mercredi 11 mars 2020

Gaz de schiste au Québec - une mise à jour par Richard Langelier

Gaz de schiste au Québec

1. Quelle est la situation du gaz de schiste au Québec ?

En septembre 2018, juste avant de perdre le pouvoir, le gouvernement de Philippe Couillard mettait en vigueur la Loi sur les hydrocarbures et ses règlements d’application. Ceux-ci interdisent la fracturation hydraulique dans le shale (schiste) et imposent des distances séparatrices de 1 km par rapport aux cours d’eau.
Une distance très réduite de 275 mètres devrait, du moins en théorie, protéger les maisons des nuisances et inconvénients liés à la recherche des hydrocarbures.
Comme le schiste est une « roche mère », susceptible d’emprisonner les hydrocarbures, cela limitait fortement la capacité de forer des exploitants dans la vallée du Saint- Laurent, là où se concentre essentiellement le schiste.
Ces règlements sont sous la responsabilité du Ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN) dont la mission est de développer nos ressources naturelles.
Le problème c’est que le Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection (RPEP), qui, lui, découle de la Loi sur la qualité de l’environnement, donc du Ministère de l’Environnement, prévoit d’autres règles qui contredisent en partie les règlements du MERN.
En effet, le RPEP permet la fracturation hydraulique sur l’ensemble du territoire et donne des distances séparatrices plus courtes.
Les compagnies gazières ont donc décidé de contester la légalité des règlements du MERN devant la Cour supérieure du Québec,
Le gouvernement de M. François Legault, en refusant d’harmoniser les deux règlements, facilite donc la contestation de la compagnie Questerre : si les règlements du ministère de l’Environnement sont suffisants pour protéger les sources d’eau, n’est-ce pas une démonstration implicite que les règles du MERN sont superflues, exagérées et donc ultra vires ?
Voilà ce que plaidera sans doute la compagnie Questerre.
Lors d’une rencontre avec le ministre Charrette, en juin 2019, le Comité de pilotage des maires et mairesses qui réclament une meilleure protection de leurs sources d’eau potable, le gouvernement s’était engagé à étudier les revendications des municipalités et à y donner suite positivement. Une rencontre avait été planifiée au début de l’automne.
Mais par la suite, le ministre a refusé de rencontrer les élu.e.s locaux, à cause de la contestation de Questerre.
Il faudrait donc que le gouvernement de la CAQ cesse de tenir un double discours. S’il est contre le gaz de schiste, comme il le prétend parfois, qu’il passe aux actes.

2. Pourquoi les gens ont-ils reçus une lettre de Questerre ?

Parce que la compagnie a acheté tous les permis de recherche d’hydrocarbures dans la vallée du Saint- Laurent.
Questerre est une petite compagnie albertaine qui agit comme opérateur pour la multinationale espagnole Repsol.
La Loi sur les hydrocarbures exige plus de transparence et les compagnies ont l’obligation de prévenir municipalités et résidents qu’elles détiennent un permis de recherche d’hydrocarbures.
Cette disposition vise à éviter l’envahissement sauvage des territoires, comme nous l’avions connu de 2008 à 2012.
Questerre répond donc d’abord à une obligation légale en avisant les citoyens et citoyennes du fait qu’elle détient maintenant les permis.

3. Questerre veut-elle faire des forages dans notre région ?

Questerre a toujours soutenu vouloir faire un projet expérimental dans la région de Bécancour-Lotbinière.
Mais l’exploitation du gaz de schiste exige le creusement de milliers de puits, car les puits s’épuisent rapidement. C’est donc une sorte de frénésie.
Si Questerre gagne sa bataille judiciaire, nous pouvons prévoir un envahissement du territoire.

4. Quels sont les enjeux environnementaux ?

Ils sont énormes : pollution inévitable des sources d’eau potable (comme en Pennsylvanie et en Californie).
Problèmes majeurs de santé pour les personnes vivant en périphérie des puits, documentés par des études récentes.
Problèmes géologiques (tremblements de terre).
Problèmes de gestion des eaux usées contaminées (environ 10 millions de litres d’eau ressortent de chacun des puits après la fracturation). Pour être « gérable » et économiquement rentable, il faut des centaines sinon des milliers de puits pour justifier les dépenses engagées pour tenter de dépolluer les eaux usées  issues de la fracturation (BAPE générique sur le gaz de schiste, 2014).
Ces enjeux sont bien documentés. Le Collectif scientifique pour la protection de l’eau potable, dont je suis membre, a déposé, à la demande du Comité de pilotage des municipalités qui réclament une meilleure protection de leurs sources d’eau potable, plus de 300 pages d’études scientifiques qui montrent les effets négatifs importants sur la santé des populations, la qualité de l’eau potable, les conséquences sur le climat et les effets sociaux de ce type de développement.
Récemment, d’autres pays, comme l’Angleterre, se sont joints à la cohorte toujours plus importante de pays qui rejettent ce type de développement.

5. Quels sont les enjeux économiques ?

Il n’existe aucun gisement important connu au Québec. Dans les années 1970 avec leurs immenses moyens, les multinationales de l’énergie (Texaco, Shell, etc.) et la filiale gouvernementale du gaz d’Hydro-Québec, ont cherché des hydrocarbures et n’ont rien trouvé.
Il n’y a donc que des gisements marginaux pouvant difficilement être exploités de façon rentable (les puits gaspésiens les plus importants ont donné quelques milliers de barils de pétrole sur une période de 3 ans; en Arabie Saoudite des puits donnent 100, 000 barils par jour !).
Mais les compagnies qui disposent des permis au Québec sont de petites compagnies dont le seul objectif est de pouvoir clamer qu’elles ont trouvé des hydrocarbures dans l’espoir d’être rachetées par des géants du secteur.
Ces compagnies sont au fond des spéculateurs aux reins peu solides (Gastem qui a poursuivi Ristigouche est incapable de payer la sanction de 175, 000 dollars imposée par le tribunal; Piradee (ex-Pétrolia) est au bord de la faillite et ne peut fermer les puits gaspésiens; Junex, achetée par un fonds spéculatif autrichien, ne sait pas trop où aller…Investissements Québec a dû radier récemment ses actifs détenus dans ce secteur; nous y avons perdu plus de 100 millions de dollars de fonds publics).
Bref, ces compagnies seront incapables de réparer les dégâts qu’elles causeront inévitablement.
On comprend mal qu’un gouvernement qui se targue d’être un champion économique soutienne encore ces canards boiteux qui, de toute façon, ne créeraient pas d’emplois locaux importants (ceux qui gagneront 30 dollars de l’heure seront albertains, non pas québécois…)
Sur le plan géopolitique, le gouvernement Legault devrait prendre garde de ne pas être entrainé dans la guerre économique que mène les États-Unis de M. Trump avec la Russie.
Le marché, voit bien que les tentatives américaines de contrer la construction du pipeline russe North Stream 2 ont échouées (ce qui met du plomb dans l’aile de GNL Québec). Le marché européen du gaz ne sera pas entièrement américain, et la concurrence sera rude pour sa place sur ce marché.
Il importe donc de constater que le développement d’activités liées à la production ou au transport du gaz sur notre territoire menace aussi les autres activités économiques pérennes, souvent au cœur des activités régionales. Elles rapporteraient donc peu, et, en plus de nous réserver des risques qui dépassent de loin les bénéfices, de surcroît, elles nous éloigneraient de nos cibles de réduction des gaz à effet de serre (GES).
Ces activités sont donc sans nécessité, établies sur la base d’une analyse économique à court terme et déficiente, puisqu’elle externalise les coûts environnementaux, et seraient menées sans acceptabilité sociale, même dans son acception la plus étroite.
Depuis plus de 10 ans maintenant, de toutes les façons possibles (des sondages aux participations les plus diverses dans les consultations gouvernementales, aux pétitions, résolutions municipales, manifestations, rassemblements, etc.) la population a exprimé clairement son opposition s à ce type de développement.
Il y a donc aussi des enjeux politiques, car, de façon évidente, les citoyens et citoyennes n’accepteront pas ce retour des spéculateurs dans leur territoire. Ils ont déjà joué dans ce film. Le gouvernement serait bien avisé d’en tenir compte.

Richard E. Langelier
Docteur en droit (LL.D.) et sociologue

vendredi 6 mars 2020

Saucissonnage – une stratégie pour tenter de faire passer des mégaprojets

Le début des audiences du BAPE sur le projet Énergie Saguenay démontre hors de tout doute le cul-de-sac d'une approche incomplète dans l’évaluation des mégaprojets énergétiques. L’usine de liquéfaction du gaz provenant de l’Ouest par gazoduc n’a sa raison d’être que pour permettre l’expansion de l’exploitation de gaz par des techniques non conventionnelles. Si le gaz naturel est une source d’énergie émettant moins de gaz à effet de serre (GES) que le charbon ou le mazout, cela n’est vrai que pour la seule étape de la combustion. Il faut tenir compte d’où provient ce gaz. La production de l’Ouest est de moins en moins du gaz naturel usuel; les gisements traditionnels s’épuisent rapidement. L’expansion de la production de  gaz dans l’Ouest se fait dorénavant par l’ouverture de gisements non conventionnels; le gaz y est produit par la technique de fracturation hydraulique. Cette méthode crée des impacts considérables qui n’ont plus rien à voir avec les exploitations traditionnelles. Les impacts négatifs de la fracturation hydraulique (impacts sur la santé, la pollution des nappes phréatiques, etc.) ont déjà été étudiés partout dans le monde, ce qui a mené à des interdictions permanentes dans de très nombreux pays et États, incluant le Québec.

Regardons le gaz en termes d’effet de serre et en considérant principalement le méthane (CH4) qui est le constituant principal ((~95%) du gaz naturel. L’avantage du gaz versus le mazout et le charbon (de l’ordre de 40 à 70% selon les sources et les contextes) se rapporte aux émissions de GES lors de l’étape combustion. Le méthane a un meilleur rapport Énergie produite/CO2 émis  que celui des autres combustibles lors de la combustion. Mais d’autre part le CH4 a un potentiel de réchauffement (PRG pour Potentiel de Réchauffement Global) 36  fois le CO2 sur un horizon de 100 ans et de 87 fois le CO2 sur l’horizon de 20 ans. Suite à la conférence COP21 de Paris, les pays ont convenu de l’urgence d’agir et de mettre en œuvre des mesures d’ici 2050 et à plus court terme des objectifs à atteindre d’ici 2030. Pour mesurer le rôle du méthane dans l’analyse de l’efficacité de ces mesures, c’est évidemment le facteur 87 de l’horizon de 20 ans qui est le plus pertinent. Plusieurs auteurs persistent encore à utiliser le facteur sur 100 ans, ce qui n’est pas faux scientifiquement, mais cela ne permet pas d’évaluer correctement l’impact d’ici 2050 des actions que les pays mettent en place actuellement.

 

L’avantage théorique sur les autres combustibles est utilisé par les promoteurs d’Énergie Saguenay pour présenter ce projet comme une énergie de transition. Or cet avantage n’existe que dans une vision étroite de la problématique, celle limitée à la seule étape de la combustion. En raison du PRG (87)*, il suffit d’avoir 2,3% de CHproduit qui s’échappe sous forme de CH4 non brulé en CO2 pour réduire à néant ce pseudo avantage au gaz. Dans la réalité, à toutes les étapes de la production et de l’utilisation du gaz, il y a du CH4 qui fuit et qui arrive dans l’atmosphère sans être transformé en CO2, donc avec son plein potentiel de 87. Les fuites se produisent lors de l’extraction par fracturation, lors du transport, lors des combustions imparfaites.

Les mesures les plus probantes dans les régions de production de gaz  non conventionnel donnent des taux de fuite entre 4% et 9% de la production. Les évaluations les plus basses concernent des lectures faites uniquement aux têtes de puits, alors que des évaluations par survol aérien à basse altitude montrent des taux plus élevés. Ces relevés indiquent donc que les émissions aux seules têtes de puits sous-estiment grandement les migrations de méthane dans l’ensemble des superficies fracturées. C'est encore cependant ces évaluations aux têtes de puits qui prédominent et qui ont fourni la valeur de 2,3% qui a été publiée pour l'ensemble de la production aux USA.

Il y a aussi des fuites durant le transport, il y a du méthane mal brulé aux étapes où on veut convertir le CH4 en CO2, aux torchères notamment. L’efficacité globale des torchères aux puits de production atteint rarement 90%. La quantité et la qualité des évaluations fiables des fuites de méthane demeurent encore en 2020 très limitées. Ce flou sert l’industrie qui n’a aucun intérêt à voir des évaluations complètes contredire les prétentions officielles que le gaz est une solution de transition. Or c’est un très gros mensonge. Comme il suffit de moins de 2,3% de fuite pour pouvoir affirmer que le CH4 n’est pas meilleur que le mazout ou le charbon (tableau ci-dessous) et qu’il y a en réalité un minimum de 4% de tout le gaz extrait qui s’échappe dans l’atmosphère, le gaz qui parviendrait à l’usine de liquéfaction GNL au Saguenay aura un impact majeur en termes de GES en raison principalement du fait qu’il s’agira de gaz extrait par la fracturation hydraulique de roches naturellement étanches.



Ce qui n’est jamais pris en compte dans la production du gaz, c’est la quantité de méthane émis après la fin de la production. Les recherches publiées font état d’un taux gaz émis/gaz produit (4%, 9%, etc.).  Or qu’arrive-t-il quand la production est terminée? Le gaz émis va continuer à exister bien après que le gaz produit sera rendu à zéro. Ces quantités de gaz à effet de serre vont pénaliser les générations qui vont nous suivre pendant très longtemps. J’ai depuis dix ans analysé cette problématique sans voir à peu près jamais des commissions, des BAPE, etc. penser l’intégrer dans leurs paramètres. On s’attache toujours, dans l’analyse du cycle de vie des projets, à suivre les étapes des activités de l’industrie. Or même quand l’industrie a cessé toutes ses activités et qu’elle a respecté toutes les règlementations, celles qui se rapportent notamment à la fermeture des puits, il y a une réalité géologique : le méthane va continuer à fuir. Il en reste beaucoup dans le roc quand on ferme les puits : plus de 80% de ce qui était en place à l’origine. La nouvelle fracturation du roc va mal contenir le gaz; il y a aussi une durée de vie limitée dans l’efficacité de l’obturation des puits. Ces « shale gaz plays » comme on les désigne en anglais vont perdurer pour des décennies et des siècles comme nouveaux émetteurs de méthane. L’impact final en termes GES sera donc encore plus élevé que ce qu’indique la dernière colonne du tableau montré plus haut.

Et c’est ainsi qu’on aborde la pertinence des mégaprojets au BAPE : on lance en premier une commission sur un tout petit bout de la chaine de production, celui où le promoteur avance l’idée géniale (en termes de marketing)  d’utiliser l’hydroélectricité propre pour liquéfier ce gaz au Québec avant de l’exporter. Mercredi 4 mars 2020 à Saguenay, les commissaires du BAPE ont indiqué vouloir écouter tous les citoyens sur tous les sujets qu’il voudront présenter;  mais ils ont précisé ensuite que leur mandat et leur rapport se limitera au bout le plus présentable du projet : l’usine GNL-Saguenay, là où on vise un écoblanchiment en liquéfiant le gaz à l’aide d’une énergie propre et renouvelable.

Cette approche devient risible face à l’analyse que font en ce moment même d’autres intervenants. C’est le cas des bailleurs de fonds notamment qui n’appliquent pas à l’interne le « saucissonnage ». La décision récente du groupe de Warren Buffet de se retirer du projet se base sans aucun doute sur une analyse plus globale. Le BAPE avec sa petite tranche du saucisson a l’air bien peu crédible en ce moment avec le mandat que lui a donné le ministre.

Imaginons hypothétiquement un nouveau projet d’exploitation de la forêt qui utiliserait la coupe à blanc, ou un nouveau projet d’exploitation de pêcherie retournant au raclage par chalutage des fonds océaniques. Saucissonnez le tout et lancez un BAPE qui se limitera à l’usine qui produira des 2x4 avec le bois, ou à la mise en conserve du poisson. Les commissaires annonce que leur mandat se tiendra uniquement dans le village où se sera construit le scierie, ou encore uniquement sur le site de la conserverie de poisson. Ça ressemble beaucoup à ce qui se passe à Saguenay et ce n’est pas du tout bon pour l’image à long terme du BAPE.

Il est urgent que le ministre corrige le tir et réoriente la commission vers une évaluation complète de la pertinence de contribuer ici à l’expansion de la production de gaz non conventionnel. Une évaluation rigoureuse et complète démontrera que ce projet ne peut absolument pas être classé dans une énergie de transition. Par rapport au gaz naturel traditionnel, le gaz produit par fracturation hydraulique est en réalité un grand bond en arrière, comme le serait le retour aux coupes à blanc dans l'industrie forestière, ou au raclage des fonds océaniques par chalutage pour l'industrie de la pêche.
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* Le Potentiel de Réchauffement Global (PRG) - en anglais GWP (Global Warming Potential) sur l'horizon de 20 ans est estimé à 84 - 87 par l'EPA; la valeur la plus élevée 87 est celle qui s'applique au méthane fossile (comme celui des gisements de gaz de schiste).

N.B. Cette analyse sera présentée sous forme de mémoire a
u BAPE GNL Québec.

mardi 25 février 2020

Les mégaprojets pétroliers et gaziers au Canada

Les  mégaprojets pétroliers et gaziers au Canada doivent faire face à des conditions économiques d'un contexte fort différent de celui d'il y a vingt ou trente ans. Les facteurs qui restreignent l'expansion des nouveaux gisements marginaux ne sont pas uniquement des contraintes environnementales et des restrictions reliées à la lutte aux changements climatiques. Il y a surtout l'explosion des coûts de ces mégaprojets dans un contexte économique qui ne permet plus la montée en flèche du prix des hydrocarbures. Avec la transition de la consommation vers des énergies vertes, il y aura une diminution de la consommation des combustibles fossiles.

L'offre de pétrole conventionnel demeure importante; bien des régions dans le monde peuvent toujours le produire en abondance pour un coût bien inférieur à $50/baril. Les gisements marginaux n'étaient envisageables qu'en supposant un prix au baril en progression constante au-delà de $80/baril. Cette progression est devenue très hypothétique est fort peu réaliste dans les conditions actuelles et prévisibles où la demande en hydrocarbures est abondamment comblée par l'offre des producteurs exploitant des gisements conventionnels. Nul besoin d'aller vers des gisements marginaux, les plus polluants et les plus coûteux à mettre en production.

L'annonce de Teck Ressources qui abandonne son mégaprojet Teck Frontier dans les sables bitumineux résulte donc de considérations avant tout économiques.

L'article d'Hélène Baril liste à la fin quatre autres mégaprojets controversés au Canada; un de ceux-là est situé au Québec et il implique la production de gaz à partir de gisements non conventionnels. Énergie Saguenay comporte en réalité trois volets qui ne peuvent exister indépendants l'un de l'autre:
- 1) le projet Gazoduq, 
- 2) l'usine de liquéfaction GNL
- 3) des nouvelles capacités de production de gaz par fracturation hydraulique dans les provinces de l'Ouest.

J'ai déposé un mémoire à l'Agence Canadienne d'Évaluation d'Impact du projet Gazoduq. Il est affiché sous le No 650 sur le site WEB de l'Agence:   https://iaac-aeic.gc.ca/050/evaluations/proj/80264/contributions

samedi 6 juillet 2019

Occasion ratée de façon continue depuis 1979

Le journal Le Devoir dans un très bon article de A. Shields explique comment le lobby pétrolier a réussi à bloquer depuis 1979 les changements dans les politiques américaines qui auraient pu contrer, du moins limiter, les changements climatiques.

Le puissant lobby des énergies fossiles est toujours actif depuis cette période. On constate même qu'il s'étend dans des sphères où il n'existait pas auparavant, auprès du gouvernement du Québec notamment. 

Cela a commencé quand certains hauts fonctionnaires à Québec ont vu une occasion d'affaire dans la privatisation d'actifs de la société d'état Hydro-Québec, qui s'est départi de permis de recherche d'hydrocarbures en 2007. Des sociétés privées formées en partie d'anciens cadres du réseau public, ont alors commencé à imaginer un Québec Inc. du pétrole et du gaz. Cela nous a donné depuis 2010 la très navrante saga du gaz de schiste dans la vallée du St-Laurent, la fabulation de milliards de revenus pétroliers à Anticosti, les forages intempestifs en Gaspésie et plus récemment au Bas-St-Laurent.

Ce lobby pétrolier a importé ici, tels quels, les mythes véhiculés avec un grand succès aux USA: la transition par le gaz, la nouvelle abondance par la production locale d'hydrocarbures de fracturation hydraulique, etc.

Bernés par ces lubies, nos gouvernements ont dépensé des millions en commissions d'études en  2011, 2012, 2014, 2016; un des buts avoués de ces commissions était littéralement de rassurer la population; "Développement durable de l’industrie des gaz de schiste au Québec* "; les deux autres étaient de préciser les besoins de l'industrie et d'identifier les mesures de mitigation et d'atténuation des impacts. On se retrouve une décennie plus tard avec des dizaines de puits inutiles qui laissent fuir du méthane de façon permanente.

Les prochaines générations porteront avec raison un jugement très sévère sur les décideurs qui ont succombé aux chants des sirènes et sur ceux qui aujourd'hui encore sont tenté d'écouter des profiteurs qui n'ont aucune conscience sociale.

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* Nom officiel de la commission d'étude du BAPE 2011

samedi 1 juin 2019

Nouvelle politique? : Pas de fracturation hydraulique...

Il y a eu deux événements ce mois de mai 2019 à l'Assemblée nationale: un échange avec le ministre du MERN le 2 mai, puis une motion votée à l'unanimité le 7 mai.

Voici un extrait du journal des débats à l'Assemblée  nationale, jeudi 2 mai. Le ministre Julien (MERN) affirme deux fois plutôt qu'une que la fracturation hydraulique est interdite au Québec. En stricte objectivité et par rapport à l'état actuel de la réglementation, cette affirmation est fausse; mais venant d'un nouveau ministre, cela demeure une déclaration très intéressante, car il dit en tant que ministre d'un nouveau gouvernement "Notre position est claire ...":
M. Polo : Merci beaucoup, M. le Président. Lorsque nous étions au gouvernement, nous avons pris nos responsabilités et nous avons empêché l'exploitation de gaz de schiste. Mais, avec le nouveau gouvernement, il est difficile d'avoir l'heure juste concernant l'exploitation des ressources contenues dans le schiste, tellement que les entreprises aussi voient une ouverture.
Au mois de mars, dans Lotbinière, plusieurs inquiétudes sont nées lorsque l'entreprise Utica a modifié son inscription au Registre des lobbyistes pour favoriser le développement d'hydrocarbures au Québec. On apprenait également la semaine dernière que Questerre Energy suspendait sa poursuite envers le gouvernement qui contestait le règlement mis en place par l'ancien gouvernement, le temps d'étudier différentes options. Vous savez ce que fait réellement le groupe Questerre, M. le Président? Ils font des projets non conventionnels spécifiques tels que le pétrole léger, les schistes bitumineux, pétrole de schiste et gaz de schiste.
Alors, je me questionne, M. le Président. Quelles sont ces différentes options? Est-ce que la CAQ a une nouvelle position concernant la fracturation dans les basses terres du Saint-Laurent?
Le Président : M. le ministre de l'Énergie et des Ressources naturelles.
M. Julien : Oui, merci, M. le Président. Je tiens à remercier mon collègue pour cette question qui va nous permettre, en fin de compte, d'éclaircir la situation.
Une loi a été adoptée sur les hydrocarbures l'an dernier, en 2018, un règlement fort robuste adopté le 20 septembre 2018, et nous, on prend acte de ce règlement-là et de cette loi-là. L'exploitation des hydrocarbures au Québec va devoir respecter la Loi sur les hydrocarbures et le règlement. Et il n'y en a pas, actuellement, au Québec. Cette loi-là et ce règlement précisent quoi? Pas de fracturation hydraulique. Précisent quoi? Une protection exemplaire des milieux hydriques. Alors, moi, j'ai vu, en réalité, qu'une entreprise avait décidé de laisser tomber ses poursuites judiciaires, fort aise, mais nous, notre position n'a pas changé. On n'a aucune discussion avec cette entreprise-là et on n'a pas l'intention, en fin de compte, de ne pas faire respecter la loi et ses règlements et ni non plus d'en assouplir les tenants et aboutissants, loin de là, impossible pour nous. On tient cette ligne-là. Merci.
Le Président : Première complémentaire, M. le député de Laval-des-Rapides.
M. Polo : M. le Président, je vous rappellerai qu'au début de la campagne électorale le premier ministre... en fait, la Coalition avenir Québec avait encore sur son site Internet sa proposition selon laquelle la CAQ était en faveur de l'exploitation des gaz de schiste par fracturation. En plus, nous savons tous que le chef de cabinet du ministre a représenté les intérêts du lobby pétrolier par le passé. Alors, d'un côté, l'industrie sent une ouverture du gouvernement, et, de l'autre, les citoyens, notamment dans Lotbinière, s'inquiètent.
Est-ce que le ministre peut nous rassurer? Est-ce qu'il y a des discussions entre cette entreprise et votre gouvernement? Peut-être pas nécessairement votre...
• (10 h 50) •
Le Président : M. le ministre de l'Énergie et des Ressources naturelles.
M. Julien : Alors, merci encore à mon collègue. Ça va me permettre d'une fois de plus réaffirmer qu'il n'y a pas d'ouverture, une fois de plus, aucune discussion avec une entreprise qui voudrait faire en sorte qu'on assouplisse notre règlement et notre loi. Notre position est claire : pas de fracturation hydraulique, protection des milieux hydriques, et on tient cette position-là. On a, au Québec, une loi sur les hydrocarbures et un règlement les plus robustes, et on va faire respecter à la fois cette loi, M. le Président, et à la fois ce règlement. Alors, pour nous, il n'y a pas d'ouverture, aucune.
Le Président : Deuxième complémentaire, M. le député de Laval-des-Rapides.
M. Polo : Je remercie le ministre de nous parler clairement. Ceci dit, c'est la première fois qu'il le fait sur cet enjeu-là. Et la raison est simple pourquoi on redemande cette question-là, parce que les positions changeantes de la Coalition avenir Québec sur de nouveaux enjeux, et vous en êtes conscients, ont été nombreuses depuis le début de ce gouvernement.
Alors, il est important de rassurer les populations concernées et de rassurer l'ensemble des Québécois. Les Québécois ont dit non à la fracturation, au gaz de schiste, et c'est important que le ministre continue à le répéter.

Le Président : M. le ministre de l'Énergie et des Ressources naturelles.
M. Julien : Bien qu'il n'y ait pas de question, je réaffirme ce que j'ai dit. Merci.

C'est très intéressant comme position. Par contre ce n'est pas encore cela le vrai contenu légal et réglementaire; ce n'est pas ce qui est actuellement en vigueur.  Dans le règlement sur les milieux terrestres, l'article 197 précise ceci:  "La fracturation est interdite dans le schiste. Elle est aussi interdite à une profondeur verticale réelle de moins de 1 000 m de la surface du sol."
Si on précise que la fracturation est interdite dans le schiste, c'est parce qu'elle peut être autorisée dans des contextes géologiques autres que le schiste et que les règlements la juge aussi acceptable aux profondeurs supérieures à 1000m. Les autres articles du chapitre IX FRACTURATION (art. 189 à 208) indiquent justement que dans les cas autres que du schiste, et à des profondeurs > 1000m, il est possible d'accorder des permis de fracturation hydraulique: les articles précisent comment et à quelles conditions des permis de fracturation seront accordés.  

C'est donc encore très différent des déclarations du ministre. Pour être conséquent, les règlements de la loi sur les hydrocarbures devrait être modifiés en précisant que la fracturation hydraulique (ou autre) est interdite partout au Québec. Et il faudrait aussi enlever tout le chapitre IX du règlement qui définissent des conditions où elle est actuellement autorisée. 

Il y a aussi à effacer du Règlement sur le Prélèvement des Eaux et leur Protection  (RPEP édicté en juillet 2014) les articles 40 à 46 qui autorisent la fracturation. Ce n'est pas encore fait, donc ce que dit le ministre, ce n'est pas la loi ni les règles en vigueur.


Le 7 mai 2019 l'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité une motion (voir pp. 609 et 610) qui réitère l'interdiction de la fracturation hydraulique dans la vallée du St-Laurent. Ici, on ne parle pas d'interdiction universelle applicable à tout le territoire du Québec, mais seulement à la vallée du St-Laurent. Par contre, il n'est pas fait mention que cela serait limité à un type de roche le schiste. C'est donc de portée plus étendue que ce qui est dans les règlements:



Du consentement de l’Assemblée pour déroger à l’article 185 du Règlement, Mme Ghazal (Mercier), conjointement avec M. Polo (Laval-des-Rapides) et Mme Fournier (Marie-Victorin), propose :

QUE l’Assemblée nationale prenne acte que Questerre Energy tente de faire invalider les règlements d’application de la Loi sur les hydrocarbures du Québec par le biais des tribunaux. Le 18 mars 2019, les procureurs de Questerre Energy ont notifié à la procureure générale du Québec une demande de suspension des procédures, laquelle a été accordée jusqu’au 29 août 2019;

QU’elle reconnaisse que des mandats de lobbying de l’APGQ (échu depuis le 31 décembre 2018) et d’Utica (en vigueur depuis le 22 mars 2019) indiquent que des acteurs de l’industrie des hydrocarbures font des représentations pour modifier ces règlements;

QU’elle prenne acte des propos récents du ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, qui a affirmé sans détour qu’il n’y aurait aucun assouplissement des règlements ou de la Loi sur les hydrocarbures;

QUE l’Assemblée nationale réitère que l’interdiction de la fracturation hydraulique dans la vallée du Saint-Laurent est non négociable et qu’aucun projet pilote ne sera exempté de cette interdiction.

La motion est mise aux voix; un vote par appel nominal est exigé. La motion est adoptée par le vote suivant :
               Pour : 112 Contre : 0 Abstention : 0

mercredi 15 mai 2019

Le gaz de schiste perd tout avantage comme combustible quand on tient compte des fuites

ll y a évidemment bien des exemples partout dans le monde qu’on peut trouver en cherchant « Shale gas, well leaks » ; la référence qui suit donne un bilan pour les USA:  Washington Post.

C’est donc au moins 2,3% de la production. Comme le méthane des fuites incontrôlées part dans l’atmosphère avec son pouvoir de réchauffement climatique 87 fois celui du CO2, on voit vite qu’à l’utilisation du méthane en combustible fossile, il faut ajouter le gaz à effet de serre dû aux fuites. Dans un autre texte, je donne un tableau comparatif de l'effet GES pour divers taux de fuite CH4, versus le brûlage du mazout et du charbon.  On cite souvent l'avantage du CH4 qui produit moins de CO2 (100 comme facteur de référence) lors de sa combustion, que les autres combustibles fossiles (mazout /charbon: facteurs CO2 entre 140 et 170). Par contre sur une base de calcul qui tient compte des fuites de méthane, le gaz de schiste produit plutôt un effet bien plus grand que celui de sa seule combustion.

À cela devrait s’ajouter les fuites après la fermeture des puits, ce que personne* encore semble vouloir intégrer dans les analyses. L’étude que commente le Washington Post, estime à 2,3% le rapport  fuites/production. Cette approche serait valide si les fuites disparaissaient comme par magie quand on ferme le robinet de production. Ce n'est pas le cas.

Il est un peu illogique de toujours mesurer les fuites en rapport avec la production, car ces fuites vont perdurer dans le temps. Quand la production baissera, les fuites vont quand même se maintenir; le rapport fuites/production augmentera. Ex. à la fin de l’ère des hydrocarbures, en supposant une production réduite un jour à 1% de sa valeur actuelle, on aura alors un taux de fuite non pas de 2,3%, mais bien de 230% si le volume qui fuit reste comparable. Ce sera un peu moins certes si on suppose que le débit des fuites s'atténue un peu avec le temps.  Le taux fuites/production deviendra très grand quand la production s'approchera de zéro !

On peut aussi ajouter qu'en ce moment au Québec, il y a des fuites dans plusieurs puits d'exploration et la production actuelle est égale à zéro. Cela donne un rapport fuites/production =  (infini !)

Ce n’est pas une bonne façon d’aborder la question. Il faudrait estimer à l’ouverture d’un puits combien ce puits générera de fuites sur un horizon de 100 ans ou 200 ans par exemple. Si le puits est exploité 10 ans et que pendant ce dix ans d'exploitation il génère 2,3% de fuites, on peut calculer un volume de méthane émis pour ce premier 10 ans.  Ensuite de 10 à 100 ans, puis de 100 à 200 ans, etc.  combien de tonnes de CH4 s’ajouteront par les fuites? Le volume qui fuira du puits au fil des ans va varier en diminuant dans le temps. Il faut des études qui vont préciser l'évolution des débits de fuites après l'abandon des puits. Il est évident que ce calcul donnera une valeur bien supérieure au nombre de 296 dans mon exemple plus haut. L'effet pour le gaz de schiste, ce n’est pas trois fois plus, mais probablement cinq?, huit? fois plus grand que celui de sa seule combustion.

L'évaluation du volume des fuites qui suivront la fermeture des puits est complexe à établir maintenant, mais ce n'est pas une raison de négliger totalement ces valeurs dans une analyse du cycle de vie comme, le fait le CIRAIG* et d'autres organismes. Cela donne des analyses totalement biaisées et incomplètes. La mesure des fuites aux têtes de puits donnent des valeurs deux à trois fois plus faibles que celles faites par des survols aériens dans les champs d'exploitation de gaz de schiste; ces relevés donnent plutôt des valeurs entre 4% et 9% de la production. Les chercheurs de Cornell Univ. discriminent par l'analyse isotopique; ils peuvent ainsi identifier ce qui relié au gaz produit par l'exploitation industrielle.  Dans les relevés régionaux fait au-dessus de champs gaziers, on retrouve la somme de tout le méthane thermogénique produit par l'extraction:
1) fuites aux têtes de puits en production, 
2) fuites aux têtes de puits qui ont fini de produire et qui sont soi-disant bouchés, 
3) loin des têtes de puits, fuites qui suivent des réseaux de fractures reliées aux fractures profondes crées ou élargies par les opérations, dans toute l'extension de la fracturation.

Quand on se limite aux seules valeurs fournies par les têtes de puits (1) on obtient 2,3% et c'est déjà plus que suffisant pour constater que le gaz de schiste perd tous ses prétendus avantages. Dans une approche prudente, il faut ajouter l'impact des fuites (2) et (3) et réaliser que ces deux autres sources vont ajouter beaucoup de méthane. Les données fragmentaires nous indiquent que c'est une valeur entre 4% et 9% qui est estimée en rapport avec le volume actuel de production. Et à cela il faut encore ajouter le gaz qui continuera à fuir même quand tous les champs d'extraction de gaz de schiste seront fermés: une quantité qu'il est difficile d'exprimer en % par rapport à la production, qui sera devenue nulle. Les fuites post-production elles ne seront pas nulles.

Les fuites existent quand deux conditions sont présentes: une source de méthane et des conduits pour le mener en surface. Les champs de milliers de puits ayant produit du gaz par fracturation du schiste auront extrait entre 8 et 15 % du gaz en place: le réservoir est là constitué par le 92% à 85% du gaz encore en place en fin de production. Les conduits seront là par milliers: tous les puits se dégradent dans le temps, aucun ne sera éternellement étanche.

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* À titre d'exemple, le CIRAIG persiste à utiliser une approche incomplète dans ses analyses du cycle de vie (ACV) des puits et de la question des fuites de méthane. Dans un récent rapport (janvier 2019) adressé au promoteur Énergie Saguenay, il est écrit, page 19: " Dans le contexte du modèle ACV, il sera considéré de base qu’il n’y aura pas de fuites après fermeture du puits – les fuites proviendraient d’incidents des éléments généralement non considérés en ACV. Une analyse de sensibilité sera effectuée afin de prendre en considération certaines fuites après fermeture". C'est presque mot-à-mot ce que prétend l'industrie mais c'est illogique, un peu comme si, dans une analyse ACV de la filière nucléaire, on limitait l’étude des radiations aux étapes suivantes : radiations pendant l’étape extraction de l’uranium,  pendant la fabrication des barres de combustibles, leur transport, pendant leur utilisation dans la centrale nucléaire et les radiations à l’étape finale du démantèlement de la centrale et celles de la reconversion du site. Ce rapport fictif indiquerait comme prémisse de la modélisation que : «  Il sera considéré que les barres du combustible nucléaire usé n’émettent plus de radiation après l’étape de fermeture de la centrale ». Cette assertion serait non scientifique et contraire à ce qui est admis en physique nucléaire. L’assertion du GIRAIG quant aux fuites après fermeture des puits est non scientifique et contraire à ce qui est connu en génie géologique.

 

À toujours choisir de se calquer au cadre que l'industrie définit elle-même, à toujours restreindre les analyses aux "activités"  de l'industrie, on introduit forcément un biais qui minimise l'évaluation des impacts et l'estimé des fuites notamment. Le commanditaire du rapport a payé pour cette analyse de cycle de vie relié (et limité) à ses activités et c'est ce que CIRAIG lui a fourni. Ce rapport CIRAIG s'inscrit donc dans des limites très étroites définies par la commande; il n'est pas valide pour autre chose que ça et n'est certainement pas valide au titre d'une véritable analyse du cycle de vie, comme certains le prétendent.



L'analyse de sensibilité du rapport CIRAIG utilise une valeur de 96m3/jour pour ajouter au bilan des fuites une valeur d'environ 1% de la production. C'est très sommaire comme analyse, cela ne tient pas compte de la dégradation des puits dans le temps, et surtout la durée de ces fuites est arbitrairement fixée à un horizon de 20 ans. C'est très mal connaitre la durée des processus géologiques en cause, car ces fuites vont perdurer sur des temps incommensurablement plus longs.


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Quelques liens à consulter à propos des fuites des puits:

A.  Cas de fuites au Québec:
- En décembre 2012 je commentais la valeur du débit de fuite d'un puits 300m3/jour qui est défini par l'industrie comme la limite des débits de fuite qui ne méritent pas d'attention particulière. Ça traine toujours dans "les bonnes pratiques de l'industrie" et encore en 2019 le CIRAIG (p.19) reprend telle quelle cette valeur sans aucun commentaire critique. La limite de 300m3 ne mesure aucunement une préoccupation environnementale. L'industrie juge qu'à 300m3 (environ 10000pi cu) de gaz perdu par jour, la valeur de cette perte de production ne vaut pas la peine de dépenser en frais de réparation et de maintenance du puits. C'est ~30$/jour (10 000$/an); c'est pas rentable en-dessous de ça de faire des frais. Le CIRAIG se discrédite totalement en avalisant cette approche.

- En septembre, en octobre et en novembre 2014, j'ai écrit trois textes sur les fuites des puits au Québec.

B.  Cas ailleurs au Canada:
- Dans le nord de la Colombie Britannique où la formation Montney est activement exploitée par fracturation, on estime que les fuites sont 2,5 fois plus élevées que ce que rapporte l'industrie.
- En Alberta, la question du coût du traitement des fuites des puits abandonnés commence à être chiffrée, une note salée pour les générations futures: 100G$. Il y a 450 000 puits en Alberta ce qui équivaut à presqu'un puits/km2. L'inventaire de ceux qui fuient ou qui vont connaitre des fuites dans l'avenir est tout à fait incomplet.

C.  Cas de méga fuites aux USA:
Deep Water Horizon 20 avril 2010, origine d'une méga fuite de gaz, suivi de l'explosion de la plateforme de forage. En plus du gaz (non mesuré) on a évalué qu'il y a eu 4,9 millions de barils d'huile répandu dans la mer
Aliso Canyon.  23 octobre 2015
- Un estimé global pour les USA donnerait 13 millions de tonnes/an

D.  Cas ailleurs dans le monde:
- Puits Elgin de la Cie française Total en mer du Nord; entre la rupture du puits le 25 mars et l'obturation le 16 mai 2012, il y a eu jusqu'à 200 000 m3/jour de débit de fuite. La corrosion précoce du tubage a été identifiée comme la cause de la fuite.
- Fuites de puits obturés en Hollande.
- les bilans mondiaux sont encore assez incomplets. Davies et al. 2014 indique qu'entre 1,9% et 75% (voir Table 3 dans la référence) des puits actifs ont des fuites dans diverses régions dans le monde.


lundi 18 mars 2019

Les pages "perdues" du MERN

Il existe une très désagréable pratique au gouvernement du Québec qui affecte les liens hypertextes que nous avons bâtis au fil des ans. C'est particulièrement agaçant au MERN notamment.  

Comme bien d'autres, nous avons soumis des mémoires au gouvernement, nous avons publié des documents sur nos sites, qui commentaient des études et des rapports gouvernementaux, notamment les études et les rapports des deux BAPE et des ÉES sur la question des hydrocarbures. Vous avez constaté comme moi que plusieurs liens hypertextes qui pointaient vers des documents publiés par le MERN ne dirigent plus nos lecteurs vers des liens fonctionnels comme c'était le cas lors de leur publication. L'accès aux références citées ne fonctionne plus; les liens hypertextes (en bleu dans nos documents) ne renvoient maintenant qu'à la page d'accueil du site Hydrocarbures du MERN* (https://mern.gouv.qc.ca/energie/hydrocarbures/). Parfois aussi on obtient un message de "page inexistante".  Il devient très frustrant de constater que des liens auparavant fonctionnels, cessent brusquement d'exister.

Il y a deux solutions à ce problème:

1) Cherchez avec un moteur de recherche avec le titre complet et exact du rapport; ex. "Évaluation financière, évaluation économique des retombées économiques et scénarios possible de développement de l'exploitation d'hydrocarbures sur l'île d'Anticosti" et vous retrouverez le document .pdf qui a tout simplement été déplacé dans un autre lieu virtuel.

2) Parfois cela ne marchera pas, car le MERN aura non pas changé le lien vers le document, mais il l'aura supprimé tout simplement. Dans ce cas, tentez de le retrouver avec  web.archive.org.  Sur ce site on a archivé des centaines de milliards de pages web au fil des ans;  on peut retracer des documents et des sites qui ont été effacés par leur auteurs initiaux. 
Copiez-collez dans la case de web.archive.org le lien qui anciennement fonctionnait. Vous trouverez probablement un nouveau lien qui pointera vers cette page disparue. Voici un exemple de lien retracé pour le document AECN01-AECN02 de l'ÉES-Anticosti:
https://web.archive.org/web/20160806230301/http://hydrocarbures.gouv.qc.ca/documents/etudes/AECN01-AECN02.pdf


Parfois les deux méthodes ci-dessus ne fonctionnent pas. Le document référé aura tout simplement été éliminé. En juin 2015, je commentais de façon critique la liste des experts retenus par le MERN en parallèle avec les études ÉES.  Le journal Le Devoir a repris cette critique; dans mon billet et dans l'article du Devoir il y avait à chaque endroit un lien vers le communiqué de presse du ministre Arcand qui donnait la liste des noms et des affiliations (presque tous pro-pétrole) de ces onze experts invités par le gouvernement. Aucun de ces deux liens est aujourd'hui fonctionnel.  Le MERN préfère faire disparaitre certaines bévues?  

Je corrige au fur et à mesure les liens hypertextes dans les documents de mon site, mais c'est un travail fastidieux qui n'est jamais terminé, en raison justement des changements intempestifs au MERN. Je vous invite à me signaler tous les liens non fonctionnels et j'apporterai les correctifs requis.
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* Le site HYDROCARBURES du MERN présente en avant-plan les politiques et les réalisations du gouvernement et tente de mettre en valeur. On y a longtemps présenté de façon favorable l'établissement d'une industrie extractive des hydrocarbures. Les fonctionnaires ont jugé maintenant que les documents de consultation des commissions passées (BAPE 2011, 2014, ÉÉS etc. les études et les mémoires qu'on y a soumis, etc. ne sont plus d'actualité. La grande part des mémoires étaient fort critiques quant à la politique du MERN; tout cela a donc été balayé ou rangé hors de la vue. Ces commissions ont coûté des millions; la bonne pratique des sites web devrait toujours de préserver l'accès aux documents sur l'internet. La manœuvre de faire disparaitre des documents ou des liens est fort discutable; heureusement Internet Archive permet de contrer efficacement ces tactiques.

vendredi 16 novembre 2018

Le projet Énergie Saguenay - un beau nom pour cacher un projet inacceptable


Les journaux du 16 novembre 2018 commentent le projet Énergie Saguenay  un projet de transport de gaz de schiste mis de l'avant par un promoteur M. Bergeron, au nom d'intérêts américains.

Qu'il soit produit dans les provinces de l'ouest, le gaz non conventionnel reste du gaz fossile extrait par la fracturation étendue du roc qui le contient. Rien ne change au fait que ce combustible fossile représente un immense recul environnemental par rapport aux gisements conventionnels de gaz naturel. Au fur et à mesure que la production provenant des gisements conventionnels s'amenuise, la proportion du gaz produit par la fracturation hydraulique est en constante augmentation dans le gaz qui provient des provinces de l'ouest. La part du gaz tiré des gisements non conventionnels est actuellement 86%. (données de 2019)  au Canada, comparable aux USA (87%). La part de gaz conventionnel va s'amenuiser considérablement en Amérique du Nord car les derniers gisements conventionnels trouvés n'arrivent pas du tout à compenser la baisse de production des gisements plus anciens. 

La fracturation hydraulique est une des pires techniques inventées par l'homme pour laisser un impact permanant et désastreux pour les générations futures. Les milliers de puits par lesquels on fait la fracturation étendue et continue de toute une strate géologique, créent de toutes pièce un nouveau milieu facturé dans lequel les fluides peuvent migrer. La technique, très imparfaite, ne permet d'extraire commercialement que 8 à 15% du gaz emprisonné dans la  couche de roc; le reste (>85%) est encore en place quand on abandonne les puits. Les fuites pendant la production du gaz  annulent complètement le petit avantage que la combustion du méthane possède en théorie sur celle de l'utilisation du charbon. Mais en plus, à moyen et long termes, ces milliers de puits seront des de sources incontrôlables pour des fuites de méthane qui vont contribuer de façon significative à l'effet de serre; ces fuites qui surviennent après la fin de l'extraction ajoutent un lourd passif à l'utilisation du gaz fossile.

Le promoteur avance pour son projet, les vieux mensonges quant aux impacts réels de l'exploitation du gaz fossile. Cela fait déjà huit ans que les études sérieuses ont démontré la fausseté de la prétention que le gaz  serait moins polluant que le charbon; il serait plus que temps que le promoteur du projet rajuste son discours.

Ce nouveau gazoduc n'est pas planifié pour les besoins locaux; il servira essentiellement à accroitre l'expansion de l'industrie du gaz non conventionnel de l'ouest canadien en créant un nouvel accès aux marchés d'exportation. Le Québec doit impérativement éviter de s'associer à cette expansion de l'industrie des hydrocarbures. Cette façon d'envisager du développement économique est incongrue dans le contexte nouveau des changements climatiques. Il faut impérativement réduire l'utilisation des combustibles fossiles; le projet Énergie Saguenay vise le contraire: permettre de relancer  une expansion de la production de gisements non conventionnels dans l'ouest du continent. La figure ci-dessous montre que le nombre de puits forés chaque année a subi une diminution drastique de 16 000 puits/an à moins de 2000 puits/an durant la dernière décennie. Les provinces de l'ouest cherchent désespérément à relancer à la hausse cette activité majeure de leur économie.



Par contre l'augmentation considérable des longueurs forées indiquent qu'on ne fait maintenant que des puits avec des extensions horizontales de plus en plus longues; elles sont exclusivement destinées à faire de la fracturation hydraulique dans des gisements non conventionnels.

Le Saguenay est une région magnifique à protéger; je suis certain que personne n'acceptera de la sacrifier ainsi pour le bénéfice d'une l'industrie qui songe encore en 2018 à s'enrichir avec l'exportation des hydrocarbures. Même dans un autre lieu moins magnifique, cela ne serait pas plus acceptable. Il est impensable de faire encore aujourd'hui la promotion de nouveau projets d'expansion dans la production et le transport d'hydrocarbures.

lundi 1 octobre 2018

Du travail en perspective ?

1er octobre, jour d'élection.


Nous verrons bientôt si les prédictions des sondages se confirment. Si c'est un gouvernement CAQ avec le tandem F. Legault - Youri Chassin, nous allons devoir reprendre à zéro la sensibilisation des nouveaux ministres. Youri Chassin qui vient de l'Institut Économique de Montréal a écrit des textes où il voit des milliards en développement pétrolier à Anticosti. François Legault est aussi favorable à la reprise des forages à Anticosti et au lancement (financement public?) de cette filière, mais ils sont tous les deux aussi ignorants l'un que l'autre sur les questions pétrolières. Ils n'ont pour l'instant sur ce dossier que l'information et le point de vue provenant des Chambres de Commerce.

Tout est peut-être à recommencer ...


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18 octobre, jour de la présentation du conseil des ministres:  ma crainte de voir Y. Chassin au conseil des ministres s'est avérée vaine.  J'en suis bien heureux. L'Institut Économique de Montréal (Germain Belzile, Youri Chassin, etc.) financé par les grands promoteurs de la droite économique ont milité sans relâche pour le développement pétrolier. À propos d'Anticosti, ils ont notamment propagé l'estimé 400 milliards de revenus pétroliers (sic !).

Je ne sais rien de la nouvelle ministre de l'Environnement Marie Chantal Chassé. ni de Jonathan Julien le nouveau ministre au MERN. Donnons la chance au coureurs en demeurant vigilants. La principale qualité que je leur souhaite avoir serait la volonté de s'informer à fond auprès des scientifiques et de ne pas se lancer tête baissée dans des décisions politiques. 

samedi 1 septembre 2018

Un communiqué de presse précipité, qui ajoute à la confusion

Le ministre Pierre Moreau du MERN a encore beaucoup de mal à se dépêtrer dans sa position sur les forages dans les lacs et les cours d'eau. Alexandre Shields dans le journal Le Devoir tente depuis des semaines de faire la part des choses dans les informations contradictoires qui émanent du ministre, de ses adjoints et des textes officiels du MERN.

Ajoutant encore à la confusion, le gouvernement a émis le 17 août  2018 un communiqué de presse qui précise que dans les milieux hydriques  - i.e. les lacs et les cours d'eau - les activités pétrolières, gazières seront interdites, mais elles seront aussi permises par le ministre, si l'entreprise lui fournit une étude appropriée. Voici le communiqué avec mes annotations:


Le ministre Pierre Moreau se fait à chaque occasion très cinglant pour ceux qui tentent d'obtenir des précisions sur sa position dans ce dossier. Il affirme catégoriquement à chaque occasion que des forages dans les lacs et les cours d'eau, ce sera l'interdiction totale. Il omet de commenter cependant le paragraphe "toutefois le ministre aura la possibilité d'autoriser ...". Il y a même encore et toujours le règlement #3  prévu pour encadrer dans le détails ces forages à l'intérieur même des milieux hydriques.

Addendum du 5 septembre 2018: La publication aujourd'hui dans la Gazette officielle des versions finales des règlements, confirme totalement l'analyse que j'en ai fait ci-dessus. Alexandre Shields dans Le Devoir réitère avec raison que les forages, sondages stratigraphiques et sismiques demeureront possibles dans les lacs et cours d'eau du Québec, sauf dans seize lieux énumérés dans les articles No 70 et 123. J'ai publié ce commentaire au bas du texte du Devoir: 
Très ardu pour un gouvernement de faire virer le paquebot
Après s'être activé de 2008 à 2018 à promouvoir partout (incluant les lacs et rivières) et à tout prix le développement de la production d'hydrocarbures, le gouvernement resserre finalement les règles. Mais il le fait en conservant des reliquats de ses anciennes positions et le résultat apparait assez bancal: la fracturation est toujours là comme possibilité, mais pas dans le schiste. Dans le règlement « milieu terrestre » il est interdit de mener toute activité (sondage stratigraphique, forage, etc.) à moins de 1000m d'un milieu hydrique (art.23). Or dans l'autre règlement (milieu hydrique) ces mêmes activités sont systématiquement régies dans le menu détail*. On y précise que ce 2e règlement " s’applique aux activités réalisées en milieu hydrique, à l’exception du milieu marin", donc il s'agit bien de viser les lacs et cours d'eau. Ces activités incluent les forages et sondages stratigraphiques, etc.; il y a une restriction: la fracturation ne peut pas se faire dans un puits foré par une plateforme dans le cours d'eau. Pour fracturer sous le cours d'eau, il faut le faire à partir d'un puits en milieu terrestre situé à au moins 1000m à l'intérieur des terres.

* menu détail: ex. l'art.159 on exige un rapport journalier des travaux qui comprend les items 1 à 27. À l'item 26 on a 7 sous-items dont : "la hauteur, la période et la direction des vagues et de la houle, le roulis, le tangage et le mouvement vertical du navire ou de l'installation de forage" (barge flottante pour la foreuse). Cela contraste avec un flou complet des articles qui traitent de la question des fuites de gaz et du colmatage de ces fuites. On se limite a demander "les meilleures pratiques" i.e. autoréglementation de l'industrie.