ll y a évidemment bien des exemples partout dans le monde qu’on peut trouver en cherchant
« Shale gas, well leaks » ; la référence qui suit donne un bilan pour les USA:
Washington Post.
C’est donc au moins 2,3% de la production. Comme le méthane des fuites incontrôlées part dans l’atmosphère avec son pouvoir de réchauffement climatique 87 fois celui du CO2, on voit vite qu’à l’utilisation du méthane en combustible fossile, il faut ajouter le gaz à effet de serre dû aux fuites. Dans un autre texte, je donne un tableau comparatif de l'effet GES pour divers taux de fuite CH4, versus le brûlage du mazout et du charbon. On cite souvent l'avantage du CH4 qui produit moins de CO2 (100 comme facteur de référence) lors de sa combustion, que les autres combustibles fossiles (mazout /charbon: facteurs CO2 entre 140 et 170). Par contre sur une base de calcul qui tient compte des fuites de méthane, le gaz de schiste produit plutôt un effet bien plus grand que celui de sa seule combustion.
À cela devrait s’ajouter les fuites après la fermeture des puits, ce que personne
* encore semble vouloir intégrer dans les analyses. L’
étude que commente le Washington Post, estime à 2,3% le rapport
fuites/production. Cette approche serait valide si les fuites disparaissaient comme par magie quand on ferme le robinet de production. Ce n'est pas le cas.
Il est un peu illogique de toujours mesurer les fuites en rapport avec la production, car ces fuites vont perdurer dans le temps. Quand la production baissera, les fuites vont quand même se maintenir; le rapport fuites/production augmentera. Ex. à la fin de l’ère des hydrocarbures, en supposant une production réduite un jour à 1% de sa valeur actuelle, on aura alors un taux de fuite non pas de 2,3%, mais bien de 230% si le volume qui fuit reste comparable. Ce sera un peu moins certes si on suppose que le débit des fuites s'atténue un peu avec le temps. Le taux fuites/production deviendra très grand quand la production s'approchera de zéro !
On peut aussi ajouter qu'en ce moment au Québec, il y a des fuites dans plusieurs puits d'exploration et la production actuelle est égale à zéro. Cela donne un rapport fuites/production = ∞ (infini !)
Ce n’est pas une bonne façon d’aborder la question. Il faudrait estimer à l’ouverture d’un puits combien ce puits générera de fuites sur un horizon de 100 ans ou 200 ans par exemple. Si le puits est exploité 10 ans et que pendant ce dix ans d'exploitation il génère 2,3% de fuites, on peut calculer un volume de méthane émis pour ce premier 10 ans. Ensuite de 10 à 100 ans, puis de 100 à 200 ans, etc. combien de tonnes de CH4 s’ajouteront par les fuites? Le volume qui fuira du puits au fil des ans va varier en diminuant dans le temps. Il faut des études qui vont préciser l'évolution des débits de fuites après l'abandon des puits. Il est évident que ce calcul donnera une valeur bien supérieure au nombre de 296 dans mon exemple plus haut. L'effet pour le gaz de schiste, ce n’est pas trois fois plus, mais probablement cinq?, huit? fois plus grand que celui de sa seule combustion.
L'évaluation du volume des fuites qui suivront la fermeture des puits est complexe à établir maintenant, mais ce n'est pas une raison de négliger totalement ces valeurs dans une analyse du cycle de vie comme, le fait le CIRAIG* et d'autres organismes. Cela donne des analyses totalement biaisées et incomplètes. La mesure des fuites aux têtes de puits donnent des valeurs deux à trois fois plus faibles que celles faites par des survols aériens dans les champs d'exploitation de gaz de schiste; ces relevés donnent plutôt des valeurs entre 4% et 9% de la production. Les chercheurs de Cornell Univ. discriminent par l'analyse isotopique; ils peuvent ainsi identifier ce qui relié au gaz produit par l'exploitation industrielle. Dans les relevés régionaux fait au-dessus de champs gaziers, on retrouve la somme de tout le méthane thermogénique produit par l'extraction: 1) fuites aux têtes de puits en production,
2) fuites aux têtes de puits qui ont fini de produire et qui sont soi-disant bouchés,
3) loin des têtes de puits, fuites qui suivent des réseaux de fractures reliées aux fractures profondes crées ou élargies par les opérations, dans toute l'extension de la fracturation.
Quand on se limite aux seules valeurs fournies par les têtes de puits (1) on obtient 2,3% et c'est déjà plus que suffisant pour constater que le gaz de schiste perd tous ses prétendus avantages. Dans une approche prudente, il faut ajouter l'impact des fuites (2) et (3) et réaliser que ces deux autres sources vont ajouter beaucoup de méthane. Les données fragmentaires nous indiquent que c'est une valeur entre 4% et 9% qui est estimée en rapport avec le volume actuel de production. Et à cela il faut encore ajouter le gaz qui continuera à fuir même quand tous les champs d'extraction de gaz de schiste seront fermés: une quantité qu'il est difficile d'exprimer en % par rapport à la production, qui sera devenue nulle. Les fuites post-production elles ne seront pas nulles.
Les fuites existent quand deux conditions sont présentes: une source de méthane et des conduits pour le mener en surface. Les champs de milliers de puits ayant produit du gaz par fracturation du schiste auront extrait entre 8 et 15 % du gaz en place: le réservoir est là constitué par le 92% à 85% du gaz encore en place en fin de production. Les conduits seront là par milliers: tous les puits se dégradent dans le temps, aucun ne sera éternellement étanche.
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* À titre d'exemple, le CIRAIG persiste à utiliser une approche incomplète dans ses analyses du cycle de vie (ACV) des puits et de la question des fuites de méthane. Dans un
récent rapport (janvier 2019) adressé au promoteur Énergie Saguenay, il est écrit, page 19:
" Dans le contexte du modèle ACV, il sera considéré de base qu’il n’y aura pas de fuites après fermeture du puits – les fuites proviendraient d’incidents des éléments généralement non considérés en ACV. Une analyse de sensibilité sera effectuée afin de prendre en considération certaines fuites après fermeture". C'est presque mot-à-mot ce que prétend l'industrie mais c'est illogique, un peu comme si, dans une analyse ACV de la filière nucléaire, on limitait l’étude des radiations aux étapes suivantes : radiations pendant l’étape extraction de l’uranium, pendant la fabrication des barres de combustibles, leur transport, pendant leur utilisation dans la centrale nucléaire et les radiations à l’étape finale du démantèlement de la centrale et celles de la reconversion du site. Ce rapport fictif indiquerait comme prémisse de la modélisation que : « Il sera considéré que les barres du combustible nucléaire usé n’émettent plus de radiation après l’étape de fermeture de la centrale ». Cette assertion serait non scientifique et contraire à ce qui est admis en physique nucléaire. L’assertion du GIRAIG quant aux fuites après fermeture des puits est non scientifique et contraire à ce qui est connu en génie géologique.
À toujours choisir de se calquer au cadre que l'industrie définit elle-même, à toujours restreindre les analyses aux "activités" de l'industrie, on introduit forcément un biais qui minimise l'évaluation des impacts et l'estimé des fuites notamment. Le commanditaire du rapport a payé pour cette analyse de cycle de vie relié (et limité) à ses activités et c'est ce que CIRAIG lui a fourni. Ce rapport CIRAIG s'inscrit donc dans des limites très étroites définies par la commande; il n'est pas valide pour autre chose que ça et n'est certainement pas valide au titre d'une véritable analyse du cycle de vie, comme certains le prétendent.
L'
analyse de sensibilité du
rapport CIRAIG utilise une valeur de 96m3/jour pour ajouter au bilan des fuites une valeur d'environ 1% de la production. C'est très sommaire comme analyse, cela ne tient pas compte de la dégradation des puits dans le temps, et surtout la durée de ces fuites est arbitrairement fixée à un horizon de 20 ans. C'est très mal connaitre la durée des processus géologiques en cause, car ces fuites vont perdurer sur des temps incommensurablement plus longs.
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Quelques liens à consulter à propos des fuites des puits:
A. Cas de fuites au Québec:
- En
décembre 2012 je commentais la valeur du débit de fuite d'un puits 300m3/jour qui est défini par l'industrie comme la limite des débits de fuite qui ne méritent pas d'attention particulière. Ça traine toujours dans
"les bonnes pratiques de l'industrie" et
encore en 2019 le CIRAIG (p.19) reprend telle quelle cette valeur sans aucun commentaire critique. La limite de 300m3 ne mesure aucunement une préoccupation environnementale. L'industrie juge qu'à 300m3 (environ 10000pi cu) de gaz perdu par jour, la valeur de cette perte de production ne vaut pas la peine de dépenser en frais de réparation et de maintenance du puits. C'est ~30$/jour (10 000$/an); c'est pas rentable en-dessous de ça de faire des frais. Le CIRAIG se discrédite totalement en avalisant cette approche.
- En
septembre, en
octobre et en
novembre 2014, j'ai écrit trois textes sur les fuites des puits au Québec.
B. Cas ailleurs au Canada:
- Dans le nord de la Colombie Britannique où la formation Montney est activement exploitée par fracturation, on estime que
les fuites sont 2,5 fois plus élevées que ce que rapporte l'industrie.
- En Alberta, la question du
coût du traitement des fuites des puits abandonnés commence à être chiffrée, une note salée pour les générations futures: 100G$. Il y a 450
000 puits en Alberta ce qui équivaut à presqu'un puits/km2. L'inventaire de ceux qui fuient ou qui vont connaitre des fuites dans l'avenir est tout à fait incomplet.
C. Cas de méga fuites aux USA:
-
Deep Water Horizon 20 avril 2010, origine d'une méga fuite de gaz, suivi de l'explosion de la plateforme de forage. En plus du gaz (non mesuré) on a évalué qu'il y a eu 4,9 millions de barils d'huile répandu dans la mer
-
Aliso Canyon. 23 octobre 2015
- Un estimé global pour les USA donnerait
13 millions de tonnes/an
D. Cas ailleurs dans le monde:
- Puits Elgin de la Cie française
Total en mer du Nord; entre la rupture du puits le 25 mars et l'obturation le 16 mai 2012, il y a eu jusqu'à 200 000 m3/jour de débit de fuite. La
corrosion précoce du tubage a été identifiée comme la cause de la fuite.
- Fuites de
puits obturés en Hollande.
- les bilans mondiaux sont encore assez incomplets. Davies et al. 2014 indique qu'entre 1,9% et 75% (
voir Table 3 dans la référence) des puits actifs ont des fuites dans diverses régions dans le monde.
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