Pour ce billet de septembre, j'ai le bonheur de vous soumettre un texte écrit conjointement avec Richard Langelier, sociologue et juriste. L'analyse du projet de loi sur les hydrocarbures que j'ai amorcé dans mon billet de juillet et que j'ai poursuivi dans mon billet du premier août avec les aspects réglementaires, se poursuit donc à nouveau ce mois-ci. Nous allons traiter plus spécifiquement des distances séparatrices prévues dans la loi et ses textes de règlements qui l'accompagnent.
Les distances séparatrices prévues dans le projet
de Règlement sur le pétrole, le gaz
naturel et les réservoirs souterrains : Enjeux pour les citoyens et
les municipalités
Marc Durand, ingénieur et géologue
Richard E. Langelier, juriste et sociologue
I.
Ouverture
Le gouvernement
a récemment déposé un projet de règlement appelé, avec l’adoption éventuelle du
projet de loi 106 et de la Loi sur les
hydrocarbures contenue dans ce projet de loi, à s’arrimer avec cette loi
dont il constituerait un règlement d’application.
En procédant
ainsi, le gouvernement tente sans doute de rassurer les parlementaires qui
pourraient hésiter à adopter un projet de loi qui confie au seul gouvernement,
à une centaine d’occasions, le soin de fixer des éléments pourtant essentiels du
projet d’exploitation gazière et pétrolière au Québec.
Mais il faut
savoir que cette publication n’apporte aucune sécurité réelle aux représentants
élus de la population dans la mesure où il n’existe aucune assurance ou
garantie que le décret qui édictera éventuellement ce règlement reprendra
exactement le projet publié récemment, d’une part, et que, d’autre part, rien
n’interdirait au gouvernement de modifier ultérieurement ce règlement, puisque
l’adoption des règlements constitue une prérogative du Conseil des ministres et
non des parlementaires.
Ce projet de
règlement comporte des dispositions sur les distances séparatrices. Ces
distances ne visent pas à protéger les sources d’eau potable, puisque les
distances séparatrices entre les sources d’eau potable et les installations des
sociétés gazières et pétrolières ont déjà été fixées par le Règlement sur le prélèvement des eaux et
leur protection. Avec d’autres scientifiques, nous avons déjà expliqué les
insuffisances et l’inadéquation de ces normes qui limitent à 500 mètres de la
tête de puits des forages ou à 400 mètres sous la base de l’aquifère la zone de
protection desdites sources d’eau potable (voir Marc Brullemans, Marc Durand,
Richard E. Langelier, Céline Marier et Chantal Savaria, Le Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection où comment
sacrifier l’eau potable pour quelques gouttes de pétrole, Janvier 2016, 153
p.).
Ce sont donc les
autres enjeux liés à ces encombrantes structures industrielles qui sont en
cause dans ce nouveau projet de règlement : enjeu de santé publique, lié
aux émanations et déversements, enjeu de sécurité publique, lié à l’important
volume du trafic de véhicules lourds nécessaire pour réaliser la production
d’hydrocarbures, enjeu de la gestion des nuisances à la qualité de vie des
résidents, tels ceux relatifs au bruit, aux odeurs, à la lumière, enjeu lié à
l’aménagement du territoire, afin d’éviter les conflits d’usage, et à la planification
du développement, enjeu lié à la préservation du paysage et du patrimoine bâti,
etc.
Nous avons
débuté l’examen critique de ce projet de règlement et nous présentons donc dans
ce document quelques réflexions en lien avec les dispositions relatives aux
distances séparatrices.
II.
Les distances séparatrices pour les levés géophysiques
Voici les
distances séparatrices prévues dans ce projet de règlement (disposition
reproduite en italique) et nos commentaires (insérés dans les boites qui
suivent l’énoncé des règles et identifiés par MD (Marc Durand) et REL (Richard
E. Langelier) :
6. Le titulaire de permis de levé géophysique doit, lors de l’exécution
d’un levé géophysique, éviter de placer la source d’énergie à une distance
inférieure à:
1° 30 m d’un chemin de fer;
2° 10 m d’une borne d’arpentage;
3° 100 m d’un pipeline de surface ou 75 m d’un pipeline enfoui
appartenant à un tiers;
4° 120 m d’un puits de pétrole ou de gaz naturel appartenant à un
tiers;
5° 200 m d’un puits d’eau ou d’un aqueduc;
6° 200 m d’un bâtiment, d’une ligne à haute tension et d’un
ouvrage souterrain;
7° 100 m
d’un cimetière.
D. 1539-88, a. 6; D. 1381-2009, a. 6.
REL : Il est
difficile de comprendre les raisons objectives qui justifient les disparités
dans les distances séparatrices imposées. Comment calculer le 120 m d’un
puits de pétrole qui dispose d’extensions horizontales ? Pourquoi est-ce plus
dangereux de réaliser ces travaux près d’un aqueduc que d’un puits pétrolier
(est imposée une distance supérieure de 20 m), d’un cimetière que d’un chemin
de fer (est imposée une distance supérieure de 70 m) ?
|
III. Les distances séparatrices pour les forages
Voici maintenant
les distances séparatrices pour les forages gaziers et pétroliers. Les
annotations Supprimé, Ajout, Remplacé Par, montrent les modifications que
le gouvernement souhaite apporter aux dispositions actuelles du Règlement sur le pétrole, le gaz naturel et
les réservoirs souterrains édicté pour l’application de la Loi sur les mines qui, jusqu’à
maintenant, considère les hydrocarbures comme des minerais et régit leur
exploration et leur production.
22. Le titulaire de permis de forage de puits ne peut forer un puits:
1° à moins de 100 m d’un chemin public au sens du Code de la
sécurité routière (chapitre C-24.2), d’un chemin de fer, d’un pipeline, d’une
ligne électrique à haute tension de plus de 69 000 volts, (Supprimé : de toute habitation ou édifice public); toutefois, pour les fins d’un
réservoir souterrain artificiel ou d’un forage dont la profondeur n’excède pas
15 m sous la couche de sédiments non consolidés, la distance peut varier
de 50 à 100 m;
Remplacé : 2° à moins de
100 m des limites de la superficie de terrain visé par le permis de
recherche ou le bail d’exploitation sur lequel s’effectue le forage d’un puits
ou à moins de 400 m lorsque le puits est situé en territoire submergé;
Par : 2° à
moins de 100 m d’un cimetière, d’un parc national ou d’une aire protégée;
3° sur terre, à moins de 100 m de la ligne des hautes eaux
toutefois, pour les fins d’un réservoir souterrain artificiel ou d’un forage
dont la profondeur n’excède pas 15 m sous la couche de sédiments non
consolidés, la distance peut varier de 50 à 100 m;
Ajout : «
3.1° à moins de 160 m d’une éolienne, d’un pylône électrique ou d’une
infrastructure de télécommunication;
Ajout : « 3.2° à moins de 180 m d’un barrage à
forte contenance tel que défini à la Loi sur la sécurité des barrages (chapitre
S-3.1.01);
Ajout : «
3.3° à moins de 500 m de toute habitation ou édifice;
Ajout : «
3.4° à moins de 600 m de part et d’autre de la zone de broyage de la faille de
Jupiter située sur l’île d’Anticosti; »;
4° en territoire submergé, à moins de 1 000 m de la ligne des
hautes eaux en milieu marin ou à moins de 400 m de la ligne des hautes eaux
dans le fleuve Saint-Laurent;
5° à moins de 1 000 m d’un aéroport;
6° (paragraphe abrogé);
6.1° (paragraphe abrogé);
7° à moins de
1 600 m de tout réservoir souterrain existant à l’égard duquel il ne
détient aucun droit.
Ajout : 8°
dans une zone à risque de mouvement de terrain. ».
D. 1539-88, a. 22; D. 1081-90, a. 1; D.
1381-2009, a. 15; D. 700-2014, a. 1.
MD :
Article
22 : distances séparatrices. Deux ajouts notables : « 3.3°
à moins de 500 m de toute habitation ou édifice; 3.4° à moins de 600 m de part et d’autre de la zone
de broyage de la faille de Jupiter située sur l’île d’Anticosti ».
La signification pratique de cette distance de 600 m par rapport à la faille Jupiter a été analysée dans le billet précédent et je prie le lecteur de s'y référer.
|
REL : Sur la
question des distances séparatrices, plusieurs éléments peuvent être
soulignés :
1.
Elles ne
tiennent pas compte des forages horizontaux. En conséquence, elles ont donc peu
de signification réelle et n’offrent aucune protection efficace.
2. Elles ne visent
manifestement pas la protection des sources d’eau potable qui, elles, sont supposément
protégées par les normes édictées dans le Règlement
sur le prélèvement des eaux et leur protection (RPEP).
3. En regard des risques
pour la santé, elles sont manifestement insuffisantes, eu égard aux
nombreuses études publiées récemment qui montrent les risques élevés de vivre
si près d’un forage gazier ou pétrolier.
4. Elles sont
aussi insuffisantes du point de vue des nuisances liées au bruit, à la forte
luminosité, à la densité du trafic de véhicules lourds, etc.
5.
Elles sont
aussi insuffisantes du point de vue de la protection du paysage et
n’établissent aucune distinction en regard de paysages exceptionnels.
6. Elles
n’incluent aucune préoccupation ou règles en regard des schémas
d’aménagement, des autres activités susceptibles de se déployer sur un
territoire donné.
7.
N’étant pas
intégrées avec celles prévues au RPEP, elles peuvent être source de confusion
et de conflits. Par exemple, si une source d’eau potable se situe dans un
parc national ou dans une aire protégée, quelle règle prévaudra ? Celle du
500 m du RPEP ou celle du 100 m du présent projet de règlement ?
8. Elles
privilégient la protection des intérêts économiques (par exemple distance
minimale de 1 600 m d’un autre réservoir) à la protection des
communautés, de l’environnement et des citoyens.
9. Elles manquent parfois de précision (elles ne donnent
aucune définition d’une zone à risque de mouvement de terrain) et seront donc
d’une application difficile offrant, de ce fait, une faible protection.
|
Conclusion
Une fois encore,
ces distances séparatrices sont insuffisantes et ne permettent pas de protéger
adéquatement la santé, la sécurité et la tranquillité des résidents et
résidentes.
De fait, des
forages en plein quartier résidentiel, comme la compagnie Pétrolia en réalise
actuellement dans le quartier Sandy Beach à Gaspé, seraient possibles en vertu
du présent projet de règlement.
Ce projet de
règlement met ainsi en place les conditions les plus favorables pour les
titulaires de permis de forage et constitue donc une autre illustration de
l’orientation fondamentale du gouvernement en faveur du déploiement de la
filière pétrolière et gazière en territoire québécois.
Dans ce cadre,
il est permis de conclure qu’un tel contexte réglementaire constitue une
véritable promotion de cette filière et ne correspond absolument pas aux assurances
données récemment par le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, M.
Pierre Arcand, à l’effet que le gouvernement ne ferait pas la part belle à ce
type de développement.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire
Vos questions et vos commentaires sont bienvenus.