lundi 1 août 2016

Le règlement modifié pour la loi sur les hydrocarbures

Dans la Gazette Officielle du Québec, 13 juillet 2016 on dépose un avis de 45 jours pour l’entrée en vigueur d’une modification au Règlement sur le pétrole, le gaz naturel et les réservoirs souterrains, (RLRQ, c. 13.1, r.1) qui fixera les règles d'application pour le projet de loi sur les hydrocarbures (que nous avons analysé dans le billet du mois de juillet). Ce texte fait 17 pages; il modifie plusieurs articles du règlement actuel qui s'appliquent à l'exploration et à l'exploitation des hydrocarbures. La liste des articles modifiés est donnée en annexe dans ce billet du mois.
En résumé, il y a dans ces propositions de modification du règlement M-13.1 du bon, du moins bon, du très mauvais et de l’incongru.
On ajoute une distance séparatrice de 500 m avec les habitations existantes ; ça pourrait être une bonne chose dans le cas de simples puits verticaux. C’est très insuffisant pour des forages avec fracturation hydraulique dans les extensions horizontales de ces puits. Une distance de 500 m devrait s’appliquer à toute partie d'un puits d'exploration ou d'exploitation d'hydrocarbures y compris les extensions horizontales sous terre, pas simplement à la localisation en surface de la tête du puits. Le règlement ne fait pas cette distinction; il se limite à fixer la distance à partir de la seule portion en surface des puits. Même ce 500 m pourrait s’avérer bien insuffisant, car on a dans la littérature scientifique des cas de déplacements de contaminants sur des distances bien plus grandes.
Pour les autorisations, le gouvernement demandera plus de détails techniques et plus de garanties (caution et assurances) lors des forages, ainsi que lors de la stimulation (fracturation), ce qui est bon en soi. Ce qui est moins bon, c’est que ces informations sont déposées au gouvernement, mais gardées confidentielles.
L’émission récente d’autorisations simultanées pour la réalisation de forage et leur fracturation subséquente pour trois puits à Anticosti contredit totalement les anciennes procédures, tout comme les nouvelles qui sont proposées (a. 49). Il est illogique d’avoir donné ces autorisations de fracturer dans trois puits pas encore forés, car il est impossible de remplir les exigences réglementaires quant à la description précise de l’état initial réel des puits.
Ce qui est très mauvais, c’est qu’il n’y a rien de prévu pour gérer les risques à moyen et long termes, car toutes les règles, cautions et assurances responsabilité prennent fin quand le ministre accorde le certificat de libération au moment où l’exploitant quitte le site.
C’est uniquement pendant les travaux de forage et pendant l’exploitation que les montants d’assurance et de caution sont exigés. La caution est pour garantir l’obturation, la fermeture finale des puits et la restauration réglementaire. Une fois tout cela complété, la caution est remise à l’exploitant. Il n’y a nulle part dans la loi et le règlement la création d’un fond pour gérer les coûts après l’abandon. Il n’y a plus alors d’assurance, ni de caution. Tout tombe à la charge de l’État, comme depuis toujours.

Ce qui constitue vraiment un recul significatif c'est le retrait d'une exigence importante qu'on efface des articles qui traitent de la fermeture définitive des puits une fois l'exploitation terminée (expliqué en détails plus bas dans l'annexe a.60 et a.61). On exigeait que chaque puits soit laissé dans un état qui empêche l'écoulement des liquides ou des gaz hors du puits, avant d'obtenir le certificat de libération. On sait que de très nombreux puits d'exploration d'hydrocarbures ont en réalité des fuites significatives; même les puits récents ont un taux énorme d'occurence de fuites. Grâce à la pression constante des citoyens, l'État commence avec peine à comptabiliser les centaines de puits anciens susceptibles de laisser fuir du méthane et bien d'autres composés d'hydrocarbures. Le travail d'inventaire a été amorcé en 2014.

Devant le constat que l'exigence du règlement sur l'étanchéité des puits est rarement respectée, quelle solution les fonctionnaires ont-ils trouvée? Ont-il pensé exiger que l'industrie applique dorénavant des meilleures solutions techniques pour rendre les puits vraiment étanches?  Non, leur solution simpliste pour éliminer ces infractions systématiques à cet article du règlement sur les puits, c'est tout simplement d'enlever, en douce, cette exigence du règlement. Les nouveaux puits pourront avoir des fuites, les fonctionnaires ne seront plus incommodés par cette très embêtante question et l'industrie au Québec pourra conserver ses techniques courantes dont il a été démontré qu'elles sont incapables d'assurer une étanchéité des puits à court, moyen et long termes. Tout indique que les fuites dans le cas des futurs puits avec fracturation seront beaucoup plus significatives. C'est une très mauvaise avenue que prend la modification proposée dans le règlement. Elle est évidemment contraire aux constats et aux recommandations de toutes les commissions (ÉES, BAPE) qui ont souligné la problématique des fuites et les risques de contamination qui leur sont consécutives.

Voilà pour le très mauvais; passons maintenant à l'incongru. Cela se rapporte à la question de la faille Jupiter à Anticosti mentionnée dans article 22 (voir ci-dessous dans l’annexe); il y a là des incongruités que j’explique en quatre remarques:


 a) Le règlement fixe 600 m comme distance à la ligne inférée comme position de la faille pour exclure l'implantation de forages. Cette restriction s'applique à l’emplacement où s’installera la foreuse; il n’est pas mentionné que l'exclusion s'applique à toute extension horizontale souterraine des puits. La restriction sera donc interprétée comme dans le cas de la distance de 500 m par rapport à une habitation, c'est-à-dire qu'elle s'applique uniquement à la tête du puits en surface. Si c’est effectivement comme cela qu’on appliquera le règlement, alors il n’a aucune portée réelle, car un forage peut s’étendre sur bien plus que 600 m à l’horizontale. L’ajout de ce règlement est inutile, sauf pour donner une fausse apparence de rigueur à la loi.



Figure 1. Carte géologique montrant les failles d’Anticosti. (rapport ÉES ATRA01  p.21).





 b) Il y a sur la plus récente carte publiée (oct. 2015, fig. 1) exactement 27 failles dans l’île. Il y en a six ou sept autres en mer au voisinage immédiat d’Anticosti pour un total de 33 failles répertoriées. La faille Jupiter est seulement la plus longue et la mieux connue, mais toutes les autres sont susceptibles de poser des problèmes identiques. Le règlement devrait spécifier à 600 m de toute faille, pas juste à 600 m de la faille Jupiter. C’est incongru car la faille Jupiter est certes importante à Anticosti, mais des failles importantes comme cela, il y en a aussi en Gaspésie, dans les Basses-Terres du St-Laurent, en fait partout ailleurs au Québec. Pourquoi instaurer un règlement général qui ne mentionne qu’une seule faille ? Ce règlement n’a aucune valeur scientifique.
De plus, des zones de broyage pour une faille c’est souvent en fait sept, ou dix failles parallèles qui décomposent la déformation en multiples blocs. Ça peut s’étendre sur plus que 600 mètres.

c) La localisation des failles donnée sur les cartes par les géologues est une interprétation pour marquer un décalage observé de strates ou une mesure indirecte par l'analyse des relevés sismiques. On a que très rarement une observation directe de la position d’une faille tant qu’on ne l’a pas traversée par un forage, ou par un tunnel dans le cas de grands travaux de génie civil. On s’aperçoit alors qu’il y a toujours une différence entre la position donnée sur la meilleure carte et la réalité. J’ai observé cela des dizaines de fois comme bien d’autres collègues de terrain. La figure 2 (carte de Junex, 2011) montre aussi la faille Jupiter: notez la grande différence dans sa position dans la partie ouest de l’île, entre les figures 1 et 2.


Figure 2. Carte géologique montrant une autre interprétation de la faille Jupiter.



d) Un trait rouge sur la carte marque la position d’une faille en surface du roc. Elle n’est pas nécessairement à la même position à 500 m, 1000 m ou 1500 m de profondeur, là où la fracturation sera implantée. Les positions ne sont identiques que dans les cas où le pendage de la faille est vertical (90° comme dans le cas de la faille à gauche dans le schéma fig. 3).


Figure 3. Bloc diagramme montrant deux failles et un puits avec fracturation hydraulique qui pénètre dans la zone de broyage de la faille de gauche.




Dans le cas de la faille située à droite dans la figure 3,  le pendage illustré (70°) décale la position de la faille de près de 550 m à la profondeur 1500 m.  Un forage avec une extension horizontale de 1600 m à cette profondeur et dirigé à droite vers cette faille l'atteindrait. Il est donc illusoire dans un règlement de fixer ainsi une distance séparatrice pour un objet qui en pratique n’est pas définissable en termes juridiques simples et précis. C’est en profondeur que la fracturation aura un impact sur la faille. Même si la faille de droite (fig. 3) se situe à bien plus que la distance réglementaire de 600 m, la fracturation atteindra cette faille en posant les mêmes risques qu'un puits implanté très près de la zone de broyage.

Dans l’octroi récent des permis pour les trois puits à venir à Anticosti, le comité d’experts était bien mal avisé de conclure de façon très biaisée à des « risques… minimes … par l’absence de fractures ou de failles majeures qui permettraient l’ascension non voulue de fluides contaminants ». La figure 3 montre en fait la localisation d’un des trois puits pour lesquels ils ont recommandé l’octroi des permis : le puits La Loutre HZ. En superposant la carte géologique sur la position de ce futur puits, on retrouve deux failles dans son voisinage immédiat (fig. 4). Les figures 3 et 4 montrent exactement la même portion de terrain dans l'île d'Anticosti.


Figure 4. Carte de localisation du puits La Loutre HZ au voisinage immédiat de deux failles.



Manifestement les trois experts n’ont pas consulté cette carte récente publiée sur le site de l'ÉES Anticosti. Les règlements ont bien peu d’utilité quand on les applique aussi mal.

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Annexe – liste des articles modifiés du règlement M-13.1
Article 1 : suppressions de définitions et ajout de la définition « fracturation : opération qui consiste à créer des fractures dans une formation géologique en y injectant un fluide, sous pression, par l’entremise d’un puits ». Cette définition est moins restrictive que celle d'un autre règlement récent (RPEP) qui limite la définition à ce qui excède 50 000 litres.
Article 15 qui traite des permis de forage de puits. On allonge la liste des éléments à décrire dans le programme de forage. On exige un peu plus quant à la supervision ; c’était « un programme de forage certifié par un ingénieur », ça devient « un programme de forage certifié par un ingénieur pouvant justifier d'une formation ou d'une expérience dans le domaine du forage ».
Article 16 : La caution à déposer demeure à 10% du coût comme sans la version antérieure, mais on enlève ce qui la limitait à 150 000$.
Article 17 : c’était une ridicule exigence d’assurance-responsabilité de seulement 1M$. Ce sera dorénavant majoré à 2$, plus une assurance-pollution de 2M$, plus une assurance contrôle de puits de 10M$, plus une assurance complémentaire et excédentaire de 8M$. On ajoute que l’exploitant doit déclarer les incidents techniques lors du forage.
Article 18 : traite de la révision des garanties lors de la demande d’un permis de complétion (fracturation).
Article 19 : délai de 12 mois pour commencer le forage. La modification exigera moins, car ce qui doit débuter c’est « les activités visant la mise en place du tubage initial ». Cela peut donc n'être que des travaux préparatoires comme un simple déboisement sur le site d'un futur puits.
Articles 20, 21 : modifications peu significatives.
Article 22 : distances séparatrices. Deux ajouts notables : « 3.3° à moins de 500 m de toute habitation ou édifice; 3.4° à moins de 600 m de part et d’autre de la zone de broyage de la faille de Jupiter située sur l’île d’Anticosti ». Commenté plus haut dans ce billet du mois.
Article 23 : ajout intéressant d’exiger des analyses des hydrocarbures rencontrés, de doser le H2S et les rapports isotopiques du méthane. C'est utile pour reconnaître la signature isotopique spécifique au méthane thermogénique. Pour être vraiment utiles, ces mêmes dosages devraient être faits aussi dans les puits domestiques AVANT l'implantation d'un puits d'hydrocarbures; il n'y a rien de cet ordre dans le règlement.
Articles 24, 25, 26, 27, 28, 33 et 34 Les exigences techniques pour la cimentation et les tubages sont abrogées. On ajoute pour les remplacer la production d’avis à la fin de chaque opération de cimentation.
Article 40 : mesures géophysiques (diagraphies) dans le puits. Abrogé, on exigera plus rien de ce type.
Articles 47 et 48 ; on exige des rapports plus fréquents (48h) du progrès du forage et ils doivent être signés par un ingénieur.

Article 49 : demande de permis de complétion. C’est ici qu’on distingue la stimulation chimique VS la fracturation hydraulique. On ajoute les règles déjà contenues dans le RPEP, ainsi que la liste des produits chimiques utilisées dans la fracturation hydraulique. Comme dans le RPEP on demande une évaluation 3D de la propagation des fractures ; or ce type de modélisation n’a aucune fiabilité et ne peut pas donner une prédiction crédible de ce qui se passera réellement. C’est de la frime que de mettre ça dans le règlement. On demande une description du suivi microsismique, mais il n’est pas précisé qu’il doit être fait. Le RPEP ne l’exige pas, sauf pour le premier forage dans la formation géologique.
Article 52 : rapports journaliers des travaux incluant brûlage des gaz, mesures de l’extension des fractures, sauf qu’ici aussi il n’est pas fait d’obligation de suivi microsismique. Il faudrait absolument que ce point soit clarifié et que le suivi microsismique pour toutes les opérations de fracturation hydraulique soit exigé formellement dans le règlement.
Article 54 : Après les travaux de complétion l'exploitant transmet au ministre un rapport signé par un ingénieur. On parle des « données recueillies pendant les activités de complétion, incluant la cartographie des événements microsismiques enregistrés le cas échéant » Cette formulation indique bien qu’il peut ne pas y avoir de suivi microsismique, donc aucune mesure de l'extension réelle de la fracturation. C'est là véritablement un élément très mauvais de ce règlement.
Les articles qui traitaient des conditions à respecter pour la fermeture temporaire (article 60) et définitive (article 61) comportaient chacun huit paragraphes. Ceux qui traitaient de l’étanchéité des puits se lisaient ainsi : « 6° le puits fermé temporairement doit être laissé dans un état qui empêche l'écoulement des liquides ou des gaz hors du puits » (a.60).
« 8° le puits doit être laissé dans un état qui empêche l'écoulement des liquides ou des gaz hors du puits. » (a.61).
Cette obligation de ne pas constater de fuites lors de l’inspection rattachée à la fermeture disparaît complètement. En effet le texte du 13 juillet 2016 simplifie grandement les exigences ainsi :
34. Les articles 60 et 61 de ce règlement sont remplacés par les suivants :
«60. Le titulaire de permis de recherche de pétrole, de gaz naturel et de réservoir souterrain ou de bail d’exploitation relatif au pétrole et au gaz naturel ou à un réservoir souterrain doit, dès que les travaux de fermeture temporaire de puits sont terminés, prendre les mesures suivantes :
1° dans le cas d’un puits sur terre, indiquer et protéger la tête de puits par une clôture ou un abri et sécuriser le site;
2° dans le cas d’un puits en territoire submergé, équiper la tête de puits d’un dispositif permettant de la localiser facilement.
61. Le titulaire de permis de recherche de pétrole, de gaz naturel et de réservoir souterrain ou de bail d’exploitation relatif au pétrole et au gaz naturel ou à un réservoir souterrain doit, dès que les travaux de fermeture définitive de puits sont terminés, signaler le puits au moyen d’une plaque d’acier de 15 cm de largeur et de 30 cm de hauteur et y indiquer, en relief, le nom du puits et ses coordonnées géographiques. Cette plaque doit être fixée à 1,5 m au-dessus de la surface du sol au moyen d’une tige d’acier. Lorsque la tige d’acier n’est pas soudée sur le coffrage extérieur, la plaque doit également indiquer en quelle direction et à quelle distance est situé le puits».
Il n’y a rien d’autre dans le règlement de 2016 que la préoccupation de localiser la position en surface du puits abandonné ; l’obligation de transférer à l’État un puits sans fuite disparait complètement !
Aucune modification des articles 62 à 70,  dont l’article 64 qui fixe les droits annuels à 0,10$/hectare ce qui représente $10/km2,  environ $72000 pour la totalité d'Anticosti, à peine juste assez pour le coût d'un seul inspecteur au MDDELCC.
Article 71 : «La période d'essai pour l'extraction de pétrole ou de gaz naturel ne doit pas excéder 60 jours ». Junex à Galt et Pétrolia à Haldimand sont toujours en période d’essai n’est-ce pas ?  (pas de redevances à verser à l'État en période d'essai).
Il y a aussi à la fin l’ajout d’articles 118.1 à  118.14 pour préciser les modalités des versements des garanties pour la période qui se termine à la fin des travaux de restauration du site. Toutes prennent fin et sont remboursées lors de l’émission du certificat de libération. Le gouvernement ne prévoit aucune garantie après cette date. Tous les risques à moyen et long termes sont officiellement libérés du budget des exploitants.

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