dispositions relatives à la réhabilitation des terrains, etc.

Tout cela démontre que le groupe développement de la filière pétrole et gaz de schiste au MDDELCC s'est beaucoup activé ces derniers mois. Plus de la moitié des 214 pages du document montre en fait les formulaires préparés pour chacune de ces étapes. C'est très impressionnant à première vue et on pourrait penser que le public devrait être rassuré par autant de codification et de permis d'autorisation.

Les fonctionnaires au ministère vont être très occupés à lire, codifier, tamponner et classer tout ces formulaires. On se demande s'il restera des ressources pour aller sur le terrain vérifier tout cela. Mais on a bien planifié aussi cet aspect puisqu'on prévoit que beaucoup de ces mesures seront faite par autosurveillance. Il y a aussi un formulaire pour ça:



Dans le document Lignes directrices, il y a gros à commenter;  il y a de quoi réagir là aussi. Plus bas sur cette page, je commente cette vision du MDDELCC  très développement, pas du tout durable, pas très environnement et absolument contraire à lutte aux changements climatiques.
Une chatte y perdrait ses petits dans ces 214 pages qui arrivent au beau milieu de vos vacances, que je vous souhaite bonnes quand même.

De gros oublis cependant, ceux qui ne font pas partie de la vision de l'industrie (qui est aussi celle du gouvernement), par exemple: 1) la norme de 400m est ridiculement insuffisante, 2) le torchage du méthane associé au pétrole est autorisé; il y a une petite obligation: déclarer les rejets dans l'atmosphère qui dépassent 10 000 tonnes ("le requérant qui émet dans l’atmosphère une quantité de gaz à effet de serre (GES) égale ou supérieure à 10 000 tonnes métriques en équivalent CO2 doit déclarer ses émissions"). 3) L'impact à moyen et long terme est ignoré car tout suivi post-fermeture ne prévoit que dix ans d'autosurveillance.
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QUELQUES PERLES  ÇA ET  LÀ:

- À la page 41 du document on lit ceci:
Le brûlage du gaz dans une fosse ou dans un espace confiné (ex., réservoir, conteneur ou baril) n’est pas permis.

Or durant ce même été 2014, voici ce que fait Pétrolia à Anticosti:
La photo ci-contre et sa description sont de Pétrolia même pour décrire les travaux en cours dans l'Île. C'est dans une brochure d'information distribuée dans les boîtes à lettres des résidents d'Anticosti le 8 août 2014.





Cette brochure porte l'entête ci-dessous:



- À la page 43, le document traite des bassins à ciel ouvert pour le stockage des eaux de fracturation
"Si des bassins d’entreposage sont utilisés pour conserver les fluides de fracturation, aucune manipulation (aération ou pulvérisation) des fluides de fracturation pouvant avoir des répercussions sur les émissions de contaminants dans l’air n’est autorisée (LQE, art. 20)". Or dans les opérations de fracturation, le retour des eaux ramène énormément de composés dissouts ainsi que des composés volatils, le méthane en tout premier lieu et bien d'autres aussi. Des bassins à l'air libre, même quand leur fond est étanche pour le fuites liquides, même sans aération ou pulvérisation, émettent directement dans l'air ces composés volatils. Aux États-Unis, en Pennsylvanie notamment on abandonne de plus en plus cette pratique pour cette raison. Des règles de plus en plus sévères imposent un traitement confiné et centralisé des eaux de fracturation. Le MDDELCC ouvre toute grande la porte à la pratique plus ancienne et très imparfaite des bassins à ciel ouvert, interdits ailleurs  le ministère se contente de préciser qu'il n'autorisera pas l'aération et la pulvérisation, deux techniques qui de toutes façons ne sont pas pertinentes dans ce cas précis.


- À la page 31, la perle des perles se lit comme suit: "La construction du puits et tout particulièrement son obturation à la fin des activités doivent être réalisées de manière à ce que le puits ne constitue pas à long terme une voie privilégiée de migration de liquides ou de gaz naturel"; C'est à peu près comme si le code du bâtiment disait que  "La construction des ponts et viaducs doivent être réalisées de manière à ce qu'ils ne subissent aucune détérioration ou perte de capacité à long terme" C'est tout simplement impossible; tout ouvrage a une durée de vie technique. Même avec un bon programme d'inspection structuré, des travaux d'entretien réguliers et des travaux de réparation/réfection partielle, il arrive à tout ouvrage construit de béton et d'acier d'arriver en fin de vie utile. On le démolit alors et on en construit un nouveau destiné au même usage. Pour les puits, il y aura une petite inspection à la fin des activités commerciales, mais comme l'exploitant n'y aura plus accès (tête de puits démontée, puits enterré, site reconverti, etc.,) et comme il n'en sera plus responsable légalement, il n'y aura évidemment aucun entretien, etc. L'angélisme béat est l'approche qui transparait dans la lecture de ce chapitre des  Lignes directrices provisoires sur l’exploration gazière et pétrolièreCette approche est totalement irresponsable.