Il y a beaucoup de
gens dans les activités sociales; le débat sur les impacts de la fracturation
hydraulique prend naturellement une tangente sociale. Tout ce qui grenouille
autour du champ politique s’y retrouve très à l’aise. On nage ainsi en plein
domaine des firmes de relations publiques et des faiseurs d’image. Les acteurs
politiques sont entourés de firmes dont le travail quotidien est de trouver les
voies menant vers l’acceptabilité sociale. C’est pas trop
différent de vendre l’image d’un politicien, d’une marque de voiture, ou d’un
projet comme l'exploitation des hydrocarbures. Il faut juste trouver l’angle.
Ensuite, utilisée plus de mille fois, la méthode est éprouvée: créer
l’image, puis la publiciser à outrance afin qu'elle se substitue à la
réalité dans la perception populaire.
Tous les
politiciens et promoteurs ont immédiatement sauté sur ce concept acceptabilité
sociale ; ils sont en terrain familier, en plein dans leurs préoccupations de toujours. Ils portent alors très peu d’attention au fond de
la question; seule l’image compte et seule la perception de
l’image par le public leur importe. C’est aussi intellectuellement
beaucoup plus simple de se centrer sur une image qu'on contrôle et qu'on
façonne, que de tenter de comprendre les implications plus techniques et plus
scientifiques de la réalité qu'on ne contrôle absolument pas. Personnellement,
je trouve cette situation navrante, car elle mène à des décisions très souvent
désastreuses.
J’ai noté dans
tous les documents traitant de l’acceptabilité sociale qu’on cherche les
moyens, les voies pour arriver à l’acceptabilité sociale.
Son corollaire le rejet social ne fait même pas partie du discours.
Je n’ai jamais vu encore quelqu’un écrire qu'on va prendre l’opinion des gens
telle qu’elle est. Partout et toujours ces textes analysent et discutent des
moyens à mettre en oeuvre pour faciliter l'acceptation, atténuer
les irritants, etc. On présume toujours que l'opinion est a priori
malléable et que le travail à faire est de mandater une firme de relations
publiques pour changer les perceptions et les amener là où on veut qu'elles
soient.
Dans le combat
entre promoteurs et opposants, ces derniers sont souvent amenés à tomber dans
le piège de l'acceptabilité sociale. Plusieurs groupes citoyens la
réclame à grand cris, ce qui est sans doute normal; mais trop souvent ils
misent tout sur elle. Les ministres vont immédiatement prendre cette
perche tendue et promettre de ne rien démarrer avant d'avoir l'acceptabilité
sociale. La main sur le coeur il jurent que c'est incontournable.
Les groupes de
pression y voient une concession, une reconnaissance de la légitimité de leur
action. Or les gouvernements, souvent associés aux puissantes ressources des
lobbys, disposent sur ce terrain de moyens démesurés face aux groupes de
pression. Une fois la promesse annoncée, c'est eux qui peuvent choisir à quel
sous-groupe de citoyen circonscrire la mesure de cette acceptabilité.
Par exemple un sondage réservé aux seuls 200 citoyens concernés localement à Anticosti?
Le gouvernement ne se prive pas non plus de déclencher des comités
d'étude bien contrôlés qui évitent soigneusement les éléments les
plus problématiques pouvant amener des conclusions très négatives dans le
rapport final. Il peut aussi créer des tables d'experts qui seront choisis
en écartant tout opposant, des textes de règlements qui limitent l'accès
à l'information, etc. Le gouvernement consacre des millions pour ces
opérations. En parallèle, les lobbys disposent de sommes encore plus
importantes pour gagner, voire acheter l'appui de personnalités clefs, même
l'image prestigieuse d'ex-politiciens.
Heureusement les
faiseurs d'image ne réussissent pas à tout coup. Parfois une fuite, une stratégie de communication étalée dans
les médias remet l'horloge de la méfiance populaire au temps zéro. Il y a aussi
la réalité, les faits tout simplement qui restent là, qu'aucun
faiseur d'image ne peut changer. On peut les rappeler et les ramener en avant
patiemment autant de fois que nécessaire; c'est ce que je rappelais dans mon
billet de décembre 2004: "La réalité et les faits sont têtus - c'est pour cela
qu'ils finissent par s'imposer".
Pourquoi ne
prend-on pas l'acceptabilité telle qu'elle est; pourquoi ne pas penser par
exemple que les gens rejettent le gaz et le pétrole de schiste - point à la
ligne. Pourquoi ne pas envisager que le rejet social existe et
puisse tenir au fait que les gens ont eu, et ont adhéré, à une information
suffisante pour se faire une idée claire et définitive. Je travaille
essentiellement dans ma spécialité à vulgariser de l’information scientifique
en ayant la ferme conviction que l’intelligence des gens est capable d’accepter
d’en apprendre sur un sujet aussi technique que la fracturation hydraulique et sur ses failles technologiques.
Je crains qu’en
accordant autant d’attention à ce paramètre acceptabilité sociale qu'on
réduise d’autant le temps qui sert tout simplement à aider les gens à
s’informer. Le débat de fond, l'analyse des paramètres avantages/coûts pour la
collectivité, la présentation en toute transparence des données factuelles, les
projections faites par des personnes ou des organismes compétents et neutres,
c'est-à-dire indépendants des promoteurs ou de tout groupe d'opposition
radicale, tout cela mérite d'occuper autant, sinon plus, de place dans la
couverture médiatique que la simple question de l'acceptabilité sociale.
L'acceptabilité sociale ne doit pas occuper tout l'espace et occulter ainsi les
autres composantes du débat qui devraient la sous-tendre.
Cependant nous n'avons
pas fini d'entendre parler d'acceptabilité sociale. Son usage est
beaucoup trop commode. C'est une expression tarte à la crème un peu comme "développement
durable"; on aura beau analyser dans les cercles
universitaires le concept en détails et proposer une définition rigoureuse,
rien n'y fait; l'expression continue d'être utilisée à tort et à travers dans
une foule de sens très distincts du concept d'origine.
L'usage courant
qu'on fait d'une expression est plus fort que la
définition rigoureuse que tentent de proposer les linguistes. On a
utilisé, presqu'à contresens, l'expression "développement
durable" et pas dans de banales conversations, mais par les hauts
fonctionnaires du gouvernement du Québec. Le gaz de schiste est dans son
essence même le contraire d'une ressource renouvelable: aussitôt sorti du
puits il se retrouve en moins de 48 heures de trajet dans un gazoduc et
consommé dans un bruleur. Comme toutes les autres ressources minières, on
épuise la ressource en une seule extraction. Pourtant on a donné comme titre
officiel à la première commission du BAPE en 2010 le titre "Développement
durable de l'industrie des gaz de schiste au Québec". Cela aurait
plutôt du être désigné comme "Exploitation de la ressource
non-renouvellable ...". L'image aurait été moins bonne politiquement.
On a donc choisi une formule tarte à la crème.
Puisque l'acceptabilité
sociale présente comme un concept fort commode, galvaudé à gauche et à
droite, il n'y aura pas de définitions précises qui vont réussir à en encadrer
l'usage, pas plus que cela ne s'est produit dans toutes les autres expressions
qui ont eu une heure de gloire d'être un temps à la mode. Les
universitaires proposeront de savantes définitions qui resteront lettres
mortes. Les expressions "développement durable" et "acceptabilité
sociale" sont tellement plus rentables dans leur forme actuelle
floue, qu'il est illusoire de penser que ceux qui les
utilisent vont accepter de les confiner dans une définition rigoureuse
beaucoup moins "vendeuse". Sous cette forme inévitable, la qualité du
débat public risque d'en pâtir plutôt que d'en profiter.
Le texte ci-dessus ne doit pas être pris comme une prise de position
contre l'acceptabilité sociale; je serais tout disposé à m'en faire
aussi le promoteur, si ce n'était de la réalité de son utilisation actuelle et
de son utilisation prévisible.