jeudi 1 mars 2018

Données récentes sur les fuites des puits d'hydrocarbures

J’ai commencé en 2010 à écrire des textes sur la question des fuites de méthane à partir des puits actifs et des puits abandonnés. Je constatais à l’époque qu’il y avait très peu d’organismes préoccupés par ce qui arrive à ces puits une fois la production terminée. Huit ans plus tard, on constate un début de changement dans les publications : il y a maintenant des études qui commencent à fournir des évaluations chiffrées des quantités de gaz qui fuient de ces puits dans diverses régions du globe. Ces données sont encore très incomplètes, mais je tiens à donner quelques exemples récents significatifs.

Suite à la méga fuite d’Aliso Canyon en 2015, une étude de chercheurs de Harvard portant sur les puits servant au stockage de gaz montre qu’il y a 2700 puits de ce type qui présentent des risques très sérieux. Ces sites n’ont pas été construits pour du stockage à l’origine; ce sont d’anciens puits d’extraction de gaz, des ouvrages temporaires i.e. à durée de vie technique limitée, qui ont été ensuite convertis sommairement pour du stockage permanent, donc pour une nouvelle fonction dont la durée est bien plus longue. La fuite d’un seul puits à Aliso a émis 109 000 tonnes de méthane avant d’être colmatée. C’est la plus grande fuite mesurée à ce jour se rapportant à un seul puits.




Figure 1  Sites de stockage de gaz aux USA (source : D.R Michanowicz et al. 2017).

Il y a peu de données pour le Canada, mais on a publié en juillet 2017 une analyse montrant que  35% des 11 079 puits de de la Colombie Britanique fuient. Cela représente 14,2 millions de m3/an (10 617 tonnes/an) de méthane. C’est une quantité 2,5 fois celle estimée par le gouvernement de la province. Une autre étude plus récente indique que les fuites aux évents des puits représenteraient à elles seules 83 000 tonnes/an.

En Alberta c'est une valeur nettement plus élevé (3,5 millions de tonnes/an) que publie un organisme de l'industrie ERA. Même si hypothétiquement dans deux générations, l'Alberta réussissait à réduire ses autres sources d'émissions de CO2 à zéro, les puits abandonnés vont continuer d'émettre des centaines de millions de tonnes de gaz à effet de serre; une tonne de méthane équivaut à 86 tonnes de CO2 en facteur de réchauffement climatique.

En Pennsylvanie l’Organisme EDF (Environmental Defense Fundchiffre à  520 000 tonnes/an les fuites de méthane aux puits, ce qui est cinq fois les chiffres officiels de l’État. Cette valeur va très probablement augmenter fortement avec le temps; il y aura de plus en plus de puits arrivant en fin d'exploitation et de puits abandonnés.  Au Texas l'EPA estime les fuites à 10,5 millions de tonnes/an dans un estimé jugé très conservateur; les processus, les méthodes de mesure, l'instrumentation ont été l'an passé fortement remis en cause. On doit donc considérer ces données avec prudence car tout indique qu'elles sont sous-estimées.

En mer du Nord, un tiers des puits abandonnés ont des fuites de méthane, ce qui émet un estimé de 17 000 tonnes de CH4/an. Des centaines de puits vont cesser d’être exploités dans les prochaines décennies; les autorités n’imposent aucune règle quant à la surveillance des puits devenus inactifs-abandonnés.



Figure 2  Carte montrant les 11 122 puits de la mer du Nord (modifié de L. Vielstädte et al. 2017).

Ces estimés sont publiés seulement pour une très faible partie des régions productrice d’hydrocarbures dans le monde. Ils ne fournissent qu’une image très incomplète de la situation réelle des émissions de méthane. Le contrôle des fuites se limite aux installations de captage, aux têtes de puits principalement. Les fuites qui ne passent pas par les puits d’hydrocarbures ne sont pas comptabilisées. On indique souvent qu’il y aurait entre 3% de la production qui se retrouve en fuites. D’autres estimés par survols aériens, donnent des valeurs jusqu’à 9%.

Que se passera-t-il dans le cas des exploitations fermées, dans le cas des puits inactifs et des puits abandonnés ? Ces fuites vont non seulement perdurer, mais le nombre de puits qui vont en avoir va croitre. Par exemple si actuellement en Mer du Nord les fuites ne concernent qu’un puits sur trois, qu’en sera-t-il dans vingt ans ?  dans 40 ans ? Probablement que ce sera deux puits sur trois et à plus long terme, trois puits sur trois.

Quand on aura réglé la question de l’utilisation des combustibles fossiles, quand tout sera électrifié et qu’on émettra plus de CO2 par la combustion du gaz et du pétrole, la question du CH4 ne va pas disparaître. Les champs d’extraction  d’hydrocarbures, et leurs millions de puits abandonnés vont continuer à émettre du méthane. Chaque tonne de CH4 équivaut à 86 tonnes de CO2 en termes de gaz à effet de serre.


Les seuls puits qui ne fuient pas sont les puits qu’on ne fore pas. Tous les autres ont le potentiel de perdurer comme émetteurs de méthane. Il faut de toute urgence cesser d’ajouter des nouveaux forages ;  il faut cesser de penser ouvrir des nouveaux gisements pétroliers. La meilleure chose à faire avec ceux déjà forés est d’extraire tout le pétrole et tout le gaz possible de ces puits puis de les obturer avec les meilleures techniques existantes.  Mais aucune de ces techniques ne garantit un scellement éternel. Tous les puits soit-disant "scellés" ont hélas un potentiel de fuite quand la dégradation de leur scellement vient à son terme. Cela se produit parfois rapidement (15-20 ans), parfois à plus long terme (30-50 ans), mais cela se produit inévitablement: tous finiront par se dégrader.

mercredi 28 février 2018

Victoire de Ristigouche Sud-Est contre Gastem

Une grande victoire récompense la lutte d'une petite municipalité. Ristigouche Sud-Est gagne dans la poursuite que lui avait intenté GASTEM, une micro-compagnie pétrolière dirigée par l'ex-ministre libéral Raymond Savoie.
C'est une grande victoire car cette cause fera peut-être jurisprudence. Le jugement indique clairement que les municipalités constituent un palier gouvernemental qui a compétence pour les questions environnementales qui impliquent la protection de leurs citoyens. Dans ce cas précis, il s'agit du pouvoir de légiférer pour protéger les nappes phréatiques qui fournissent l'eau potable pour les citoyens.
Ce jugement démontre que malgré la politique du gouvernement du Québec de favoriser le développement de l'industrie pétrolière, des juges peuvent faire contrepoids à cette politique irréfléchie; cette politique a mené à un règlement où on autorise des puits d'hydrocarbures très près des habitations et à 400 m sous les nappes d'eau (RPEP), un règlement que contestent 338 autres municipalités.

Toutes nos félicitations au maire François Boulay et à tous ceux qui se sont impliqués dans cette lutte.

ADDENDUM du 6 mars 2018: La même logique affairiste du gouvernement consiste à ouvrir aux claims miniers l'ensemble du territoire pour quelques sous/hectare. Ces droits miniers sont bradés à des tarifs dérisoires et ils ont préséance sur les titres de propriétés de surface ainsi que sur toute réglementation municipale (article 264, Loi Am&Urb.). Quand une municipalité s'y oppose,  un industriel se croit ainsi justifié de poursuivre en dommages pour des sommes faramineuses basées sur des pseudos profits théoriques anticipés: 96 000 000$ pour Canada Carbon, une minière de Vancouver qui échoue de façon lamentable le test d'acceptabilité sociale. Ceux qui sont à blâmer ici sont au gouvernement du Québec, très occupés à ne pas déplaire au lobby minier. L'article 246 de la loi sur l'aménagement et l'urbanisme qu'invoque Carbon Graphite aurait dû être abrogé depuis longtemps. Il reflète encore et toujours l'esprit de la loi des mines de 1880 (free mining). Le gouvernement libéral bloque depuis des années l'application d'un article de la refonte adopté en 2013 de la loi des mines (a.304.1.1) qui vise justement à corriger cette situation. Comme pour Ristigouche, le gouvernement Couillard va dire qu'il ne se mêlera pas du litige entre Canada Carbon et Grenville-Sur-La-Rouge sous le faux prétexte qu'il n'est pas partie prenante dans ce conflit "privé".  Or c'est faux; c'est le gouvernement Couillard qui donne les claims et c'est le gouvernement qui édicte les lois et les règlements qui permettent, et même favorisent, ce genre de poursuite.

jeudi 1 février 2018

billet du 1er février 2018

Mon billet de ce mois-ci devait traiter du contenu final des règlements qui se rattachent à la loi sur les hydrocarbures. Ces règlements ont été présentés en septembre dernier, suivi d'une période de consultation. Le ministre a prolongée d'un mois cette période quand les municipalités ont dénoncé unanimement le fait qu'elle se situait en plein pendant le mois des élections municipales. Les règlements ne sont pas encore promulgués; il n'y a rien eu encore à ce propos sur le site de la Gazette Officielle du Québec.

Bien qu'adoptée en 2016, la loi sur les hydrocarbures n'est donc encore pas en vigueur.  LOI SUR LES HYDROCARBURES (RLRQ, chapitre H‑4.2).

Les versions qu'on a des quatre règlements présentés en septembre sont à ces liens:



4Règlement abrogeant le Règlement sur le pétrole, le gaz naturel et les réservoirs souterrains.
Ce quatrième règlement (page 4480 dans la Gazette Officiellene comporte que deux articles :
1.  Le Règlement sur le pétrole, le gaz naturel et les réservoirs souterrains (chapitre M–13.1, r. 1) est abrogé.
2. Le présent règlement entre en vigueur le quinzième jour suivant la date de sa publication à la Gazette officielle du Québec.

Comme cette publication n'a pas encore eu lieu, l'ancien règlement est en ce moment celui qui a force de loi. Après avoir lu les textes des nouveaux règlements, qui détaillent une longue liste de procédures, je crois qu'au final l'exigence toute simple formulée dans l'article 61 " 8°  le puits doit être laissé dans un état qui empêche l’écoulement des liquides ou des gaz hors du puits." donnait une bien plus grande protection. Ça dit en clair: pas de fuite tolérée, point à la ligne. Si des fuites apparaissent, même bien des années après la fermeture d'un puits, cela indiquerait que ce puits n'a pas  été laissé dans un état qui empêche les fuites.

Les nouveaux textes n'ont plus cette formulation. À la place il y a une longue liste de procédures pour "minimiser" les risques. Si l'exploitant a respecté la lettre ces diverses étapes, il sera exempt de tout blâme, même en cas de fuite. Il n'aura qu'à plaider qu'il a rencontré les exigences et l'absence de fuite n'est plus une exigence.

Pourquoi avoir abandonné l'exigence d'absence de fuite?  La réponse est bien simple: le lobby industriel a bien fait son travail auprès du MERN. Les fuites dans les puits d'hydrocarbures tant ceux en opération que ceux fermés définitivement, constituent un problème universel et techniquement sans solution depuis toujours dans cette industrie. Le remplacement d'une règle impossible à respecter (l'absence absolue de fuites) par une suite de procédures tirées des règles usuelles des bonnes pratiques de l'industrie est un bon changement pour l'industrie. Les nouveaux règlements ont une apparence de rigueur; ils vont dans le détail des opérations codifiées dans les bonnes pratiques des forages. Tout ça devient entériné sous la forme de règlements provinciaux.

Nous attendrons la publication des textes officiels dans leur version finale pour commenter plus à fond ce qu'ils contiennent, et aussi tout ce qu'ils omettent de réglementer (puits orphelins, responsabilité à long terme, risques environnementaux, pour la santé, etc.). Les points de vue autres que ceux de l'industrie n'ont pas été pris en compte lors des audiences précédentes pour la loi sur les hydrocarbures. On peut douter qu'ils aient un quelconque impact sur la révision des versions finales des quatre règlements; mais attendons de voir.