samedi 1 avril 2017

Un projet-pilote d'exploitation dans les Basses-Terres du St-Laurent est impensable en analysant le potentiel réel de l'Utica qui s'avère négatif.

Le 8 février 2017, Questerre Energy Corporation a émis un communiqué qui annonce une relance dans les travaux d’exploration/exploitation du gaz dans le shale d’Utica. Il s’agirait selon le pdg M. Binnion de projet(s)-pilote(s) dans la région de Bécancour et/ou Lotbinière.

Questerre détient directement un seul des 77 permis actuellement en vigueur dans la liste du MERN (permis # 2005PG773) ; ce permis correspond à un territoire de 218 km2 dans la région de St-Jean d’Iberville (zone verte dans la fig. 1 ci-dessous). Questerre ne détient donc directement que 1,7% du territoire de l’Utica sous permis (13129,92 km2) dans les Basses-Terres du St-Laurent.

 
Figure 1: Liste et carte des permis d'exploration d'hydrocarbures dans l'Utica des Basses-Terres - données MERN 27 janvier 2017.




Talisman Energy, devenu Repsol Oil & Gas Canada Inc. le 8 mai 2015, possède la plus grande part de ces permis : 3666 km2 pour vingt permis qui représentent 28% du territoire (teinte orange, fig. 1). À noter que Talisman avait radié ses principaux actifs au Québec en 2012, et Questerre avait annoncé la même chose en 2016. Les permis de recherche d’hydrocarbures demeurent cependant en vigueur à leur nom. Le site WEB de Repsol ne fait aucune mention d’actifs au Québec ; le site WEB de Questerre par contre les décrits globalement. Questerre est partenaire de Repsol qui a aussi un lien de partenariat avec Intragaz détenteur de 767 kmen permis. Les neuf permis d’Intragaz sont localisés aux deux sites d’opération de stockage souterrain de gaz de la compagnie : Pointe-du-Lac et St-Flavien (zones en rose dans la figure 1).

Pourquoi Bécancour et pourquoi Lotbinière ? L’objet ce de texte est d’analyser les données sur chacune de ces deux régions. Il y a eu des très fortes oppositions populaires lors de la précédente campagne de forages d’hydrocarbures dans les Basses-Terres du St-Laurent. M. Binnion indique vouloir maintenant regarder les possibilités dans deux zones « faiblement peuplées ».


Bécancour possède un vaste parc industriel situé en bordure du fleuve, juste à l’est de l’embouchure de la rivière Bécancour (fig. 2).  Ses promoteurs sont toujours intéressés à de nouveaux projets ; le député local (CAQ), les chambres de commerce, etc. sont ouverts à donner leur appui à ce type de développement industriel. Le conseil du patronat et les chambres de commerce ont invariablement présenté des mémoires (BAPE, ÉES, etc.) favorables au développement de l’exploitation des hydrocarbures au Québec. L’avantage d’un parc industriel, c’est avant tout qu’il n’a pas de résidents, pas non plus de conflits éventuels avec des opérations agricoles. En annonçant ce projet-pilote, on peut penser que M. Binnion pourrait de plus souhaiter un apport de fonds publics, comme cela s’est produit avec Pétrolia à Anticosti.

 
Figure 2:   La zone du parc industriel de Bécancour.


Le communiqué de presse de Questerre parle d’un projet-pilote de 36 000 acres ; c’est donc une zone plus étendue que le territoire du parc industriel délimité ci-dessus en magenta. Trente-six mille acres correspond à un peu plus qu’un carré de 12 km de côté (en jaune, fig. 2).

Lotbinière est certes une région agricole, mais elle possède aussi une vaste zone forestière inhabitée que lorgnent les promoteurs pétroliers et gaziers depuis le tout début. La Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) a donné l’autorisation pour un projet de gazoduc dans la région de Lotbinière à Gaz Métro. Cette décision date du 8 décembre 2011 et elle est valide pour dix ans ; elle concerne les dossiers #367629 (Leclercville), #367630 (Saint-Édouard-de-Lotbinière), #367631 (Saint-Janvier-de-Joly) et #367633 (Saint-Flavien). Le tracé approximatif (fig. 3) de ce projet relie les puits de Leclercville, St-Edouard, etc. aux installations existantes de stockage de gaz à St-Flavien.

 
Figure 3 :   Le secteur de la forêt de Lotbinière montrant quelques uns des puits ; en rouge, deux puits avec fracturation. Le carré jaune donne à titre indicatif ce que représente 36 000 acres.

 
Figure 4 :  L’unité d’aménagement 034-51 qui correspond à la forêt de Lotbinière. réf.


La localisation exacte de ce projet, ou de ces deux projets-pilotes, n’est pas encore précisée. Ce que le communiqué indique déjà par contre c’est une évaluation des revenus nets prévus : « La valeur nette de cette zone de développement de 36 000 acres est estimée à 311 millions $ » M.Binnion, 9 février 2017. Il y a peu de détails pour expliquer ce résultat. Voyons donc nous-même si c’est réaliste : 
36 000 acres c’est 56,25 mi; exploiter cette portion de shale d’Utica demanderait environ 36 plateformes de 8 à 10 puits chacune (ex. de plateforme: voir min 8:20). C’est un coût en puits d’au moins 3,6 G$. Comme il y auraitselon M. Binnion 0,311 G$ de revenu net, le revenu brut devrait donc environ 3,9 G$  (3,6 + 0,311) comme total de valeur en gaz récupérable pour produire le revenu net prétendu. Au prix actuel de 3$/1000 pc, on penserait donc pouvoir sortir 1300 Gpc de ce territoire de 56,25 mi2, ce qui correspondrait à 23,1 Gpc/mi(milliards de pieds cubes par mille carré). Dans un autre calcul avec le prix hypothétique de 4$/1000 pc, le volume correspondant serait 975 Gpc, ce qui équivaut alors à 17,3 Gpc/mi2.

C’est tout à fait incompatible avec les densités de gaz en place analysées par Chen et Al. de la Commission Géologique du Canada. Leurs résultats, qui sont repris dans le rapport du BAPE 2014 (fig. 5 ci-dessous), donnent la quantité de gaz en place en milliards de pieds cubes par par mille carré (Gpc/mi2). La densité est inférieure à 20 Gpc/mi2, sauf dans cinq petites zones plus riches qu’on désigne comme « sweets spots ».

Figure 5 :  Gaz en place dans le shale d’Utica - rapport du BAPE 2014, fig. 7





Figure 6 :  Les quantité de gaz en place dans les secteurs de Bécancour et Lotbinière.









   
Dans le secteur de Bécancour, la quantité de gaz total en place dans le shale est indiquée comme ~10 Gpc/mi2.  Dans le secteur de Lotbinière, la densité est plus élevée et la quantité de gaz total en place dans le shale est ~ 40 Gpc/mi2.  Évidemment ces densités estimées se rapportent au gaz total emprisonné dans la roche. Les taux de récupération réalistes varient entre 8% et 20%. On peut donc estimer sortir 1 à 2 Gpc/mi2 à Bécancour et peut-être 3 à 8 Gpc/mi2 dans le « sweet spot » de Lotbinière, mais certainement pas 23 Gpc/midans aucun de ces deux endroits.

Si la quantité de gaz extrait est 2 au lieu de 23 Gpc/mi2, le revenu brut sera à Bécancour dix fois moins que le montant avancé ; environ 400 M$ au lieu de 3,9 G$.

Dans le cas de Lotbinière, ce serait au mieux (8/23e de 3,9 G$) environ 1,36 G$ en valeur brute de gaz extrait. Il y aurait là un énorme déficit par rapport au coût (3,6 G$) des 36 plateformes requises dans chacune des deux hypothèses. Les revenus nets indiqués dans le communiqué de Questerre sont à des années-lumières de la réalité. Les données de compilation et d’interpolation géostatistiques utilisées par Chen et al. demeurent approximatives ; elles constituent néanmoins la meilleure méthode reconnue. On ne peut pas les ignorer.

Talisman Energy, qui a réalisé le plus grand nombre des puits avec fracturation entre 2008 et 2010, n’a pas présenté les résultats des tests de production, à l’exception d’un seul cas: le puits St-Edouard HZ No1. Ce puits est situé en plein centre du sweet spot  de Lotbinière; c’est le symbole + qui le situe dans la figure 5.

J’ai précédemment commenté ce test de production de gaz dans mon billet de janvier 2016. Je reprends ici sommairement les éléments les plus significatifs de ce test de production (fig. 7 ci-dessous), car c’est la seule donnée probante de terrain dont on dispose actuellement:


Figure 7 :  Courbes de déclin de la production de gaz d’un puits dans le shale d’Utica: une productivité fictive VS un cas réel.







La surface (A) sous la courbe, donne le volume cumulatif de la production d’un puits. Celle sous la courbe rouge, une courbe fictive qui est de plus transposée de l'Ohio, donne un volume plus de cinq fois plus grand que le volume (B) qu'il est possible d'obtenir avec la courbe en magenta qui montre un cas réel, mesuré dans le puits A275 St-Edouard HZ No 1. Les promoteurs et même des rapports gouvernementaux (GECNo5) ont utilisé les valeurs hyper optimistes et fictives, plutôt que les données de terrain mesurées au Québec.

Dans ce dernier cas, j’ai calculé que la production ultime du puits A275 serait de 37 Mm3 (~1300 Mpc) ce qui rapporterait brut à 3$/1000 pc environ la moitié (3 935 000$) seulement du coût du puits (~8 M$). Le puits A275 est présenté par des auteurs (Cheng, Lavoie & Malo,2014) comme le meilleur des 18 puits fracturés : « L’industrie a publié les résultats pour quelques puits qui indiquent des résultats encourageants (Marcil et coll., 2012), le meilleur puits (Talisman St. Edouard no 1) ayant une production initiale de 11 Mpi3/jour et un débit stabilisé de fermeture de près de 6 Mpi3/jour après 30 jours ».  En supposant que la fracturation s’étend en moyenne à 150 m, le puits draine 0,35 km2 (fig. 8). Ultimement on y produirait 1,3 Gpc, ce qui correspond à 19% de la quantité de gaz en place dans le shale rejoint par la fracturation.

Figure 8 :  Le puits A275 foré en 2009 situé sur la route Leclerc à St-Edouard-de-Lotbinière.


   
Si un puits qui se situe dans un sweet spot ne peut même pas payer 50% de son coût, qu’en est-il des autres puits fracturés réalisés dans l’Utica ?  Ces autres données n’ont jamais été présentées ou analysées par les diverses études et les commissions lancées sur la question du gaz de schiste. Les promoteurs se sont bien gardés de les rendre publiques, à l’exception du puits A275.  Talisman a  rayé des livres ses actifs au Québec parce qu’il n’est pas possible d’envisager une exploitation, pas seulement parce que l’acceptabilité sociale n’était pas au rendez-vous. Le BAPE est arrivé à cette même conclusion en 2014, mais il faut se demander pourquoi le BAPE et l’ÉES, avec tous les millions dépensés en frais d’études, n’ont pas exigé des promoteurs la publication des données des 17 autres puits fracturés. Une analyse de ces données comme celle que je fait ci-dessus pour le puits A275, aurait pu clore de façon définitive toute velléité de reprendre encore en 2017 ce faux débat sur des hypothétiques retombées économiques « qui mériteraient d'être explorées ».
   
J’ai tenté d’obtenir du MERN une copie des rapports de complétion des puits fracturés ; ces fracturations datent de plus de six ans maintenant, mais on n’y a toujours pas accès. Elles sont protégées par les directives relatives aux « renseignements personnels » selon les avocats qui répondent aux demandes d'accès à l'information au ministère. Cette interprétation des directives est outrancière et favorise les intérêts de l'industrie au détriment de la transparence qui serait de mise.  Le substratum est une propriété de l’État ; les permis et autorisations ne s’apparentent qu’à des droits locatifs temporaires sur le shale ; si le locateur temporaire a fait des fracturations irréversibles dans ce bien public,  pourquoi en tant qu’expert indépendant ne puis-je examiner les rapports de ces travaux de fracturation ? Pourquoi l’État n’a-t-il pas lui-même commandé leur étude dans le cadre de l’ÉES? Il s’agit là pourtant de données bien réelles qu’on a choisi d’ignorer volontairement ; le gouvernement a commandé (et payé à grands frais) à la place des études de modélisation (ÉES étude E3-10, voir 20:46 min) qu’on peut facilement qualifier de « bidon » ainsi que beaucoup d’études sur les « besoins de l’industrie ».


Et nous voici en 2017 à l’aube d’une tentative de relance « de l’acquisition de connaissance » par le démarrage (et l’appel de financement public?) d’un projet-pilote ciblant Lotbinière ou Bécancour. La vigilance de tous s’impose, car nos gouvernants ont continuellement démontré qu’ils adhèrent, sans l’avouer ouvertement, à cette vision qui est celle des détenteurs des permis d’hydrocarbures.  Les arguments scientifiques n’ont que peu d’impact sur les décisions du gouvernement : à preuve le contenu navrant des récentes lois (loi 106) et règlements (RPEP) ne tient aucunement compte des mémoires déposés par les experts indépendants. Une forte pression populaire démontrant une non-acceptabilité sociale aura un impact politique plus effectif.
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Dans ce texte nous avons volontairement limité le calcul économique à sa plus simple expression :
Revenus :  la valeur brute du gaz extrait dans l’hypothèse la plus favorable
Dépenses : le coût de construction des puits (10M$/puits) incluant les coûts de raccordement

N.B. Toutes ces données en dollars US; les densités sont données en milliards de pieds cubes par milles carré, comme c'est courant dans cette industrie ; 36000acres = 145,69 km2. Il y a 2,59 km2 dans un mi2; il y a 35,315 pc dans un m3  (1 m3/km2 = 91,466pc/mi2). Je postule ici des plateformes comportant 10 puits et couvrant 4km2 comme dans les études du dernier BAPE. Chaque puits a un coût de 10M$ incluant la fracturation, raccordements, etc.; des forages horizontaux plus longs pourront couvrir plus que 4km2, mais leur coût de fracturation et le risque d'échec augmenteront en proportion. Les statistiques montrent que les exploitants paient pour un % de puits qui se révèlent improductifs, causé souvent par un échec lors de la fracturation. Au final, le coût de base de l'exploitation avoisinera toujours 25M$/km2 car il faut environ 2,5 puits/km2, ou l'équivalent en puits plus longs et plus coûteux. C'est un ordre de grandeur général, car d'un État à l'autre aux USA, il y a des variations. Au Québec, les coûts se retrouveraient dans la tranche haute. Sans même ajouter les coûts d'opération divers, les redevances, les coûts environnementaux, etc., 25M$/km2 demeure un estimé minimal très conservateur et bien utile comme base de calcul.

Comme ces simples données démontrent que ces simples coûts dépassent de beaucoup les revenus bruts possibles, il aurait été farfelu de pousser plus loin les détails de l’analyse. Dans une analyse plus exhaustive, il faudrait évidemment ajouter d’autres paramètres: les coûts annuels d’opération, les frais de redevances, les coûts environnementaux, l'indexation des paramètres pour la durée de l'exploitation, etc. C’est bien inutile dans le cas d’un projet dont on constate qu’il est voué à l’échec commercial dès l’analyse la plus sommaire. Mais un grand danger subsiste : le jeu des promoteurs en cause actuellement ne se situe pas dans un contexte d’une exploitation réelle; il s’agit plutôt d’opérations de compagnies juniors visant à mousser la valeurs des permis d’exploration.

À l’étape d’exploration, le jeu complexe des avantages fiscaux, des subventions directes et indirectes, les contributions gouvernementales au financement (ex.: cas d’Hydrocarbures Anticosti S.E.C.), etc. faussent complètement le libre marché des décisions économiques. En avançant une proposition de projet-pilote et en y mettant des paramètres gonflés à l’hélium, le promoteur se place dans une position avantageuse où il pourra prétendre faire de la recherche ou de l’expérimentation. À cette étape, le gouvernement n’exigera aucune redevance ; au contraire, le promoteur pourrait plutôt solliciter la participation de fonds publics. Il y a au gouvernement (ministère des finances, MERN et MDDELCC) des hauts fonctionnaires très ouverts et qui semblent être en communauté de pensée avec les promoteurs.

Les taux de récupération farfelus que le promoteur choisit, les millions de revenus qu’il projette ne seront pas remis en cause quand il les présentera ; plus les chiffres de revenus seront gros, plus on voudra y croire aveuglément au gouvernement. La compétence, l’expertise en ce domaine du côté des hauts fonctionnaires peut être remise en question; les décisions passées qui ont mené à mettre des millions de fonds publics dans les forages à Anticosti en sont la preuve. Les promoteurs-détenteurs des permis Pétrolia et Corridor Ressources dans ce cas précis s’en sont tirés avec un financement nul à mettre dans le coûts des forages d’exploration. Il faut craindre la possible reprise de ce scénario à Bécancour ou Lotbinière.

mercredi 1 mars 2017

L'accès à l'information environnementale

Mon billet de ce mois-ci vise à souligner et à rendre hommage à tous les citoyens qui consacrent temps et énergie à suppléer aux manques flagrants de nos gouvernants en ce qui a trait à la protection de l’environnement. Cet environnement est ce que nous léguons à nos enfants et petits enfants, ce qui nous donne une motivation très importante pour nous y investir autant.

Les présentations récentes des lois 106 (hydrocarbures) et 102 (réforme de la Loi sur la qualité de l’environnement) ont suscité des actions de mobilisation. Nous avons aussi réagi aux règlements promulgués pour régir les modalités d’application de ces textes de loi, dont le Règlement sur le pétrole, le gaz naturel et les réservoirs souterrains et le RPEP (Règlement sur le Prélèvement des Eaux et leur Protection).

Le RPEP a été passé en catimini pendant les vacances de l’été 2014. De plus en plus de municipalités s’y opposent. Les maires ont demandé à rencontrer les responsables de ce texte de règlement au MDDELCC; ils étaient accompagnés d’un comité ad hoc de quelques spécialistes des questions relatives à la protection des nappes d’eau. Les hauts fonctionnaires se sont limités à une écoute polie, mais ils sont restés sur la conviction de tenir eux seuls la vérité scientifique. Il est devenu manifeste lors des discussions que leurs assises scientifiques reposent sur des arguments qui se retrouvent essentiellement dans les  points de vue des promoteurs. Les maires et leurs experts défendent les nappes phréatiques alors les hauts fonctionnaires du MDDELCC défendent leur position avec les mêmes arguments qu’on retrouve dans les textes du lobby industriel (lobby pétrolier dans le cas de la loi 106 et du RPEP). C'est un peu le monde à l'envers: au ministère de l'environnement leurs experts défendent l'industrie et les maires défendent l'environnement.

L'opposition au RPEP tient beaucoup au fait que c'est par ce règlement que le gouvernement a introduit les dispositions pour autoriser la fracturation hydraulique au Québec. Cela s'est fait par le moyen d'un simple règlement, donc sans analyse et discussion par les élus du parlement. Les députés ont failli avoir une occasion d'en discuter sérieusement lors de l'examen de la loi 106 en commission parlementaire, mais ils ne se sont pas rendus plus loin que l’article 25 (sur 269 articles dans la loi 106). Le bâillon gouvernemental a mis fin brutalement à l'analyse de la loi sur les hydrocarbures en décembre 2016. Il n'y avait là qu'une fausse urgence, car la loi 106 n'est toujours pas promulguée en date d’aujourd’hui 1er mars 2017.

Le Regroupement Vigilance Hydrocarbures du Québec vient de mettre en œuvre un vaste programme d'opposition au RPEP.  Il est très difficile de faire entendre raison à un gouvernement, sauf en passant par une vaste mobilisation des citoyens.

Ces démarches demandent beaucoup de temps et d'énergie pour faire un travail qui devrait en réalité être fait par les élus et par les fonctionnaires dont c'est justement le rôle de prendre à coeur l'intérêt des citoyens. C'est souvent déprimant de constater en analysant les textes de loi et des règlements, que la réalité est toute autre.

Ces actions de mobilisation ont parfois porté fruit ; il faut souligner le cas récent du revirement significatif du ministre D. Heurtel le 21 février pour son projet de loi 102.  Le 9 février 2017 une lettre collective a été envoyée au premier ministre au sujet de la réforme présentée pour la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE). Le Centre Québécois du droit de l’Environnement (CQDE) avait présenté un important mémoire en novembre 2016.  Cette action patiente et soutenue du CQDE et d’autres groupes a porté fruit comme en témoigne le revirement du 21 février 2017. C’est une victoire à souligner. Elle implique la transparence dans la diffusion des documents déposés au gouvernement pour des demandes de permis notamment.

Sera-t-il vraiment possible à l'avenir d'avoir un accès aux documents déposés à l'appui des demandes d'autorisation? Il faudra voir à l'usage, quelles directives les fonctionnaires feront dans l'application des articles de loi. Il y a tant de moyens de contourner les bonnes intentions exprimées; deux exemples  auxquels je me suis buté:
1- Les rapports des forages des puits d'exploration étaient été mis en ligne sur le site SIGPEG. En 2014 juste à temps pour les travaux de forage à Anticosti, le gouvernement change l'appellation: ils deviennent des "sondages stratigraphiques" ce qui a pour résultat de soustraire tous ces rapports du domaine public. Les rapports de forage d'avant 2014 devenaient publics trois ans après les travaux; maintenant par un simple changement de définition, il n'y a plus aucun accès aux rapports de forages renommés "sondages stratigraphiques".
2- J'ai demandé au MERN les documents relatifs à la complétion (fracturation en termes clairs) des puits datant de 2010. Pour cela il faut passer par la loi d'accès à l'information; c'est une avocate du MERN qui répond après un long délai étiré au maximum: "Nous avons le regret de vous informer que nous ne pouvons vous transmettre le rapport détenu par le ministère ... protection des renseignements personnels (RLRQ, chap. A-2.1) etc.".  Est-il normal d'interpréter ainsi la loi alors que ce qui est en cause est le rapport de fracturation du substratum rocheux qui appartient à l'État? Le détenteur, Talisman* à l'époque, du permis pour le gaz de schiste a fait des modifications irréversibles par des travaux de fracturation dans un milieu qui appartient à la collectivité. Il ne possédait que des droits de durée limitée, concédés par l'État, pour les hydrocarbures emprisonnés dans le schiste. Les citoyens forment la collectivité propriétaire de ce milieu et de cette ressource;  les citoyens devraient pouvoir connaître les modifications que ce milieu a subies. Le gouvernement étire l'élastique de loi au maximum en invoquant la protection de renseignements personnels pour protéger en fait des intérêts de petits groupes industriels privés.  


Les lois sont énoncées pour des principes louables en soi. L'application concrète, voire le détournement de ces principes pour favoriser des gros intérêts d'un bien petit nombre, c'est hélas ce qu'on constate concrètement dans le dossier des hydrocarbures. 

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* Talisman Energy Inc. a été acquise par l'espagnole Repsol en 2015. Depuis le 1/01/2016, la cie se nomme Repsol Oil & Gas Canada Inc. En fin d'année 2012, Talisman avait déjà radié de ses actifs les puits  forés et fracturés au Québec, mais ces installations et leurs fuites sont encore présentes.

mercredi 25 janvier 2017

La candidature d’Anticosti aux sites du patrimoine mondial de l’UNESCO


Après être arrivé à deux jours du délai limite pour répondre à la demande préparée par le maire d’Anticosti John Pineault, le gouvernement donne aujourd’hui le 25 janvier 2017 son appui à ce dossier.
Qu’est-ce que cela signifiera concrètement? L’arrêt définitif des forages d’exploration sur l’île? L’arrêt momentané d’ici à ce que l’UNESCO se prononce?
Le dépôt de la candidature ne signifie pas un classement automatique; l’UNESCO ne se prononcera pas avant des mois. Le gouvernement du Québec peut trouver là une autre façon de se donner une autre fois encore du temps avant de se résoudre à se “brancher” de façon définitive dans ce dossier. Même pour les détenteurs des droits pétroliers sur Anticosti, un délai n’est pas négatif; cela permet d’entretenir la fiction du gisement encore un peu. Il est certainement préférable pour les spéculateurs de ne pas devoir clore l’aventure trop tôt; mieux vaut faire durer la valeur fictive des permis pour la meilleure possibilité de négocier un dédommagement.
Les derniers forages (cinq en 2014 et sept en 2015) ont donné des résultats qui traduits en termes concrets de pétrole exploitable, confirment une absence totale de rentabilité, même avec une remontée fulgurante du prix du pétrole. L’admettre publiquement signifierait la fin abrupte du projet et cela réduirait aussi à zéro la valeur des permis détenus. Un nouveau report prolonge artificiellement l’illusion: un peu comme une personne cliniquement morte, mais gardée artificiellement sous un état latent de vie apparente.
Pour le gouvernement, les facteurs déterminants sont avant tout d’ordre politique: entre le OUI et le NON à un appui pour cette candidature d’Anticosti, quelle est la décision qui rapportera le plus politiquement. C’est un OUI certainement. Mais on se garde de plus une option: en soumettant simultanément le fiord du Saguenay comme candidat, on conserve tout le bénéfice politique de l’appui à Anticosti, tout en gardant la possibilité que ce soit plutôt le fiord qui au final soit retenu. Le gouvernement sait qu’il y a bien des chances que la candidature d’Anticosti passe en 2e à l’UNESCO, car celle du fiord a un mérite certain et cette candidature attend depuis bien plus longtemps. Plutôt que de décider eux-mêmes de préserver Anticosti, les ministres ont trouvé une porte de sortie idéale: ils vont laisser l’UNESCO rendre ce verdict. Si jamais l’UNESCO ne classe pas Anticosti au patrimoine mondial comme c’est possible, alors le gouvernement pourra utiliser cette décision pour se dédouaner et reprendre les forages. Une pierre deux coups: un appui pour la forme à Anticosti + la poursuite des forages une fois la décision rendue.
Le gouvernement ne prend pas lui-même la décision de stopper les forages et l’exploration. Il se préserve juridiquement; il évite ainsi d’être poursuivi directement pour cette décision.
À la question posée en début de ce texte, on peut penser que la décision d’aujourd’hui n’est certainement pas une fin définitive aux travaux d’exploration à Anticosti. On va même entendre dans les prochaines semaines, des ministres défendre l’idée qu’on peut encore ‘faire de l’exploration pour fins de connaissances scientifiques’, qu’il faut ‘respecter les ententes avec les partenaires dans Hydrocarbures Anticosti en attendant la décision de l’UNESCO’, etc. Concrètement, rien n’est changé dans la suite des décisions prises en 2016 pour Anticosti: “business as usual” donc.
Les forages et la fracturation se poursuivront comme prévu. Une simple autorisation de transmettre la demande de classement à l'UNESCO n'est pas une réelle décision quant au sort d'Anticosti. L'exploitation ne se fera pas SI, et seulement SI,  l'UNESCO décide de classer l'île.
Comme le gouvernement soumet aussi le site du fiord du Saguenay dans ce même appui, mettez-vous un instant dans la chaise des commissaires de l'UNESCO: le Québec, propriétaire de l'Île, continue à accorder des autorisations de forage et des autorisations pour toutes les étapes menant à la fracturation hydraulique de trois puits l'été 2017. Ce gouvernement propriétaire de l'Île et co-propriétaire des permis pétroliers, s'accorde à lui-même, pour ainsi dire, ces autorisations. Il est actionnaire de Pétrolia. Il est aussi actionnaire d'Hydrocarbure Anticosti qui détient les permis. Il finance à 57% le coût de ces travaux d'exploration. L'UNESCO constatera que ce demandeur incohérent tente de lui refiler une décision qu'il ne souhaite pas prendre lui même. Ma prédiction est que le fiord du Saguenay sera choisi et qu'Anticosti ne sera pas retenu. Le gouvernement pourra ensuite aller de l'avant avec ses travaux pétroliers à Anticosti. C'est là l'essentiel du contexte dans lequel le caucus ministériel vient de prendre la décision d'autoriser la demande de classement à l'UNESCO.

En bref, avec sa décision prise ce mercredi 25 janvier d'autoriser la demande de classement à l'UNESCO, le gouvernement tire un profit politique dans toutes les éventualités:
- Son appui apparent à cette semaine lui donne immédiatement des bons points dans l’opinion publique
- Si c’est accordé, l’UNESCO prendra de facto à la place du gouvernement la décision de stopper l’exploitation; les environnementalistes seront ravis de l’arrêt des forages, des membres des chambres de commerce eux seront furieux.
- Si cela n’est pas accordé, les environnementalistes perdent cette lutte; le gouvernement et les promoteurs se frottent les mains, car la contrainte disparait dans la poursuite du développement pétrolier d'Anticosti.
- Mais le principal avantage de la décision du gouvernement, c'est le ministre de la Forêt, de la Faune et des Parcs M. Luc Blanchette qui l'a candidement exprimé«Tout ce qu’on fait, c’est consentir à une candidature et les choses vont suivre leur cours, mais on a jusqu’à 2021 avant qu’on soit obligé de prendre des décisions». Ne rien décider, gagner du temps, laisser Pétrolia réaliser la suite des travaux de forage et de fracturation avec les permis déjà accordés, c'est là l'objectif essentiel du gouvernement.

Dans sa lettre au maire d'Anticosti, le ministre ajoute: "le gouvernement entreprend les consultations et démarches nécessaires en son sein, ainsi qu'auprès de la communauté de l'île, des nations autochtones concernées et des titulaires de droits sur l'île pour que, d'ici 2020, il soit en mesure de prendre les moyens de protection requis pour l'ensemble de l'île". On ne parle pas en ce moment d'une décision de protéger l'île, mais seulement d'une consultation. On sait ce que peuvent donner des consultations dans ce dossier au gouvernement: il y a eu le BAPE-Gaz de schiste en 2010-11, suivi de l'ÉES en 2011-12, suivi des consultations de la Commission Lanoue-Mousseau, suivi de 2e BAPE-Gaz de schiste 2014, suivi des ÉES-Hydrocarbures et ÉES-Anticosti en 2015-16. Les centaines de mémoires déposés à chaque commission (pour la grande part maintenant effacés des sites WEB où ils s'affichaient), n'ont eu aucun impact sur le produit final: l'adoption sous bâillon de la loi sur les hydrocarbures.
Dans cette nouvelle consultation, la liste des "consultés" se réduira aux fonctionnaires à l'interne (le gouvernement... en son sein), aux résidents de l'Île, aux nations autochtones concernées et aux titulaires des permis (Pétrolia, etc.). Est-ce que cela mènera vraiment à une protection de l'Île? On peut encore en douter. Les résidents de l'Île sont partagés, les autochtones sont résolument contre l'exploitation pétrolière, mais bien des fonctionnaires au MDDELCC et au MERN témoignent en continu depuis 2008 objectivement par leur écrits (règlements comme le RPEP, etc.) d'une similitude de pensée avec le lobby pétrolier, qui lui évidemment demeurera résolument pour ce développement pétrolier. Qui pèsera le plus lourd dans la balance? d'un côté les détenteurs des permis et les fonctionnaires qui recommandent à chaque occasion l'octroi d'autorisations permettant les divers travaux qui mèneront à la fracturation hydraulique;  ou bien de l'autre côté les résidents partagés et  deux nations autochtones. Tous les groupes et experts externes n'auront aucune voix dans ce cas-ci. Constatons que c'est une façon plus claire cette fois de préciser que de toutes façons, au gouvernement on en tiendra jamais compte dans ce dossier précis.

N.B. La première partie de ce texte a été publiée dans le Devoir le 3 février 2017.

ADDENDUM septembre 2023:  Onze mois après la rédaction de ce texte, le comité fédéral qui devait faire la présélection des sites à soumettre à l'UNESCO, a retenu Anticosti et a rejeté la candidature du fjord du Saguenay le 20 décembre 2017. C'est le caractère unique de la géologie d'Anticosti d'âge Silurien et Ordovicien qui a été déterminant.
Presque six ans plus tard, le 19 septembre 2023, le comité de du patrimoine mondial de l'UNESCO qui se réunit pour sa 45e session à Riad ajoute officiellement l'île d'Anticosti à la liste prestigieuse des joyaux de l'humanité.

dimanche 1 janvier 2017

Revue de l’année 2016

En ce 1er janvier 2017, je fais un bref bilan personnel des douze derniers mois dans le dossier des hydrocarbures au Québec. Comme on a beaucoup parlé d'Anticosti en 2016, mon billet sera surtout centré sur l'hypothétique gisement de pétrole de cette île.

En début d'année 2015, je me réjouissais de la victoire de la raison dans le dossier du gaz de schiste de l'Utica dans les Basses-Terres du St-Laurent. En cette fin d'année 2016, je me désole de devoir faire le constat suivant: la pression pour le développement des hydrocarbures au Québec s'est concentrée depuis sur Anticosti et le gouvernement n'a essentiellement retenu que le point de vue des promoteurs. L'année se termine avec l'adoption d'une loi qui autorise toutes les formes d'exploitation d'hydrocarbures, y compris les gisements non conventionnels pour lesquels l'exploration et l'exploitation impliquent l'usage de la fracturation hydraulique.

L’année 2016 débute avec la suite des déclarations angéliques de Philippe Couillard, qui depuis son retour de la conférence sur le climat COP 21 de Paris, jure que le saccage d’Anticosti par la fracturation hydraulique et par les puits de pétrole ne porteront jamais sa signature. Hélas les événements de l’année 2016 montrent que d’autres ministres (MERN, MDDELCC) sont autorisés à signer pour toutes les étapes intermédiaires …

Pétrolia attendra un peu la réponse à ses demandes d’autorisation pour trois puits avec fracturation: elle ne viendra qu’en juin 2016. Mais cette réponse est un feu vert tous azimuts pour trois forages, c’est-à-dire quatre autorisations (permis) pour chacun des trois puits prévus. Le gouvernement a décerné non pas seulement un permis pour chaque puits pour les opérations de forage (1), mais il a autorisé aussi, avant même que les puits ne soient commencés, trois permis complémentaires à chacun des trois sites pour les fins des opérations de fracturation: autorisation de prélèvement des grands volumes d’eau requis pour la fracturation dans les rivières adjacentes aux trois sites (2), le traitement des eaux de reflux de la fracturation (3), et finalement le torchage des gaz émis (4) pompeusement nommé « Système de traitement des émissions atmosphériques ».

Le 30 mai 2016, le gouvernement publie les deux rapports finaux des Évaluations Environnementales Stratégiques: ÉES-Hydrocarbures et l'étude spécifique à Anticosti ÉES-Anticosti.  Ces derniers rapports s’ajoutent à la suite des précédentes études gouvernementales :
- BAPE février 2011,
- ÉES-Gaz de schiste janvier 2014,
- Commission sur les Enjeux Énergétiques février 2014,
- BAPE novembre 2014.

Pour chacune de ces commissions, nous avons déposés des commentaires et des mémoires. Tout ce processus semble bien n’avoir été qu’une vaste opération de façade car le 7 juin 2016, le gouvernement dépose la loi sur les hydrocarbures enrobée dans un autre texte. Il refusera tout le reste de l’année de séparer ce projet de loi controversé de l’autre partie qui fait plus consensus.

Le 15 juin, c’est l’octroi des autorisations pour les trois puits avec fracturation à Anticosti.

L’étude en commission parlementaire de la loi 106 est interrompue le 7 décembre par le bâillon ; la commission n’aura discuté que des articles 1 à 25, sans même arriver à aborder les vrais articles qui se rapportent plus ou moins directement à la fracturation hydraulique.

Le 12 décembre, le gouvernement accorde une nouvelle autorisation pour rapprocher le puits No3 de la faille Jupiter ; une décision aberrante mais qui cadre bien avec toutes celles aussi illogiques qui l’ont précédée.

Comment résumer cette triste année 2016 ? D’une part, il y a eu, pour la façade, des consultations et des bien belles déclarations émotives de M. Philippe Couillard. D’autre part, il y a l’action législative (loi 106 et règlements) et les autorisations toutes orchestrées pour rendre possible la fracturation hydraulique. Au final les consultations n’ont donc eu aucun impact sur les décisions rendues dans les officines qui s’occupent des vraies affaires. Un bilan bien triste pour cette année 2016.

Qu’arrivera-t-il en 2017 ? Personne n’est véritablement devin ; c’est donc seulement des souhaits qu’on peut exprimer. Je souhaite que toute cette action gouvernementale où nos dirigeants persistent à s’enfoncer avec nos fonds publics, arrive au plus vite à son cul-de-sac prévisible. Ce n’est pas des lois et des règlements qui vont changer la réalité des faits: le pétrole et encore plus le gaz d’Anticosti ne seront jamais rentables. Les dépenses d’exploration sont faites en pure perte*.

En début d'année, c'est la coutume d'énoncer quelques souhaits. Je souhaite que le partenaire Morel&Prom en soit convaincu dès que possible et retire ses billes du partenariat Hydrocarbures Anticosti S.E.C. (HA S.E.C.). Je souhaite que les innus d’Ekuanitshit gagnent leur action en justice. Je souhaite que la mobilisation citoyenne fasse bloc autour de la prise de position des élus locaux de Port-Menier. Je souhaite que le gouvernement cesse de croire naïvement tout ce que le lobby pétrolier lui dit ; qu’il cesse surtout de ne prêter crédit dans ces décisions qu’à ce seul et étroit point de vue. Le mépris des autres opinions ne peut durer qu'un temps, car il aura un impact politique; je souhaite que le gouvernement en prenne conscience le plus tôt possible.

Références pour les autorisations émises le 15 juin 2016:



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* En ce qui a trait aux aspects économiques de l'hypothétique gisement d'Anticosti, il y a eu un paradoxe en 2016. L'ÉES-Anticosti a été lancée en 2014 en même temps qu'Hydrocarbure Anticosti, plus précisément Pétrolia son mandataire sur le terrain, amorçait des forages d'exploration. Des dix-huit prévus, douze ont été complétés: cinq en 2014 et sept autres en 2015. Or les résultats de cette dernière campagne de forage n'ont jamais été publiés; le rapport final de l'ÉES n'a pas du tout intégré les plus récentes données de forages. Toutes les études économiques qui ont alimenté l'ÉES et son rapport final sorti le 30 mai 2016 utilisent plutôt la valeur de 43 Gbbl publiée dans le rapport Sproule datant de 2011. Pourquoi avoir écarté les données des douze forages plus récents? Parce que ces données récentes ne sont pas favorables aux promoteurs.

Ce n'est pas dans le rapport final de l'ÉES-Anticosti du 30 mai qu'il faut aller chercher ces données, elles n'y sont pas. C'est plutôt dans une publication fédérale publiée un peu avant (rapport#8019 de Chen et al.) qu'on a les données les plus à jour pour Anticosti. L'évaluation de la quantité d'hydrocarbures en place pour toute la zone sous permis à Anticosti est ramenée à une valeur 15% plus faible: 37Gbbl. Aucun journaliste n'a rapporté cette baisse dans l'évaluation des ressources. Durant toute l'année 2016, Anticosti a défrayé la manchette à de très nombreuses reprises, mais aucun média n'a commenté la nouvelle évaluation plus basses des ressources. Les médias se sont durant toute l'année référés aux "quarante trois milliards de barils de pétrole d'Anticosti".

Le rapport #8019 donne de plus une répartition des densités en place, tant pour le pétrole (huile) que pour le gaz. Avec ces données, il est possible de conclure sans l'ombre d'un doute que ces hypothétiques ressources ne seront jamais économiquement exploitables. C'est là une nouvelle importante qui est hélas passée inaperçue; je crois donc utile de présenter ci-dessous une figure qui résume les données de l'évaluation complète qui a été faite en juin dernier à partir des données contenues dans l'étude #8019:



Pour résumer encore un peu plus les données de la figure, regardons uniquement les trois valeurs qui se rapportent au pétrole (29,4 --> 6,5 --> 0,12) :
- en place dans tout le territoire, la valeur exacte n'est plus 43 milliards, mais bien 29,4 milliards de barils; c'est là le total pour les trois détenteurs de permis, HA S.E.C.Junex  et TransAmerica
- en place dans la partie que le gouvernement cible avec 4155 puits (23% du territoire), c'est 6,5 milliards;
- avec un taux de récupération de 1,8%, ces 4155 puits pourraient produire 0,12 milliards (=120 millions de barils). Cent vingt millions c'est passablement moins que quarante trois milliards; il serait plus que temps de rajuster le discours à propos du pétrole qu'on pourrait extraire d'Anticosti.

Les valeurs du pétrole et de gaz qui pourraient être extraites par 4155 puits sont exprimées en Gbep c'est-à-dire en milliards de barils équivalents pétrole dans la figure. Le coût unitaire des puits, fixé à ~10M$, représente une dépense d'au moins 41 milliards de dollars. Ce n'est qu'une partie seulement de l'ensemble des coûts d'extraction présentés dans le rapport gouvernemental qui traite du "scénario optimisé". Les coûts d'investissements + les coûts opérationnels sont chiffrés dans ce rapport entre 90 et 120 milliards de dollars actuels. Or combien tirerait-on de revenus en extrayant 0,12 Gbbl de pétrole (=120millions de barils)? En supposant un prix à 100$/bbl, c'est 12 milliards de dollars de revenu brut pour le pétrole, un revenu bien insuffisant car les dépenses sont dix fois plus élevées ! Quant au gaz qui pourrait être extrait à Anticosti, il ne pourra jamais être compétitif avec celui produit aux USA; Anticosti est une île et sortir le gaz par méthanier avec des coûts pour le liquéfier demeurera toujours une solution économique non viable. Pourquoi le gouvernement, les chambres de commerce, les promoteurs, les médias également, ont gardé sous silence ces données en 2016?