lundi 14 février 2022

Pressions du lobby et projets pilotes


Les rédacteurs du projet de loi 21 ont placé dans l­eur texte un très étrange chapitre VII (p.17 et 18) intitulé  -Projets Pilotes- .  Il compte 4 articles : 

42. Un projet pilote mis en œuvre en vertu du présent chapitre ne peut avoir pour effet de permettre la recherche d’hydrocarbures ou de réservoirs souterrains, la production d’hydrocarbures ou l’exploitation de la saumure. 

43. Le ministre peut, par arrêté, autoriser la mise en œuvre d’un projet pilote afin d’acquérir des connaissances géoscientifiques relatives : 

  1° au potentiel de séquestration de dioxyde de carbone; 

  2° au potentiel de stockage d’hydrogène produit à partir d’une source d’énergie renouvelable; 

  3° au potentiel de géothermie profonde; 

  4° au potentiel en minéraux critiques et stratégiques de la saumure; 

 5° à toute autre activité qui favorise la transition énergétique ou qui participe à l’atteinte des objectifs de lutte contre les changements      climatiques. 

Le ministre détermine les normes et les obligations applicables dans le cadre d’un projet pilote, lesquelles peuvent différer des normes et des obligations prévues par la présente loi* ou par un règlement pris pour son application. Il peut également déterminer, parmi les dispositions du projet pilote, celles dont la violation constitue une infraction. 

44. Un projet pilote a une durée maximale de trois ans que le ministre peut, s’il le juge nécessaire, prolonger d’au plus deux ans. 

Le ministre peut, en tout temps, modifier un projet pilote ou y mettre fin. 

45. Le cas échéant, le ministre détermine, dans l’arrêté qui autorise la mise en œuvre du projet pilote, la personne responsable de la fermeture définitive de puits et de la restauration de site conformément aux dispositions de la présente loi, avec les adaptations nécessaires**, ainsi que les délais impartis. 

 

Je n’ai connaissance que d’un seul projet pilote: celui que les six lobbyistes de Questerre Energy de Calgary tentent de vendre au gouvernement du Québec. Ce projet servirait à tester le stockage du COdans des puits déjà forés. Questerre s’est porté acquéreur de 3200km2 de permis délaissés par les autres qui ont abandonné dès 2013 - 2014 l’idée de développer le gaz de schiste dans les Basses-terres du St-Laurent. Ce projet situé dans la région de Bécancour s'appuie sur une entente récente avec le chef du Conseil de la nation Abénakis de Wôlinak.

 

Le stockage du CO2 dans le roc profond peut se réaliser dans des conditions géologiques bien particulières; des formations rocheuses comme le grès de Postdam ont dans certaines de leurs strates et de façon naturelle des porosités élevées (20 à 25%). Ces couches constitueraient des cibles éventuelles pour du stockage de CO2.


Les shales se situent à l'autre bout du spectre des porosités et des perméabilités. Dans le cas des gisements diffus de gaz de schiste, la porosité est très faible et la perméabilité est quasi nulle; il faut avoir recours à la fracturation hydraulique pour modifier de façon drastique la perméabilité du shale et espérer pouvoir en voir sortir une partie (8 à 15%) du gaz emprisonné. La fracturation hydraulique augmente artificiellement la perméabilité de plusieurs ordres de grandeur; par contre cette opération n'augmente pas de façon significative la porosité du roc.


Quand on injecte 20 millions de litres pour fracturer le shale gazifère dans un puits horizontal long de 1200m, on ajoute une très infime valeur de l'ordre de 0,05% à la porosité existante, qui elle peut valoir 0,5% à 2% dans les shales. Les puits qui existent dans la région de Bécancour, comme tous les autres forés durant la période d'exploration pour les gaz de schiste dans l'Utica (29 puits, dont 18 ont eu la fracturation) ne constituent pas des puits qu'on pourrait reconvertir pour y faire du stockage de CO2.  Le prétendre apparait comme une astuce non scientifique qui vise d'autres objectifs, qui peuvent être de se soustraire à l'obligation de fermeture définitive des puits.

 

Il n’est pas approprié de placer dans la loi qui se rapporte à la fermeture des puits d’hydrocarbures un chapitre qui ne peut absolument pas concerner la reconversion de puits de gaz de schiste pour du stockage de la perméabilité . Le lobby pour le projet pilote de Questerre a réussi à faire inclure dans la loi 21 un chapitre incongru qui leur permettra peut-être d’échapper à l’obligation de fermeture définitive des puits. Cela démontre encore une fois que le législateur est réceptif à ce type de pression. Cela se fait au détriment de la logique, des faits scientifiques et des objectifs mêmes de la loi 21.

 

En 2014 la rédaction du RPEP (Règlement sur le Prélèvement des Eaux et leur Protection) avait subi les effets du même type de pression de la part du lobby pétrolier de l’époque. Ce règlement, qui visait dans son essence la protection des eaux souterraines, s’est vu ajouter de façon tout à fait incongrue, dans son chapitre V une section de sept articles consacrés à la fracturation hydraulique dans les puits d’hydrocarbures. À l’époque Pétrolia avait de nombreux lobbyistes qui grenouillaient dans les ministères pour faire ajuster les lois et les règlements en cours d’élaboration en fonction des besoins de l’époque. L’extraction des hydrocarbures de schiste à Anticosti n’avait strictement rien à voir avec la protection des eaux, bien au contraire; pourtant la vision des promoteurs de l’heure a fait que ces sept articles ont été intégrés au RPEP en 2014.

 

Nous avons lutté sans relâche durant huit ans pour faire invalider ces articles du RPEP qui visaient la fracturation hydraulique.  En 2022 le gouvernement dans un virage à 180° pense maintenant mettre fin à l’exploration des hydrocarbures. La loi 21 comporte un article (p.43) qui abroge les dispositions sur la fracturation dans le RPEP :  

                     114. La section IV du chapitre V de ce règlement, comprenant les articles 40 à 46, est abrogée. 

Cela a pris huit ans pour corriger cette aberration. Par contre cette même loi 21 refait le même genre d’erreur avec ses articles sur les projets pilotes.



N.B. Les 22, 23 et 24 février 2022, le projet de loi 21 fera l'objet d'audiences en commission parlementaire.


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* C'est une porte ouverte pour permettre à un détenteur de permis de demander de soustraire à cette loi tout projet qui se prétendrait "projet pilote".

** Il y a beaucoup de flou dans ces articles 43 et 45; le ministre s'attribue une latitude qui n'a  aucune limite précise définie dans cette loi, ni même un objectif clairement présenté.

lundi 7 février 2022

GNLQ - le dernier clou dans le cercueil

Le ministre fédéral de l'Environnement a entériné la rapport final de l'Agence d'Évaluation d'Impact du Canada  (AEIC). Le document signé Steven Guilbeault est celui-ci:

https://iaac-aeic.gc.ca/050/documents/p80115/142756F.pdf

Ce dédoublement de procédure typiquement canadien, n'a donc rien changé à la mort de ce projet signifié il y a six mois (juillet 2021) par le gouvernement du Québec. La publication du rapport du BAPE, qui contenait déjà toutes les bonnes raisons d'enterrer ce projet, date quant à elle de mars 2021. 

jeudi 3 février 2022

Des compensations pour l'arrêt de l'exploration des hydrocarbures au Québec ?

Pas de compensations justifiables

Dans l’étude du projet de loi 21 pour l’abolition des licences d’exploration d’hydrocarbures au Québec, surgira la question des compensations à verser aux détenteurs de ces permis. On mentionne déjà le remboursement des dépenses d’exploration encourues. Est-ce logique? Les détenteurs vont aussi réclamer des sommes pour des profits anticipés; dans ce dernier cas, il faut fermer fermement la porte à ce type de demande, car le potentiel exploitable de l’Utica est maintenant établi comme nul. Il n’y aurait pas eu de profits dans un pseudo gisement qui s’est avéré non exploitable dès la fin des premiers travaux d’exploration.


Reste donc la question de la valeur des permis. Est-ce qu’un permis d’exploration qu’on rachète a comme valeur les dépenses encourues par son ancien détenteur ? La réponse est NON; un permis d’exploration a au départ une valeur très incertaine et hautement spéculative. Elle monte si l’exploration fait une découverte commerciale; elle tombe à zéro si les conditions d’exploitation rendent toute extraction commercialement non viable. Pour l’Utica, c’est le deuxième cas qui s’applique. Aucun acheteur de permis n’investira un cent pour un pseudo gisement maintenant reconnu non exploitable. L’exploration minière comme l’exploration pour les hydrocarbures est constituée d’une longue suite de nombreux échecs, où les dépenses à perte d’exploration en divers 'prospects' sont compensées par les autres cas, plus rares, où un gisement rentable est finalement trouvé.


La valeur d’un billet de loterie est au départ son coût d’achat; ensuite une fois les résultats connus, cette valeur grimpe en flèche, ou tombe à zéro. Dans l’exploration géologique, ce changement de valeur n’est pas aussi instantané, car l’exploration se fait sur des années; mais il y a là aussi au final plus de cas perdants que de cas gagnants. Les travaux d’exploration ont finalement démontré que le potentiel n’était pas suffisant pour rendre le gisement Utica exploitable. Je crois que tous les investisseurs connaissent et acceptent au départ les règles du jeu. Cela a toujours été ainsi dans le domaine minier, ainsi que dans le secteur des hydrocarbures, qu'on a prospecté au Québec depuis plus d'un siècle, sans grand succès d'ailleurs à part deux petits gisements de gaz exploités quelques années à St-Flavien et à Pointe-du-Lac.


Divers autres facteurs s’ajoutaient à cette démarche spéculative entreprise entre 2007 et 2010: le contexte d’un potentiel gisement en plein milieu de la zone densément habitée du Québec. On devait savoir qu’une politique extractive controversée était encore à établir, que des renversements étaient possibles, ce qui ajoutait une dimension politique aux investissements spéculatifs. Pour toutes ces raisons, le gouvernement ne devrait pas verser un cent de compensation. Il a le plein droit et le devoir de mettre fin au potentiel spéculatif de l’extraction d’hydrocarbures ici.


Les permis ont cependant conservé dans le milieu une valeur fictive, mais qui n’a rien à voir avec le potentiel réel d’un pseudo gisement; il s’agit de les garder ou de les racheter avec la seule perspective de tenter de négocier des compensations auprès d’un gouvernement naïf ou complaisant. Le gouvernement a déjà créé un précédent en payant pour annuler les permis à Anticosti. C’était une grave erreur, mais elle fournit maintenant une valeur spéculative à des permis qui autrement ne vaudraient plus un cent.


 

Des compensations malgré tout ?


Dans le cas où le gouvernement souhaiterait malgré tout compenser l’annulation des permis pour ainsi se donner une image respectable auprès de l’industrie, je tiens à lui rappeler que les dépenses d’exploration qu’il s’apprête à rembourser généreusement ont déjà fait l’objet de compensations gouvernementales bien généreuses.


Lors de la 2e Conférence de l’APGQ en octobre 2010, il y a eu des présentations qui toutes tendaient à démontrer un avenir radieux pour l’exploration pétrole et gaz au Québec. Une de ces présentations comparait les divers contextes économiques et fiscaux des dépenses d’explorations dans les principales régions où cette industrie démarrait : Les shales Barnett et Eagleford au Texas, le gisement Haynesville en Louisianne, le shale Marcellus en Pennsylvanie, et finalement le potentiel gisement Utica au Québec.


Pour bien vanter le « grand potentiel » d’investir en exploration dans l’Utica au Québec, la présentation utilisait une étude comparative produite par la firme spécialisée et reconnue dans ces questions : RossSmith Energy Group Ltd. – Shale Plays : State of the Industry. Comme à l’époque, il n’y avait pas encore de données sur la production potentielle dans l’Utica, l’étude comparait les contextes économiques : redevances, avantages fiscaux, subventions etc. C’est dans l’Utica du Québec que se trouvait le meilleur contexte fiscal pour un excellent retour sur l’investissement (102,5%).





















Les avantages combinés des subventions, avantages fiscaux à l’industrie d’exploration venant de deux gouvernements (Québec et Ottawa) ont constitué un incitatif certain pour les dépenses d’exploration au Québec. Ce ne sont donc pas les dépenses brutes d’exploration qu’il faut examiner pour un calcul de compensations éventuelles. Ces dépenses peuvent avoir déjà été partiellement compensées par les gouvernements (i.e. nous les contribuables). Il ne faudrait surtout pas payer deux fois ce qui a déjà été donné sous forme d’avantages fiscaux divers.

Le financement public des travaux de fermeture des puits

Le gouvernement prévoit très généreusement payer 75% du coût de la fermeture "définitive" des puits. Je commente tout de suite l'expression fermeture définitive des puits. La réglementation prévoit depuis longtemps l'obligation de fermeture définitive des puits; on précise fermeture définitive, car la loi permet aussi un autre type de fermeture: il y a fermeture temporaire quand l'exploitant se garde la possibilité de revenir exploiter un puits. À la fin des activités, c'est la fermeture appelée définitive que l'exploitant doit exécuter; la loi a toujours prévu de tout temps que ces fermetures sont aux frais de l'exploitant. Il n'a jamais été question qu'un exploitant qui ferme un puits puisse le faire en ne payant que 25% des couts.

Le mot définitif maintenant: ce n'est pas parce qu'un puits est fermé définitivement qu'il n'y aura plus problème et pas d'autres couts. L'Alberta jongle actuellement avec cette question, qui était passée sous le radar depuis des décennies. Ses centaines de milliers de puits "fermés", "fermés définitivement", "inactifs", "orphelins", commenceront à peser très lourd dans le budget de la province. Le gouvernement fédéral vient d'accorder une aide de plus d'un milliard pour démarrer l'indispensable campagne de gestion. Ce n'est qu'un timide début, car on en est encore à l'étape d'inventorier, de classer est de "nettoyer" une petite portion de ces puits. Le budget de 1,7 G$ pour l'Alberta, la Saskatchewan et la Colombie Britannique ne s'adresse pour l'instant qu'aux quelques milliers des puits les plus problématiques. Les autorités ont publié deux estimés pour l'ensemble des puits 300000 puits albertains qui se chiffrent plutôt entre 58,7G$ (Alberta Energy Regulator) et 70G$ (Alberta Liabilities Disclosure Project).


La valeur négative des puits existants

Les sites miniers abandonnés sont inscrits au passif du Québec; l'estimé conservateur et encore incomplet chiffrait cette valeur négative à 1,2G$ en 2019. Le Québec n'a pas encore fait d'évaluation comptable comparable pour les puits d'exploration de pétrole et gaz. Mon précédent billet traitait du coût des puits abandonnés dans l'Ouest canadien; il y en a aussi au Québec, en moins grand nombre heureusement. Les plus problématiques sont les 18 puits où les exploitants ont effectué de la fracturation hydraulique dans le shale d'Utica. Il y en a plusieurs centaines d'autres où des travaux correctifs seront requis pour colmater des fuites de gaz. Ces travaux d'obturation auront eux-mêmes une durée de vie limitée; la gestion des puits abandonnés, c'est un travail de suivi et de travaux correctifs à reprendre périodiquement sur une très longue période encore indéfinie. Le rapport du Conseil des Académies Canadiennes sur la question indique ceci: « This raises the possibility of needing to monitor wells in perpetuity because, even after leaky older wells are repaired, deterioration of the cement repair itself may occur » (CAC 2014, p.193).

Fermeture définitive ne signifie pas la fin des ennuis. Tous les puits conservent une valeur négative léguée aux prochaines générations. Il n'y a pas d'estimé encore de cette valeur négative, mais je propose l'estimé ci-dessous:
- Le Québec ne compte que 800 puits, soit 437 fois moins qu'en Alberta (i.e.  0,23%)
- Au prorata de l'estimé albertain (70G$), on arrive à une valeur de passif de 160,000,000$.

Avant de livrer des compensations irréfléchies aux détenteurs de licences d'exploration, le gouvernement doit impérativement attribuer une valeur négative à chacun des puits existants sur le territoire de ces permis; cela s’applique à tous les puits, y compris les puits fermés et ceux qui connaitront une fermeture prochaine. Des inventaires sur des puits fermés entre 1 et 40 ans ont montré qu’avec le temps la proportion de puits détériorés et donnant des fuites augmente avec les années. L'acier et le ciment des travaux de fermeture ne dure qu'un temps limité.

Un puits qui aura coûté 12M$ à construire peut éventuellement devenir problématique quelques décennies plus tard; l'intervention requise pour tenter de colmater ce puits corrodé pourra s'avérer extrêmement coûteuse et se chiffrer en millions de dollars. Il est très complexe car très risqué de revenir travailler, en présence de gaz, sur une structure dont l'état de corrosion est inconnu, car enfoui profondément sous terre.

Tant que ce bilan négatif n'est pas entrepris, aucune compensation ne doit être versée. Les frais reliés aux puits doivent demeurer à la charge des acteurs privés qui les ont implantés. Ces nuisances environnementales ne doivent pas être transférées à l'État de façon irréfléchie.

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N.B. Les 22, 23 et 24 février 2022, le projet de loi 21 fera l'objet d'audiences en commission parlementaire.

Avec trois autres co-auteurs, j'ai publié dans le journal La Tribune un article qui traite en résumé de la question des compensations à ne pas verser pour le retrait des permis.

dimanche 30 janvier 2022

Coût de "nettoyage des puits" orphelins au Canada

 Le 25 janvier 2022 , le bureau du directeur parlementaire du budget à Ottawa a publié un rapport intitulé: 

COÛT ESTIMATIF DU NETTOYAGE DES PUITS DE PÉTROLE ET DE GAZ ORPHELINS DU CANADA    

On ne traite ici que d'une petite sous catégorie des puits de pétrole et de gaz présents sur le territoire du Canada, principalement dans les provinces de l'Ouest: Alberta, Saskatchewan et Colombie-Britannique; cette sous-catégorie se nomme puits orphelins. Il y en avait ~1000 en 2010 et il y en avait ~10000 en 2020. Les puits orphelins n'ont plus de propriétaires responsables, autre que le gouvernement. Ce nombre d'orphelins augmente de façon exponentielle avec les années, et c'est pour cela que le gouvernement s'alarme. Le rapport est intéressant mais technique à lire; je reproduis ci-dessous son résumé qui en donne le contenu essentiel:

"Les puits terrestres pétroliers et gaziers classiques du Canada sont principalement situés en Alberta et en Saskatchewan. Ensemble, ces deux provinces représentent 91 % de la production classique terrestre de pétrole et de gaz au Canada, comptant au total quelque 600 000 puits.

Au cours de la dernière décennie, il y a eu une augmentation marquée du nombre de puits inactifs et colmatés en Alberta et en Saskatchewan. À l’heure actuelle, seulement 35 % de tous les puits en Alberta et 39 % de tous les puits en Saskatchewan sont actifs, ce qui constitue les taux les plus faibles jamais enregistrés.

Les organismes de réglementation provinciaux exigent que les entreprises pétrolières et gazières ferment les puits inactifs. Les puits d’une entreprise sont considérés comme orphelins dans le cas où il n’y a pas d’exploitant connu et financièrement viable qui soit capable de s’acquitter des responsabilités environnementales associées à la fermeture de ceux-ci.

En Alberta, le nombre total de puits orphelins est passé d’environ 700 en 2010 à 8600 en 2020. De même, en Saskatchewan, il est passé d’environ 300 en 2015 à 1500 en 2020. Comme le nombre de puits orphelins augmente, le coût prévu du nettoyage des passifs environnementaux croît aussi. Cette hausse des coûts pose un risque non seulement pour l’équilibre financier des provinces, mais aussi pour celui du gouvernement fédéral.

En 2020, le gouvernement fédéral a versé 1,7 milliard de dollars aux gouvernements de l’Alberta, de la Saskatchewan et de la Colombie-Britannique pour financer le nettoyage des puits de pétrole et de gaz inactifs dans le cadre du Plan d’intervention économique en réponse à la COVID-19. Étant donné que le nombre de puits orphelins continue d’augmenter, il faudra probablement faire appel à des sources de financement industrielles, provinciales et fédérales pour couvrir les coûts de nettoyage.

Le DPB estime le coût du nettoyage des puits orphelins à 361 millions de dollars, à l’échelle nationale, en 2020. Ce coût cumulatif devrait atteindre 1,1 milliard de dollars d’ici 2025. L’estimation ne vise que la production classique terrestre de pétrole et de gaz et n’inclut pas les coûts potentiels de nettoyage des sables bitumineux."

Je me dois de faire ce commentaire sur le titre (et le contenu) du document; on utilise le mot NETTOYAGE des puits, ce qui signifie essentiellement qu'on "nettoie" le sol contaminé autour du puits et, 2e étape qu'on remet le site en état (Assainissement et Remise en état, p. 10 du rapport).  C'est très limité comme vision, très insuffisant pour gérer ce problème et surtout cela sous-estime les coûts de la gestion des puits à moyen et long terme. La vision de la gestion du problème dans ce rapport s'apparente à dire que si vous avez un gros réservoir plein d'huile qui coule par un trou et qui tache la pelouse, vous aller envoyer une équipe qui va essuyer et nettoyer la partie extérieure du réservoir et qui va aussi remplacer le gazon et la terre qui a absorbé l'huile de la fuite.

Décennies après décennies, ce gros réservoir va se corroder et les écoulements vont se renouveler en nombre croissant. Le plan d'intervention ne s'attaque pas du tout à la cause des fuites.

J'ai écrit plusieurs textes sur le devenir des puits après la fin de la production. Je peux résumer ma vision de la problématique en quatre points:
1) Après la production commerciale, beaucoup d'hydrocarbures demeurent dans le substratum, particulièrement dans le cas des gisements non conventionnels exploités par la fracturation hydraulique, où le ratio d'extraction est très faible.
2) Il est impossible de remettre le substratum dans son état d'origine; les trous de forages et la fracturation ont rendu le massif de roc perméable.
3) Les bouchages des puits n'ont pas une efficacité totale; de plus les puits se corrodent avec le temps.  L'écoulement se poursuivra tant qu'il y aura ces deux éléments: une source d'hydrocarbures et des conduits potentiels.
4) Intervenir sur un puits inactif et corrodé pour en colmater les fuites peut représenter des coûts supérieurs aux coûts de sa construction. Ces travaux eux-mêmes n'auront qu'une durée de vie limité; ce sera à refaire après quelques décennies. Le coût de gestion des puits d'hydrocarbures sera prohibitif à moyen terme. Les seuls puits qui ne posent pas de problèmes sont les puits qui n'ont pas été forés.

L'évaluation faite par le bureau parlementaire du budget se fie aux chiffres qui au final originent de l'industrie; c'est ainsi qu'à la page 10 du rapport ils estiment les coûts de colmatage à 58000$/puits et 28000$/puits pour le nettoyage. Vous demanderez aux générations futures ce qu'ils penseront de ces estimés.

jeudi 2 décembre 2021

Les puits abandonnés au Canada

Il y a un peu de nouveau dans le dossier des puits abandonnés au Canada, des petits pas dans la bonne direction. L'organisme Alberta Energy Regulator qui est responsable de la  réglementation du pétrole et du gaz naturel de l'Alberta vient de mettre en place de nouvelles règles visant le problème croissant des puits inactifs et abandonnés dans la province. C'est là un geste concret qui découle des accords récents pour la réduction à la source des émissions mondiales de méthane.

Les puits d'hydrocarbures dans les régions productrices contribuent de façon significative au bilan mondial des émissions fugitives. On ne dispose que d'une évaluation incomplète de ces quantités de méthane émis dans l'atmosphère, car les seules données disponibles sont compilées avec seulement les pays industrialisés. Pour le dernier bilan estimé (2016) ces émissions étaient de 1,33Gt équivalent CO2; 85% de cette valeur provient des gisements de pétrole et gaz, le reste 15% provenant des gisements de charbon.

C'est en Alberta qu'on a compilé les données les plus précises:

- Nombre de puits actifs:      156 926

- Nombre de puits inactifs:    95 524 (pouvant être réactivés éventuellement)

- Nombre de puits abandonnés:              76 372

- Nombre de puits obturés certifiés:       92 205

- Nombre de puits exempts de certification:   36 758

Cependant l'Alberta Energy Regulator émets la nouvelle réglementation afin de mieux suivre à l'avenir l'ensemble des producteurs dispersés sur son territoire; cela part d'une admission que les bilans actuels sont encore basés sur des données incomplètes et imprécises.

J'ai examiné ces nouvelles règles, notamment celles qui gèrent la fermeture définitive des puits et la reconversion des sites. Même ces règles toutes récentes conservent une vision fort limitée de la problématique; elles servent à préciser comment l'exploitant obtient un Reclamation Certificate, et rien dans ces règles ne tient compte de la détérioration future des matériaux qui servent à l'obturation des puits. On continue de croire qu'une fois abandonné et obturé, un puits cessera d'être problématique.

Je rappelle, comme l'a fait en 2014 le rapport du Conseil des Académies Canadiennes (CAC), que les travaux d'obturation auront une durée de vie finie, encore à préciser; en conséquences le CAC constate que la gestion des puits abandonnés demanderait plutôt un suivi à perpétuité: « This raises the possibility of needing to monitor wells in perpetuity because, even after leaky older wells are repaired, deterioration of the cement repair itself may occur » (CAC 2014, p.193)*". Les puits obturés pourront recommencer à émettre du méthane après un certain nombre d'années, quelques décennies tout au plus.

C'est très préoccupant de constater que même les toutes nouvelles règles sont pensées par des gens qui croient que les puits "disparaissent" une fois obturés. C'est vrai qu'on part de très loin dans l'industrie extractive; les nouvelles règles sont un pas dans la réduction à court terme des émissions fugitives. Mais c'est un pas encore loin de régler les très sérieuses lacunes du passé. Cela n'empêchera pas de léguer aux prochaines générations des centaines de milliers de sources potentielles de méthane: une par puits qui se remettra à laisser fuir du gaz.

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* Dans la version française du rapport du Conseil des académies canadiennes (CAC) 2014.  (Incidences environnementales liées à l’extraction du gaz de schiste au Canada), la citation se situe à la page 228: "Cette situation laisse entrevoir la nécessité d’une surveillance à perpétuitécar même après qu’on ait réparé d’anciens puits présentant des fuites, les réparations du ciment pourraient elles-mêmes se détériorer.".


jeudi 11 novembre 2021

Anticosti au patrimoine de l'Unesco

Le journal Le Devoir du 11 novembre 2021 publie un très bon texte sur l'intérêt géologique de l'Île d'Anticosti:  Anticosti, à l’origine des extinctions.

L'article résume un article récent paru dans la prestigieuse revue Nature Geoscience, qui traite de la première grande extinction massive d'espèces survenue il y a 440 millions d'années. Les chercheurs spécialistes de la période géologique nommée Ordovicien estiment que cette extinction a vu la disparition de 85% des espèces vivantes à cette époque.

Les formations géologiques d'Anticosti contiennent des strates très riches en fossiles de cette période. Anticosti constitue un lieu privilégié pour mener des recherches visant à mieux comprendre les environnements et les conditions ayant mené à cette extinction de masse. C'est là une des excellentes raisons pour demander le classement de l'île parmi les sites patrimoniaux de l'UNESCO.

La recherche sur les extinctions de masses dans l'histoire géologique devient encore plus pertinente qu'avant. La connaissance du passé aide à mieux comprendre l'avenir.

lundi 6 septembre 2021

Annonce d'un nouveau blog

Ce mois-ci pour mon billet sur l'actualité du mois, j'ai le plaisir de vous annoncer que je viens de mettre en ligne un blog sur un nouveau sujet qui m'a interpellé cette semaine dans l'actualité.

Le sujet est le REM de l'Est, le nouveau réseau express métropolitain qui a été largement commenté lorsque le promoteur CDPQ Infra a publié deux études géotechniques. Le promoteur justifie son projet de voies sur pylônes au centre-ville par les problèmes géotechniques que rencontrerait une option en tunnel. Ce sujet tombe assez précisément dans mon champ de compétence. 

Comme précédemment pour les questions géologiques qui touchaient les dossiers gaz de schiste dans l'Utica des Basses-terres du St-Laurent, ainsi que le dossier de l'Ile d'Anticosti, je crois utile d'apporter un son de cloche indépendant et distinct de celui du promoteur.

Je vous invite à visiter mon nouveau site et à y laisser vos commentaires:  https://remdelest.blogspot.com

mercredi 11 août 2021

Projets GNL en Colombie-Britannique

Le projet GNL Québec est bien mort et enterré, mais ce n'est pas le cas ailleurs au Canada où des projets similaires sont à divers degrés d'avancement. L'expansion se poursuit dans la production et l'exportation de gaz de l'Ouest produit principalement par la fracturation hydraulique. Ce gaz est destiné aux marchés asiatiques notamment.


Après avoir signé des ententes pour le partage de redevances, certaines premières nations de Colombie Britannique participent activement à ces projets sous forme d'accord pour l'utilisation de territoires sous leur gestion. Tout les projets n'aboutissent pas cependant. Le projet Steelhead à Sarita Bay sur la côte ouest de l'île de Vancouver, qui avait été lancé en 2017 avec l'appui de chefs autochtones locaux, a finalement été annulé en 2019.


Il y a d'autres projets dans la région de Kitimat, près de la frontière avec l'Alaska. Ils se situent dans l'encadré rouge situé à la hauteur de la formation géologique Montney dans la figure 1 ci-dessous; ils sont beaucoup plus près des secteurs géologiques où se fait la production. La figure 2 montre plus en détails le secteur du rectangle rouge.


Figure 1  Carte du Nord de la Colombie Britannique montrant les quatre ensembles géologiques d'où le gaz est extrait par fracturation hydraulique: Montney, Horn River, Liard et Cordova. Le Montney est actuellement la plus importante zone de production. La zone indiquée par le rectangle rouge est agrandie dans la figure suivante.
Figure 2  Zone agrandie pour montrer le site du projet à Wil Milit près de Gingolx, à 80 km au nord de Prince Rupert.

Quelques semaines seulement après que la communauté de Lytton ait enregistré un record historique de chaleur au Canada (47,9°C), puis avoir finalement été détruite par un incendie, (un parmi les centaines d'autres qui ravagent la Colombie Britannique), des investisseurs industriels déposent encore des projets pour permettre l'expansion de la production de gaz dans cette province.  Le tout récent projet Ksi Lisims LNG à Wil Milit est présenté par ses promoteurs comme un projet "carboneutre" qui utilisera de l'énergie propre (hydroélectrique) pour produire 12 millions de tonnes/an de gaz naturel liquéfié, à partir de 2027. Comme GNLQ, l'usine de liquéfaction se situe au fond d'un fjord magnifique, mais à la différence du projet au Québec, l'installation projetée sera flottante. Les promoteurs utilisent un copié-collé de tous les arguments fallacieux entendus pour GNLQ.

Un autre projet, celui de LNG Canada de Shell est en cours de construction à Kitimat, ainsi qu'un long gazoduc (Costal GasLink) associé à cette usine de liquéfaction. Un deuxième projet à Kitimat, piloté celui-là par Chevron Corp. a de son côté été abandonné en mars 2021.

Il y a eu d'autres projets déposés auprès de l'Agence canadienne d'évaluation d'impact, dont le projet qui devait être développé en deux phases à Ridley Island dans les installations portuaires de Prince Rupert. La capacité de traitement prévue dans ce cas (21 millions de tonnes/an de gaz liquéfié), monte au double de ce que visait GNLQ au Saguenay.

On peut donc constater que malgré les cris d'alarme des scientifiques, malgré les signes très concrets de l'impact des gaz à effet de serre, notamment les incendies en Colombie Britannique, les promoteurs de l'expansion de l'industrie gazière dans cette province continuent de préparer des projets qui visent tous à augmenter la capacité de production et de transport de gaz au Canada. C'est en totale contradiction avec la recommandation récente de l'Agence Internationale de l'Énergie qui indique qu'il ne faut plus investir dans des nouveaux projets de combustibles fossiles.

lundi 9 août 2021

6e Rapport du GIEC - partie du groupe de travail no I

Le sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) sera publié en 2022, mais une partie de son contenu est disponible aujourd'hui. Le GIEC fonctionne avec trois groupes de travail:

Groupe I – Éléments scientifiques du changement climatique : l’évolution passée du climat et son évolution selon divers scénarios d’émissions de gaz à effet de serre.

Groupe II – Incidences, adaptation et vulnérabilité : analyse des conséquences pour les écosystèmes (naturels, agricoles) et l’impact de ces conséquences pour les sociétés. Le groupe se penche aussi sur adaptations possibles face à ces impacts.

Groupe III – Atténuation du changement climatique : ce dernier groupe s’adresse directement aux décideurs, car il élabore et suggère les politiques qui tenteront de limiter la hausse des températures durant les prochaines décennies

C’est le groupe I qui vient de publier son rapport ce 9 août 2021: "Climate Change 2021: The Physical Science Basis"*; il s'agit d'un texte qui reste à être approuvé et adopté par le GIEC. Les rapports des groupes II  et III sont attendus un peu plus tard dans les deux prochains mois. Ces trois rapports serviront à préparer en 2022 le sixième rapport de synthèse qui devrait être publié en mai 2022.

En tant que scientifique, je m’intéresse plus particulièrement aux travaux du groupe I  qui analyse la physique du climat terrestre. Ces experts analysent une quantité impressionnante de données physiques mesurées partout sur le globe. Ils ont raffiné depuis 1990 les modélisations de l’évolution du climat selon divers scénarios, en y incluant évidemment les projections dans les apports anthropiques; on pense notamment aux gaz à effet de serre dont les principaux sont le CO2 et le CH4. 

Depuis trois décennies, les projections initiales ont été confirmées par des millions d'observations; là où on disposait de moins de 2000 stations de mesures de température terrestre par exemple, ils disposent maintenant des données de 40 000 stations. Les outils de modélisation sont maintenant dix fois plus détaillés (le maillage de 500m est maintenant passé à moins de 50m). La modélisation de plus englobe un éventail bien plus large de paramètres physiques. La figure ci-dessous place côte-à-côte les évaluations et les sources de données physiques en 1990 et 2021:


Le présent rapport fournit de façon très détaillée la base scientifique sur laquelle se construit toute la suite d'analyses de l'impact des  activités humaines sur le climat. Il est primordial d'y accorder la plus grande attention. Il y a encore des puissants groupes d'intérêt industriels qui entretiennent des théories négationnistes et qui s'efforcent de faire passer les analyses du GIEC comme des hypothèses contestables. Les négationnistes sont à ranger dans la même boîte que les anti-vaccins et les conspirationnistes de tout acabit; ce sont avant tout des anti sciences dont l'action va continuer à retarder les prises de décision, pourtant urgentes, pour l'avenir de l'humanité.

Ce rapport insiste aussi beaucoup sur le rôle du méthane, souvent au second plan car on a de tout temps associé le réchauffement au CO2. Autre point du rapport: le stockage du carbone a été présenté par certains comme une solution (solution qui ne concerne que le CO2 et pas du tout le méthane), or c'est une solution ponctuelle qui peut aider certaines industries à réduire leur empreinte CO2, mais ce n'est pas la panacée que d'aucun ont envisagée. Il faut impérativement que les politiciens et tous les décideurs en poste prennent véritablement en compte les données scientifiquement validées du GIEC et aillent plus loin que les belles paroles. Ces données ne sont plus des hypothèses, mais bien des réalités scientifiquement établies.

Il y a dès maintenant une mesure urgente à adopter au Québec: nous venons de passer les dix dernières années à perdre temps et ressources pour débattre et analyser des projets de production de gaz de schiste dans le Shale d'Utica, de production de pétrole de schiste à Anticosti et dernièrement une usine de liquéfaction au Saguenay pour l'exportation de gaz de schiste de l'Ouest canadien. Heureusement aucun de ces projets farfelus ne s'est concrétisé, mais pendant ces dix ans, la situation décrite par le GIEC a considérablement empiré. La mesure que le gouvernement du Québec doit adopter c'est de faire table rase et mettre à la poubelle toutes ses interventions réglementaires** et législatives des dernières années, celles qui ont permis et favorisé ces projets. C'est à rayer définitivement du paysage, à commencer par les permis d'exploration d'hydrocarbures.

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* Pour l'instant, il semble que seule la version anglaise soit disponible; la version française devrait être disponible un peu plus tard, car le GIEC publie ses documents officiels dans six langues dont le français.

** Règlements (liste non exhaustive):
- les quatre règlements publiés en 2017 pour la loi sur les hydrocarbures
- le chapitre V du RPEP  (août 2014) qui traite de la fracturation hydraulique
     Texte de loi:  Le chapitre IV de la loi 106 qui constitue la Loi sur les hydrocarbures (LSH)

mardi 20 juillet 2021

Décision du gouvernement sur GNLQ

La nouvelle de ce mardi 20 juillet porte sur l'annonce que fera le ministre Benoit Charrette demain mercredi à Saguenay à propos du projet GNLQ étudié par le BAPE, dont le rapport défavorable a été rendu public le 24 mars dernier. 

Les gouvernements prennent toujours leurs décisions sur des considérations politiques avant tout, rarement sur les seuls arguments des analyses fournies par les scientifiques*. Les créations d'emploi, les investissements dans des régions qui en ont un grand besoin, etc. ont un poids politique qui a jusqu'ici guidé les prises de positions du premier ministre à propos de GNL Québec.

Cette fois-ci cependant, même en regard d'un point de vue strictement politique, les scientifiques et l'opposition citoyenne telle qu'exprimée dans la très grande participation au processus de consultation du BAPE ont formé un bloc puissant opposé à ce projet. Est-ce que cette opposition aura eu aux yeux du Conseil des ministres un poids politique assez fort pour renverser leurs prises de position antérieures?  La réponse ce mercredi à 15h à l'hôtel Montagnais à Saguenay.

Je commenterai plus en détails la décision une fois qu'elle sera rendue.

21 juillet 15h10, fin de l'attente c'est NON au projet GNLQ. Le ministre Benoit Charette vient de le confirmer en conférence de presse. C'est en répondant à une question d'une journaliste de TVA que le ministre Charette a précisé que c'était un refus définitif pour ce projet. Le projet GNLQ ne rencontrait aucune des trois conditions qui aux yeux du gouvernement l'aurait rendu acceptable. Il a reconnu que son gouvernement avait initialement appuyé ce projet, mais que cet appui était conditionnel à ces trois conditions.

Le ministre Charette a répondu à une autre question portant sur l'autre élément: GAZODUQ. Ce deuxième projet étant relié à GNLQ, il tombe à l'eau automatiquement. Les communautés des premières nations ont récemment signifié un refus définitif à un gazoduc qui aurait à traverser leur territoire.

Vers la fin de la période de questions, le ministre précise que le décret du refus sera publié à la Gazette officielle d'ici deux à trois semaines; il ajoute que les éléments du dossier, les questions du gouvernement au promoteur seront publiées dans les prochains jours. Il résume cette partie du dossier en disant que les réponses du promoteur n'étaient pas du tout satisfaisantes.

Les feux de forêt dans les provinces de l'Ouest nous rappellent que l'impact des combustibles fossiles constitue dès maintenant une réalité qu'on ne peut passer sous le tapis. Faut-il attendre que ce soit les forêts du Saguenay qui s'embrasent à leur tour pour convaincre les promoteurs locaux que des projets impliquant l'expansion de la production de pétrole ou de gaz ne sont plus envisageables? Ils sont déçus pour les jobs que promettait GNLQ. On ne peut pas en 2021 fonctionner comme dans les années cinquante et accepter n'importe quoi sur ce seul argument de jobs à créer.

Le Québec n'ouvre pas son territoire pour permettre l'expansion de nouveaux pipelines et gazoducs. Ceux qui existent déjà fourniront encore quelques décennies les besoins en combustibles, mais tous les nouveaux investissement doivent aller dans des projets qui diminueront leur utilisation, pas le contraire.

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* Un cas très concret du peu de poids accordé aux arguments scientifiques, c'est par exemple le fait que seuls les promoteurs ont prétendu que le projet GNLQ permettrait une diminution de l'impact des gaz à effet de serre. Tous les scientifiques ont exprimé un avis contraire; pourtant le premier ministre a cru et a exprimé pour deux projets distincts un avis concordant avec celui des promoteurs sur cette question précise: en septembre 2020 pour GNLQ et même tout récemment en avril 2021 Goldboro GNL.

Un autre élément qui laisse un doute sur la qualité des connaissances scientifiques et de celles l'entourage du ministre, est apparu en fin de la conférence de presse où le ministre répond à la question précise de Keven Doherty à propos du gaz de l'Ouest canadien: "est-ce que c'est possible de voir le gaz comme une énergie de transition?". Il répond: "le gaz naturel dans certaines conditions peut servir d'énergie de transition" (minute 31:30 de la vidéo). Ce mythe que le gaz puisse être une énergie de transition, est faux au point de vue scientifique.

samedi 1 mai 2021

Mettre fin aux permis d’exploration d’hydrocarbures au Québec


James Millar porte-parole de Pieridae a indiqué il y a moins d’un an que son entreprise a réévalué ses projets au Québec à la fin de 2019; il déclare que ceux-ci ne cadrent plus avec les projets de la compagnie « Donc, nous n’avons pas de plan de développement dans la province ».  Pieridae avait acquis en 2017 tous les actifs de Pétrolia, après que cette dernière ait grassement obtenu des fonds publics au cours de son existence. Déclarer qu’après réévaluation on raye les projets de développement pétrolier au Québec, n’empêche pas cette même compagnie de déposer une poursuite de $32 millions contre le gouvernement du Québec pour le projet Haldimand annulé.


Le gouvernement devrait mettre fin à la très coûteuse aventure des permis d’hydrocarbures au Québec. Aucun des permis qui arrive à échéance ne doit être renouvelé ou remis sur le marché: il doit tout simplement être retiré. Aucune compensation ne doit être payée par l'État pour le retrait des permis échus. Aucun nouveau permis ne doit être crée par le MERN. Il y aurait lieu aussi de faire enquête pour mettre en lumière les nombreuses failles au MERN dans cette saga, laquelle aura couté depuis 2006 des centaines de millions de fonds publics en pure perte.


Des hauts fonctionnaires ont échafaudé une politique pour promouvoir l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures. Ces hauts fonctionnaires, dont plusieurs sont toujours en poste, et le lobby de l’industrie ont grandement influencé les politiciens qui se sont succédés, et qui pour la plupart n'avaient qu'une expertise fort limitée en ce domaine. Le syndrome des portes tournantes était bien présent : des fonctionnaires qui après avoir créé et distribué les permis, passaient du côté de l’industrie pour s’en faire ouvertement promoteurs.

-  Les permis distribués à rabais: 10¢/hectare comme droits annuels au lancement de cette politique. À lui seul le plus gros ballon dégonflé (Anticosti) aura englouti 92M$ en dépenses et en dédommagement pour le retrait des permis.

-    À cela s’est ajouté des subventions et injections directes de fonds publics dans plusieurs autres projets et compagnies privées (Junex, Pétrolia, etc.)

-  Des commissions d’études (ÉES, BAPE) ont suivi les premiers dégâts constatés. Aucun projet ne s’est avéré viable; les études ont montré que tous créaient des impacts environnementaux majeurs.

Il y a au moins deux autres tentatives de soutirer des millions de fonds publics :

- Lone Pine Resources Inc. poursuit le gouvernement du Canada ) pour 250M$

- Questerre Energy Corp de Calgary a initié une poursuite en 2018 pour faire invalider les règlements de la loi sur les hydrocarbures qui gèlent ses avoirs dans les Basses-Terres du St-Laurent. Le cout pour le règlement de ce litige est encore inconnu, car la poursuite a été suspendue pour y substituer des négociations à huis clos avec le gouvernement.


Lorsqu’on tente d’évaluer les retombées et les couts des aventures récentes impliquant les hydrocarbures au Québec, il est très facile de mesurer les retombées : il n’y a eu que des dépenses et aucun revenu pour l’État. Les faibles rentrées d’argent que donnent les frais annuels des permis sont très rapidement annulées par le couts des salaires des fonctionnaires requis pour gérer ces permis.

Les permis encore actifs en 2021 (source: MERN)


Les dépenses pour l’État sont faramineuses et elles croissent d’année en année; les commissions d’enquête, les inspections sur le terrain, les interventions sur les puits problématiques, les frais judiciaires des poursuites qui s’additionnent. À tout cela il faudrait ajouter au moins 500M$ des couts engendrés par la catastrophe des wagons transportant du pétrole de schiste à Lac Mégantic en 2013. Cela aussi c’était des hydrocarbures non conventionnels obtenus par la fracturation hydraulique, ce que M. Binnion de Questerre se plait à nommer « le miracle économique » du 21esiècle. Pour le Québec, le bilan de ce dossier est au contraire un véritable gouffre économique.


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Addendum du 2 juin 2021, le Centre Québécois du Droit de l'Environnement publie un très intéressant rapport qui démontre la capacité en toute légalité de mettre fin aux activités d'hydrocarbures au Québec.  Mettre fin aux activités de l'industrie des hydrocarbures englobe un éventail plus large d'activités, plus vaste que la seule option de mettre fin aux permis d'exploration. Ne pas renouveler ces permis à leur échéance et ne pas permettre qu'ils soient transférés serait la première étape essentielle; en quelques années, cela mettrait fin à toute activité extractive et/ou d'exploration.

jeudi 7 janvier 2021

2021 sera une année de gros ménage: > Trump - Covid - GNL - etc. > >


Ces jours-ci se termine le très désastreux règne des quatre années de trumpisme; d'ici 15 jours les américains vont amorcer un très gros ménage de tous le débris laissés par cette administration qui a eu un impact rétrograde sur la démocratie de ce grand pays, sur l'environnement, sur la santé de ses citoyens. Je dis "trumpisme" et non pas Trump, car les dégâts, le désordre et les débris à ramasser ne sont pas le fait d'un seul homme: tous les "suiveux", républicains d'extrême droite, complotistes de tout acabit, etc. y ont grandement participé. Quand le plus gros responsable sera sorti de la Maison Blanche, le ménage pourra commencer. Les américains devront réparer bien des structures dans leur pays: la cohésion sociale, la confiance dans les institutions, leur système de santé, et bien d'autres choses. L'année 2021 ne suffira pas à cette tâche.

L'humanité dans son ensemble aura comme travail de l'année 2021 de nettoyer le terrible virus de la covid-19 partout dans le monde et non pas seulement dans les pays développés. Pour les virus, les frontières n'existent pas vraiment; ce ne sont que des barrières peu efficaces qui ne peuvent que retarder temporairement leur progression planétaire. En 2021, une fois que chaque pays aura fait le plein de sa propre vaccination et pour que le ménage sanitaire soit complet sur terre, il faudra qu'émerge une prise en charge de la santé mondiale beaucoup plus efficacement que précédemment.

La question de la dégradation de l'environnement par les trop grandes émissions de gaz à effet de serre et par les rejets de nos multiples contaminants industriels dans les milieux de vie de la biosphère (sols, eau, atmosphère) va demeurer en 2021 et pour encore bien des années à venir, la plus grande menace pour l'humanité. Chaque individu, chaque ville, chaque pays doit en devenir conscient dans ses décisions courantes. C'est très loin d'en être le cas actuellement; prenons simplement comme exemple les décisions qu'on devra prendre cette année au Québec dans le cas de la lutte aux changements climatiques. Comment se fait-il qu'on doivent encore militer si fort pour balayer hors du Québec un projet d'expansion de la production de gaz de l'Ouest comme GNL Saguenay? * Je souhaiterais qu'on fasse un très gros ménage en 2021 dans les projets, dans les politiques, dans les règlements mis en place au cours des dix dernières années. On pourrait commencer par un gros coup de balai dans les lois et règlements qui ont été adoptés pendant la période où des promoteurs ont fait miroiter des projets de développement pétrolier et gazier.  Je pense notamment aux articles de la loi 106, au RPEP, aux règlements reliés à la loi sur les hydrocarbures et plus spécifiquement à tous leurs articles où le développement pétrolier et gazier est encore permis et facilité.

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* Les coups de balais sont déjà commencés chez GNL