samedi 1 août 2015

Le rôle des jonctions de tubage dans l'origine des fuites

J'ai écris précédemment trois textes pour analyser les causes des fuites dans les puits et les forages réalisés pour explorer ou pour exploiter des hydrocarbures:




Le texte de ce mois-ci ajoute un complément d'analyse sur un élément que j'ai mentionné assez sommairement déjà, mais sur lequel je reviens plus en détails en raison de son importance. Il s'agit des joints d'assemblage des sections de tubage, désignés par l'expression bague d'assemblage (montrée à gauche dans la figure 1 ci-dessous):

Figure 1 Bague d'assemblage (à gauche) de sections de tubage.


Les tubages (en anglais on désignera en allant des moins profonds vers ceux qui vont plus en profondeur: conductor casing, surface casing, intermediate casing, production casing). On utilise aussi pour le conduit le plus petit, celui qui est le conduit pour la production de gaz ou de pétrole, le terme liner.

Ces tubes viennent en longueur d'une dizaine de mètres (Range 2: 28’ à 32’   et   Range 3: 38’ à 42’), ce qui signifie que dans une longueur de 1000m de tubage, il y a environ une centaine de joints. Les sections de tubages sont filetées mâles aux deux extrémités; l'assemblage des sections est faite par des bagues de jonction vissées sur les embouts filetés des tubages. La seule exception, dans certaines opérations, se rapporte au conduit du plus petit diamètre qui est parfois livré enroulé sur une bobine de très grande dimension (coiled tubing).

Les opérations de vissage sont là pour fournir un tube qui se tient mécaniquement sur toute la longueur requise, mais qui ne sera pas nécessairement étanche, même lors de sa mise en place: "Threads are used as mechanical means to hold the neighboring joints together during axial tension or compression. For all casing sizes, the threads are not intended to be leak resistant when made up" (SPE 2015).  En termes simples, la citation indique que les embouts filetés des sections de tubages ont pour but de permettre leur assemblage; ils sont conçus pour résister aux forces mécaniques axiales de traction ou de compression (montré à gauche sur la figure 2 ci-dessous). À noter cependant qu'il y a d'autres types de forces (contraintes) que les sections de tubages et leurs bagues de jonction subissent: des contraintes en flexion et en torsion notamment. Elles seront particulièrement importantes dans les parties courbées des forages, comme illustré à droite sur la figure ci-dessous:

Figure 2  Bague d'assemblage de sections de tubage; à gauche vue agrandie des joints filetés; forage vertical au centre et forage se recourbant jusqu'à l'horizontal à droite. L 'absence d'étanchéité inhérente à ce type de dispositif est illustrée par la teinte bleutée.

La citation précise aussi que pour les tubages de toutes tailles, une fois vissés, l'étanchéité (leak resistant) n'est pas un objectif de ce type d'assemblage. Le gaz, méthane par exemple, pourra fuir par les pas de vis entre les tubes (T) et la bague (B - montré à gauche sur la figure 2 - aussi l'espace en bleu fig. 3). Dans la conception des foreurs,  c'est plutôt le coulis mis en place par la suite entre le roc et le train de tubage, qui fera office de scellement. Or l'espace est minime et les renflements des bagues compliquent la mise en place du coulis. Les parties les moins bien remplies par le coulis seront justement celles qui sont voisines des très nombreux points d'assemblage.



Les tubages ne sont pas soudés en continu comme dans un pipeline; ils sont assemblés par des joints vissés. Ces joints sont non seulement des voies de circulation éventuelle, mais aussi et surtout des points d'amorce de la corrosion. Les joints sont nombreux; il y a des centaines dans un forage.

Les tubages ne sont pas unis et continus, mais plutôt irréguliers en raison de la présence des centaines d'anneaux de jonction aussi nommés bagues d'assemblage. Ces jonctions n'étant pas conçues pour être étanches au départ; elles sont déformées et encore moins étanches dans les cas où la courbure du forage les soumet à des torsions et à des flexions (points C fig. 2).

Il est à peu près impossible de mettre en place une cimentation étanche; l'espace libre entre le roc et les renflements des bagues d'assemblage varie de zéro (fig. 3, zone en rouge) à quelques centimètres seulement. Dans ces conditions, la mise en place du coulis par refoulement à partir du bas du forage, jusqu'en haut, revient dans les faits à tenter de le mouler dans un volume extrêmement étroit sur une distance de 1000 mètres et plus. On est contraint d'utiliser des coulis très fluides, mais ce sont les moins résistants et les plus susceptibles de voir apparaître des fissures. Il y a souvent une très mauvaise adhésion au roc et au tubage, car le volume du coulis se contracte lors du durcissement. Cette question a été traitée dans mon document d'octobre 2014.

En tant qu'éléments les plus fragiles et en même temps les plus soumis à des forces mécaniques, les joints de tubages sont les premiers à céder. Ces ruptures deviennent des points d'amorce de corrosion, ce qui mène à une accentuation des fuites. La figure 4 ci-dessous montre un type de rupture qui affecte les bagues d'assemblage. Les auteurs de l'étude précisent que ces ruptures sont survenues en relation avec les surpressions durant les étapes de la fracturation hydraulique.

Figure 4  Rupture de bagues d'assemblage; quatre exemples tirés d'un même forage (réf. 2).
Cette réalité est très différente de l'image que l'industrie (et bien des documents du gouvernement !) donnent de la question de l'étanchéité des forages. Ils présentent couramment l'énoncé suivant: trois tubages concentriques isolent le forage de l'aquifère. Il est impossible que le gaz dans le tube le plus interne puisse traverser six barrières "étanches", i.e. trois anneaux de ciment faussement décrit dans la figure du mémoire APGQ comme étant en "béton" + trois parois d'acier,  nommés membrane dans la figure 5 ci-dessous: 
Figure 5  La vision présentée par les promoteurs de l'industrie (deux figures tirées de la réf. 3, p. 40 et 41) qui selon leurs prétention "protège" l'aquifère*.

Les tubages ne sont pas étanches même lors de leur mise en place; les jonctions vissées n'ont pas cette capacité de rendre l'assemblage étanche. Les tubages et surtout les joints fuient, se corrodent et/ou cèdent. Le coulis d'étanchéité ne peut suppléer à ces faiblesses structurelles. Il est lui-même affecté de très nombreuses causes de perte d'étanchéité (voir les documents précédentsseptembre 2014,  octobre 2014  et novembre 2014).  La thèse de l'industrie des six barrières étanches pour protéger les nappes des fuites donne une représentation idyllique digne du pays des licornes. Dans la réalité, les puits ont des fuites même neufs et ils se corrodent dans le temps. 


Références citées

1- SPE 2015 (Society of Petroleum Engineers) -  Petrowiki   Casing and tubing
3- APGQ, Mémoire déposé au BAPE,  cote DM148, (voir pages 40 et 41)

* La petite ligne bleue que l'AGGQ indique sur la figure 5 comme étant l"aquifère d'eau douce" est une façon bien commode pour l'industrie de présenter les nappes. Dans la réalité, les nappes aquifères et ce qui les relie n'est pas limitée à une petite mince couche comme illustré. Le risque de contamination de l'eau souterraine est bien plus complexe et plus étendu que ce que suggère cette petite couche bleue très réduite dans la vision des promoteurs.


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