mercredi 28 février 2018

Victoire de Ristigouche Sud-Est contre Gastem

Une grande victoire récompense la lutte d'une petite municipalité. Ristigouche Sud-Est gagne dans la poursuite que lui avait intenté GASTEM, une micro-compagnie pétrolière dirigée par l'ex-ministre libéral Raymond Savoie.
C'est une grande victoire car cette cause fera peut-être jurisprudence. Le jugement indique clairement que les municipalités constituent un palier gouvernemental qui a compétence pour les questions environnementales qui impliquent la protection de leurs citoyens. Dans ce cas précis, il s'agit du pouvoir de légiférer pour protéger les nappes phréatiques qui fournissent l'eau potable pour les citoyens.
Ce jugement démontre que malgré la politique du gouvernement du Québec de favoriser le développement de l'industrie pétrolière, des juges peuvent faire contrepoids à cette politique irréfléchie; cette politique a mené à un règlement où on autorise des puits d'hydrocarbures très près des habitations et à 400 m sous les nappes d'eau (RPEP), un règlement que contestent 338 autres municipalités.

Toutes nos félicitations au maire François Boulay et à tous ceux qui se sont impliqués dans cette lutte.

ADDENDUM du 6 mars 2018: La même logique affairiste du gouvernement consiste à ouvrir aux claims miniers l'ensemble du territoire pour quelques sous/hectare. Ces droits miniers sont bradés à des tarifs dérisoires et ils ont préséance sur les titres de propriétés de surface ainsi que sur toute réglementation municipale (article 264, Loi Am&Urb.). Quand une municipalité s'y oppose,  un industriel se croit ainsi justifié de poursuivre en dommages pour des sommes faramineuses basées sur des pseudos profits théoriques anticipés: 96 000 000$ pour Canada Carbon, une minière de Vancouver qui échoue de façon lamentable le test d'acceptabilité sociale. Ceux qui sont à blâmer ici sont au gouvernement du Québec, très occupés à ne pas déplaire au lobby minier. L'article 246 de la loi sur l'aménagement et l'urbanisme qu'invoque Carbon Graphite aurait dû être abrogé depuis longtemps. Il reflète encore et toujours l'esprit de la loi des mines de 1880 (free mining). Le gouvernement libéral bloque depuis des années l'application d'un article de la refonte adopté en 2013 de la loi des mines (a.304.1.1) qui vise justement à corriger cette situation. Comme pour Ristigouche, le gouvernement Couillard va dire qu'il ne se mêlera pas du litige entre Canada Carbon et Grenville-Sur-La-Rouge sous le faux prétexte qu'il n'est pas partie prenante dans ce conflit "privé".  Or c'est faux; c'est le gouvernement Couillard qui donne les claims et c'est le gouvernement qui édicte les lois et les règlements qui permettent, et même favorisent, ce genre de poursuite.

jeudi 1 février 2018

billet du 1er février 2018

Mon billet de ce mois-ci devait traiter du contenu final des règlements qui se rattachent à la loi sur les hydrocarbures. Ces règlements ont été présentés en septembre dernier, suivi d'une période de consultation. Le ministre a prolongée d'un mois cette période quand les municipalités ont dénoncé unanimement le fait qu'elle se situait en plein pendant le mois des élections municipales. Les règlements ne sont pas encore promulgués; il n'y a rien eu encore à ce propos sur le site de la Gazette Officielle du Québec.

Bien qu'adoptée en 2016, la loi sur les hydrocarbures n'est donc encore pas en vigueur.  LOI SUR LES HYDROCARBURES (RLRQ, chapitre H‑4.2).

Les versions qu'on a des quatre règlements présentés en septembre sont à ces liens:



4Règlement abrogeant le Règlement sur le pétrole, le gaz naturel et les réservoirs souterrains.
Ce quatrième règlement (page 4480 dans la Gazette Officiellene comporte que deux articles :
1.  Le Règlement sur le pétrole, le gaz naturel et les réservoirs souterrains (chapitre M–13.1, r. 1) est abrogé.
2. Le présent règlement entre en vigueur le quinzième jour suivant la date de sa publication à la Gazette officielle du Québec.

Comme cette publication n'a pas encore eu lieu, l'ancien règlement est en ce moment celui qui a force de loi. Après avoir lu les textes des nouveaux règlements, qui détaillent une longue liste de procédures, je crois qu'au final l'exigence toute simple formulée dans l'article 61 " 8°  le puits doit être laissé dans un état qui empêche l’écoulement des liquides ou des gaz hors du puits." donnait une bien plus grande protection. Ça dit en clair: pas de fuite tolérée, point à la ligne. Si des fuites apparaissent, même bien des années après la fermeture d'un puits, cela indiquerait que ce puits n'a pas  été laissé dans un état qui empêche les fuites.

Les nouveaux textes n'ont plus cette formulation. À la place il y a une longue liste de procédures pour "minimiser" les risques. Si l'exploitant a respecté la lettre ces diverses étapes, il sera exempt de tout blâme, même en cas de fuite. Il n'aura qu'à plaider qu'il a rencontré les exigences et l'absence de fuite n'est plus une exigence.

Pourquoi avoir abandonné l'exigence d'absence de fuite?  La réponse est bien simple: le lobby industriel a bien fait son travail auprès du MERN. Les fuites dans les puits d'hydrocarbures tant ceux en opération que ceux fermés définitivement, constituent un problème universel et techniquement sans solution depuis toujours dans cette industrie. Le remplacement d'une règle impossible à respecter (l'absence absolue de fuites) par une suite de procédures tirées des règles usuelles des bonnes pratiques de l'industrie est un bon changement pour l'industrie. Les nouveaux règlements ont une apparence de rigueur; ils vont dans le détail des opérations codifiées dans les bonnes pratiques des forages. Tout ça devient entériné sous la forme de règlements provinciaux.

Nous attendrons la publication des textes officiels dans leur version finale pour commenter plus à fond ce qu'ils contiennent, et aussi tout ce qu'ils omettent de réglementer (puits orphelins, responsabilité à long terme, risques environnementaux, pour la santé, etc.). Les points de vue autres que ceux de l'industrie n'ont pas été pris en compte lors des audiences précédentes pour la loi sur les hydrocarbures. On peut douter qu'ils aient un quelconque impact sur la révision des versions finales des quatre règlements; mais attendons de voir.

lundi 1 janvier 2018

Revue de l'année 2017 pour Anticosti

L'année 2016 avait été une année assez noire pour Anticosti avec d'une part des autorisations irréfléchies de forages-fracturations, et d'autre part des contestations et des poursuites en justice. L'année 2017 aura été nettement plus positive:  
- 25 janvier 2017, le Gouvernement du Québec, accorde sonconsentement pour soumettre le dossier comme  site du patrimoine mondial à l'UNESCO.
- 28 juillet 2017, le gouvernement annonce la fin définitive de l'exploration pétrolière et gazière à Anticosti; il verse 41,4 M$ à Junex, Corridor et Maurel & Prom.
- 9 août: il ajoute pour Pétrolia: 20,5M$.
- 4 octobre: il verse  finalement $305 694 pour le tout petit permis de Trans America Energy. Le gouvernement verse ces compensations pour mettre fin à la société Hydrocarbure Anticosti S.E.C. qu'il a créé à peine trois ans auparavant. Des compensations sont versées à certains des promoteurs qui n'ont même pas pris part aux dépenses d'exploration dans l'Île.

- 20 décembre le gouvernement canadien appuie la candidature à l'UNESCO. 
La très bonne initiative du maire de Port-Menier de soumettre le dossier de l'Île pour un classement à l'UNESCO aura donc connu des développements très positifs au cours de l’année 2017.

Pour régler de façon définitive le dossier du pétrole de schiste d'Anticosti, le gouvernement a mis fin à une longue suite de décisions contradictoires en versant plus de 62 millions de dollars aux divers détenteurs de permis d'exploration d'hydrocarbures. Ces montants s'ajoutent aux frais d'avocats ainsi qu'aux dépenses (~30M$) des forages d'exploration payés à 57% en fonds publics dans le consortium Hydrocarbures Anticosti. Avec ce 100M$, on aurait pu faire de belles et bonnes choses pour le développement harmonieux d'Anticosti. Cette somme hélas a plutôt servi à engraisser quelques petites compagnies juniors et autres promoteurs pétroliers; elle a été un facteur de division dans la communauté de Port Menier en entretenant depuis cinq ans le mythe d'un gisement qui n'aurait jamais pu être exploitable.

Les décisions d'investir des fonds publics dans l'exploration pétrolière à Anticosti ont été prises sans aucune étude économique crédible; celles d'avant 2015 ont résultées d'évaluations sommaires lors d'échanges verbaux où se reflétait essentiellement la vision des promoteurs.

Le rapport qui porte le titre "Évaluation financière, évaluation des retombées économiques et scénarios possibles de développement de l’exploitation d’hydrocarbures sur l’Île d’Anticosti" a été publié en octobre 2015 dans le cadre du chantier Économie de l'ÉES propre à Anticosti. Il s'agit d'un texte signé simplement Finances Québec, dont les auteurs restent anonymes. Seul le nom de Pierre-Olivier Pineau y figure comme expert externe. Nous avons déjà commenté les erreurs flagrantes de ce texte et les données géologiques fausses et d'autres irréalistes utilisées comme intrants dans les calculs qui tentaient de d'échafauder un scénario de développement étalé sur 75 ans (entre les années 2020 et 2095). Il s’est écoulé deux ans depuis la publication de ce rapport à l’ÉES et on en a somme toute peu parlé dans les médias. C’est pourtant l'analyse biaisée exposée dans ce rapport qui a orienté le gaspillage de fonds publics à Anticosti. Il nous semble important de rappeler comment les auteurs de l’analyse économique ont erré dans leurs  études.

Dans cette vision surréaliste, il y aurait eu dès le début du projet un investissement considérable (entre 10 et 15 milliards de dollars) pour les infrastructures requises. Le scénario de 4155 puits pour couvrir seulement 23% du gisement sous permis (excluant les parcs) prévoyait exploiter simultanément le gaz et le pétrole. En fait, l’exploitation envisagée aurait extrait plus de gaz que de pétrole. Le gaz extrait d'un milieu insulaire doit être liquéfié pour être transporté, ou bien il doit y avoir la construction d'un long et couteux gazoduc sous-marin.

L’étude économique a commis dès le départ deux erreurs majeures : on a pris la valeur estimée en 2011 (étude Sproule) pour la quantité d’hydrocarbures en place; or cette valeur de 43Gbep a été revue à la baisse (37Gbep) par les travaux d’exploration des étés 2014 et 2015. L’autre erreur majeure de l’étude est d’avoir compté en double la valeur de 43Gbep, une fois pour estimer le pétrole extrait et une autre fois pour le gaz. On a en donc utilisé dans l’étude AECNo1&2 une valeur de 86Gbep, ce qui donne une erreur de surestimation de plus du double (232%) par rapport à la valeur réaliste (37Gbep). Avec cette surestimation de la quantité d’hydrocarbures en place ainsi qu’avec d’autres hypothèses peu réalistes, l’étude AECNo1&2 tentait de démontrer une exploitabilité économique. Cette analyse erronée a été reprise sans autre forme de discussion dans le rapport final de l’ÉES et dans quelques autres études qui ont suivi.

Dans la projection d'exploitation sur 75 ans entre 2020 et 2095, les premières décennies sont très fortement déficitaires. Pour arriver à faire apparaitre des profits après 2050, les auteurs ont retenu dans leur modélisation deux paramètres fort discutables: 
 1) le cout des forages reste fixé au prix initial de 2020 (8,8M$/puits) tout au long du scénario qui se poursuit jusqu'en 2095;
 2) le prix du pétrole et du gaz augmente (x5) sans arrêt tout comme le prix du pétrole qui dépasse $200/baril dès le premier tiers du temps dans le modèle.
Figure 1  Une modélisation avec un coût/puits fixe alors que les prix du pétrole et du gaz sont majorés au fil du temps (AECNo1-No2 p. 85)




En supposant qu'on exploiterait à plein régime Anticosti avec des couts de forages gelés à 8,8M$/puits et des prix de gaz et de pétrole que les auteurs postulent rendus à 400% du prix actuel dès la fin (2045) du premier tiers de la durée (75 ans) dans leur modélisation, ils concluaient à une petite possibilité de rentabilité. N'importe quel expert des questions énergétiques vous dira aujourd'hui que le monde est engagé dans un changement irréversible: la demande du pétrole et son prix vont stagner. Penser comme le faisait le Ministère des Finances que la rentabilité d'Anticosti sera rendue possible par un prix du baril de pétrole en croissance continue à plus de 200$/baril après 2045, et croire que le Québec engrangerait à partir de ce moment là des milliards en retombées économiques, c'était de la très haute fantaisie, fondée de plus sur une erreur de 232%. Comment au gouvernement a-t-on pu penser élaborer un scénario où l’extraction pétrolière pourrait s’épanouir au Québec jusque dans une période aussi lointaine que 2050 à 2095*. C’est manifestement de la grande incompétence et cela entache la réputation de tous ceux qui ont cautionné cette étude, laquelle aurait du être retirée dès qu’on leur en a signalé les erreurs.

_______________________________________
Même si je n'en traite pas ici dans ce texte, il faudrait évidemment ajouter les impératifs de la lutte aux changements climatiques et la perte de crédibilité du Québec sur la scène mondiale dans le 2e moitié de ce siècle avec ce scénario de pure fiction qui a fait rêvé les chambres de commerce. On continuera longtemps dans ces milieux à perpétuer l'idée que le Québec a renoncé à des milliards en stoppant l'exploration à Anticosti: ex. le V-P de l'Institut Économique de Montréal écrit récemment à propos de cet arrêt: "... nous payons, avec nos impôts, pour empêcher la création d'emplois au Québec! Nous devrions profiter de nos ressources au lieu de les laisser dormir dans le sol".