mercredi 11 mars 2020

Gaz de schiste au Québec - une mise à jour par Richard Langelier

Gaz de schiste au Québec

1. Quelle est la situation du gaz de schiste au Québec ?

En septembre 2018, juste avant de perdre le pouvoir, le gouvernement de Philippe Couillard mettait en vigueur la Loi sur les hydrocarbures et ses règlements d’application. Ceux-ci interdisent la fracturation hydraulique dans le shale (schiste) et imposent des distances séparatrices de 1 km par rapport aux cours d’eau.
Une distance très réduite de 275 mètres devrait, du moins en théorie, protéger les maisons des nuisances et inconvénients liés à la recherche des hydrocarbures.
Comme le schiste est une « roche mère », susceptible d’emprisonner les hydrocarbures, cela limitait fortement la capacité de forer des exploitants dans la vallée du Saint- Laurent, là où se concentre essentiellement le schiste.
Ces règlements sont sous la responsabilité du Ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN) dont la mission est de développer nos ressources naturelles.
Le problème c’est que le Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection (RPEP), qui, lui, découle de la Loi sur la qualité de l’environnement, donc du Ministère de l’Environnement, prévoit d’autres règles qui contredisent en partie les règlements du MERN.
En effet, le RPEP permet la fracturation hydraulique sur l’ensemble du territoire et donne des distances séparatrices plus courtes.
Les compagnies gazières ont donc décidé de contester la légalité des règlements du MERN devant la Cour supérieure du Québec,
Le gouvernement de M. François Legault, en refusant d’harmoniser les deux règlements, facilite donc la contestation de la compagnie Questerre : si les règlements du ministère de l’Environnement sont suffisants pour protéger les sources d’eau, n’est-ce pas une démonstration implicite que les règles du MERN sont superflues, exagérées et donc ultra vires ?
Voilà ce que plaidera sans doute la compagnie Questerre.
Lors d’une rencontre avec le ministre Charrette, en juin 2019, le Comité de pilotage des maires et mairesses qui réclament une meilleure protection de leurs sources d’eau potable, le gouvernement s’était engagé à étudier les revendications des municipalités et à y donner suite positivement. Une rencontre avait été planifiée au début de l’automne.
Mais par la suite, le ministre a refusé de rencontrer les élu.e.s locaux, à cause de la contestation de Questerre.
Il faudrait donc que le gouvernement de la CAQ cesse de tenir un double discours. S’il est contre le gaz de schiste, comme il le prétend parfois, qu’il passe aux actes.

2. Pourquoi les gens ont-ils reçus une lettre de Questerre ?

Parce que la compagnie a acheté tous les permis de recherche d’hydrocarbures dans la vallée du Saint- Laurent.
Questerre est une petite compagnie albertaine qui agit comme opérateur pour la multinationale espagnole Repsol.
La Loi sur les hydrocarbures exige plus de transparence et les compagnies ont l’obligation de prévenir municipalités et résidents qu’elles détiennent un permis de recherche d’hydrocarbures.
Cette disposition vise à éviter l’envahissement sauvage des territoires, comme nous l’avions connu de 2008 à 2012.
Questerre répond donc d’abord à une obligation légale en avisant les citoyens et citoyennes du fait qu’elle détient maintenant les permis.

3. Questerre veut-elle faire des forages dans notre région ?

Questerre a toujours soutenu vouloir faire un projet expérimental dans la région de Bécancour-Lotbinière.
Mais l’exploitation du gaz de schiste exige le creusement de milliers de puits, car les puits s’épuisent rapidement. C’est donc une sorte de frénésie.
Si Questerre gagne sa bataille judiciaire, nous pouvons prévoir un envahissement du territoire.

4. Quels sont les enjeux environnementaux ?

Ils sont énormes : pollution inévitable des sources d’eau potable (comme en Pennsylvanie et en Californie).
Problèmes majeurs de santé pour les personnes vivant en périphérie des puits, documentés par des études récentes.
Problèmes géologiques (tremblements de terre).
Problèmes de gestion des eaux usées contaminées (environ 10 millions de litres d’eau ressortent de chacun des puits après la fracturation). Pour être « gérable » et économiquement rentable, il faut des centaines sinon des milliers de puits pour justifier les dépenses engagées pour tenter de dépolluer les eaux usées  issues de la fracturation (BAPE générique sur le gaz de schiste, 2014).
Ces enjeux sont bien documentés. Le Collectif scientifique pour la protection de l’eau potable, dont je suis membre, a déposé, à la demande du Comité de pilotage des municipalités qui réclament une meilleure protection de leurs sources d’eau potable, plus de 300 pages d’études scientifiques qui montrent les effets négatifs importants sur la santé des populations, la qualité de l’eau potable, les conséquences sur le climat et les effets sociaux de ce type de développement.
Récemment, d’autres pays, comme l’Angleterre, se sont joints à la cohorte toujours plus importante de pays qui rejettent ce type de développement.

5. Quels sont les enjeux économiques ?

Il n’existe aucun gisement important connu au Québec. Dans les années 1970 avec leurs immenses moyens, les multinationales de l’énergie (Texaco, Shell, etc.) et la filiale gouvernementale du gaz d’Hydro-Québec, ont cherché des hydrocarbures et n’ont rien trouvé.
Il n’y a donc que des gisements marginaux pouvant difficilement être exploités de façon rentable (les puits gaspésiens les plus importants ont donné quelques milliers de barils de pétrole sur une période de 3 ans; en Arabie Saoudite des puits donnent 100, 000 barils par jour !).
Mais les compagnies qui disposent des permis au Québec sont de petites compagnies dont le seul objectif est de pouvoir clamer qu’elles ont trouvé des hydrocarbures dans l’espoir d’être rachetées par des géants du secteur.
Ces compagnies sont au fond des spéculateurs aux reins peu solides (Gastem qui a poursuivi Ristigouche est incapable de payer la sanction de 175, 000 dollars imposée par le tribunal; Piradee (ex-Pétrolia) est au bord de la faillite et ne peut fermer les puits gaspésiens; Junex, achetée par un fonds spéculatif autrichien, ne sait pas trop où aller…Investissements Québec a dû radier récemment ses actifs détenus dans ce secteur; nous y avons perdu plus de 100 millions de dollars de fonds publics).
Bref, ces compagnies seront incapables de réparer les dégâts qu’elles causeront inévitablement.
On comprend mal qu’un gouvernement qui se targue d’être un champion économique soutienne encore ces canards boiteux qui, de toute façon, ne créeraient pas d’emplois locaux importants (ceux qui gagneront 30 dollars de l’heure seront albertains, non pas québécois…)
Sur le plan géopolitique, le gouvernement Legault devrait prendre garde de ne pas être entrainé dans la guerre économique que mène les États-Unis de M. Trump avec la Russie.
Le marché, voit bien que les tentatives américaines de contrer la construction du pipeline russe North Stream 2 ont échouées (ce qui met du plomb dans l’aile de GNL Québec). Le marché européen du gaz ne sera pas entièrement américain, et la concurrence sera rude pour sa place sur ce marché.
Il importe donc de constater que le développement d’activités liées à la production ou au transport du gaz sur notre territoire menace aussi les autres activités économiques pérennes, souvent au cœur des activités régionales. Elles rapporteraient donc peu, et, en plus de nous réserver des risques qui dépassent de loin les bénéfices, de surcroît, elles nous éloigneraient de nos cibles de réduction des gaz à effet de serre (GES).
Ces activités sont donc sans nécessité, établies sur la base d’une analyse économique à court terme et déficiente, puisqu’elle externalise les coûts environnementaux, et seraient menées sans acceptabilité sociale, même dans son acception la plus étroite.
Depuis plus de 10 ans maintenant, de toutes les façons possibles (des sondages aux participations les plus diverses dans les consultations gouvernementales, aux pétitions, résolutions municipales, manifestations, rassemblements, etc.) la population a exprimé clairement son opposition s à ce type de développement.
Il y a donc aussi des enjeux politiques, car, de façon évidente, les citoyens et citoyennes n’accepteront pas ce retour des spéculateurs dans leur territoire. Ils ont déjà joué dans ce film. Le gouvernement serait bien avisé d’en tenir compte.

Richard E. Langelier
Docteur en droit (LL.D.) et sociologue

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