Document R-8 - L'ancienneté des techniques de fracturation - Le grand risque qui demeure -
Remarque préliminaire : ce document, tout comme les cinq autres suivants (R-4, 5, 6, 7 et 8), est écrit pour apporter une réponse à un texte nommé "Debunking Durand", ainsi qu’à sa version en français. Nous voulons ici reprendre et compléter certaines explications techniques et scientifiques, qui sont dénaturées ou erronées dans les documents "Debunking Durand" (réf.1).
« une fois que le réservoir est épuisé, il n’y a aucune source à partir de laquelle cette pression supplémentaire pourrait être générée » (réf.1, p.8).
La source existe, c’est le gaz qui reste dans le shale à la fin de l’exploitation jugée rentable par l’exploitant de chaque puits. La remontée de la pression dans les puits bouchés et abandonnés est une évidence unanimement reconnue par tous les experts du domaine. La notion de réservoir épuisé peut être appliquée aux gisements conventionnels de pétrole; elle ne s’applique absolument pas aux gisements d’hydrocarbures de roche mère (gisements non conventionnels). Il s’agit dans ce dernier cas d’un type tout à fait inédit d’exploitation où le minerai du gisement est en fait constitué par la totalité du volume d’une formation géologique qui s’étend sur des dizaines de milliers de Km2. Il n’y a aucun précédent d’ampleur comparable; les impacts réels seront absolument sans commune mesure avec les cas passés d’exploitation (gisements conventionnels).
«… technologie qui a été utilisée plus de 1,2 million de fois à travers l’Amérique du Nord. Sa première application commerciale remonte à la fin des années 1940 » (réf.1, p.8).
Cette affirmation est fausse, mais elle est répétée continuellement par l’industrie. Les divers éléments de la technologie utilisée dans l’exploitation des gisements d’hydrocarbures non conventionnels, comme le gaz de schiste, n’ont été appliqués de façon intensive aux nouveaux types de gisements diffus (ou de « roche mère ») qu’au moment où l’industrie a obtenu sous l’administration Bush aux États-Unis les dérogations à des lois environnementales cruciales. Lorsqu’on parle de date pour l’application commerciale intensive à ce nouveau type de gisement, c’est plutôt les années 2003-2008 qu’il faut citer, comme le montre la figure 1 ci-dessous:
Figure 1. L'ancienneté de la mise en oeuvre des techniques du gaz de schiste: pour le shale Marcellus fin 2007, 2003 et 2008 au Texas, 2006 &2008 pour OK & AR (réf. 2, dia#6).
L’ancienneté d’un élément d’une des techniques utilisées n’est pas pertinente en soi. Pour en mesurer l’impact, c’est l’application nouvelle de cette technique à l’extraction du méthane dans les shales qui doit être prise en compte; cela c’est très récent. C’est surtout beaucoup trop récent pour que quiconque puisse en tirer des conclusions quant aux impacts à moyen terme et à long terme. L’application de ces méthodes dans le shale d’Utica doit être considérée comme de l’expérimentation. J’ai traité cet aspect dans un document (réf.3) accompagné d’une vidéo qui traite du même sujet. Comme le démontre cette analyse, il n’y a pas encore de donnée valable sur le comportement à long terme des puits de gaz de schiste abandonnés.
Malheureusement la population qui habite les régions visées par l’extraction fera les frais de cette expérimentation, si l'industrie obtient du gouvernement l'autorisation d'aller de l’avant avec ce projet irréfléchi. On ne peut en mesurer tous les impacts qu’une fois « les pots cassés ». Et ce qui va être cassé, c’est un énorme "pot" : 10 000 Km2 sur 100 à 300 m d’épaisseur, dans une région qui concerne les plus importants habitats ruraux entre Montréal et Québec.
La désinvolture avec laquelle le projet a démarré, sans aucune étude d’impact, sans consultation adéquate des citoyens qui habitent ces régions, a suscité un tollé général dans la population. L’information que nous obtenons goutte-à-goutte sur les puits déjà construits est encore très incomplète, car tant le gouvernement que l’industrie s’en tiennent aux anciennes règles de la loi des mines qui gère ce secteur d’activité. Les données des forages sont confidentielles pour une durée de trois ans; de plus les opérateurs ont la pleine liberté légale de ne fournir dans ces rapports que des "données de forage" proprement dit et rien sur les travaux de "complétion", c'est-à-dire toutes les opérations qui suivent, y compris la fracturation hydraulique. Les données qu’on peut trouver sur cette industrie dans d’autres gisements gazéifères sont des plus inquiétantes (par exemple, voir le point 7).
Les puits du Québec ne font pas exception aux valeurs observées ailleurs : les puits se détériorent inévitablement. Parmi ceux qui datent d’un an ou moins, il y en a un sur vingt qui a des problèmes sérieux de fuite. Quand on se tourne vers des puits datant de 15 à 20 ans, la proportion atteint 50% (fig.2, réf.4). Il s’agit là de données compilées par le gouvernement américain et la société d’expertise en techniques de forage Schlumberger sur 15,000 puits conventionnels. Cela ne pourra être que plus problématique encore dans le cas des puits avec extension horizontale et fracturation hydraulique, car aucune étude n’a été publiée sur l’effet des fluides de fracturation sur la durabilité des coulis, ainsi que sur l’impact de la fracturation elle-même sur la structure des puits.
Il y a en ce domaine un manque total d’études hors du champ purement économique de cette ressource. L’industrie fonctionne avec un crédo appris du secteur pétrolier conventionnel et répété ad nauseam, sans pouvoir produire d’étude spécifique sur les risques de l’application à très grande échelle d’une approche inédite d’extraction d’hydrocarbures diffus dans les roches mères. Cette extraction se fait dans un contexte nouveau où la fracturation est produite artificiellement. Les conditions de perméabilité sont augmentées de plusieurs ordres de grandeur et un lent processus géologique s’amorce de façon irréversible: le méthane migre vers ces nouvelles fractures.
Dans cette nouvelle industrie, ce qui dans la nature s’est produit en centaines de milliers d’années pour former un gisement classique avec le très lent processus de migration du méthane va être utilisé pour une courte période. On va simplement écrémer le gisement. L’industrie prélève ce qui sort les premières années et se tourne ensuite vers des nouveaux puits, dès que le débit devient non rentable dans un puits en fin de production. Avec cette méthode, 20% seulement du gaz est extrait comme nous l’avons analysé dans le document R-6 Le pourcentage de gaz exploitable.
Le reste du gaz continuera de migrer comme il a migré pour former les gisements classiques : il y mettra plusieurs milliers d’années. Le méthane dans les fractures du shale va remettre en pression le gisement. Des milliers de puits mal bouchés vont créer autant de possibilités de contact direct avec la surface. Ces obturations sont réalisées avec les technologies, les réglementations et les règles de l’art qui ont été établies pour les puits classiques. Tout indique que ces structures vont se dégrader inévitablement ; le gaz ira alors vers la surface, vers les nappes phréatiques et vers l’atmosphère par toutes ces voies de communication. La vitesse de dégradation des puits sera dans les meilleur cas comparable à celle montrée par les puits classiques (figure 2 ci-dessus), mais les conséquences et le contexte géotechnique sera tout autre en raison de la fracturation artificielle d'un immense volume de shale.
Marc Durand, Doct-ing en géologie appliquée, juillet 2012.
Références :
1- Anonyme 2012. Debunking Durand / et traduction, ogsaq / afspg, 7 et 8 p.
2- Sloan 2009, Trevor Sloan vice-president de Ross Smith, Shale Gas Plays, présentation au 1er congrès de l'APGQ, Hôtel Reine-Élizabeth, Montréal , 19 et 20 octobre 2009.
3- Durand 2011, L'Expérimentation Texte d'analyse et vidéo, publiés sur le WEB.
4- Brufatto et al 2003, From Mud to Cement—Building Gas Wells, Oilfield Review, Sept 2003, pp 62-76.
La source existe, c’est le gaz qui reste dans le shale à la fin de l’exploitation jugée rentable par l’exploitant de chaque puits. La remontée de la pression dans les puits bouchés et abandonnés est une évidence unanimement reconnue par tous les experts du domaine. La notion de réservoir épuisé peut être appliquée aux gisements conventionnels de pétrole; elle ne s’applique absolument pas aux gisements d’hydrocarbures de roche mère (gisements non conventionnels). Il s’agit dans ce dernier cas d’un type tout à fait inédit d’exploitation où le minerai du gisement est en fait constitué par la totalité du volume d’une formation géologique qui s’étend sur des dizaines de milliers de Km2. Il n’y a aucun précédent d’ampleur comparable; les impacts réels seront absolument sans commune mesure avec les cas passés d’exploitation (gisements conventionnels).
«… technologie qui a été utilisée plus de 1,2 million de fois à travers l’Amérique du Nord. Sa première application commerciale remonte à la fin des années 1940 » (réf.1, p.8).
Cette affirmation est fausse, mais elle est répétée continuellement par l’industrie. Les divers éléments de la technologie utilisée dans l’exploitation des gisements d’hydrocarbures non conventionnels, comme le gaz de schiste, n’ont été appliqués de façon intensive aux nouveaux types de gisements diffus (ou de « roche mère ») qu’au moment où l’industrie a obtenu sous l’administration Bush aux États-Unis les dérogations à des lois environnementales cruciales. Lorsqu’on parle de date pour l’application commerciale intensive à ce nouveau type de gisement, c’est plutôt les années 2003-2008 qu’il faut citer, comme le montre la figure 1 ci-dessous:
Figure 1. L'ancienneté de la mise en oeuvre des techniques du gaz de schiste: pour le shale Marcellus fin 2007, 2003 et 2008 au Texas, 2006 &2008 pour OK & AR (réf. 2, dia#6).
L’ancienneté d’un élément d’une des techniques utilisées n’est pas pertinente en soi. Pour en mesurer l’impact, c’est l’application nouvelle de cette technique à l’extraction du méthane dans les shales qui doit être prise en compte; cela c’est très récent. C’est surtout beaucoup trop récent pour que quiconque puisse en tirer des conclusions quant aux impacts à moyen terme et à long terme. L’application de ces méthodes dans le shale d’Utica doit être considérée comme de l’expérimentation. J’ai traité cet aspect dans un document (réf.3) accompagné d’une vidéo qui traite du même sujet. Comme le démontre cette analyse, il n’y a pas encore de donnée valable sur le comportement à long terme des puits de gaz de schiste abandonnés.
Malheureusement la population qui habite les régions visées par l’extraction fera les frais de cette expérimentation, si l'industrie obtient du gouvernement l'autorisation d'aller de l’avant avec ce projet irréfléchi. On ne peut en mesurer tous les impacts qu’une fois « les pots cassés ». Et ce qui va être cassé, c’est un énorme "pot" : 10 000 Km2 sur 100 à 300 m d’épaisseur, dans une région qui concerne les plus importants habitats ruraux entre Montréal et Québec.
La désinvolture avec laquelle le projet a démarré, sans aucune étude d’impact, sans consultation adéquate des citoyens qui habitent ces régions, a suscité un tollé général dans la population. L’information que nous obtenons goutte-à-goutte sur les puits déjà construits est encore très incomplète, car tant le gouvernement que l’industrie s’en tiennent aux anciennes règles de la loi des mines qui gère ce secteur d’activité. Les données des forages sont confidentielles pour une durée de trois ans; de plus les opérateurs ont la pleine liberté légale de ne fournir dans ces rapports que des "données de forage" proprement dit et rien sur les travaux de "complétion", c'est-à-dire toutes les opérations qui suivent, y compris la fracturation hydraulique. Les données qu’on peut trouver sur cette industrie dans d’autres gisements gazéifères sont des plus inquiétantes (par exemple, voir le point 7).
Les puits du Québec ne font pas exception aux valeurs observées ailleurs : les puits se détériorent inévitablement. Parmi ceux qui datent d’un an ou moins, il y en a un sur vingt qui a des problèmes sérieux de fuite. Quand on se tourne vers des puits datant de 15 à 20 ans, la proportion atteint 50% (fig.2, réf.4). Il s’agit là de données compilées par le gouvernement américain et la société d’expertise en techniques de forage Schlumberger sur 15,000 puits conventionnels. Cela ne pourra être que plus problématique encore dans le cas des puits avec extension horizontale et fracturation hydraulique, car aucune étude n’a été publiée sur l’effet des fluides de fracturation sur la durabilité des coulis, ainsi que sur l’impact de la fracturation elle-même sur la structure des puits.
Figure 2. La dégradation des puits en fonction du temps ; compilation basée sur 15000 puits forés pour exploiter des gisements classiques (réf. 4.)
Il y a en ce domaine un manque total d’études hors du champ purement économique de cette ressource. L’industrie fonctionne avec un crédo appris du secteur pétrolier conventionnel et répété ad nauseam, sans pouvoir produire d’étude spécifique sur les risques de l’application à très grande échelle d’une approche inédite d’extraction d’hydrocarbures diffus dans les roches mères. Cette extraction se fait dans un contexte nouveau où la fracturation est produite artificiellement. Les conditions de perméabilité sont augmentées de plusieurs ordres de grandeur et un lent processus géologique s’amorce de façon irréversible: le méthane migre vers ces nouvelles fractures.
Dans cette nouvelle industrie, ce qui dans la nature s’est produit en centaines de milliers d’années pour former un gisement classique avec le très lent processus de migration du méthane va être utilisé pour une courte période. On va simplement écrémer le gisement. L’industrie prélève ce qui sort les premières années et se tourne ensuite vers des nouveaux puits, dès que le débit devient non rentable dans un puits en fin de production. Avec cette méthode, 20% seulement du gaz est extrait comme nous l’avons analysé dans le document R-6 Le pourcentage de gaz exploitable.
Le reste du gaz continuera de migrer comme il a migré pour former les gisements classiques : il y mettra plusieurs milliers d’années. Le méthane dans les fractures du shale va remettre en pression le gisement. Des milliers de puits mal bouchés vont créer autant de possibilités de contact direct avec la surface. Ces obturations sont réalisées avec les technologies, les réglementations et les règles de l’art qui ont été établies pour les puits classiques. Tout indique que ces structures vont se dégrader inévitablement ; le gaz ira alors vers la surface, vers les nappes phréatiques et vers l’atmosphère par toutes ces voies de communication. La vitesse de dégradation des puits sera dans les meilleur cas comparable à celle montrée par les puits classiques (figure 2 ci-dessus), mais les conséquences et le contexte géotechnique sera tout autre en raison de la fracturation artificielle d'un immense volume de shale.
Marc Durand, Doct-ing en géologie appliquée, juillet 2012.
Références :
1- Anonyme 2012. Debunking Durand / et traduction, ogsaq / afspg, 7 et 8 p.
2- Sloan 2009, Trevor Sloan vice-president de Ross Smith, Shale Gas Plays, présentation au 1er congrès de l'APGQ, Hôtel Reine-Élizabeth, Montréal , 19 et 20 octobre 2009.
3- Durand 2011, L'Expérimentation Texte d'analyse et vidéo, publiés sur le WEB.
4- Brufatto et al 2003, From Mud to Cement—Building Gas Wells, Oilfield Review, Sept 2003, pp 62-76.
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